Salut Superman!

Il contemple désormais la planète athlétisme.

Depuis sa décision de se retirer, Michael Johnson a lentement mais sûrement troqué sa cape de « Superman » pour revêtir celle de l’homme originaire de Dallas, fier citoyen américain, mari de Kerry et père de Sebastian. A 34 ans, il vient de ranger ses « pointes d’or » pour de bon, au terme de son dernier tour de piste dans un relais suédois à Yokohama. L' »Express de Waco » est un homme heureux et rayonnant.

A le voir évoluer autour d’une piste, on pouvait croire que courir un 200 mètres et -qui plus est- un 400 était devenu une formalité. Le buste droit, telle une statue, les jambes comme les pistons d’une loco. Sa concentration légendaire et sa position rigide en course lui ont valu la réputation d’un homme antipathique, fermé sur lui-même.

« Un athlète doit se concentrer sur la piste », dit-il. « Tous ne pensent pas comme moi. Le show, c’est après la course. Je pense que beaucoup d’athlètes ne sont pas assez sérieux avant leur course. Ils sont trop relax. Faire rire le public, lui parler, c’est après l’arrivée. Je n’ai jamais communiqué avec mes fans avant un départ. On me l’a souvent reproché d’ailleurs, mais qu’importe. Si les organisateurs me donnaient beaucoup d’argent pour me voir courir, je devais les respecter et me concentrer à 100% sur la piste. Quand j’ai décidé de tirer ma révérence, je me suis dit que mon Golden Lap Victory Tour, que j’ai fait cet été, serait non seulement ma tournée d’adieu mais surtout mes remerciements envers mon public ».

L’homme est différent de l’athlète. Il n’avait pas pu retenir ses larmes sur le podium olympique d’Atlanta. Et lors de son passage honorifique au dernier Van Damme, il s’est montré lui-même, jovial, bavard, farceur, ouvert, prêt à se plier à toutes les exigences de ses fans, prêt à dire et à redire toute son histoire.

« C’était le moment de partir »

Michael Johnson a tout vu, tout connu: 5 titres olympiques, 9 titres mondiaux, des records du monde à la pelle. Mais « M.J. Superman » a aussi souffert au cours de sa carrière. La gloire, ça ne tombe pas du ciel, d’un simple claquement de doigts. Il a souffert de son éviction de la sélection US pour les Jeux de Séoul à cause d’une fracture de fatigue et de son élimination en demi-finale du 200 de ses premiers JO à Barcelone, victime d’une intoxication alimentaire. Il a mal vécu aussi la blessure physique et morale, en 1997, de ce stupide 150 mètres face au champion du monde du 100 mètres de l’époque, Donovan Bailey.

A 34 ans, après avoir donné toute sa vie à l’athlétisme, Michael Johnson a officiellement bouclé sa boucle au début septembre à Brisbane, aux Goodwill Games.

« Certains, aux Etats-Unis notamment, ont critiqué le fait que je quittais la scène avant Edmonton alors que j’avais couru en 44.2 au Penn Relays en avril dernier, un chrono encourageant pour un début de saison. On aurait voulu me voir conclure le 4×400 des Etats-Unis au Mondial. Mais j’avais décidé de tirer un trait et je n’ai eu aucun regret de l’avoir fait. Quand j’ai commencé ma carrière, je voulais atteindre le sommet. J’y suis parvenu mais j’ai toujours eu peur de partir trop tard, diminué ou sur une défaite. Mon objectif n’a d’ailleurs jamais été de rester au sommet éternellement. L’important est d’avoir toujours couru avec une énorme motivation. C’était le moment pour moi de quitter la scène avec le sentiment d’avoir accompli tout ce dont je pouvais rêver ».

On pourrait penser que quitter le devant de la scène et les honneurs a été dur pour Michael Johnson.

