Saint Jos

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le Limbourgeois est arrivé comme le Messie chez les Dragons.

Jos Daerden est un homme pressé. Cinq petites journées pour préparer Mons à son premier gros match de la saison, à Genk, c’est peu. Surtout quand il faut, en plus, prendre ses marques dans un environnement inconnu, découvrir un stade et un complexe d’entraînement, sonder un noyau, apprendre à connaître ses nouveaux patrons. Intercaler aussi les inévitables rendez-vous avec la presse, toujours curieuse de connaître les impressions d’un nouveau coach. A tout cela, il faut encore ajouter les 280 km quotidiens que le nouveau boss sportif des Dragons doit se farcir entre Tongres et le Hainaut.

Il nous reçoit après un entraînement suivi d’une discussion approfondie avec les autres membres du staff. Dans une heure et demie, il doit être dans sa voiture pour aller honorer un autre rendez-vous.  » Vous permettez que je mange pendant l’interview ? », interroge-t-il. Il sort alors sa ration de midi, soigneusement empaquetée dans du papier alu.  » De bonnes tartines… au bon choco « , rigole-t-il. Sergio Brio est rentré définitivement en Italie mais son ombre plane toujours sur le stade Tondreau !

Michel Wintacq, confirmé dans ses fonctions d’adjoint, traverse la pièce. Les deux hommes ont un passé commun au Standard, mais l’extrasportif les sépara quelques mois à peine après leur rencontre à Sclessin.  » Michel est arrivé là-bas en début de saison 1983-1984 « , se souvient Daerden.  » Fin février 84, l’enquête sur les finances du Standard a démarré. Le 29 : une date que je ne pourrai jamais oublier. J’ai pu jouer avec les Diables contre l’Allemagne ce soir-là parce que la police avait embarqué Eric Gerets. Puis, l’enquête a révélé l’affaire Waterschei et j’ai fait partie des suspendus « .

Aujourd’hui, Wintacq est le meilleur guide possible pour un grand Jos qui avoue avoir besoin de bons conseils. Quand il a donné son premier entraînement à Mons, il ne savait pour ainsi dire rien de son noyau.

Jos Daerden : Je suis allé voir Mons à Ath, au tournoi organisé pour les victimes de Ghislenghien, parce que Sergio Brio n’était déjà plus là et que je faisais partie des candidats retenus par la direction. Je suis resté très discret : j’ai acheté un ticket, je me suis calé dans une tribune et j’ai pris quelques notes. Avant cela, j’avais failli venir voir le match contre le Brussels, mais j’avais peur que ma présence ce soir-là soit mal interprétée. Je sais que d’autres coaches ne se priveraient pas, c’est aujourd’hui une des règles du jeu de visionner une équipe dont l’entraîneur est menacé. Mais ce jeu-là, je n’en veux pas. Il y a quelques semaines, j’avais aussi l’intention d’assister au match entre St-Trond et Charleroi. Par amitié pour Jacky Mathijssen. Mais on parlait alors de la position instable de Marc Wilmots et je m’étais donc abstenu.

 » Ça sait jouer au foot dans ce groupe  »

Que vous inspire votre noyau ?

A Ath et lors de mes premiers entraînements ici, j’ai été frappé par une chose : il y a énormément de qualités techniques dans ce groupe. Ça sait jouer au football. Je tiens aussi compte du passé de tous mes joueurs : quand on a évolué en France ou en Italie, on a automatiquement des arguments. Cela me rassure.

Mais si ces joueurs avaient tant d’arguments, ils seraient toujours en France ou en Italie, non ?

Ceux dont je parle ont été formés dans un de ces deux pays : c’est déjà un très bon point de départ.

Dès le premier jour, vous avez affirmé que Mons se maintiendrait : n’est-ce pas présomptueux ?

Je sais que c’est possible si tout le monde prend conscience de la gravité de la situation. C’est évidemment une condition sine qua non. J’ai bien dit à mes joueurs qu’il ne suffisait pas de changer d’entraîneur pour prendre des points. Si c’était le cas, les clubs changeraient de coach chaque semaine…

Le calendrier de Mons ne vous fait pas peur ?

Je sais qu’il est ardu. Mes joueurs le savent aussi. Mais je leur ai rappelé qu’on n’y changerait rien, qu’il était inutile d’aller pleurer à la fédération pour que ce club puisse rejouer les matches soi-disant abordables qu’il a perdus en début de saison…

Si vous aviez été à la place de Dominique Leone, vous auriez joué la carte Daerden ou la carte Depireux ?

Aucune idée. Je constate seulement que la direction de Mons a finalement tranché en ma faveur après avoir écouté mes arguments et ceux des autres candidats qui avaient été retenus après le premier tri.

Qu’est-ce qui a fait la différence, selon vous ?

