S’exprimer sur le parquet

Malgré les apparences de la fin de saison dernière, l’incroyable aventure de D1 va commencer…

Monter une formation de haut niveau est une chose. L’y confirmer en est une autre bien plus difficile. Rien qu’en Belgique, nombreux sont les dirigeants à avoir appris à leurs dépens que pour s’assurer une pérennité au sein de l’élite, il convient de s’en donner les moyens. Tantôt en manque de deniers, tantôt en l’absence de promesses assurées, Braine, Ypres, Alost ou le BF Gand ont dû quitter le miroir aux alouettes pour retrouver des tréfonds ombrageux.

Le BC Estaimpuis aurait pu émarger à cette catégorie. Incompris, voire sabotés, ses responsables ont failli jeter l’éponge cet été. Au lendemain d’un tour final de D2 désastreusement manqué, ils firent mine d’arrêter les frais. Pourtant, quatre mois plus tard, le club veut faire peau neuve.

Conscient de l’image peu flatteuse qui lui colle encore à la peau comme un prisonnier traîne son boulet, le cercle hennuyer a déménagé à Tournai, espérant sans doute laisser définitivement son passé nébuleux dans un tiroir du domaine de Bourgogne, lieu réputé pour les exploits du club cher au président Jean-Pierre Froehlich, comme pour ses excès multiples.

Estaimpuis a son histoire. Et quelle histoire! Promu cet été en D1 par le jeu des chaises musicales, il est sans doute le plus populaire de tous les nouveaux venus qu’ait connus l’élite belge.

« Ce club a toujours eu l’image d’un volcan prêt à se mettre en éruption d’un instant à l’autre », explique Guy Vervaecke, son nouveau manager. « Il fonctionnait au gré des humeurs d’un président très impulsif. Je suis l’une des personnes à qui il est demandé de remettre un peu d’ordre là-dedans ».

Quel désordre!

Désordre, voilà bien un qualificatif guère recherché mais qui définissait bien le quotidien de club « vraiment pas comme les autres ». Estaimpuis, c’est cette toute petite commune frontalière nichée à quelque trois points seulement de Mouscron, fief de l’Excel, et de Tournai. Une région où le basket ne demande qu’à éclore. Cette bourgade aux couleurs Sang et Or se mobilisera rapidement pour la cause de Jean-Pierre Froehlich, milliardaire controversé qui, en dix ans à peine, hisse le BC du bas de l’échelle jusqu’à l’antichambre de l’élite. La dernière marche à grimper, la plus dure, doit l’être au printemps dernier. Pour goûter enfin au top dans sa carrière de dirigeant, l’omniprésent président se dotera d’une armada à faire pâlir de jalousie certains cercles de l’élite. Mais surtout, fait unique dans les annales estaimpuisiennes, il maintient deux ans de suite la confiance à son coach Patrick Verdun. Un homme aussi droit que direct. Un homme à poigne, taillé sur mesure pour résister aux intempéries qui sévissent sur un Domaine de Bourgogne où il n’a jamais fait bon être coach.

Avec Verdun à sa tête et un effectif somptueux monté en deux saisons, Estaimpuis est promis à la D1. Leader autoritaire en D2, il aborde les playoffs en position de force et sa finale contre Damme doit être le couronnement d’un brillant travail d’équipe, comme le dit, alors, Patrick Verdun. Les détracteurs du cercle hennuyer, ceux qui lui reprochent une gestion à l’emporte-pièce ne voient pas cette issue d’un bon oeil. Au Domaine de Bourgogne, le champagne est déjà frais… Il ne sortira du frigo que six semaines plus tard, soit en plein été.

Des joueurs et un coach floués

Une réunion provoquée par Jean-Pierre Froehlich et Philippe Luyten, le vice-président, à quelques heures de la manche décisive contre les Flandriens replongera le club dans le marasme le plus complet. Perturbés, s’estimant floués par leurs dirigeants, coach et joueurs n’auront pas retrouvé leur esprit pour le jour J. Et ce soir-là, c’est un Estaimpuis pathétique qui laisse filer le rêve de tout un village en s’inclinant contre Damme. Une fois le match terminé, les langues se délient. Certains joueurs avancent leur version d’une réunion dont ils disent ne pas avoir compris l’utilité.

« On nous a piégés. Tout était réunis pour que nous montions et voilà que le mardi précédant la manche décisive, on nous annonce que nous n’aurions pas droit à la prime due en cas de montée et que, de toute façon, nous pouvions d’ores et déjà nous chercher un autre club. C’était simplement scandaleux », diront, en choeur les Sang et Or, vite relayés par leur coach.

