Ruud van Manchester

Il est millionnaire, roule en Coupé Mercedes, réside dans les collines en dehors de la ville et est le meilleur buteur de Man U. Son bonheur dure depuis un an et demi.

Devant le Jarvis Piccadilly Hotel, sis au centre de Manchester, une ville de quatre millions d’âmes, le chauffeur de taxi demande si nous avons rendez-vous. D’après lui, Carrington, le tout nouveau centre d’entraînement de Manchester United, est une forteresse imprenable sans ce sésame. Rassuré, il appuie sur l’accélérateur. Tous les chauffeurs du monde aiment les longues courses. Le taxi noir s’enfonce dans le country side pour s’arrêter devant une barrière, dans un paysage qui rappelle la désolation des anciens pays de l’Est. Le chauffeur indique notre nom et la barrière se lève. Sous le regard d’un groupe de supporters jaloux, nous empruntons un étroit chemin à travers un no man’s land, en direction du Carrington Trainingsground. De l’extérieur, avec ses grillages, il ressemble à un centre pour réfugiés mais à l’intérieur, il est magnifique.

Diana Law, la fille de Denis, l’ancien joueur, nous attend. L’hôtesse fait preuve d’une chaleur américaine: « Avez-vous fait bon voyage? Une tasse de thé? Ruud van Nistelrooy ne va pas tarder. Il est sous la douche ». Peu après, le buteur arrive, en pleine forme. Il nous pilote, avec une fierté manifeste. Il nous montre les superbes terrains au gazon impeccable, aussi tendre que du beurre malgré le gel, puisqu’ils sont chauffés. « Nous nous entraînons toujours sur de bons terrains mais lorsque la météo est pluvieuse, nous trouvons refuge dans le hall ». Ce serait plutôt un méga hall, avec un terrain de football complet et une pelouse synthétique sur laquelle les joueurs peuvent utiliser leurs chaussures habituelles.

Les couloirs sont agrémentés de superbes photos des vedettes d’aujourd’hui et des héros légendaires du passé. Van Nistelrooy nous guide par des issues théoriquement interdites aux journalistes. Nous découvrons la piscine, où les blessés effectuent de l’aquajogging. Le cabinet médical est tellement bien outillé qu’il susciterait l’envie de maints hôpitaux. Un médecin et cinq physiothérapeutes y sont employés à temps plein. Des entraîneurs surveillent la salle de musculation. Roy Keane, le capitaine, y effectue justement un circuit. « Nous appelons ça le reflextraining« .

La visite se poursuit: le studio de Manchester United Television, les saunas, les bureaux des attachés de presse, du staff technique, des scouts, du manager et le foyer des joueurs. On joue au tennis dans une salle. A côté, des joueurs légèrement blessés s’adonnent à un match de hockey en salle contre le staff médical. Au restaurant du personnel, le défenseur français Laurent Blanc prend un lunch diététique. Van Nistelrooy: « Le diététicien élabore des menus sains. Il est également salarié ».

Dans le vestiaire, Ryan Giggs et Paul Scholes enfilent des vêtements casual. Pas de costumes à la mode ni de marques onéreuses: la tenue de l’homme de la rue. Le nombre de Mercedes sur le parking démontre que nous avons affaire à des gens riches mais les joueurs de Manchester United demeurent extrêmement modestes. Giggs et Scholes sirotent une boisson sportive et piochent dans la corbeille de fruits tandis que Van Nistelrooy étudie le schéma du tableau noir. Sous les noms des hôpitaux locaux, le nom des joueurs qui doivent s’y rendre en visite.

« Nous le faisons toutes les semaines, c’est une tradition du club. D’autres le font également mais ils invitent la presse pour gagner les faveurs du grand public. Manchester United trouve ça injuste: nous y allons dans l’anonymat, sans la moindre caméra. Pourtant, on peut nous trouver chaque semaine dans les hôpitaux. Je remplis la voiture de cadeaux. Ces enfants malades vivent un jour fantastique ».

Les joueurs font régulièrement des donations. Le club les récompense de leur fidélité, au bout de dix ans, en leur offrant un match de gala, pour compenser les primes de transfert qu’ils ont ratées en ne changeant pas de club. Giggs a gagné deux millions d’euros nets grâce à son testimonial. Il a offert cet argent à une bonne oeuvre. Un geste noble, qui en dit évidemment long sur le compte en banque de ces joueurs.

Un cours de photo

Vous plaisez-vous en Angleterre?

Ruud Van Nistelrooy : Au début, Leontien et moi restions dans notre coin. C’était très différent des Pays-Bas. Nous avons préféré un appartement à une villa, contrairement aux autres joueurs. Nous n’avions pas envie d’un château entouré d’un grand jardin. Je suis souvent parti et on se sent plus en sécurité dans un appartement. Nous habitons juste en dehors de Manchester, au sud, un endroit très calme. De notre balcon, nous avons vue sur les collines. Nous avons des voisins charmants: dès notre arrivée, ils ont demandé s’ils pouvaient nous aider. C’était chouette car nous étions quand même à l’étranger. Tout s’est bien déroulé, d’emblée. Je suis un cours de photographie, ce qui me permet de connaître d’autres gens que ceux de United.

Une vedette de Manchester United a-t-elle encore une vie privée?

Les gens sont plus polis qu’aux Pays-Bas. Quand nous sortons dîner, on nous fiche la paix. Ils attendent la fin du repas pour demander un autographe. Je peux aller au restaurant ou au cinéma sans problème. Ce n’est pas le cas en ville. Là, je n’ai pas la paix. J’évite d’y aller.

