SAMBRE ET MEUSE

Pierre Bilic

Les coaches du choc wallon se sont rencontrés avant que leurs joueurs n’en fassent de même.

I n vino veritas : c’est autour d’une bonne table et d’une bouteille de derrière les fagots que Jacky Mathijssen et Dominique D’Onofrio ont mis le prochain grand rendez-vous wallon à leur menu. Un dessert qui sera à la hauteur de leur repas. Trio de pâtes et un beau morceau de viande pour le mentor liégeois. La même entrée mais du poisson comme plat principal pour l’entraîneur des Zèbres qui n’avait pas craint de se rendre sur les terres de son prochain adversaire, à Ans.

L’ambiance avait des couleurs très Calcio et l’imposant patron du Ristorante Enoteca del Baronetto nous avoua même :  » Je suis Sicilien et j’adore le football. « . A une autre table, les dirigeants de l’ONU Seraing, club de football en salle de haut niveau, présentaient leur étoile pour la saison prochaine : Edwin Grinloz. Et Mario, héros de la première Star Academy, était de passage et n’a pas eu le temps de déguster les succulentes oranges de Sicile.

Jacky Mathijssen jouait vraiment en déplacement mais ne se dépara jamais de son calme. Même quand François Sterchele, Carolo d’adoption mais Liégeois de naissance, fit son apparition afin de manger un petit bout.  » Excuse-moi, Jacky, je ne savais pas qu’il y aurait autant de monde « , avança le T1 du Standard.  » Le football vit ici « . L’entraîneur des Zèbres répliqua tout de suite :  » Mais c’est le cas aussi à Charleroi. Vous vous en rendrez compte vendredi soir « . C’était le moment de transférer Brunello di Montalcino de la cave à vins vers une table devenue terrain de football : Charleroi-Standard pouvait commencer…

0-1 au repos : fraîcheur carolo mais Rouches très pointus

Championnat et Coupe de Belgique : cela fera trois gros matches en huit jours pour les Zèbres et les Rouches. Est-ce facile à gérer pour des groupes très différents ? Le Standard a du métier à revendre, Charleroi est plus jeune derrière les oreilles…

Jacky Mathijssen :  » La semaine est forcément organisée de façon un peu différente et l’accent est mis sur le calme, la sérénité, la récupération, les soins, la mise en place nécessaire pour la prochaine mission. Entre le match de Coupe et la visite du Standard, il n’y a que deux jours. Le programme est chargé mais ce sont des moments qu’un groupe apprécie. Les joueurs sont placés au centre de toutes les attentions et ils le méritent. C’est d’abord le résultat de leur travail. Rien n’est jamais facile mais je suis fier d’une chose : la fin de la saison approche et j’ai du mal à composer mes équipes de départ. Je dois faire des choix parmi un grand nombre de joueurs en forme. Certains se retrouveront sur le banc, ou dans la tribune, alors qu’ils seraient parfaitement capables de jouer. Je les félicite tous pour cet esprit vraiment très professionnel. Pour un coach, c’est gai de travailler dans de telles conditions. Le Standard peut compter sur un groupe avec un énorme vécu. Chez nous, il y a de l’envie, un gros désir de vivre ce que beaucoup de Standardmen ont déjà connu. A part Bertrand Laquait, Frank Defays, Badou Kere, Velimir Varga, Sébastien Chabaud, Nasredine Kraouche et Toni Brogno, les autres sont jeunes et toujours en découverte de la D1. Dans l’autre camp, il y a un gros acquis… européen : 70 % de ce groupe a joué en Ligue des Champions ou en Coupe de l’UEFA. De tels joueurs maîtrisent bien les paramètres d’un calendrier chargé. Il y a une grosse différence de moyens entre les deux clubs. Nos missions sont différentes et la mienne me passionne. Je suis fier de mon groupe « .

