Saint-NICOLAS

Pierre Bilic

Ces quatre gars ont grandi au même endroit, entre la  » Star Ac’  » et les usines de Sclessin.

Plus Liégeois qu’eux… c’est difficile. L’accent, la famille, leurs souvenirs d’enfance : tout les unit à jamais à la Cité ardente. Leur vie à eux, c’est d’abord Saint-Nicolas, Tilleur et Montegnée, réunis depuis la fusion des communes.

Ce terroir industriel de près de 25.000 habitants a sans cesse évolué, au gré des besoins de la sidérurgie et des différentes vagues d’immigration cherchant du travail, parfois fiévreusement. Ainsi, les parents de Roberto Bisconti sont venus de Sicile. Ceux d’ Onder Turaci quittèrent autrefois la Turquie des derviches tourneurs afin de se fixer dans le pays de Liège. Mustapha Oussalah a des origines berbères et arabes et le Maroc est encore présent dans ses yeux. La maman de Jinks Dimvula est belge mais son papa, décédé dans un accident de la circulation, venait du Congo.

Tous les quatre ont pris leur élan dans les rues de Tilleur et de Saint-Nicolas comme un certain Franco Barracato. Depuis, de  » Je voudrais dormir près de toi « , à  » Chicago « , le fils de Peppino et Nina Barracato est d’abord devenu FrançoisBarra, puis enfin Frédéric François. Le chanteur a créé ses deux premiers groupes (Les Eperviers et les Tigres Sauvages) à Tilleur avant de se produire dans les cafés de la région et de gagner un concours de chant à Châtelet. Depuis lors, il figure régulièrement en haut de l’affiche à l’Olympia.

 » La volonté est à la base des plus grandes réussites « , avance Roberto Bisconti dont le retour sur la scène du Standard rime avec réussite. Le médian défensif des Rouches a régulièrement droit à des rappels après des matches où il incarne, mieux que personne, le véritable esprit liégeois. Durant les années 50 et 60, le Standard alignait d’abord des gars du cru, des Limbourgeois et des Ardennais. La communion entre les supporters et les joueurs en était d’autant plus profonde. L’équipe était fidèle à son paysage industriel avec des footballeurs se partageant entre les usines et le terrain. Jean Nicolay et ses équipiers venaient de Seraing, de Tilleur, de Saint-Nicolas, d’Ougrée ou de Flémalle, entre autres, et avaient des mains d’ouvriers. Leur talent et leur force de travail constituaient de bons passeports, parfois les seuls, pour la vie.

Bisconti : Palerme

Le football était déjà la religion de tous les quartiers populaires, le chemin idéal afin d’échapper un jour à la mine et aux usines. Chaque cité ouvrière avait ses icônes, ses héros sportifs qui venaient parfois des quatre coins de l’Europe. Cette tradition s’était flétrie avant d’être remise au goût du jour afin d’imiter les centres de formation français et parce que les grandes stars sont désormais hors prix pour les clubs belges. Les cités et autres rues ouvrières en profitent car elles ont toujours été des réserves de bons petits footballeurs. Leurs démographies ont changé avec de grosses influences désormais du Maghreb, d’Afrique centrale, d’Europe orientale mais le football y est resté le credo de tous.

Dans les beaux quartiers, les gamins s’occupent plus de leur ordinateur que du premier ballon venu. Ils n’ont pas nécessairement besoin du football pour s’affirmer dans la vie.  » Le football est d’abord, et restera, un sport populaire « , dit Roberto Bisconti.  » Les gamins de Saint-Nicolas ne jouent pas au golf. C’est foot le matin, foot le midi et foot le soir. On peut dénicher des footballeurs mais surtout des golfeurs et des tennismen à Esneux et à Nandrin. Les jeunes mordus du football, eux, vivent à Tilleur, Saint-Nicolas, Seraing, Ougrée. Ils n’ont que cela : le football. Paradoxalement, un quartier défavorisé peut parfois être un atout « .

