SAGESSE TOGOLAISE

Pierre Bilic

La tour du stade Tondreau a échangé quelques adages au pili-pili avec le premier Epervier s’étant imposé en Belgique.

La Grand-Place de Mons est de plus en plus belle et les passants remarquent tout de suite la grande silhouette et le sourire de Dare Nibombe, 26 ans, le phare togolais de 1,96 m de la défense des Dragons. Il est accompagné par un vieux de la vieille, son compatriote Atty Affo (35 ans) qui de 1988 à 1995 mouilla son maillot pour les Zèbres.

 » Au Togo, son prestige est toujours immense car il fut un des premiers à partir en Europe « , avance Nibombe.  » Chez nous, le respect des anciens, ce n’est pas rien. Les jeunes n’osent pas les interpeller par leur prénom. Alors, je l’appelle Capitaine « .

Les deux gaillards sont heureux de se revoir. Affo Atty a suivi quelques matches de Mons et se souvient d’une rencontre internationale Togo-Mauritanie en 1997-1998 :  » Elle se termina sur un nul blanc mais cela n’empêcha pas mon pays de se qualifier pour la phase finale de la CAN qui se déroula au Burkina-Faso. Dare avait 18 ans et patientait sur le banc des réservistes. Je le connaissais à peine et j’avais surtout des contacts avec son frère Wake, un peu plus petit que lui mais solidement baraqué, qui fut un des meilleurs gardiens de but des Eperviers, l’équipe nationale togolaise « .

Dare se marre et songe certainement à ce dicton africain soulignant l’importance d’une amitié :  » Il n’y a pas de plus grand bonheur que la venue d’un hôte dans la paix et l’amitié « .

Le Montois connaît une tonne de maximes togolaises et africaines. Il en avait d’ailleurs lancées plusieurs au micro d’Erik Libois lors d’une mémorable Troisième mi-temps (Radio Vivacité).  » Chez nous, les sages peuvent résumer une vie ou exprimer un merveilleux conseil en une seule petite phrase « , affirme Affo Atty. Comme celle-ci, par exemple :  » Tous les Blancs ont une montre, mais ils n’ont jamais le temps « .

Les deux Togolais se sont penchés sur quelques adages africains qui en disent long sur leur personnalité.

 » Ne repousse pas du pied la pirogue qui t’a déposé sur la berge  »

Affo Atty : Dans la vie, il faut être reconnaissant à l’égard de ceux qui ont fait quelque chose pour vous, que ce soit un fait important pour la suite de votre existence ou un simple sourire qui a éclairé une journée. Les ingrats oublient vite et c’est une attitude que je ne comprends pas. Si j’ai trouvé ma voie et suis heureux en Belgique avec les miens, c’est grâce à mon travail mais aussi parce que des âmes charitables m’ont aidé. J’ai été repéré par René Taelman au Mondial des Juniors au Chili et il est ensuite venu plusieurs fois dans mon village, Sokode, afin de convaincre mes parents de me permettre de tenter ma chance en Europe. Mon père a cédé à condition que je continue mes études en Europe. Arrivé en Belgique, j’ai logé chez René Taelman et Gaston Colson. Jean-Paul Spaute m’a accompagné quand je me suis inscrit à l’Université du Travail en 1989 et m’a payé mes premiers outils. J’ai obtenu mes diplômes d’électricien et de chef d’entreprise aux cours de soir. Des joueurs m’ont offert leur amitié : Olivier Suray, Roch Gérard, Neba Malbasa, qui fut aussi mon coach à l’Olympic, etc. Plus tard, c’est grâce à Aktepe que j’ai obtenu mon boulot d’électricien chez Sepleex, une entreprise appartenant au président d’Action 21.

