SALADE NORDIQUE

Le parcours de la bande à Wilhelmsson vu de l’intérieur.

Les Suédois n’ont pas réédité l’exploit du Mondial 94, quand ils avaient arraché une incroyable, fantastique et inespérée troisième place (victoire 4-0 contre la Bulgarie dans la petite finale). Mais leur Coupe du Monde allemande est réussie : ils ont atteint les huitièmes de finale (pour tomber contre l’Allemagne) et on n’en attendait guère plus au pays.

Pour commenter ce parcours, nous avons interrogé des acteurs et des observateurs qui connaissent le foot suédois sur le bout des doigts : Lars Lagerbäck (coach national depuis janvier 2000), Olof Mellberg (défenseur et capitaine, Aston Villa), NiclasAlexandersson (médian, IFK Göteborg), Henrik Larsson (attaquant, Barcelone), MartinHedberg (journaliste, SR Radio), Stefan Holm (journaliste, Aftonbladet), AndersUddling (journaliste, Nerckes Allehanda), ainsi que Pär Zetterberg (v. encadré).

Puissance 4

La Suède s’est qualifiée pour les quatre derniers tournois : EURO 2000 et 2004, CM 2002 et 2006. Quel est le secret ?

Mellberg : La première explication, c’est la continuité dans le travail. Nous avons le même coach depuis 2000 et le c£ur du noyau est resté inchangé. Quelques joueurs plus âgés se sont retirés après l’EURO 2000, la transition aurait pu être délicate, mais ces retraits n’ont finalement eu aucune conséquence négative. Le style de jeu est aussi resté le même, cela nous a certainement aidés à nous maintenir à un bon niveau.

Pouvez-vous comparer l’équipe actuelle avec les deux plus belles générations du football suédois : celle qui a joué la finale du Mondial 58 et celle qui a conquis la troisième place en 94 ?

Lagerbäck : En 1958, je n’avais que 10 ans… mais je me souviens de la Suède de l’époque parce que c’était la première fois que je regardais la télévision ! En 1994, j’ai évidemment tout vu et tout analysé. Mais de là à comparer les équipes de ces trois périodes, non, c’est impossible. Elles sont trop différentes.

Après quatre qualifications consécutives, Lagerbäck est-il considéré comme un héros national ?

Uddling : Il devrait avoir ce statut, vu ses résultats. C’est la première fois dans l’histoire du foot suédois qu’un coach réalise une telle série. Mais Lagerbäck n’a pas ce privilège, à cause de son caractère renfermé. Il n’aime pas le public et les gens le sentent. Les héros du peuple suédois, ce sont les joueurs ; pas l’entraîneur. Le dernier héros national parmi les coaches a été Tommy Svensson quand il nous a menés à la troisième place du Mondial 94.

Trinité & Tobago : la honte

Comment la Suède a-t-elle réagi au nul blanc contre Trinité & Tobago dans le premier match ?

Uddling : C’était la honte. Tout le monde attendait une victoire sur un gros score. La déception a été terrible car nous étions tous convaincus que nos chances de qualification pour les huitièmes de finale étaient fortement hypothéquées alors que c’était clairement l’objectif avant le tournoi, surtout avec ce tirage que nous considérions comme favorable. La presse a été sans pitié. Mais cela n’a pas duré. Dès le lendemain, tous les Suédois – dont les médias – ont compris qu’ils devaient oublier cette frustration, laisser leurs émotions de côté et recommencer à y croire. Tout le monde s’est concentré sur le match contre le Paraguay en étant convaincu qu’il était possible de le gagner et qu’en cas de victoire, la qualification restait envisageable. Ce fut le tournant de notre Coupe du Monde et l’équipe l’a bien négocié en marquant le seul but de la soirée dans les dernières secondes.

Mental

Dans ses trois matches du premier tour, la Suède a été meilleure en deuxième mi-temps qu’en première : pourquoi ?

Larsson : Cela illustre le caractère qu’il y a dans ce noyau. Nous n’abandonnons jamais. Nous aurions pu nous impatienter et finalement ne plus y croire contre le Paraguay mais nous avons continué à pousser et marqué notre but en toute fin de match. Face à l’Angleterre, nous avions été enfoncés en première mi-temps, mais le coach nous a tenu un discours très clair au vestiaire : -Relevez la tête, ça doit aller. Nous sommes remontés sur le terrain en nous disant que ça irait. Et ça a marché ! Nous étions aussi dépendants du résultat de Paraguay – Trinité & Tobago mais le banc ne nous tenait pas au courant. Nous devions assurer la qualification nous-mêmes, ne pas compter sur d’autres équipes. On n’a pas le droit de faire ça dans une Coupe du Monde : on affronte les meilleurs et il faut oser les regarder droit dans les yeux, sans spéculer.