L’ambiance de Saint-Nicolas a beaucoup manqué à Roberto Bisconti quand il jouait en Ecosse :  » Je n’hésite jamais à venir saluer mes parents. Nous formons une famille très unie. Après avoir un peu vécu à Bruxelles, mon père s’est installé ici. Il y avait beaucoup de familles italiennes originaires de Sicile à Saint-Nicolas. Il y retrouvait probablement un peu l’ambiance de chez lui, près de Palerme. Papa m’avait pas de voiture mais à cette époque-là, les gens étaient moins obsédés par la mobilité. Puis, mes frères ont acheté leur première auto. Une Fiat, évidemment. Je jouais à la rue parfois jusqu’à 22 heures et cela ne posait jamais le moindre problème. L’insécurité, on ne connaissait pas. Les matches entre gamins avaient des airs de rencontres internationales. L’Italie et la Belgique gagnaient souvent. Les Marocains et les Turcs n’étaient pas encore nombreux. Le racisme n’existait pas. On se chambrait mais cela en restait là. Le football était plus fort que tout. Le sport nous unissait. Saint-Nicolas, c’était ma commune, mon village, ma patrie. Je jouais toujours avec des enfants plus âgés que moi. Quand j’étais gamin, je ne connaissais pratiquement pas les vedettes du Standard. Je m’amusais comme un fou et on a gagné deux championnats avec les jeunes de Saint-Nicolas. Mon père me suivait et je me souviens d’une solide engueulade le jour où j’ai raté deux buts : -Toi, cela ne va pas. Si c’est pour jouer de la sorte, tu arrêtes. Deux jours plus tard, j’étais à nouveau sur le terrain « .

Seraing, le Standard et Liège s’intéressèrent à lui. Il passa même des tests au Pairay mais ne toucha pas un cuir ce jour-là. Son papa estima à cette époque que Sclessin était trop loin de Saint-Nicolas. Le temps a passé mais Roberto n’a rien oublié. A la maison, les Bisconti parlent toujours italien :  » Lors des fêtes ou des réveillons, nous nous retrouvons parfois à 40 ou à 50 dont 19 petits-enfants. C’est superbe. Les Bisconti ont pris racine dans le pays de Liège. Le dimanche, les repas de famille sont toujours joyeux. Ma femme est une Sicilienne de… Tilleur. Quand les tables ont été débarrassées, nous jouons aux cartes durant trois ou quatre heures. Ce sont des moments exceptionnels. Une de mes s£urs a suivi son mari à Palerme. Quand elle revient en Belgique, les retrouvailles sont émouvantes et très chaleureuses. Tout le monde se tient. Quand quelqu’un a des travaux à accomplir chez lui, il n’y a jamais de problème : tout le monde met la main à la pâte. Si la communauté italienne a apporté quelque chose en Belgique, c’est bien l’esprit de famille. Nous avons démontré que c’était important, parfois vital. La famille Bisconti restera ici. J’adore la Belgique qui nous a donné du travail, et un accueil, quand ma famille était dans le besoin. Je suis belge et italien. Mais je suis d’abord de Saint-Nicolas même si je n’y habite plus. J’ai toujours la gorge serrée quand je revois la maison de mon enfance, mon école primaire, etc « .

Turaci : Konya

A deux pas de là, rue de la Coopération, les parents d’Onder Turaci donnent régulièrement un coup de main à leur beau-fils, Ali Mayali, qui gère un petit restaurant turc : Oba, pizzeria orientale, précise l’enseigne. Il y a plusieurs années, les Turaci sont retournés en Turquie. Après quelques mois, ils reprirent le chemin de Saint-Nicolas, qui leur manquait tant…

 » En fait, mon père s’est installé à Saint-Nicolas en 1963 mais travaillait comme mineur, à Waterschei « , explique la maman d’Onder Turaci » Je suis arrivée un peu plus tard. Mon mari, lui, travailla aussi dans les mines limbourgeoises. Ali, mon beau-fils, adorait faire la cuisine et notre région d’origine, Karaman, près de Konya, est connue pour ses derviches tourneurs et ses spécialités gastronomiques. Nous n’avons jamais le moindre problème avec Onder. Le football était extrêmement important pour lui. Il a vite compris que son rêve, gagner sa vie grâce au football, ne deviendrait réalité que grâce au travail et à la discipline « .

Onder a grandi entre Glain, Burenville et le centre de Saint-Nicolas. A peine revenu du périple familial en Turquie, il fut repris dans les équipes de jeunes de Tilleur-Saint-Nicolas.

 » Je ne parlais que de football avec mon meilleur ami, Ibrahim Cetin « , explique Onder.  » Les scouts du Standard m’ont remarqué lors du premier tournoi auquel j’ai pris part après notre retour de Turquie. Pour moi, c’était extraordinaire. J’ai saisi ma chance à deux mains « . La maman d’Onder espère qu’il restera turc dans son c£ur. Pourtant, comme pour elle qui parle français avec un accent liégeois, l’intégration a fait son boulot. Onder jouera peut-être un jour pour un grand club turc mais il a opté pour la nationalité belge, joue avec les Espoirs.  » Je fais un peu partie de deux mondes « , explique-t-il.  » A mon avis, c’est une richesse mais mon avenir est liégeois. Le premier terrain de football de mon enfance n’existe plus : on y a construit des immeubles. J’adore Saint-Nicolas car c’est très cosmopolite. On peut y déguster des merveilles : baklava, pizza et café turcs, toutes les spécialités italiennes, marocaines, chinoises, etc. Il y a un quartier qu’on a surnommé Istanbul et Tilleur, c’est la Petite Sicile. Je retrouve les habitants de ces quartiers avec beaucoup de plaisir. Un sourire arrange parfois beaucoup de choses. Il y a encore tant de talent à Saint-Nicolas. Tant mieux si je peux leur servir d’exemple à suivre. Mon chemin a parfois été tortueux. J’ai été prêté à Visé et surtout à La Louvière. J’ai appris quelque chose partout, surtout les vertus de la volonté et du travail, et cela a fameusement renforcé mes certitudes « .