Dare Nibombe : Quand je suis arrivé en Europe, personne ne me connaissait. Les hasards de la vie m’ont présenté deux personnages bons comme le pain : Fabien et Ludovic. Ce sont des amis pour la vie. Fabien avait compris que j’étais fou de football. Ils m’ont permis, grâce à leurs relations, de passer un test au Sporting de Charleroi. Hélas, les Zèbres cherchaient un attaquant. Je me suis entraîné à Ecaussinnes (P3) dont un des joueurs, Ludovic, a parlé de moi au Tivoli. En 2002, j’ai convaincu Ariel Jacobs et tout le club qui m’a aidé en m’offrant un logis. Mais en fin de saison, alors que j’avais joué avec les Espoirs, on m’annonça que l’enveloppe financière était vide. Le dernier budget avait été consacré à la prolongation du contrat de Thierry Siquet. Je n’étais pas trop déçu car même si je n’avais pas encore débuté en D1, j’avais le pied à l’étrier. Ce n’est pas une pirogue mais un bateau qui m’a permis d’atteindre la berge. A Mons, le président Dominique Leone m’a engagé sans me connaître. J’ai progressé avec tous mes coaches : Zoltan Kovacs, Marc Grosjean, Sergio Brio, Jos Daerden, Michel Wintacq, Olivier Suray, José Riga. Comme Affo Atty, j’ai découvert les rigueurs de l’hiver en Belgique. Mon agent, Pietro Allatta m’a offert ma première couette et mon premier four à micro-ondes.

 » L’homme qui a la diarrhée n’a pas peur de l’obscurité  »

Dare Nibombe : L’Afrique est malade et, pour le moment, elle n’offre pas d’avenir à ses enfants. Les jeunes n’ont pas de travail et des pans entiers sont décimés par des maladies incurables. Des milliers d’Africains veulent débarquer à tout prix en Europe, la terre promise. Beaucoup n’atteignent pas les côtes d’Italie ou d’Espagne et se noient dans l’indifférence ou presque. Pour mettre un terme à cette catastrophe humanitaire, il faut aider l’Afrique, lui permettre de se soigner, de se développer économiquement. Sans cela, ce drame ne s’arrêtera jamais. Quitter les siens n’a rien d’amusant : si le ciel se dégageait, les Africains resteraient chez eux. En attendant, ils sont au plus mal et n’ont pas d’autre choix que de partir vers l’incertitude et l’obscurité. J’ai parfois eu peur dans la vie, moi aussi. Le football allait-il être ma roue de secours ? Je ne le savais pas, même si j’ai toujours été optimiste de nature. Je me souviens aussi d’un atterrissage difficile avec l’équipe nationale. Après cela, on n’a plus peur d’un simple coup de vent. On s’adapte dans l’obscurité.

Affo Atty : La vie ne fait pas de cadeaux mais il faut rester debout. Quand j’ai quitté la D1 pour l’Olympic, je l’ai fait avec confiance. Un jour, j’aiderai l’Afrique et le football de mon pays. Ce qui arrive à ce continent est criminel et inhumain mais la misère existe aussi en Europe. J’ai eu la chair de poule en découvrant l’histoire d’un SDF anversois. Des parents lui ont confié la garde de leurs enfants qu’il ne connaissait pas, le temps pour eux de trouver de la drogue. Un des bambins a réclamé une glace. Le pauvre bougre n’avait qu’une piécette dans sa poche mais il n’a pas hésité à dépenser tout ce qu’il avait pour le bonheur d’un enfant. Quelle leçon de bonté…

 » Le soleil n’oublie jamais un village, même s’il est petit  »