« Je savais que deux ans passés à Estaimpuis équivalaient à cinq ailleurs mais ce qui s’est passé cette semaine-là dépassait mon entendement. Déjà que la fédération nous a mis des bâtons dans les roues en nous empêchant d’aligner un Américain dont les documents étaient parfaitement en ordre… C’était trop beau, pendant deux ans, nous avions réussi à ne plus faire parler du club que pour ses résultats sportifs. Et en une soirée, le ressort s’est brisé. C’est dramatique pour les joueurs qui ont été formidables ».

Le torchon brûlera longtemps et un homme sera mis au pilori par ses accusateurs: Philippe Luyten, administrateur délégué d’Orditech, une entreprise tournaisienne, devenu partenaire d’Estaimpuis à l’aube de la campagne 2000-2001 et vice-président de celui-ci quelques mois plus tard.

« Ce qui a été raconté à mon sujet à l’époque est complètement ridicule et infondé », dit aujourd’hui celui qui est, à présent, responsable du comité directeur. « Comment quelqu’un qui s’est investi dans une entreprise, qui est connu dans la région, se serait-il de plein gré fait une telle contre-publicité. C’est aberrant de penser cela de moi. Cette histoire m’a fait du tort et la vérité est ailleurs. Il y a effectivement bien eu une réunion. Parce le club était mal géré, les contrats des joueurs n’étaient pas clairement définis. J’ai voulu les mettre sur papier ».

Un partenaire financier terriblement motivé

Philippe Luyten aurait, alors, décidé de revoir sérieusement à la baisse les primes des joueurs en cas d’accession à l’élite.

« C’est n’importe quoi. Tous ont accepté les propositions que nous leur avons faites. La raison de ce fiasco de dernière minute est que certains, c’est vrai, ne voulaient pas monter en D1. Ils ont cru qu’on les jetterait dehors parce qu’ils n’entraient pas dans nos plans. Mais notre intention était, au contraire, de construire une formation satellite en D2 ou D3. Des contacts existaient même déjà dans ce sens. Si j’ai accepté de devenir partenaire financier d’Estaimpuis, puis d’occuper un poste au sein de son organigramme, ce n’est pas pour végéter en deuxième division. Seule l’élite m’intéresse. Dès lors, pourquoi aurais-je fait en sorte que l’on échoue sur le terrain? En mai, on ne m’a que trop peu donné la parole. Ma réponse, je la donne aujourd’hui: regardez où se trouve Estaimpuis à présent ».

Les Sang et Or sont en D1. Mais uniquement parce que Damme, puis les Atomics en ont refusé l’opportunité.

« Accéder à l’élite parce que d’autres ne le veulent pas n’est pas gratifiant », avoue Luyten. « Montrons que nous y avons notre place et tout cela disparaîtra bien vite de la mémoire collective ».

Une mémoire qui n’a pas encore oublié l’audit financier auquel fut soumis le BCE cet été et censé examiner les comptes d’un cercle qui, avant de se savoir autorisé à rejoindre la D1, avait envisagé de cesser ses activités en même temps que son président mécène annonçait qu’il jetait l’éponge. Finalement, Deloitte and Touche, la société d’audit demandée par la fédération, avalisa le budget d’Estaimpuis dans le courant du mois de juin.

A vingt jours de sa première au sein de l’élite, le club panse ses plaies, tente de rattraper le temps perdu et de se construire un avenir.

Une salle de 350 millions

Et surtout, une nouvelle structure se met doucement en place dont la fiabilité à long terme est encore à démontrer mais dont les fondateurs semblent, cette fois, disposés à progresser pas à pas.

Désormais, seules les équipes d’âge jouent au Domaine de Bourgogne. Les seniors ont, eux, déménagé vers Tournai où, avec l’appui inconditionnel des autorités communales, ils évoluent dans une salle enfin adaptée aux exigences du haut niveau.

« Cela fait trois ans que la ville s’est dotée d’un tel outil de travail. Elle a injecté 350 millions de francs pour sa création et, depuis, seules des équipes de Provinciales y évoluaient », précise Philippe Luyten.

Comme pour montrer l’envie de faire un trait sur son passé plus qu’agité, le BC s’est rebaptisé Tournai-Estaimpuis. Et une nouvelle équipe dirigeante est arrivée à la rescousse. Jean-Pierre Froehlich en reste le président mais il n’est plus seul à diriger son navire. Un Comité directeur a, en effet, été créé sous la férule de Philippe Luyten.

Guy Vervaecke, l’ancien manager-président de Wevelgem, se charge, lui, de la gestion quotidienne du cercle hennuyer tandis que Werner Rotsaert a accepté la succession de Patrick Verdun.

