S’installer EN D1

Pierre Bilic

Le coach bruxellois revient dans son fief afin de relever le quatrième défi de sa carrière.

A 36 ans, Emilio Ferrera est le José Mourinho du football belge avec sa jeunesse, ses idées, sa passion, ses trouvailles tactiques, son look, son succès médiatique des deux côtés de la frontière linguistique. Johan Vermeersch, le big boss du FC Brussels, a flairé le bon coup en l’embrigadant afin de driver sa nouvelle écurie de D1.

De Beveren au Lierse, en passant par le défunt RWDM, le jeune technicien bruxellois a parcouru beaucoup de chemin en peu de temps. Son arrivée dans le gotha du football belge ne date que de novembre 1999. Il requinqua d’abord Beveren, relança les anciens Coalisés du Stade Edmond Machtens et obtint la cinquième place et une qualification pour la Coupe Intertoto en 2002-2003 avec le Lierse. Ferrera tint le coup tant bien que mal un an plus tard avec une équipe du Lisp privée d’attaquants, après la vente du duo Arouna Kone-Stein Huysegems, et engluée dans de graves problèmes financiers. Sa quatrième mission en tant que coach consistera à installer un nouveau club parmi l’élite.

Il a beaucoup été question de vos racines bruxelloises lors de la signature de votre contrat au FC Brussels : est-ce l’atout qui a fait la différence ?

Emilio Ferrera : Johan Vermeersch voulait engager un entraîneur qui avait fait ses preuves. Puis, le fait que je sois de la région, que j’en connaisse mieux que d’autres la mentalité et les attentes, a offert un côté sympathique à mon arrivée dans ce nouveau club. Mais il y a d’abord mon CV de coach. Sans cela, je ne serais pas ici. Bruxelles, c’est mon chez moi, une ville unique, incomprise en province, où je suis né, où j’ai passé ma jeunesse, joué au foot, étudié, travaillé comme instituteur. J’adore cette ambiance bruxelloise incomparable où toutes les diversités trouvent leur place. J’y vois une source de richesse à tous points de vue et certainement en ce qui concerne le football.

Mes parents se sont établis à Schaerbeek après leur arrivée d’Espagne et ils n’ont pas quitté cette commune bruxelloise chaude, bien plus belle que certains ne veulent le croire. Je m’y sens chez moi et quel bonheur, le matin, de siroter un café dans un petit bistrot, de rigoler suite à un bon mot prononcé avec l’inimitable accent bruxellois. L’humour d’ici est succulent mais il faut être bruxellois pour bien le comprendre. Le football m’a certainement aidé à trouver ma voie dans l’univers bruxellois. Jeune, j’ai joué au Crossing Schaerbeek puis à Anderlecht avant d’en faire autant à Alost, Wolvertem, au Stade Louvain et à Ganshoren. J’étais doué techniquement mais pas assez physique et puis j’ai entamé ma carrière d’entraîneur au Racing Bruxelles. La capitale a toujours vibré pour le football. Vermeersch l’a bien compris et son projet plonge ses racines dans le terreau bruxellois. J’y crois : le FC Brussels s’installera en D1.

Portsmouth s’est intéressé à lui

Pourquoi n’avez-vous pas répondu à l’offre de La Louvière et que vous proposait Milan Mandaric à Portsmouth ?

Les contacts avec Filippo Gaone, le président des Loups, ont été intéressants. En tant que dirigeant, il a relevé et gagné de magnifiques défis. La Louvière a passé le cap de la première saison en D1, s’est stabilisé, a progressé avant de gagner la Coupe de Belgique et de prendre part à la Coupe de l’UEFA. Cette saison, le club du Centre a mérité une belle huitième place sous la direction d’Ariel Jacobs. Le travail sportif a été bien mené et j’ai le sentiment que la priorité se situera ailleurs. La Louvière a besoin d’aides, de soutiens, de collaborations financières. Gaone ne peut plus continuer seul. Dès lors, tôt ou tard, les ennuis de trésorerie auront un impact sur le sportif. Après avoir connu de grosses incertitudes financières à Beveren, au RWDM et au Lierse, j’avais envie de travailler dans un contexte serein.

Du temps du défunt RWDM et de la présidence d’Eric De Prins, nous avons vécu des drames humains et sociaux avec des joueurs bien seuls face à d’immenses problèmes. Je ne veux plus connaître cela car, en plus d’être triste et touchant sur le plan humain, cela complique le travail de coaching. Ces problèmes envahissent forcément le vestiaire. Le FC Brussels n’a pas de dettes et je serai débarrassé de tensions internes.

J’ai également rencontré Milan Mandaric à Bruxelles. Un agent, Vladimir Pavkovic, lui avait parlé de moi et nous avions convenu de nous voir dans la capitale. Ce fut une longue conversation intéressante, très technique à propos de ma vision du football. Quand le président d’un club de Premier League vous demande un entretien, cela ne se refuse pas. Il me connaissait et ce qui se passe en Angleterre m’intéresse. Milan Mandaric me demanda de ne pas signer ailleurs durant une semaine. Après ce délai, Portsmouth décida de continuer son chemin avec Harry Redknapp, et je pouvais m’intéresser à de nouveaux horizons. Les premiers contacts avec Johan Vermeersch devinrent alors réalité. Pour la première fois de ma carrière, je vais pouvoir aller au bout d’un projet, ce qui ne fut pas le cas dans mes clubs précédents malgré les bons résultats.

Le défi du FC Brussels est-il comparable à votre vécu à Beveren, au RWDM et au Lierse ?