Dare Nibombe : Si l’astre solaire distribue sa chaleur partout, je ne vois pas pourquoi l’homme oublie parfois les sans grade, les petits, les vieux. En Afrique, il est impensable de négliger les anciens. Ici, je vois parfois des personnes âgées isolées et donc privées de liens sociaux. A quoi sert-il alors d’avoir de l’argent ? Mon village – Bassar – est situé à 57 km de celui d’Affo Atty. Mon père a été enterré là-bas. Il est mort des suites d’une hépatite. Avant de mourir, il a convoqué ses enfants et leur a donné de conseils avant se de tourner vers moi : -Tiens, tu ne dois pas préparer un match avec l’équipe nationale ? Oui ? Comment, tu joues dans quelques heures ? File vite… Il estimait que je devais d’abord penser à moi. Je l’ai heureusement revu avant son décès. Il a encore pris la peine de se raser de près avant de rentrer au village où il a rendu son dernier souffle. En Afrique, on ne cache pas la mort comme en Europe. Elle fait partie du destin des hommes, on la respecte. Je crois à la force des modestes. Personne n’aurait misé un euro sur les chances de qualification du Togo pour la dernière Coupe du Monde. Or, le Togo y est arrivé. Mons est un petit village de la D1 mais on y réalise de belles choses aussi.

Affo Atty : J’adore la Belgique qui m’a tendu les bras. Je suis marié depuis 14 ans avec la belle-s£ur de Tew Mamadou qui joua à Bruges et à Charleroi. Elle est Sénégalaise. Nos enfants, Hassan, Yasmine et Farid, sont heureux en Belgique mais ils doivent connaître leurs origines et la terre d’où viennent leurs grands-parents. Le plus jeune a un don. Il s’est réveillé une nuit en affirmant que son grand-père était malade. Personne ne le savait mais c’était le cas. A l’aéroport, il s’est précipité un jour dans les bras de mon père qu’il n’avait jamais vu. Je veux que mes enfants sachent ce qu’on peut faire avec un euro en Afrique…

 » Si tu n’as pas assez d’eau pour prendre un bain, lave-toi le visage  »

Affo Atty : Il faut rester humble dans la vie et vivre avec ses moyens. J’ai joué au Mambourg, à l’Olympic, à l’Union et maintenant à Châtelet, en P1. Même si tout le monde rêve de plus et mieux, je suis comblé. Je remercie tous les jours Dieu de m’avoir donné cela. Je n’ai pas de grosse villa mais une maison d’ouvrier à Jumet. Je suis content. Il y fait bon vivre et la maison chante, écoute de la musique, ne cache pas son bonheur. Je crache tous les jours dans mes mains et je suis heureux de gagner ma vie à la sueur de mon front. Je n’ai jamais quitté Charleroi depuis que je suis en Belgique.

Dare Nibombe : Je ne vois pas à quoi sert le luxe superflu. Comme Affo, j’aide ma famille. Il m’est parfois arrivé de lui envoyer tout ce que j’avais gagné. L’idée que les miens sont dans le besoin ou malades m’est insupportable. Je dois leur prêter secours et être économe quand c’est nécessaire.

 » Le coq a un seul propriétaire mais il chante pour tout le village  »

Affo Atty : Les footballeurs sont liés à un club mais, à mon avis, ils jouent d’abord pour leur public. J’ai connu des moments exceptionnels au Sporting. L’identification entre le public et les joueurs était plus vivante qu’actuellement. C’est un phénomène généralisé car les joueurs sont désormais de passage dans un club. Moi, j’adore encore et toujours le Sporting.

Dare Nibombe : Un jour, je quitterai Mons. Marseille et des clubs anglais se sont intéressés à moi. A mon avis, Mons a tout fait pour écarter ces offres. Je comprends. J’ai encore un an et demi de contrat. On reverra tout cela quand cela arrangera tout le monde. Mais je resterai à jamais aussi attaché à Mons qu’à mon village togolais.

 » Qui veut du miel doit avoir le courage d’affronter les abeilles  »

Affo Atty : On n’a rien sans rien. Je me lève tous les matins à 5 h 30. Il faut tout préparer, réveiller les enfants, les conduire à l’école, être au boulot à 8 h 30. Le soir, il y a le football et les cours d’entraîneur. C’est éprouvant mais cela ne me dérange pas. Moi, j’ai le sourire toute la journée.