Dominique D’Onofrio :  » Le Standard n’a pas les moyens financiers d’Anderlecht et de Bruges. Là, ils dépensent pas mal d’argent sur le marché des transferts. Notre club doit vivre avec une surface financière plus limitée. La direction cherche donc des joueurs en fin de contrat. Ils sont libres, gratuits de transfert et cela a permis au Standard de réaliser de beaux coups : Sergio Conceiçao, Vedran Runje, Eric Deflandre, Jorge Costa, Milan Rapaic, etc. Ce sont des plus mais le Standard a su miser sur des jeunes aussi : Karel Geraerts, Oguchi Onyewu, Mémé Tchité, Igor De Camargo pour qui le club a fait un effort. Ce sont des paris sur l’avenir. Cela m’autorise à dire que c’est un bon mixte. Un groupe ne peut pas être trop vieux ou très jeune, expérimenté ou sans métier. Les générations doivent se compléter, offrir leur savoir, donner leur énergie. C’est exactement ce qui se passe au Standard. Cette unité ne s’obtient pas du jour au lendemain. Il y avait un gros retard à combler par rapport à Anderlecht et Bruges. Quand on revient dans le coup comme cela, ce n’est pas évident. Les attentes sont énormes à Sclessin, tout le monde le sait. Cela génère un fameux stress. Si tout est pratiquement nouveau pour Charleroi, un groupe tel que le nôtre, bien concentré, demande un plus gros travail technique. Je m’explique : les Zèbres n’ont globalement connu que Jacky. Il est peut-être plus facile de capter leur attention. Chez nous, les anciens en ont vu d’autres. Les échanges sont différents. Et très intéressants.

Depuis la saison passée, nous travaillons avec des moyens vidéo. Frans Masson a pris la succession de José Riga. Images et séquences filmées à l’appui, cela nous permet de disséquer les atouts et les problèmes de l’adversaire. Je ne veux surtout pas bourrer la tête de mes joueurs. L’intention du départ est toujours la même : le Standard doit imposer son jeu à Charleroi ou ailleurs. Mais il est bon d’en savoir plus sur l’opposant. Les joueurs ne négligent pas cela. Cela ne dure jamais longtemps. Je veux capter leur attention durant un quart d’heure et même si ce n’est pas énorme, cela s’inscrit dans une concentration plus globale sur un match. Mon débriefing d’après match ne me demande que 7 à 8 minutes mais il y a évidemment les échanges permanents en semaine, les remarques et rectifications à l’entraînement. Il en sera ainsi avant le voyage à Charleroi en tenant compte du fait qu’il y a peu de temps entre Genk, la Coupe de Belgique et le déplacement chez les Zèbres. J’éprouve beaucoup de respect pour les Carolos. Au niveau du potentiel et de la qualité du travail, j’en fais l’égal de Genk, Westerlo. Cette équipe est un peu grise pour le moment mais…  »

1-1 après 90 minutes : dangereux de piquer l’orgueil des Zèbres

Chaque mot est pesé avec attention. Même s’ils s’en défendent, les deux coaches ne veulent pas dévoiler leurs batteries. Les chocs entre les Carolos et les Liégeois valent souvent par les émotions qu’ils dégagent.