Non, j’ai éteint des incendies sportifs dans ces clubs. Je me suis retrouvé dans l’obligation de comprendre très vite les problèmes et la mentalité. Ainsi, Beveren pensait encore à ses belles années quand j’y suis arrivé. Nous avons pris des risques tactiques, bluffé les adversaires et ce fut gagnant. Le public de Beveren adorait cette équipe qui posait des problèmes de jeu aux clubs huppés. La saison suivante fut plus compliquée car je ne m’entendais pas avec Jean-Marc Guillou. Ce fut le clash après cinq matches face à des clubs en vue. Je suis parti, Beveren est resté dans le rouge et ne se maintint en D1 qu’en raison de la faillite du RWDM. Sans cela, c’était la D2. Tous les remplacements de coaches ne servirent à rien en 2001-2002.

Au RWDM, toujours cette saison-là, j’ai pris la place de Patrick Thairet. Nous avons eu la chance de commencer par un succès face à… Beveren et tout se mit rapidement en place. Ce déclic était nécessaire car le RWDM était dernier avec un point après sept matches. Notre deuxième tour fut tout bon. Au Lierse, le ton est traditionnellement à l’ambition : rien n’est jamais suffisant. A la longue, cette insatisfaction permanente use. Or, le bilan a été superbe. Le Lierse fut d’abord cinquième avec une attaque percutante. Puis, pour boucher les trous de la caisse, le Lierse rentabilisa le talent d’Arouna Kone et de Stein Huysegems alors que le championnat 2003-2004 avait déjà commencé.

Ce ne fut pas facile mais si je fais le bilan de ces dernières années au Lierse, je range mes résultats juste derrière ceux d’Eric Gerets. Il a évidement été champion mais a eu trois ans devant lui et ne fut jamais gêné par une foule d’ennuis financiers, des salaires payés avec retard, etc.

Coach pur jus

Les managers à l’anglaise sont à la mode : n’avez-vous pas été tenté par une telle fonction ?

Non et cela ne m’intéresse pas. Je suis un coach, rien que coach, et je trouve mon plaisir dans un vestiaire, dans le travail au quotidien avec les joueurs. Je veux bosser avec eux, gagner avec eux, souffrir avec eux, progresser avec eux, atteindre des objectifs avec eux. Je ne veux pas enfiler sans cesse mon costume, passer ma vie dans un bureau, tout faire sauf l’essentiel : entraîner. Ceux qui franchissent le pas n’aiment plus, ou n’ont jamais apprécié, le métier de coach. Pour moi, manager à l’anglaise, ce serait la pire des choses.

Je me sens comme dans la peau d’un instituteur. Après des mois de travail, il est heureux quand ses petits élèves savent lire. C’est un bonheur incomparable. J’ai besoin de mon vestiaire comme j’étais heureux quand je me retrouvais devant ma classe. Je donne mon avis à propos des transferts et c’est le club qui tranche, paye, investit. Ainsi, j’ai suivi la finale de la Coupe des Pays-Bas. J’ai observé attentivement Spira Grujic, capitaine de Twente, ancien du RWDM et d’Anderlecht. Mon rapport a été bon mais c’est le club qui décidera. J’ai mon domaine, le vestiaire avec les joueurs mis à la disposition, le travail technique, tactique, physique, le scouting, et cela me suffit largement. La charge de travail d’un entraîneur est assez lourde comme cela. Au RWDM, en 2001-2002, il y a eu des révélations. Personne ne croyait en Laurent Fassotte que le Standard avait envoyé à Visé. Marius Mitu avait passé des tests négatifs à La Louvière. Tous deux se sont révélés au RWDM car nous avons beaucoup et bien travaillé. C’est cela le travail de base de l’entraîneur.

Vermeersch comme Constant Vanden Stock

Il est vrai que le président du FC Brussels adore jouer au manager de son club…

C’est un homme compétent. Il a un passé de joueur, d’entraîneur, de dirigeant, d’homme d’affaires. Qui peut en dire autant en Belgique à part Constant Vanden Stock ? Personne. Je m’entends toujours avec les personnalités enthousiastes, positives mais pas avec celles, incompétentes, qui veulent se servir du football sans le connaître.

Quel jeu prônerez-vous au Brussels ?

Je ne peux pas vous le dire. C’est notre problème. J’ai travaillé avec Léo Beenhakker à America Mexico et il soulignait sans cesse qu’un coach doit produire un jeu auquel s’identifie le club, sa ville, sa région. Je sais que cela passe aussi par des résultats et l’obligation pour nous de rester en D1.

Ceux qui vous connaissent n’ignorent pas que vos équipes sont bien organisées, solides en défense, et misent sur des contres rapides. De plus, vous êtes un partisan, par exemple, d’Hector Cuper, de José Mourinho ou de Rafa Benitez, qui prônent ce genre de jeu…

C’est gentil de me comparer à eux mais je ne suis qu’un petit entraîneur. Le club travaille beaucoup et sait quel groupe il doit avoir afin de produire le football auquel il pense. Pour nous, le plus important pour le moment est de trouver de bons attaquants. Oui, Jari Niemi de Mons nous intéresse. D’autres aussi mais, pour en savoir plus, adressez-vous à Johan Vermeersch. Quand le problème des attaquants sera résolu, le reste suivra. Nous dénicherons d’autres Laurent Fassotte et Marius Mitu, et de jeunes de la Région bruxelloise, que le travail fera progresser.

Pierre Bilic

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