« Quitter la piste n’est pas dur pour moi. Je regrette simplement que mon tour d’honneur soit terminé car j’ai vraiment apprécié de vivre mes derniers tours de piste avec mes fans. Courir a demandé une très large part de ma concentration durant toutes ces années. Mais j’ai toujours réussi à faire la part des choses entre mon métier et ma vie privée. Arrêter la compétition n’est donc pas si terrible. Je sais vivre en dehors d’un stade, j’aime aller au restaurant, j’adore ma femme et mon fils, né en mai 2000. Il fera peut-être de l’athlétisme, mais ce n’est pas vraiment mon souhait après tout car, s’il réalise de bonnes performances, on le comparera toujours à moi. Je ne souhaite pas qu’il traîne le poids de l’ombre de son père ».

« Son enthousiasme n’a jamais diminué »

Combiner le 200 et le 400, ce n’est pas vraiment ce qu’il y a de plus commun. Il existe même une sorte de stéréotype à ce sujet: un coureur de 200 court généralement aussi le 100. C’est un sprinter « court », dit-on. Le 400 par contre, est une discipline à part entière: le « sprint long ». Mais Michael Johnson a changé les règles du jeu. Il a voulu se rendre là où aucun athlète n’avait osé s’aventurer.

« J’ai entraîné Michael pendant une quinzaine d’années », explique Clyde Hart. « Il est arrivé chez moi avec les qualités de jusqu’au-boutisme que ses parents lui avaient inculquées. Michael n’était pas et n’a jamais été prétentieux. Vivre ses premières années de gloire ne fut pas facile pour lui. Il est le cadet d’une famille de cinq enfants. Son père, Paul, était un chauffeur de poids lourds, et sa mère, Ruby, une institutrice maternelle. Ils lui ont appris à se construire des objectifs et à s’y tenir. Michael a pratiqué le football et l’athlétisme très jeune. Mais il a très vite eu horreur d’un sport où les supporters l’enguirlandaient sans arrêt. C’est ainsi qu’il a abandonné le ballon pour se consacrer à fond à la course. Il était très talentueux dès le départ, quand je l’ai repéré à la Skyline Highschool de Dallas. Il s’était déjà forgé ce style de course qui l’a rendu si différent de tous les autres. Cette façon de courir avec le buste rigide, qui rappelait Jesse Owens, lui a d’ailleurs valu bon nombre de critiques tout au long de sa carrière. Je savais que je devais faire fructifier ce talent naturel, tout en ne m’attendant pas, au tout début, à ce qu’il bouleverse le 200 et le 400 à l’échelle du monde. Ce que je retiens de Michael, c’est qu’il n’a jamais douté de son potentiel. Il a toujours travaillé comme au premier jour, comme un adolescent à qui on demande de faire telle ou telle chose à l’entraînement et qui ne rouspète pas. Jamais son enthousiasme n’a diminué ».

« Owens a toujours été mon idole »

Le 400 a toujours été une discipline « à l’américaine ». La plupart des records du monde de cette distance ont été made in USA.

Selon l’Anglais Sebastian Coe, « Michael Johnson a transformé cette course en une autre discipline ».

Il a couru près de trente fois sous les 44 secondes! Ses deux titres nationaux US de 1995 avaient positionné M.J. sur la rampe de lancement de son doublé mondial inédit à Göteborg. Un an plus tard à Atlanta, il survolait le 200 à une vitesse jamais atteinte: 19.32, son deuxième record du monde sur la distance après ses 19.66 des championnats US, quelques semaines plus tôt, qui avaient privé l’Italien Pietro Mennea de son record (19.72 en 1979) déjà considéré comme extraterrestre. Non content de cet exploit, Johnson signait une des plus grandes pages de l’athlétisme en devenant le premier double champion olympique 200/400.