J’ai lu dans la presse qu’on m’appréciait à Mons pour ma bonne connaissance du football belge et parce que je sais combiner bonne ambiance de travail et bonne humeur. Avec moi, il faut être sérieux sur le terrain d’entraînement mais on a l’autorisation de se marrer dès qu’on rentre au vestiaire. Aujourd’hui, je lis qu’on rit de nouveau à Mons : tant mieux.

Tout à fait. Dans ce métier, on est très vite oublié. C’est pour cela que j’ai moi-même contacté les dirigeants de Mons, dès qu’ils ont annoncé le renvoi de Brio. Je tenais à leur rappeler que j’étais toujours là. C’était la toute première fois, depuis mes débuts d’entraîneur, que je me manifestais spontanément.

L’été dernier, on vous avait cité à La Louvière. Pourquoi les négociations n’avaient-elles pas abouti ?

Si je le savais… Un vendredi, j’ai reçu un coup de fil de Stéphane Pauwels. Il m’a dit que je risquais de les intéresser pour succéder à Ariel Jacobs. Je me suis rendu là-bas le soir même et nous avons discuté pendant trois heures, avec Pauwels et Filippo Gaone. Nous sommes allés très loin dans l’aspect sportif, nous avons directement abordé les méthodes de travail qui convenaient à ce club, les départs, les renforts qu’il faudrait envisager, etc. J’avais un très bon pressentiment en quittant cette réunion. Mais nous n’avions pas parlé d’argent parce que mon homme de confiance était à l’étranger à ce moment-là, et c’est lui qui règle toujours toutes les questions financières. Nous nous sommes fixé un nouveau rendez-vous pour le mardi matin. Quand je suis arrivé au bureau du président, il n’y avait personne. Ils avaient oublié que nous devions nous revoir ! J’avais compris qu’on ne comptait pas vraiment sur moi… Je respecte leur choix, et je considère d’ailleurs que l’arrivée d’Albert Cartier est une excellente chose pour La Louvière. Mais j’aurais préféré qu’on me traite d’une façon… disons… moins bizarre.

 » Je ne vivais pas en couple avec Sef Vergoossen  »

Avant cela, il y avait eu l’épisode de votre C4 à Genk : l’avez-vous entre-temps digéré ?

Non, toujours pas. J’avais quitté Eindhoven VV, où j’étais entraîneur principal, pour m’impliquer dans un grand projet à long terme à Genk. Je n’aurais jamais abandonné mon poste aux Pays-Bas û où on me proposait de rempiler û si j’avais su qu’on ne me réservait qu’un rôle d’adjoint au Racing. On m’avait directement promis une reconversion en tant que directeur technique ou manager sportif. J’avais même été nommé dans la commission sportive après deux mois : cela me renforçait dans ma conviction qu’on comptait sur moi pour le long terme. Mais j’ai sauté avant la fin de la saison dernière, en même temps que Sef Vergoossen. C’est triste.

Vous vous étiez contenté d’une promesse verbale : est-ce encore raisonnable dans le foot professionnel d’aujourd’hui ?

C’était difficile de mettre tout cela sur papier vu qu’il n’avait jamais été question d’une date précise pour ma reconversion dans un autre rôle. Alors, j’ai fait confiance.

Ce n’est quand même pas la première fois qu’un adjoint saute en même temps que l’entraîneur principal !

Tout le monde pense que je formais un couple avec Vergoossen. La seule chose qui nous réunissait, finalement, c’était le fait d’avoir débuté à Genk le même jour. Pour le reste, nos carrières n’étaient pas liées. On m’a reproché, à Genk, d’avoir toujours tenu le même discours que lui. C’était normal, non ? Nous n’étions pas toujours d’accord quand nous discutions dans notre bureau, mais dès qu’un coach principal et son adjoint s’expriment publiquement, ils doivent être sur la même longueur d’onde. Ou en tout cas faire semblant. Enfin bon, quand vous avez envie de battre votre chien, vous finissez toujours par trouver un bâton.

Vous parlez de vision à long terme, vous vous contentez de promesses non écrites, vous avez cru qu’il serait possible de créer une association efficace des entraîneurs : vous êtes un idéaliste…

Non, je ne suis pas d’accord. Cette association des entraîneurs, j’y ai vraiment cru. Pendant un an, je me suis démené avec René Vandereycken en pensant qu’il serait possible de faire bouger les choses, de faire entendre la voix des entraîneurs, de forcer un vrai respect auprès de l’Union Belge, etc. Mais nous avons laissé tomber quand nous avons compris que les coaches des meilleurs clubs belges ne joueraient jamais le jeu. Et pourtant, ce jeu en valait la chandelle. Il y a tellement de boulot à abattre, tellement de choses à faire bouger, tellement de projets à faire avancer. Un exemple : pourquoi les entraîneurs des clubs belges ne parviennent-ils pas à obtenir les mêmes conditions de travail que leurs confrères qui bossent aux Pays-Bas ? Ici, les dirigeants oublient que le noyau passe six jours sur sept sur les terrains d’entraînement. Ce n’est souvent que le cadet de leurs soucis alors que ça devrait être une absolue priorité.