Dare Nibombe : Moi aussi j’ai le sourire. Quand un Blanc a un petit souci, cela se voit tout de suite. Si son enfant a de la fièvre, il s’entraîne et joue moins bien. J’observe les gens et je devine tout de suite quand quelque chose cloche. Les Africains en ont vu d’autres et mettent plus facilement leurs problèmes entre parenthèses.

 » Sarcle tous tes plants de sorgho, tu ne sais pas lequel portera des fruits et lequel restera stérile  »

Affo Atty : Il ne faut rien négliger dans la vie. A Charleroi, je n’ai pas compris l’échec de Georges Leekens. Je ne jouais pas tout le temps mais il a dit un jour : – Affo Atty ne m’a jamais déçu. Pour moi, c’est un seigneur, un grand coach qui devait succéder à Robert Waseige. Pas facile. Il a tenté de régénérer le groupe mais les anciens n’ont pas accepté les nouveaux. C’était humain mais stérile. Or, Georges Leekens aurait pu apporter beaucoup.

Dare Nibombe : Mons a compris qu’il fallait creuser son sillon. José Riga est un coach passionnant, travailleur. Quand il dit quelque chose, c’est bien étayé. Il s’est adapté au club alors que Sergio Brio, par exemple, voulait imposer le professionnalisme italien en Belgique. Il nous tétanisait pour des broutilles, il m’a appris la rigueur mais n’était pas assez souple. J’ai apprécié Marc Grosjean qui était au bord de la crise cardiaque quand je prenais trop de risques en défense. Quand je suis revenu d’une Coupe du Monde éprouvante pour le Togo (menace de grèves des joueurs qui n’étaient pas payés, etc.), j’étais crevé. Je n’ai pas encore totalement récupéré. José Riga a bien compris tout cela.

 » Si la porte est ouverte, ça ne sert à rien de passer par les fenêtres  »

Dare Nibombe : Il faut se manifester sans être envahissant. Mons a su être ferme la saison passée et s’imposer même quand on lui enleva injustement des points la saison passée. Notre directeur technique, Jean-Paul Colonval, avait frappé du poing sur la table. Chez moi, la porte est toujours ouverte.

Affo Atty : Chez moi aussi même en pleine nuit. Quand je peux rendre service, je suis heureux. Même si c’est dur, il faut prendre le temps d’aider les autres.

 » Là où le c£ur est, les pieds n’hésitent pas à aller  »

Dare Nibombe : Mon c£ur, c’est ma famille. Ma femme est musulmane. Elle m’a donné deux filles : Félicitée et Doris. Ma belle-mère est extraordinaire et m’avait demander de me convertir en signe d’amour. Avant d’épouser sa fille Natissatou, je lui ai promis d’examiner ce problème. Je réfléchis encore : c’est cela l’Afrique. Mon c£ur, c’est aussi la D1. Mons grandit, ne rêve pas après une victoire ou ne remet pas tout en question après une défaite : ce club sait où il va.

Affo Atty : Je n’ai eu qu’un regret au cours de ma carrière en D1 : la phase de jeu durant laquelle j’ai accidentellement brisé la jambe de Mohammed Lashaf. Cela a influencé la suite de ma carrière. Je n’ai plus jamais été le même. Je n’étais plus aussi rigoureux. Je me suis excusé et j’ai rejoué plusieurs fois contre lui en Provinciales. Les chemins de la vie sont ainsi faits.

 » Ce n’est pas parce que la hyène a mauvaise haleine qu’il faut lui interdire de parler  »

Affo Atty : Tout le monde a le droit à la parole. Chacun mérite une chance dans la vie. Si Charleroi n’avait pas songé à moi, je ne serais peut-être pas aussi heureux aujourd’hui. Je songe encore à cet appartement que je partageais avec Olivier Suray et où Roch Gérard nous rejoignait le week-end. Nous avons partagé nos cultures et ce fut enrichissant pour tout le monde.

Dare Nibombe : Je partage entièrement ton avis, Capitaine. Il faut faire confiance aux gens.

PIERRE BILIC

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