Alexandersson : J’ai vécu ici le même scénario qu’à la Coupe du Monde 2002. Là-bas aussi, nous avions du mal à entrer dans nos matches, puis les discussions dans le vestiaire à la mi-temps étaient généralement intenses, positives et porteuses. Nous remontions sur le terrain avec le couteau entre les dents, en oubliant ce qui s’était produit en première période quand ça s’était mal passé. Et nous nous battions jusqu’à la dernière minute. Nous savions que nous avions le jus pour faire la différence ! Je ne suis pas d’accord quand j’entends des joueurs se plaindre de la fatigue dans un Mondial, prétexter qu’ils ont un jour de récupération en moins que leur adversaire quand ils doivent préparer un gros match. La Coupe du Monde, ce n’est que tous les quatre ans : on doit pouvoir trouver toute l’énergie mentale et physique pour surmonter les fatigues.

Crème anglaise

Les statistiques de la Suède contre l’Angleterre (pas une seule défaite en 11 duels depuis 1968) vous ont-elles aidés contre cette équipe dans votre match décisif du premier tour ?

Mellberg : Nous savions que c’était un pays qui réussissait bien à la Suède depuis très longtemps, effectivement. C’était une façon d’y croire. Mais à côté de cela, nous étions tous conscients que nous affronterions la meilleure équipe anglaise depuis la fin des années 60. Personnellement, je suis en tout cas sûr que je n’avais jamais joué contre des Anglais aussi brillants et performants. De la défense à la ligne d’attaque, c’est bourré de talent. Mais nous avons fait le match qu’il fallait.

Pourquoi a-t-il fallu attendre le match contre l’Angleterre pour enfin voir la meilleure équipe de Suède ?

Uddling : Ce n’est que logique. Notre pays a toujours eu les pires difficultés pour faire le jeu. Contre Trinité & Tobago puis face au Paraguay, nous étions censés prendre le match à notre compte. Nous en sommes généralement incapables. Dans la troisième rencontre, c’étaient les Anglais qui devaient assumer. Cela nous a permis de produire notre jeu habituel, basé sur l’attente et la contre-attaque à haute vitesse.

Prudence légendaire

La Suède a depuis longtemps la réputation d’une équipe très défensive. Comment les internationaux supportent-ils cette étiquette ?

Mellberg : C’est une tradition de notre football. Une défense solide et bien organisée, c’est notre marque de fabrique. Mais je constate quand même un progrès depuis quelques mois. Que ce soit lors des derniers matches éliminatoires ou ici en Allemagne, nous avons montré plus de belles choses sur le plan offensif. Je n’avais même jamais vu la Suède prendre autant de risques dans des matches importants. Dans le passé, nous avions toutes les peines du monde à faire sauter la défense des petits pays, mais aujourd’hui, nous y arrivons la plupart du temps et nous avons même obtenu des victoires sur de gros scores – NDLA : 6-0 et 7-0 contre Malte, deux fois 3-0 contre la Bulgarie, 4-1 contre l’Islande- : c’est nouveau pour l’équipe suédoise.

Uddling : On attendait plus de spectacle vu qu’il y avait eu du progrès sur ce plan-là pendant la campagne de qualification. Notre jeu était alors plus excitant, plus fluide, plus rapide. On n’a pas retrouvé cette fluidité ici.

Comment s’explique cette tradition de football prudent ?

Uddling : Il manque une denrée rare au football suédois : les vrais numéros 10. Je sais ce que vous allez me dire, en tant que Belge : -Et Pär Zetterberg ? Vous avez raison. Il aurait pu solutionner le problème pendant de longues années. On savait ce qu’il réussissait en Belgique et en Grèce. Les médias suédois n’arrêtaient pas de rappeler qu’il pouvait être le chaînon manquant pour parvenir à un jeu plus agréable. Ses qualités footballistiques n’ont jamais été mises en cause, que ce soit par la presse ou par les coaches nationaux. Le problème était d’ordre relationnel. Lars Lagerbäck est comme son prédécesseur, Tommy Soderberg : il n’aime pas les joueurs qui ont une personnalité dominante. Ils estiment que c’est plus facile de travailler avec des moutons. Zetterberg prenait trop de place dans le groupe et c’est uniquement pour cela qu’on ne l’a plus appelé. Quel dommage de s’être privé d’un atout pareil. Tommy Svensson avait un numéro 10, Thomas Brolin : lui, il ne s’est pas privé de l’utiliser et on voyait alors un autre football. Quand nous avons décroché le bronze aux Etats-Unis, il y avait le résultat mais aussi la manière.

