Sang royal

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Après deux années malheureuses en France, l’ancienne flèche de Lokeren veut se relancer chez les Zèbres.

On n’a pas oublié les dribbles, les explosions de joie et le look tout à fait particulier d’Adekanmi Olufade. Entre décembre 2000 et mai 2001, il fit merveille à Lokeren : 13 matches joués, sept buts et trois assists. Ensuite, on avait un peu perdu sa trace. Il fut vendu à Lille pour un pactole mais y fut rarement aligné. Et, la saison dernière, c’est à Nice qu’il poursuivit sa traversée du désert.

Aujourd’hui, le Togolais veut prendre un nouveau départ. Prêté par Lille à Charleroi pour un an, il a soif de revanche. Un seul de ses compatriotes a déjà porté le maillot du Sporting : Atty Affo, qui fut Zèbre entre 1988 et 1995.

Adekanmi Olufade : Affo s’est installé définitivement dans la région de Charleroi et je suis souvent en contact avec lui. Il a été mon premier point de repère quand je suis arrivé. Je me souviens très bien de ses années de joueur : il était une vraie star au Togo quand il jouait ici.

Quelle est l’origine de votre prénom ?

Il a une connotation royale. Mon grand-père a acheté, il y a bien longtemps, la maison où avait vécu le roi du village, au Togo. C’est là que j’ai grandi, entouré de mon père, de ses trois femmes et des 18 enfants qu’il a eus avec elles… Dans la famille, tous les prénoms font référence à ce roi.

Pourrez-vous être efficace aussi rapidement avec Charleroi qu’avec Lokeren autrefois ? Là-bas, vous n’aviez eu besoin que de quelques jours pour être complètement intégré.

J’y avais retrouvé des joueurs que j’avais eus comme coéquipiers en Côte-d’Ivoire : Coulibali et Youla. Ils avaient facilité mon intégration. J’avais aussi eu la chance de trouver, à Lokeren, une ambiance extraordinaire. Et j’avais tout fait pour être directement dans le coup. Pourquoi autant d’Africains échouent-ils en Europe ? Parce qu’ils ne recherchent pas le contact avec leurs nouveaux coéquipiers. Ils se mettent dans un coin et attendent qu’on vienne vers eux. Ce n’est pas la bonne tactique parce que, le plus souvent, on les laisse là où ils sont. Moi, je suis immédiatement allé vers les autres et j’ai mis de l’ambiance dans le groupe. D’ailleurs, tout le monde, à Lokeren, était comme ça. Les Islandais étaient un peu plus froids au départ, mais ils se sont laissé entraîner dans la tourmente, ils se sont pris au jeu. Tout le monde taquinait tout le monde, presque chaque joueur avait un surnom. Il y avait le Président : Zéré. Le Premier Ministre : Bangoura. Et les Opposants… Finalement, c’était fort politique, comme atmosphère (il se marre).

 » Entre le banc en France et la pelouse en Belgique, je n’hésite pas  »

Pour quelles raisons n’avez-vous pratiquement pas joué au cours des deux dernières saisons ?

J’ai eu la poisse à Lille : on a dû m’opérer à l’épaule et j’ai souvent été appelé par mon équipe nationale. Mais je ne peux quand même pas trop me plaindre de mon bilan avec ce club. J’ai découvert la Ligue des Champions et la Coupe de l’UEFA. Lille a réussi un superbe parcours : qualification contre Parme au tour préliminaire, matches de poule contre Manchester United, La Corogne et l’Olympiakos, puis deux autres adversaires prestigieux en UEFA, la Fiorentina et le Borussia Dortmund. Même si je n’ai pas beaucoup joué contre ces clubs du top européen, j’ai énormément appris.

A Nice, le problème était différent : je ne m’entendais pas du tout avec le coach, Gernot Rohr. Ne me demandez pas pourquoi. Je n’en sais rien. Je suppose que, simplement, il n’aimait pas ma tête. Dès le départ, il avait visiblement décidé de ne pas me faire jouer, et il n’a pas changé d’avis en cours de saison.

Comment avez-vous réagi à l’intérêt de Charleroi ?

J’ai été directement intéressé. Je savais que ce club avait vraiment envie de m’avoir : il s’était déjà renseigné à mon sujet durant l’été 2001, puis encore l’année dernière. Quand je suis rentré à Lille pour la reprise des entraînements, au début de cet été, on m’a dit que je ne serais que le sixième attaquant du noyau et que je ne devais pas me faire d’illusions. Je savais que, si je restais là-bas, je serais condamné au championnat de CFA. J’y ai encore un contrat de deux ans, mais je n’étais toujours pas une priorité pour Claude Puel. Il ne me fait clairement pas plus confiance que Vahid Halilhodzic autrefois. J’en ai tiré mes conclusions et je me suis immédiatement concentré sur l’offre du Sporting. Je suis venu repérer les lieux et j’ai eu une bonne discussion avec Dante Brogno. Je me souvenais très bien de lui puisque nous nous étions affrontés quand j’étais à Lokeren. De son discours, j’ai directement conclu que son passé d’attaquant se refléterait sur le contenu de ses entraînements. La suite des événements m’a donné raison : il nous montre, godasses aux pieds, qu’il sait de quoi il parle quand il explique un exercice devant le but.

De Nice à Charleroi, vous faites quand même un fameux pas en arrière !

Je ne vois pas les choses comme ça. D’accord, il n’y a aucune comparaison entre le niveau du championnat de France et celui de la compétition belge mais, ici au moins, je devrais jouer. Entre le banc en France et la pelouse en Belgique, je n’hésite pas. Je considère que je recule pour mieux sauter. Je suis réserviste depuis deux ans et, croyez-moi, j’ai faim !