Pourquoi reprochez-vous aussi aux dirigeants des clubs belges de trop parler dans la presse ?

C’est encore une grande différence avec les Pays-Bas. Là-bas, le grand public ignore complètement les noms des présidents des petits et moyens clubs. Ici, ils sont fort médiatisés et tout le monde sait qui ils sont. Parce qu’ils s’expriment très souvent dans les journaux et abordent tous les sujets, dont ceux sur lesquels ils ne sont pas compétents. Il faudrait scinder les sujets de discussion avec les médias : un président doit parler de la stratégie globale de son club, le directeur sportif doit aborder la stratégie sportive, et l’entraîneur doit se contenter de parler du jeu, des matches, des entraînements, des joueurs. Mais on mélange tout en Belgique.

 » J’ai déjà mon lot d’expériences personnelles  »

Pourquoi ne restez-vous généralement qu’une année dans vos clubs ?

Un entraîneur est dépendant d’un tas de paramètres. Si j’ai effectivement souvent quitté mes clubs après une seule saison, c’était pour des raisons différentes. J’avais commencé par un bail de trois ans à Beveren, que j’avais amené trois fois dans le Top 10. En perdant chaque année certains de mes meilleurs joueurs. Pour moi, ce résultat d’ensemble était extraordinaire… mais je n’avais pas de place après ma troisième saison là-bas et j’ai dû attendre qu’un poste se libère en cours de championnat. J’ai alors repris Lommel, qui était dernier, pour finir en neuvième position. Je pouvais rester, mais le Standard m’a contacté, et pour moi, c’était un rêve de pouvoir entraîner ce club. Nous avons joué la finale de la Coupe Intertoto, puis pendant le premier tour, nous avons occupé près d’une dizaine de fois la tête du classement. Il y avait, dans mon équipe, beaucoup de joueurs qui se sont ensuite retrouvés en Promotion, voire en Provinciales. Vous vous souvenez de Dimitri Wavreille, Geoffrey Turco, Pascal Tihon, Hervé Houlmont, etc ? J’avais perdu Dinga, Guy Hellers et Benjamin Debusschere en cours de saison. Les dirigeants me disaient qu’il était impossible de qualifier le Standard pour l’Europe avec ce groupe, mais ils faisaient croire aux supporters que c’était tout à fait possible et j’avais toute la pression. J’avais la conviction de faire du bon boulot, mais la direction était très vague quant à une prolongation. Alors, j’ai répondu à l’appel du Lierse. Mais c’était un défi terrible : la base de l’équipe championne est partie durant l’été et j’ai dû aborder la Ligue des Champions avec un tout nouveau noyau. Le 13 août, nous avons joué le match le plus important de l’année pour le club : le match retour du tour préliminaire, contre Famagouste. Un duel à 1,861 million d’euros, alors que le budget du Lierse était de 6,25 millions. Vous imaginez la pression : un tiers du budget se jouait sur une seule soirée. Et nous sommes passés. Mais on ne m’a malheureusement pas laissé terminer la saison. Un lundi, j’ai abordé la campagne des transferts pour l’année suivante avec la direction. Le vendredi, on annonçait l’arrivée de Walter Meeuws. Ce fut une année très difficile. N’oubliez pas que l’ombre d’Eric Gerets continuait toujours à planer sur ce stade. Lui succéder, c’était tout sauf un cadeau. Ensuite, il y a eu Lommel, de trêve à trêve… De décembre 1998 à décembre 1999. On m’a remplacé en cours de saison mais le club est descendu en D2. Après cela, je me suis retrouvé à Eindhoven, où on a bien compris après un an que j’avais une opportunité unique de m’installer dans la durée à Genk. C’était ce qu’on m’avait promis, en tout cas.

Quel regard général jetez-vous sur votre parcours ?

C’est bien d’avoir déjà connu tant de choses en un peu plus de dix années dans ce métier : la lutte pour le maintien, la bagarre pour le titre, la Ligue des Champions, des limogeages. Je ne suis pas encore un coach complet, parce qu’aucun entraîneur ne le sera jamais, mais j’ai déjà mon lot d’expériences personnelles et elles sont toutes bonnes à prendre.

J’y ai sérieusement pensé, cet été. J’en avais vraiment marre, après ce qu’on m’avait fait vivre à Genk. J’ai commencé à travailler dans l’immobilier. Mais je me suis rendu compte, progressivement, que je n’arriverais pas à quitter le monde du foot.

Pierre Danvoye

 » C’était la première fois que je postulais : J’AVAIS PEUR QU’ON M’AIT OUBLIÉ après trois ans dans l’ombre  »

 » J’aurais préféré que LA LOUVIÈRE me traite d’une façon… disons moins BIZARRE  »

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