Jacky Mathijssen :  » Holà : une équipe un peu grise ? Il l’a dit. Je retiens. Voilà des impressions qui tombent bien : je vais les utiliser dans le cadre de la préparation mentale de mon groupe. Charleroi, ce sont des couleurs, ce n’est pas gris du tout et nous le prouverons très calmement contre le Standard. L’aller, c’est le passé. Cinq minutes après un match, je pense déjà au suivant, à ce que je vais dire à la presse afin d’aller de l’avant. Le passé, c’est immobile et demain, c’est la vie. Je ne pense jamais à hier mais toujours à demain. Cela dit, j’ai noté l’importance du travail vidéo au Standard. Je suppose que tous les grands utilisent cette technique. Charleroi n’a pas les moyens de s’offrir tout cela et, de toute façon, je n’ai pas trop envie de la vidéo pour le moment. Le message passe bien sans cela. Nous avons notre style de jeu et les joueurs ne doivent pas en douter en s’intéressant trop à l’adversaire. Il faut d’abord travailler sur soi. Je suis persuadé qu’un joueur pense à autre chose après deux ou trois minutes de théorie. Son monde à lui, c’est le terrain. Tout doit être concis, bref, précis. Je veux susciter des réflexions, des réactions, des prises de conscience. Il m’arrive de lancer une remarque à un joueur en vue de titiller un autre. Je ne suis pas un orateur et mon français n’est pas aussi précis que mon néerlandais. Ce n’est pas un problème. J’ai toujours été droit au but, sans perdre de temps. Je n’ai pas besoin de débriefing savant. En D1, tout le monde connaît tout le monde. J’ai suivi quatre fois le Standard cette saison. Et je ne suis pas le seul. Nous avons également nos scouts. Quand il y a une nouveauté, je tiens à le voir de mes propres yeux. Le Standard avec ou sans Igor De Camargo, ce n’est pas la même chose. Quand il est arrivé du FC Brussels, je me suis déplacé à Sclessin où l’accueil est sympa. Je lis la presse mais je ne suis pas obsédé par la récolte de renseignements qui auraient pu m’échapper. Et, de toute façon, nous prenons connaissance de la composition de l’équipe adverse une heure avant le coup d’envoi. Si on le veut, il y a alors toujours moyen de réagir, d’adapter sa stratégie. En général, tout est prévu. J’ai ma façon de travailler. Elle ne change pas en fonction de l’adversaire ou de notre classement. Vendredi, je programmerai ma petite théorie à 18 h 45, comme d’habitude. Ce sera un rappel, rien de plus. Le Standard est encore présent sur les deux tableaux. Mais cela ne signifie pas que le championnat soit moins important pour nous que pour le Standard. Pas du tout. Le groupe doit réussir une grosse fin de saison en championnat et en Coupe de Belgique. C’est comme cela qu’on avance et que les potentialités, importantes chez nous, se révèlent pour l’avenir. Mes joueurs le savent : ils peuvent vivre quelque chose de très fort. Je n’organise pas d’entraînement à huis clos. De toute façon, il n’y a jamais personne à Marcinelle « .

Dominique D’Onofrio :  » Nous avons été les premiers à instaurer un entraînement à huis clos. C’est très courant à l’étranger. Et j’ai noté que d’autres, dont Anderlecht, ont découvert les avantages de cette habitude. A 24 heures d’un match, c’est utile. C’est le moment des rappels, du rafraîchissement tactique, de la mise en phase avec le match et les forces adverses. Il y a une chose qui m’intéresse avant tout dans une équipe : l’équilibre. C’est une recherche permanente qui passe avant le nom des joueurs. Il m’arrive de ne pas en dormir, de chercher la clef tout en respectant les joueurs que j’écarte. Je dois faire des choix. Ce n’est pas facile mais je suis un homme juste et honnête. Comme Jacky le dit, tout se sait et le but du huis clos n’est pas d’éloigner la presse qui pourrait révéler l’équipe de base. De toute façon, les journalistes savent se renseigner. Ils ont leurs entrées, leurs tuyaux. Loin des regards de tous, nous avons la possibilité de travailler calmement. Personne n’est perturbé et c’est ce qui compte. Entre tant de matches, le travail est adapté à l’état de fatigue, aux petits problèmes physiques, etc. Je ne changerai pas mes habitudes non plus. A l’aller (1-0), il y avait eu pas mal de remue-ménage. A mon avis, le stade sera bien garni et je ne m’attends pas à une ambiance de revanche. Il y avait eu des incidents entre Philippe Léonard et plusieurs Zèbres mais c’est oublié et il ne sert à rien de jeter de l’huile sur le feu. Tout le monde serait perdant. C’est une affiche qui sera, je le souhaite, un match de propagande. Le Standard et Charleroi sont sur le chemin du progrès. Cela ne fait pas plaisir à tout le monde. Je n’ajouterai rien car on va encore dire que nous nous plaignons. A Bruges, Charleroi a vu, comme nous, que Gert Verheyen pouvait tout se permettre. Les Zèbres méritaient de gagner là-bas. Et le Standard, l’équipe la plus spectaculaire de D1, croule sous les cartes jeunes. J’espère de tout c£ur assister à un Standard-Charleroi en finale de la Coupe de Belgique « .