Cela suffira-t-il à faire de Tournai-Estaimpuis une valeur sûre du basket belge? La mise sur pied d’un budget de 45 millions de francs provenant aussi bien du secteur privé que du public est, en tout cas, de bon augure.

« Il convient de tirer les leçons du passé », explique Philippe Luyten. « Il est inconcevable qu’un club ne repose que sur les avoirs d’un mécène parce que, le jour, où celui-ci, arrête les frais, il est appelé à mourir de suite ».

Rotsaert persuade Vervaecke

Diviser pour mieux régner, telle semble être la devise à Tournai. Une devise que ses adjoints vont s’évertuer à faire comprendre à Jean-Pierre Froehlich.

« Je ne peux vous dire s’il accepte facilement d’avoir un rôle un peu plus en retrait qu’avant, mais le président sait que cela lui est demandé par intérêt pour le club », avoue Luyten. Un club qui peut compter sur les services de Guy Vervaecke. Le sapeur pompier courtraisien a accepté de mettre son expérience au service d’une formation qui veut aller de l’avant. Mais il a assorti son entrée en fonctions de certaines conditions: « Comme tout le monde, j’avais mes préjugés sur Estaimpuis mais quand Werner Rotsaert m’a demandé de travailler à ses côtés, je me suis dit que le défi était tentant. Nous partons de zéro et devons structurer une ASBL qui ne l’était pas. Nous devons lui inculquer le professionnalisme indispensable pour réussir à pareil niveau. Je sens que l’on va y arriver… Nous devons encore beaucoup progresser en termes de communication mais on y travaille chaque jour. Tous les membres du club me donnent l’impression d’aller dans la même direction. C’est déjà un bon point de départ. De toute façon, ils savent que je m’octroie une période d’essai jusqu’au début du championnat. A ce moment-là, je ferai un bilan complet de ce qui a été fait et vers quoi nous nous dirigeons. Et si je sens que certaines personnes devaient retomber dans leurs travers passés, je m’effacerai. J’ai accepté de rejoindre Werner Rotsaert parce que je crois en ce projet. Sans quoi, j’aurais pris une année sabbatique ».

Le BC Tournai-Estaimpuis aura fini par obtenir ce qu’il voulait: une place parmi le gratin belge. En sera-t-il digne? A l’heure actuelle, la question demeure sans réponse. A l’exception de Melvin McCants, tous les acteurs du soap opéra des playoffs ont été bannis de l’équipe.

Un groupe très étranger

« Nous avons eu deux mois de moins que nos concurrents pour nous renforcer », précise Vervaecke. « Et malgré cela, j’ai la nette impression que le groupe est déjà solide. Un noyau qui s’appuie sur un jeune distributeur américain, Alton Mason. Venu en droite ligne d’Arizona State, il fait sensation depuis son arrivée.

« Ceux qui l’ont vu contre Blankenberge, en match amical, ont dû se dire qu’on s’était planté en l’attirant chez nous mais ceux qui l’ont vu contre Mons-Hainaut ou Ovarense l’ont sans doute trouver génial », poursuit Guy Vervaecke, son premier défenseur. « Il peut être compétitif en D1 ».

L’autre Américain est plus imposant. Il s’agit de Bruce Chubick, l’ancien joueur d’Ostende, de Wevelgem et d’Alost. Rebondeur patenté, il a pour lui de connaître la compétition belge sur le bout des doigts. Ce qui est également le cas d’ Uldis Visnevics, l’international letton découvert l’an dernier au BF Gand, mais pas de Rados, Colak et Gemaljevic, trois citoyens de l’Est.

Vervaecke: « Colak manque encore de présence pour l’instant mais il travaille dur. Rados et Gemaljevic seront, eux, très vite compétitifs ».

Au beau milieu de cette pléthore d’étrangers, on trouve heureusement deux joueurs belges: Sven Veldeman et Wim Van de Keere. Si le premier tarde depuis quelques années à confirmer son statut d’espoir, le second devrait pouvoir le faire. Après une saison passée sur le banc d’Ostende, il doit avoir faim de victoires. Et comme son frère Tom, qui défend, lui, les intérêts de Wevelgem, il devrait enfin bénéficier d’un plus grand temps de jeu. Vervaecke dit de lui: « Il est la toute grosse satisfaction de la période préparation. Il a appris beaucoup chez les champions de Belgique et veut maintenant s’exprimer sur le parquet ».

« S’exprimer sur le parquet », voilà bien ce que devront faire des Hennuyers qui nous ont trop habitués à faire parler d’eux dans la colonne des faits extrasportifs.

Jean-Paul Van de Kepelaere

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