Onder Turaci estime que les atouts des jeunes venus des quartiers défavorisés, souvent très techniques, résident dans leur talent, certes, mais également dans la diversité de leur culture footballistique. Quand on n’a que le football comme loisir, on s’adapte à tout ce que ce sport propose et exige. L’arrière droit de Sclessin revêtira un jour la tunique des Diables Rouges. Il accentuera un mouvement intéressant, rejoignant d’autres fils de l’émigration dans le grand livre de l’équipe nationale : Léon Jeck (polonais), Alexandre Czerniatynski (polonais), Enzo Scifo (italien), Manu Karagiannis (grec), Toni Brogno (italien), DanielKimoni, Emile et Mbo Mpenza (congolais), Nordin Jbari (marocain), etc. Ce courant n’est pas encore puissant mais il s’accentue comme c’est le cas depuis des décennies dans tous les clubs. Qui ferait la fine bouche en découvrant le talent d’un Vincent Kompany (belgo-congolais) qui émergea du pauvre quartier Nord à Bruxelles ? Qui de nos jours songerait encore à se passer de Juan Lozano, né en Espagne mais qui devint plus Anversois que l’Escaut à défaut d’avoir obtenu la naturalisation belgeau début des années 80, contrairement plus tard à Josip Weber (croate), Gordan Vidovic (serbe) et Branko Strupar (croate) ? Contrairement aux trois derniers cités, ce sont des enfants de chez nous, tous issus de quartiers ressemblant à ceux de Saint-Nicolas et de Tilleur.

Oussalah : Rabat

Pourtant, tout n’est pas rose là-bas. Tilleur, situé le long de la Meuse, s’est refait une beauté lors de l’EURO 2000. Pourtant, la police arrêta en novembre dernier, après un mois d’enquête, une bande de jeunes vandales ayant saccagéune centaine de tombes au cimetière de Tilleur. Deux autres groupuscules dégradèrent le centre culturel de Bureaufosse et une école. Il fut un temps où la violence y était quotidienne : vols de voitures, trafics de drogues, affrontements entre bandes rivales, etc. Là aussi, le sport doit être un antidote contre la violence, le décrochage scolaire, etc.

 » C’est quand même plus calme qu’avant « , affirme Mustapha Oussalah. Le flanc gauche du Standard a toujours le sourire. Même s’il ne le dit pas, le football aura été son fil rouge pour échapper à ces dangers, pour se faire le deuil d’une maman décédée alors qu’il était encore un enfant.

 » Je dois beaucoup à mon père qui a toujours surveillé mes relations « , lance-t-il.  » Puis, le football impose une discipline de vie. Il faut aller à l’école, se soigner, ne pas boire, ne pas fumer, se reposer, aller tôt au lit, suivre tous les entraînements, respecter la vie de groupe. Cela vaut toutes les éducations « .

Rue Ferdinand Nicolay, c’est sa planète et il y gravite encore, pas loin de chez son ami Jinks Dimvula.  » Avec les fumées des usines, il y a parfois des odeurs peu agréables mais cela ne me dérange pas « , dit-il.  » Je suis habitué à ce décor et à cette ambiance. Mon père est originaire de la région de Rabat et, comme tout le monde, il cherchait une vie meilleure après être passé par l’Allemagne et la France. Il a travaillé à Cockerill. Moi, j’ai joué à EY Liège, à Tilleur-Saint-Nicolas et à Seraing Athlétique et en sélections provinciales avant de me retrouver au Standard. A Sclessin, en Scolaires, j’ai découvert la concurrence. Il fallait toujours bien jouer au risque d’être bouffé par ceux qui n’attendaient que leur chance. Dans mes autres clubs, la joie de se retrouver ensemble suffisait à tout le monde. C’est Tomislav Ivic qui m’a repris le premier dans le noyau A après m’avoir repéré parmi les Espoirs entraînés par Christian Labarbe « .

Mustapha Oussalah continua son chemin avec Michel Preud’homme, Robert Waseige et Dominique D’Onofrio. Pour devenir une valeur sûre de la D1, il devra encore travailler, se motiver, décupler ses ambitions.  » Je sais « , avoue-t-il. Son accent liégeois est aussi prononcé que celui d’ Henri Depireux. Il parle arabe à la maison.  » En fait, on mélange tout : arabe, français. Je comprends presque tout mais quand ils optent pour le berbère, je suis paumé « .