Holm : With Sweden, you know what you will get ! Pour des surprises dans le jeu, ce n’est pas chez nous qu’il faut venir. Lagerbäck ne veut pas se défaire de son 4-4-2 attentiste. C’est génétique chez lui. Son équipe produit une espèce de jeu électronique, parfaitement prévisible. Tous les Suédois sont restés nostalgiques du Mondial 94 : our magic summer. Là, au moins, on voyait quelque chose et les résultats suivaient. C’est à ce moment-là que nous avons gagné le respect dans le monde du football. Personne n’a considéré que ce résultat était dû au hasard ou au tirage. Ça jouait au foot, c’était agréable à regarder. Et ça nous fait mal quand nous comparons les deux époques. Les résultats bruts sont toujours là mais il manque quelque chose.

Christian Wilhelmsson

Comment perçoit-on Christian Wilhelmsson en Suède ?

Lagerbäck : Avec sa vitesse phénoménale et sa superbe technique, Christian Wilhelmsson est un de mes meilleurs joueurs dans les situations d’un contre un. Il est presque à l’opposé du footballeur suédois classique. Depuis l’EURO 2004, il a bien amélioré un de ses principaux points faibles : son jeu défensif. Je pense qu’il peut devenir un joueur de niveau mondial.

Alexandersson : C’est sans doute le gars le plus rapide de notre noyau. Je trouve son style de jeu très… excitant. Wilhelmsson n’est pas le plus populaire en Suède et dans l’entourage de l’équipe nationale, mais c’est sans doute dû au fait qu’il joue dans le championnat de Belgique. La situation changera certainement dès qu’il passera dans une compétition d’un meilleur niveau. Il sera alors mieux armé pour améliorer les petits défauts qu’il a toujours dans son jeu, et alors, on verra encore un autre joueur.

Hedberg : C’est un joueur irrationnel pour le football suédois. Les joueurs de ce pays ont généralement l’image de gars programmés, prévisibles, ce sont avant tout de gros travailleurs. Wilhelmsson, lui, est complètement imprévisible. Et sa technique sort largement du lot en Suède.

Christian Wilhelmsson a-t-il réussi sa Coupe du Monde ?

Hedberg : Oui… et ça me surprend. Parce que depuis l’EURO 2004 qui l’avait vu complètement éclater au niveau international, on l’avait rarement vu à son avantage en équipe nationale. C’est simple, entre la fin de l’EURO et le début de la Coupe du Monde, il n’a pour ainsi dire rien montré ! Pour beaucoup de Suédois, l’explication coule de source : Wilhelmsson veut quitter Anderlecht depuis un bon moment et ça joue dans sa tête, ça l’empêche d’être serein quand il se produit avec la Suède. Mais ici, on a retrouvé le grand Wilhelmsson. Au point que, quand nous avons appris qu’il ne débutait pas contre l’Angleterre, notre surprise a été totale. Pour nous, c’était une terrible erreur du coach car, sur la base de ce qu’il avait montré dans les deux premières rencontres, Wilhelmsson pouvait faire très mal aux Anglais. Il l’a d’ailleurs prouvé dès qu’il est monté au jeu.

Wilhelmsson rêve de l’Angleterre : ce championnat peut-il lui convenir ?

Hedberg : A priori, ce n’est pas vraiment un championnat fait pour lui. Mais bon, le fait qu’il soit si différent des joueurs de la Premier League pourrait aussi jouer en sa faveur. Là-bas, les défenseurs ne sont pas habitués à des techniciens pareils. Peut-être que Wilhelmsson pourrait donc y faire des dégâts en jouant sur cet effet de surprise. Il les rendrait fous en les faisant tourner sur eux-mêmes dans des situations d’un contre un. Mais bon, il n’y a aucune garantie. Si on fait une analyse tout à fait rationnelle, on se dit que sa place n’est pas dans cette compétition parce qu’il est trop léger pour supporter toutes les charges physiques des adversaires. Enfin, une chose est sûre : il vaut mieux que le niveau du championnat de Belgique. Chez nous, on respecte votre compétition mais elle n’a pas la cote. Nous la plaçons encore un peu plus bas que le niveau du championnat hollandais. Wilhelmsson mérite de découvrir autre chose.

PIERRE DANVOYE, ENVOYÉ SPÉCIAL EN ALLEMAGNE

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