Fin du temps additionnel : le score reste acquis

Chaque entraîneur avance ses pions, évoque trois de ses atouts et détaille un trio de l’équipe. Ils rechignent un peu mais le temps presse. Qui va gagner ? Les Zèbres ou les Rouches ? Dominique ou Jacky ?

Jacky Mathijssen :  » Les noms ne manquent pas au Standard. Costa apporte beaucoup à cette défense qui joue plus haut et pousse toute son équipe dans le camp adverse comme ce fut le cas à Lokeren ou contre Genk. C’est du solide avec en plus Onyewu, Léonard, Mohammed Sarr, Deflandre, Runje. Quand je parlais de vécu, je songeais à cette défense. Au milieu, je voudrais mettre un gars de ma région en exergue : Geraerts. Même s’il a moins de vécu que ceux qui l’entourent, il signifie beaucoup pour le Standard. Devant, il y a bien sûr les vedettes que sont Rapaic et le Soulier d’Or, Conceiçao. Mais après Costa et Geraerts, je complète mon trio avec Tchite. Celui-là, il n’a même pas besoin de bons ballons pour être dangereux. A Charleroi, trois joueurs attirent les regards. Il y a un diamant brut chez nous. On doit encore le tailler, le polir, prendre le tempos de l’amener à maturité : Orlando. Personne ne peut imaginer le chemin que nous avons déjà parcouru avec lui. Il pourrait aller très loin . Sterchele s’est adapté à la vitesse de l’éclair. C’est un joueur extrêmement intelligent. Izzet Akgül est là aussi. Charleroi ne marque pas beaucoup mais avec un trio de jeunes comme Orlando, Sterchele et Akgül, il y a de l’avenir. Je n’oublie pas un autre jeune arrière polyvalent : Laurent Ciman. Ils ont le bonheur, évidemment d’être soutenus par ceux qui en ont vu d’autres : Laquait, Defays, Sébastien Chabaud, Sergiy Serebrennikov, Varga, Toni Brogno, Nasredine Kraouche « .

Dominique D’Onofrio :  » Charleroi, c’est un bloc et il n’est pas facile du tout de démonter tous les mécanismes de cette équipe. Même si elle détient moins de points que l’année passée à pareille époque, cette équipe est en progrès constants. On devine la marque du travail de mon jeune collègue. Je le lui souhaite déjà la chance de travailler un jour au Standard. Charleroi peut miser sur un des meilleurs gardiens de but de D1. Laquait tient bien la clef de la serrure en mains. Il organise bien sa défense et ce compétiteur ne lâche rien. Defays réalise une saison de Dieu le Père. C’est l’âme de Charleroi et la preuve qu’on doit s’intéresser de près à la D3. Defays était passé sans problème de Namur à Charleroi. Sterchele a aussi fait du chemin. Son aventure est exemplaire. Il est originaire de Loncin (mon coin) et a joué dans deux de mes anciens clubs : Liège et La Calamine. J’apprécie sa fraîcheur et la spontanéité de son jeu. Charleroi a découvert un beau buteur. Chez nous, il y a du beau monde. Les gens viennent au stade pour admirer un joueur comme Conceiçao. Sa technique est exceptionnelle mais c’est surtout un leader. Si le Standard a retrouvé la grinta, le feu de ses années de légende, c’est en grande partie grâce à lui. Mémé est évidemment exceptionnel. Il est même unique dans son genre en Belgique. Dommage que le duo qu’il formait avec De Camargo ne soit plus d’actualité. Je ne me plains pas mais la fracture de la malléole externe du Brésilien tombe vraiment mal. Onyewu est évidemment une des pierres angulaires du Standard. Et il y en a d’autres encore « .

PIERRE BILIC

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