Sale temps, capitaine !

Pour s’en sortir, Charleroi devra enfin adjoindre de l’efficacité à son beau jeu.

Le successeur de Frank Defays, détenteur à jamais du surnom de Capi des Zèbres, sait que son club tourne sans cesse en noir et blanc sur les grands écrans de la D1. C’est l’un ou l’autre : Charleroi a parfois présenté des super productions avant de se contenter d’un banal court métrage de bas de gamme.

 » Ici, on a tort de s’emballer, que ce soit après un succès ou une défaite « , avance Majid Oulmers.  » Il y a des effectifs moins doués que le nôtre où il n’y a pas le feu à la baraque quand la courbe des résultats est négative. Westerlo a mal entamé la saison mais personne ne s’y est énervé. Et ce club a retrouvé son jeu dans le respect du travail et de ses valeurs.  »

Ces excès de joie et autres déprimes rendent le Sporting carolo attachant et désespérant à la fois, capable de figurer dans la course aux oscars mais pas souvent gagnant au bout du compte. Cette saison, la distribution était prometteuse avec Stéphane Demol derrière les caméras mais, avant la venue de Westerlo au c£ur du Pays noir, le public ne savait pas à quoi s’attendre : à un film muet, à un son en Dolby Stereo, à West Side Story ou à Mort sur la Sambre ? Est-ce pour cela que les ouvreuses du cinéma du Pays de Charleroi n’ont accueilli que 6.530 spectateurs pour la visite de Westerlo ? Une misère, évidemment. Même si la cité du Marsupulami et de Spirou n’aura jamais son festival de Cannes du football, il s’est passé des choses intéressantes durant ce duel entre les deux monuments du football que sont Demol et Jan Ceulemans.

Par rapport au voyage à Anderlecht, les Hennuyers ont laissé quatre titulaires de départ sur le banc : Peter Franquart, Orlando, Habib Habibou et Alessandro Cordaro, remplacés par Hervé Kagé, Amad Al Hosni, Mohamed Chakouri et Ibrahima Diallo. Le but de cette large man£uvre était visiblement d’en revenir à un 4-4-2 compact, avec peu d’espaces entre les lignes pour favoriser une re-conversion offensive très rapide. Ce plan était bien ficelé et si Charleroi n’avait pas loupé quatre occasions 24 carats avant le repos, la stratégie du coach bruxellois aurait été couronnée de succès. Au lieu de cela, l’équipe du Mambourg s’est inclinée sur un coup franc d’ Oleksandr Iakovenko et a dû souquer ferme jusqu’au bout d’un thriller inutile pour garder un point.

Ce Charleroi-là, c’est une flotte qui s’adonne au combat naval sans porte-avions dans sa ligne médiane. Il manque un bâtiment qui protège la défense tout en offrant du calme et de la lucidité à ses chasseurs. Comme Adlène Guédioura est grillé, il ne reste à Demol qu’à  » en inventer un  » avant le marché de Noël. Il aura pesté car le déclic, après une récolte d’un point sur douze, était à portée de la main. Et au décrassage du dimanche, le Brabançon aurait même pu se dire : – A la Saint Crépin, les mouches voient leur fin. Il faudra trouver un autre protecteur pour que le prochain déplacement à Zulte Waregem ne soit pas un chemin de croix.

Charleroi, une équipe de CFA ?

Dans toute cette histoire, Oulmers a bien tiré son épingle du jeu. Ce petit format est doté d’une technique que des cadors de l’élite peuvent lui envier. Imprévisible, cet excellent médian peut surgir à chaque instant et frapper avec maestria comme il le fit suite au coup franc botté par Cordaro. Le numéro 21 des Zèbres est désormais un vieux de la vieille de l’équipage carolo. Seul Kere présente des états de services plus anciens que les siens. Oulmers va au charbon à Charleroi depuis 2003. A une époque où les joueurs zappent facilement d’un club à l’autre, cette fidélité étonne. Son avis n’en a que plus de poids même s’il a toujours refusé de rouler des mécaniques.

Son trajet a été brisé deux fois. Le 17 novembre 2004, il est grièvement touché par Lamine Traore (qui jouait alors à Anderlecht) lors de sa première sélection internationale avec l’équipe nationale du Maroc lors d’un match amical contre le Burkina-Faso. Cela donna lieu à un duel juridique épique entre Charleroi et la FIFA à propos des dédommagements. Le Carolo fut opéré à la cheville par le professeur Khoutabi, médecin de la famille royale du Maroc. La petite histoire se souvient aussi du fait que sa rééducation l’obligea à annuler des vacances à Phuket qui allait être rayé de la carte par le tsunami.

Puis, la saison passée fut essentiellement marquée par une opération au genou.  » Dès la fin du mois d’août, j’ai ressenti une douleur de plus en plus vive au genou droit « , se souvient-il.  » J’ai consulté le docteur Declercq à Anvers. Le ligament interne était fortement abîmé. C’était la conséquence d’une blessure. J’avais eu une terrible entorse dix ans plus tôt. Elle avait été bien soignée mais il en reste toujours quelque chose. J’ai d’autres entorses et hématomes. A la longue, le corps ne supporte plus la liste des coups et présente l’addition. Mon genou n’avait plus de vraie stabilité. J’aurais pu continuer à jouer mais je risquais la rupture totale. J’ai préféré passer tout de suite sur le billard comme l’exigeait la situation.  »

Durant les mois de sa rééducation, Oulmers vécut loin d’un effectif malheureux, perclus de soucis divers, passant du règne de Thierry Siquet à celui de John Collins.

Charleroi survit toujours à ses crises internes, mais finit par vivoter loin de ses rêves de grandeur vainement entretenus par la direction. La théorie d’un  » effectif à peine digne de la CFA française  » naquit alors au grand jour. Et que cela plaise ou pas aux joueurs français, par ailleurs bien méritants, Charleroi a toujours constitué une bouée de sauvetage ou une terre de révélation pour des éléments n’ayant pas percé en L1.

Michael Ciani constitue un exemple parfait : inconnu en France, il s’est révélé à Charleroi avant de faire son chemin en France, à Auxerre, Sedan, Lorient et Bordeaux qui l’a acquis cet été pour quatre millions d’euros. Mais où est le Ciani de l’effectif actuel ? Oulmers s’emballe légèrement quand le débat prend cette orientation :  » C’est ce que j’appelle un faux problème. On ne peut pas poser la discussion en ces termes. J’ai également perçu les critiques de ceux qui disent : – Les Zèbres ont un équipe de CFA. Moi, je dis que c’est faux, du grand n’importe quoi. Qu’on me cite des joueurs qui ont milité en CFA. Il n’y en a pas mais, par contre, j’en connais qui ont vécu en L2 et même plus haut. Notre effectif a de la qualité mais, c’est vrai, il faut autre chose en plus : le bloc équipe doit être plus solidaire. A ce niveau-là, on ne peut pas se contenter d’une addition de performances individuelles, aussi intéressantes soient-elles, il faut plus…  »

Opéré le 22 septembre 2008, Oulmers sortit la tête de l’eau en février 2009. Le sprint pour le maintien était entamé par un vestiaire assez morcelé. Il était temps de tourner la page pour que Charleroi ne soit pas emporté un jour par ses démons et son irrégularité. A sa façon, Demol met les choses en place. Costaud, il assume la pression. Et l’homme de Beersel répète sans cesse les mêmes messages :  » Bien jouer, c’est intéressant mais j’en ai assez des compliments : je veux d’abord gagner car les progrès passent par un bon classement. Je veux une équipe efficace. « 

Recherche de réalisme

Il résume tous les problèmes d’une formation qui est incapable de définir le mot rigueur sur un terrain de football.

 » Finalement, je suis un peu jaloux de quelques clubs flamands « , précise Oulmers.  » Il est un fait certain que notre concentration laisse parfois à désirer. Même si ça ne rigole pas trop pour nous, je maintiens que notre groupe a de la qualité. Plus, même, que pas mal d’équipes qui nous précèdent. Où se logent alors les différences avec nos adversaires ? Dans la rigueur tactique essentiellement. Charleroi peut secouer les meilleures formations. Le registre technique est réel. Cela se voit à chaque match. J’envie des équipes comme Westerlo ou le Cercle Bruges, entre autres, qui savent être patientes. Elles ont bien cerné leurs atouts et ne se gênent pas pour bien s’organiser, attendre le bon moment pour placer le contre qui va jusqu’au bout. Ce n’est pas toujours très beau mais vachement efficace. Même les équipes du Top 6 se concentrent d’abord sur leur plan de jeu. Elles prennent parfois des libertés par rapport à ce qui a été convenu mais pas plus que cela. L’efficacité est la clef de leur réussite. Les Zèbres ne sont pas assez concrets. Techniquement doué, Charleroi se croit peut-être obligé de produire du beau spectacle. Cela se retourne très souvent contre nous. Il faut apprendre à être plus malin et froidement réaliste. Le calme paye. Charleroi ne peut pas se permettre qu’un seul de ses joueurs lâche du lest. Tous les joueurs doivent donner 120 % : si un seul se contente de 80 %, ce n’est pas suffisant pour gagner. Chacun doit être prêt à aider un équipier en difficulté. Moi, je ne suis pas un vrai numéro 6 mais si le coach me demande de jouer au pare-chocs pour le bien de l’équipe, je le fais sans la moindre hésitation. « 

Contre Westerlo, Oulmers a composé le duo des récupérateurs avec Kagé. A deux, ils ne font pas 140 kilos. De plus, ils ne dresseront jamais un barrage anti-aérien devant leur défense. Même si Oulmers a été crédité d’un bon match, il a souvent dû contrôler ses désirs offensifs. La ligne Maginot des Carolos avait besoin de ce char léger et très mobile pour enrayer les montées adverses. Ne rêve-t-il pas d’un job plus technique au sein de cette équipe ? Ou n’a-t-il pas envie à côté d’un médian défensif de métier, d’un porte-avions qui permettrait par sa présence à des bombardiers comme lui d’être plus dangereux ? Un grand récupérateur ne libèrerait-il pas une équipe qui présente entre autres un secteur offensif. Avec ce pion en plus, l’équilibre ne serait-il pas atteint ?

Son sourire en dit long sur cette évidence mais, en homme mûr et intelligent, il ajoute tout de suite :  » Tout se joue d’abord dans la tête. De nature, je suis en effet un médian offensif, plus un 8 qu’un 6. Pour le moment, Charleroi joue avec deux 6. Le coach m’a demandé d’être un de ses deux 6. Il n’y a aucun problème. J’accepte. Il y a quelques années déjà, Jacky Mathijssen m’avait demandé de dépanner au back gauche. Je l’ai fait et je suis resté scotché un bon bout de temps à ce poste. Charleroi signa une longue série de matches sans défaite. Je suis un médian de métier mais c’est quand je jouais au back gauche que j’ai reçu le plus de propositions alléchantes…  »

par pierre bilic – photos: belga

On doit tous donner 120 % : si un seul se contente de 80 %, ce n’est pas suffisant pour gagner. J’envie ces équipes flamandes comme Westerlo ou le Cercle Bruges qui savent être patientes.

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