 » Jesse Owens et Carl Lewis étaient pour moi, à l’époque, les deux grands noms de l’athlétisme. J’ai eu, à Atlanta, l’impression que je pouvais devenir le troisième. Je suis aujourd’hui très touché quand on me compare à Owens. Il a toujours été mon modèle et mon idole ». Mais malgré ces prestations dépassant presque l’entendement, les critiques n’ont jamais manqué de se faire entendre dès que Johnson montrait quelques signes d’une faiblesse bien humaine, notamment quand il fut devancé, blessé, par Bailey dans le fameux duel sur 150 mètres. Mais la rage de vaincre lui brûlait les entrailles. Au Mondial de Séville en 1999, il remettait les pendules à l’heure en battant le record du monde du 400: 43.18! Un chrono inattaquable, précipitant aux oubliettes les 43.29 de Butch Reynolds (1988). Un bond en avant futuriste.

« Nous avions été critiqués à l’époque », se souvient Clyde Hart. « On disait que Michael avait attendu trop longtemps pour battre le record du monde. Il ne pouvait pas courir deux lièvres à la fois, même si, au fond de son coeur, le chrono passait avant les titres. Michael voulait gérer ses objectifs l’un après l’autre: les titres olympiques et mondiaux étaient très importants pour lui. Le record du 200 à Atlanta était d’ailleurs plutôt inattendu ».

Qui pourrait aujourd’hui taquiner les chronos de Michael Johnson? On a été loin de descendre sous les 44 secondes lors des derniers championnats du monde d’Edmonton. La meilleure performance 2001 est de 44.28 ( Tyree Washington). Johnson a-t-il laissé un tel trou derrière lui?

« Je suis conscient du niveau auquel j’ai porté la discipline. Mais les records sont là pour être battus. Je voudrais être là quand ça se passera car l’athlète qui fera mieux que moi signera une très grande performance. Les Etats-Unis ont toujours eu le plus grand réservoir de quarter-milers du monde et, malgré cela, les résultats ne suivent plus. Ce n’est pas notre système qui est en cause mais nos athlètes. Je pense que beaucoup d’entre eux ne sont pas assez professionnels. Ils sont trop relax. Par ailleurs, pour être un champion sur 400 mètres, il faut que plusieurs conditions soient réunies: la force, la vitesse, la concentration, la motivation. De plus, il faut comprendre son corps et connaître sa course. Je suis certain que pas mal de coureurs ont de grandes qualités pour le 400 mais ils ignorent encore tout de cette distance. Il y a des athlètes potentiellement capables d’approcher des chronos dans les 43 secondes, mes compatriotes Tyree Washington et Marc Richardson, entre autres. J’aurais cru que les athlètes, en sachant que je ne participais pas aux championnats du monde, allaient se donner à fond et profiter de mon absence pour signer de grandes performances. Mais, au contraire, les prestations mondiales de cette année, à Edmonton entre autres, furent très décevantes ».

« Ma visite en Inde fut un choc »

Michael Johnson, l’un des plus grands athlètes de tous les temps, n’en est pas moins resté un homme, sensible, cultivé, qui reconnaît que sa carrière, son sport, lui ont apporté énormément sur le plan personnel.

« Je garde un excellent souvenir de tous ces gens, de ces pays, de ces cultures que j’ai eu l’occasion de côtoyer grâce au sport. J’ai fait le tour du monde, mais ma visite en Inde fut un réel choc pour moi. C’est un pays de très grande pauvreté avec une culture si riche. Et si je devais choisir un moment sur la piste qui m’a particulièrement frappé, je pense que c’est Atlanta où j’ai triomphé sur 200 et 400. J’ai réellement eu le sentiment d’écrire une page d’histoire là-bas. Mes records du monde furent, bien entendu, très importants. Mon titre aux JO de Sydney avait aussi quelque chose de très particulier. Ma famille était là et, surtout, mon jeune fils. Je savais que c’était ma dernière grande course. Je voulais en garder le meilleur souvenir possible ».

Eric Cornu

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire