Salut l’artiste

Guy Gilsoul Journaliste

La rétrospective Serge Vandercam (1924-2005), à Mons, révèle combien l’esprit Cobra habite une ouvre qui incarne aussi une angoisse et une révolte venue de bien plus loin.

Non, Serge, qui n’est alors qu’un enfant, ne mangera pas de ces asperges de Malines ramenées fièrement par son père. Couchées les unes sur les autres à la manière de gros vers blancs, elles lui provoquent le haut-le-c£ur. A la cantine de l’école, il n’ingurgitera pas davantage la chair de cadavre de ce cabillaud flasque. Oui, Serge est un mauvais élève. Et même un révolté. Les bancs d’école, il n’aime pas cela du tout. Surtout lorsque sa maîtresse lui tape sur les mains avec une latte parce qu’il écrit de la main gauche. Le voilà qui bafouille et bientôt bégaie. Alors, il se réfugie dans le chahut ou l’irréalité. Auprès de sa grand-mère, il aime feuilleter l’album de famille. Les calotypes un peu flous l’entraînent jusqu’aux rives du Bosphore où son aïeul Callisto, un musicien italien appelé par le grand sultan de Constantinople est devenu pacha. Elle lui explique la vie en Turquie, les palais, les marchés.

Mais c’est à la bibliothèque de son quartier bruxellois, dans les livres qu’il lit avec gourmandise, qu’il trouve ses héros. Pinocchio, Michel Strogoff mais aussi Ouranos, Cronos, Zeus et même un certain Evariste Gamelin, jeune peintre, héros révolutionnaire d’un roman d’Anatole France.

Après les heures d’école, avec ses comparses, il explore le parc du Cinquantenaire. Les promeneurs sont des cibles faciles, des ennemis comme les statues, voire les troncs d’arbres. Ses aventures le mènent aussi jusqu’au musée de l’armée, ses mannequins turcs, arabes, prussiens, russes et belges d’un autre âge dont l’énigmatique et silencieuse présence l’impressionne. De même, dans les vitrines, les armes en bouquets et particulièrement les couteaux, stylets, kriss et kandjars qui rappellent parfois la silhouette d’un oiseau. Avec ses copains, il lui arrive de se cacher derrière les drapeaux, les masques, les plumes, l’homme scaphandre ou encore la belle et douce infirmière de la Première Guerre et de pousser un cri pour effrayer les visiteurs. Serge qui ignore encore tout du futur peintre qu’il deviendra, rencontre là le pouvoir imaginant (comme il le lira plus tard dans les textes de Barchelard) des objets et des matériaux.

De l’autre côté du mur

Mais en ces années d’aventures, il en est une qui compte davantage : la découverte de l’atelier d’un sculpteur. Au départ, il s’agissait d’un défi. La bande, qui connaît tout des seuils, portes, sonnettes et balcons des maisons de la rue des Eburons, voit dans la présence d’un mur aveugle, une provocation. Le groupe se concerte, attend le soir. Personne à gauche, personne à droite. Les voilà de l’autre côté. Au fond d’un jardin, ils découvrent une maison. La porte n’est pas fermée à clé. Sitôt à l’intérieur, Serge, emporté par une odeur de terre chaude, s’attarde devant les outils de bois et de métal, les bustes enveloppés dans des tissus humides et un baquet d’eau et de terre boueuse :  » Dire qu’on peut vivre comme cela !  » se dit-il alors que ses amis ont déjà déguerpi. Est-ce là qu’il prend la décision de devenir artiste ? Peut-être, mais il ne le dit à personne. Nous sommes déjà en 1937. Il a 13 ans quand un trouble d’un autre ordre le surprend. Depuis des années, le musée du Cinquantenaire n’a plus de secret pour lui. L’Egypte particulièrement l’attire et plus encore son bestiaire merveilleux, les photos stéréoscopiques ramenées des expéditions de l’archéologue Capart et surtout les momies. Mais un jour, alors qu’il traverse les salles, il tombe sur un torse de femme en marbre blanc. Elle n’a pas de tête, pas de bras. Restent ses épaules, sa poitrine, son ventre. Le jeune adolescent en serait-il tombé amoureux ? Est-ce là le désir ? Il s’approche, n’ose pas la toucher mais en respire la douceur de l’épiderme, le souffle de la peau, presque la voix. Et soudain, c’est l’horreur. Dans la pierre, une tache d’un rouge brunâtre sourd à l’endroit de l’aine. Pour Serge, c’est du sang séché et, avec lui, la menace et la mort. Il s’enfuit. Puis revient et revient encore. Osera-t-il poser la main sur celle qui n’a pour nom qu’un numéro d’inventaire : A 1139 ? Bien plus tard, dans le musée Cobra de Silkeborg, il retrouvera la même émotion face à une momie récemment sortie des tourbières, la corde au cou.

Et la guerre arriva

Le jour de la déclaration de la guerre est pour l’ado de 16 ans un jour de délivrance : l’école a dû fermer. Mais au fil des mois, le paysage devient plus lourd. Les Allemands sont dans toutes les rues, l’essence est rationnée, le jazz est illicite, le charbon manque et condamne le musée du Cinquantenaire à la fermeture. Serge reçoit des lettres de convocation de la police allemande. Il les détruit. Jusqu’à ce jour d’inattention où il ne peut échapper à une rafle en pleine rue. Le voilà embarqué vers la prison de Saint-Gilles et de là jusqu’à Berlin, la Prusse orientale et les camps de travail en Pologne d’où il s’échappera au moment d’un bombardement. Mais la guerre, ce sera aussi la découverte de la photographie. Et d’abord, celle du geste précis des artisans quand ils préparent les plaques de verre au collodion humide. Très vite, il est conquis par l’ambiance de la chambre noire, l’odeur de l’acide acétique, du révélateur et des sels d’argent. Son patron, un vieux photograveur, lui inocule le virus. Il devient photographe de rues. Mais surtout, il fréquente, du côté de la place de Brouckère, une librairie tenue par un anarchiste qui lui met sous les yeux les revues qu’il faut regarder, les ouvrages qu’il faut lire : Brassaï, Izis et surtout les Surréalistes. Il lui manque le hasard d’une rencontre décisive. Ce sera, grâce à son ami Selim Sasson alors étudiant, celle de son futur mentor et cosignataire du mouvement Cobra, Christian Dotremont. Tout alors s’enchaîne assez vite. Dès 1949, Serge participe activement aux activités de Cobra comme photographe. Un Belge de Paris, le critique Roger Van Gindertael, lui commande des portraits d’artistes (Hans Arp, Nicolas de Stael, Raoul Ubac…). Trois ans plus tard, Serge Vandercam, qui signe désormais Serge V., peint sa première toile. Nous sommes en 1952. Le mouvement Cobra a cessé d’exister depuis un an. Pour Serge, l’aventure ne fait que commencer.

Du regard à la main, musée des Beaux-arts de Mons, BAM. Du 24 avril au 29 août. 110 peintures, 28 sculptures, 45 céramiques, 15 photos et une série de collages et de dessins.

GUY GILSOUL

vandercam rencontra son  » pouvoir imaginant  » au Musée de l’Armée

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