Comment les joueurs vivent-ils les problèmes extrasportifs qui frappent le club ?

Chacun lit les journaux dans son coin, mais personne n’en parle. Nous voulons réussir la meilleure saison possible ; le reste, ce n’est pas notre affaire.

 » Je fête mes buts comme Brogno  »

Les matches amicaux n’ont pas été très concluants : n’êtes-vous pas inquiet alors que le début du championnat est pour demain ?

Non. Il y a des nouveaux joueurs à intégrer à des postes clés et cela demande toujours un peu de temps. Il faut apprendre les réactions de chaque coéquipier : comment bouge-t-il, comment demande-t-il le ballon, etc. Les premiers matches officiels risquent d’être difficiles, mais il ne nous faudra pas des mois pour être dans le coup.

Depuis que Boeka-Lisasi passe des tests à gauche et à droite, la pauvreté offensive du Sporting est encore plus préoccupante !

Je lis à gauche et à droite que je suis désormais le seul attaquant sûr d’entamer le championnat. Je ne vois pas les choses comme ça. Di Gregorio est là et il ne manque pas de qualités. Il y a également Dufer et Oulmers, que l’on peut considérer comme des ailiers. Et Macquet peut, lui aussi, se transformer en attaquant. Vous voyez que je ne suis pas seul sur une île, devant !

Etes-vous prêt à aborder le championnat dans la peau du seul attaquant spécifique, comme vous l’avez régulièrement fait lors des matches amicaux ? Cela ne vous imposerait-il pas un grosse pression ?

Quelle pression ? J’ai confiance en mes moyens. Si l’entraîneur adverse me colle un homme à la culotte, je sais que je serai capable de l’éliminer facilement grâce à ma vitesse de démarrage et ma technique. Et si personne n’est spécifiquement commis à ma surveillance, je ferai en sorte que les défenseurs s’emmêlent les pinceaux, qu’ils ne sachent jamais qui est susceptible de me prendre en marquage.

D’où tirez-vous votre impressionnante vitesse de pointe ?

C’est génétique. Mon père était footballeur et c’était un pur sprinter. Tout petit, j’étais déjà très rapide. Et j’ai entretenu cette qualité en courant dans le sable. C’est la meilleure école.

De votre passage à Lokeren, on retient notamment vos petits numéros après chaque but marqué…

J’adore faire le spectacle. Dès que j’ai marqué, je me laisse aller complètement. Un but, c’est une fête. J’ai besoin de communier avec le public. Sur ce plan-là, je suis un peu le nouveau Brogno, à Charleroi. Lui aussi se lâchait après avoir marqué. C’est une façon de remercier les supporters, de leur montrer qu’on pense à eux, qu’on ne veut pas fêter les goals en petit comité sur le terrain. Quand le buteur ne va pas vers les supporters, c’est comme s’il se moquait d’eux. Cette relation avec le public existe dans tous les pays d’Afrique.

A 23 ans, vous en êtes à votre cinquième pays : Togo, Côte-d’Ivoire, Suisse, Belgique et France. Vous êtes un vrai pigeon voyageur…

Vous oubliez l’Espagne. J’ai passé un test chez les Juniors du Real ! J’étais sur le point d’être retenu, mais un manager qui ne pensait qu’à lui a fait capoter l’affaire. C’est vrai que j’ai pas mal bourlingué, mais j’en ai un peu marre et je voudrais me fixer le plus rapidement possible. Mon but est de signer un contrat de longue durée dans un bon club d’un championnat de haut niveau et de l’honorer jusqu’au bout. A part les deux équipes qui m’ont formé, je n’ai jamais passé deux saisons de suite dans le même club : j’en ai un peu marre de tous ces changements.

 » J’ai un devoir moral vis-à-vis du Togo  »

Ne rêvez-vous pas d’un retour gagnant à Lille ?

Je voudrais en tout cas que les dirigeants de ce club rentabilisent enfin leur investissement. Il y a deux ans, ils m’avaient transféré pour 13 millions de francs français soit deux millions d’euros. Je suis loin de leur avoir rendu, sur le terrain, ce qu’ils ont déboursé pour m’acquérir.

Vos parents sont nigérians : ne regrettez-vous pas d’avoir opté pour la nationalité togolaise ? Vous auriez eu plus de chances de participer à de grands tournois avec le Nigeria.

Je suis né et j’ai grandi au Togo : j’estime donc que j’ai un devoir moral vis-à-vis de ce pays. Quand j’ai été convoqué pour la première fois en équipe nationale, je n’ai pas réfléchi à la possibilité de jouer éventuellement un jour avec le Nigeria. Je dois trop de choses au Togo, point à la ligne. Evidemment, c’est un tout petit pays du foot et je suis conscient que nous ne monterons jamais très haut, mais ce n’est pas le plus important.

Les rares Togolais qui évoluent en Europe sont-ils régulièrement en contact ?

Il y en a un que je côtoyais beaucoup : Djima Oyawolé, de Gand. C’est mon cousin !

Oui, mais en Afrique, tout le monde est cousin…

(Il rit). Non, je vous jure que c’est un vrai cousin. Sa mère et la mienne sont s£urs. Malheureusement, je ne le vois plus depuis qu’il a signé en Chine. Croyez-moi, il va ramasser un paquet d’argent là-bas.

Pierre Danvoye

 » Le secret de ma pointe de vitesse ? Mon père et le sable «  » A 23 ans, je suis déjà passé par six pays : je voudrais me fixer quelque part « 

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