Comme pour Onder Turaci, la religion est très importante à ses yeux.  » Sans Dieu, c’est impossible « , ajoute-t-il. Musulman, il ne comprend pas que les églises chrétiennes ne soient pas souvent remplies. Si Onder a opté en faveur de la Belgique, Mustapha Oussalah cherche encore son destin, coincé entre le pays de ses parents et ses racines liégeoises. Il a joué avec l’équipe olympique du Maroc contre le Mali. Puis, il fut repris en équipe nationale A contre Trinidad Tobago et remplaça Akran Roumani de Genk en cours de partie. Pour lui, ce furent desmoments très importants sur le plan émotionnel.  » C’est quand même ma culture. C’était à l’époque du ramadan et j’ai découverttoute une équipe qui prie ensemble : émouvant « .

Un gamin de Tilleur, qui avoue ne pas connaître par c£ur toutes les prières musulmanes, prouvait aux yeux du Maroc que les Oussalah s’étaient fait un nom à l’étranger. Ce fut le cas aussi de Mohammed Lashaf autrefois. Mustapha Oussalah ne risque-t-il pas de se perdre entre la Belgique et le Maroc ? Ne devrait-il pas choisir un port d’attache une fois pour toutes ?

 » Difficile… « , répète-t-il.  » J’aime les deux pays mais je sais que je reviendrai toujours à Tilleur. Maintenant, je dois d’abord me concentrer sur mon football. Cela me permettra de réussir dans la vie et de continuer à aider ma famille « .

Mustapha a une copine italienne, Josefina, probablement un prénom italien à la sauce liégeoise, qui l’arrimera probablement pour de bon à la Belgique. Lors de la dernière journée du premier tour, elle aura certainement noté que trois gars de Saint-Nicolas prirent part au jeu contre le Germinal Beerschot : Roberto Bisconti, Onder Turaci et Mustapha Oussalah. Cela a plu au public : sans les régionaux de l’étape, quelles que soient leurs origines, le football ne pourrait pas pousser aussi facilement le braquet de la fête populaire.

Dimvula : Congo

Parti à Graz en Autriche, Michaël Goossens reste l’ambassadeur de son Tilleur natal. Les gosses l’épiaient quand il revenait chez ses parents. Onder Turaci se souvient avoir vu sa voiture ou comme il dit :  » La Porsche que Gilbert Bodart garait sur le parking de l’Aldi où nous jouions au foot  » Merveilleux petit technicien, très mobile, Jinks Dimvula a grandi à deux pas de la maison des Goossens :  » C’était évidemment l’idole de tous les enfants de Tilleur « .

Jinks était encore très jeune quand son papa, d’origine congolaise, trouva la mort dans un accident de la circulation. Une partie de sa famille congolaise vit à Paris et à Bruxelles. Comme Vincent Kompany, il espère se rendre un jour au Congo. Professeur de morale et de philosophie, sa maman lutta ferme pour élever ses enfants. Elle insista afin que Jinks termine ses humanités.  » Même si le football était tout pour moi, j’ai réussi à atteindre cet objectif. Cela m’aidera si je me décide un jour à reprendre des études « . Médian ou back droit, il passa de Tilleur-Saint-Nicolas au Standard en Scolaires. Michel Preud’homme le lança au front, en D1 où il prit part à une vingtaine de matches. Ce petit gabarit y étonna par son élégance, son abattage, sa facilité à jouer au back, sur le flanc ou au milieu défensif.

En été, tout comme la saison passé, il fut approché par La Louvière qui espérait le louer. Cette solution avait retenu son assentiment car Ariel Jacobs et son adjoint, Patrick Wachel, le connaissaient bien car il fut souvent retenu en équipe nationale chez les jeunes. Le Standard repoussa cette solution et lui proposa de passer quelques mois à Eupen. Jinks Dimvula refusa.

 » Après coup, je me suis dit que c’était une erreur « , reconnaît-il.  » Je ne voulais pas snober Eupen que je respecte mais j’espérais être loué à un club de D1. Un peu plus tard, on me repoussa vers le noyau B. Sur le moment même, la déceptionfut vive. Mais je me suis remis au travail en attendant des jours meilleurs « .

Sa copine Cindy est éducatrice dans un home pour personnes handicapées. Son regard cache mal son trac, sa nervosité d’enfant de Tilleur bien décidé à réussir.

Pierre Bilic

 » Le football vaut TOUTES LES éDUCATIONS  » (Mustapha Oussalah)

 » UN SOURIRE ARRANGE parfois beaucoup de choses ICI  » (Onder Turaci)

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