Les infrastructures sont-elles si bonnes?

Carrington est un endroit de rêve. Notre manager affirme que c’est le plus beau centre du monde. Je n’en sais rien mais il est difficile de faire mieux. Je me sens bien car je vis en professionnel. Je peux travailler mon corps tous les jours: musculation, vitesse, technique. Le club a des entraîneurs pour tous ces aspects. Je suis sérieux. Je fais attention à ce que je mange, je ne bois pas. Cette discipline est indispensable pour pouvoir prester chaque semaine. Le repos est également très important. Nous jouons généralement trois matches par semaine. Le repos est donc presque aussi important que l’entraînement. Nous sommes sous pression car Manchester United est suivi de près par les journalistes. éa aussi, il faut le digérer. Quand on est blessé, un staff médical complet est là.

S’entraîne-t-on différemment en Angleterre?

Oui mais c’est dû au grand nombre de matches. On considère qu’un joueur de Manchester United doit maîtriser certains aspects. Nous ne travaillons pas les passes et les tirs. Nous nous entraînons de manière très réaliste, techniquement et tactiquement, sans s’attarder sur des aspects que le club estime trop simples. On s’entraîne plus dur aux Pays-Bas. Ici, de tout un entraînement, 20 minutes sont dures. Mais nous avons toujours un match dans les jambes et un à venir.

En Angleterre, le manager dirige rarement l’entraînement.

Alex Ferguson ne le fait jamais, puisqu’il a des entraîneurs payés pour ça. Il observe, écoute, donne son avis, discute avec les joueurs, les rappelle à l’ordre ou leur donne une tape sur l’épaule. Il a une bonne vista. C’est le manager qui établit la composition de l’équipe, détermine la tactique et dispense la théorie.Des masses de supporters

Qu’est-ce qui vous a frappé ici?

Depuis un an et demi, je fais de grands yeux. Où que nous allions, nous retrouvons des masses rouges de supporters. Le club a des associations de supporters partout. Nous avons effectué un voyage en Asie. A notre arrivée à Bangkok, l’aéroport était paralysé car des dizaines de milliers de supporters avaient envahi les pistes. J’ai dû me pincer! Old Trafford m’impressionne chaque fois que j’y mets les pieds. La tradition, les supporters… Ils réagissent très bien aux actions. Les gens connaissent le football, ici, ce qui est formidable pour un joueur. En déplacement, tout le monde est contre nous car les autres rêvent de battre Manchester United mais le public ne se comporte jamais mal. Je n’en crois pas mes oreilles quand j’entends toutes les insultes, parfois racistes, aux Pays-Bas. éa n’arrive pas en Angleterre.

Manchester United a-t-il un foyer des joueurs?

Oui, la famille nous attend dans cette salle, où on passe la prendre avant de partir. Les joueurs ne s’attardent pas pour boire un verre. Les dirigeants, le président en tête, passent dans le vestiaire après le match. Sir Bobby Charlton est toujours là. Il conserve un rayonnement incroyable. Il reste une vedette qui doit distribuer des autographes partout. George Best reste aussi très populaire mais Eric Cantona est la légende par excellence. A chaque match à domicile, on chante encore des airs sur lui. J’ai joué avec lui lors du match de gala de Ryan Giggs. Je n’en croyais pas mes yeux ni mes oreilles. Il est terriblement populaire.

Aucun club ne paie aussi bien ses joueurs.

Je ne veux pas être hypocrite: un footballeur gagne beaucoup, ici. On choisit un club parce qu’il vous plaît, comme le pays dans lequel il se trouve. Le salaire joue un rôle important. Je suis professionnel. C’est pour ça que je suis ici. Sinon, je serais resté aux Pays-Bas. Ici, on est très pragmatique, de ce point de vue. Ce sont les joueurs qui font la grandeur du club. Les dirigeants ne s’estiment pas plus importants. Le public vient pour les joueurs, qui font gagner beaucoup d’argent au club. L’année dernière, rien qu’en Asie, on a vendu 20 millions de maillots de Manchester United.

Est-il difficile de gagner quand on aligne 11 millionnaires?

Non, car ça ne joue aucun rôle. La motivation d’un footballeur vient du coeur, pas du portefeuille. Je gagnais 75 euros le point au FC Den Bosch. Maintenant, je touche une fortune mais j’entame chaque match avec le même état d’esprit. En Angleterre, les footballeurs ont un statut et jouissent d’un énorme respect. C’est pour ça qu’ils sont si proches des supporters. Il n’y a pas de joueurs arrogants qui méprisent le public. Celui-ci ne mérite d’ailleurs pas pareille attitude et le club ne l’accepterait pas.

Les joueurs sont-ils amis ou collègues?

La plupart viennent des équipes d’âge et jouent ensemble depuis dix ans. Ils sont amis. Ils m’ont intégré d’emblée au groupe. Ils ont remarqué que je voulais m’adapter à leur culture. Il faut s’intégrer à l’étranger. Au début, j’ai dû me faire à leur humour et aux jeux de mots. Je ne comprends pas encore tout mais peu de choses m’échappent encore.Gare aux escrocs

Les joueurs de Manchester United pilotent leurs bolides. Ils ont rendez-vous à Old Trafford, où le club des supporters invalides organise sa réception de Nouvel An. Un groupe de supporters attend à la barrière. Jeunes et vieux se mêlent. Van Nistelrooy craque devant les regards implorants des enfants. Il s’arrête et signe des autographes. Chaque fois, il demande à qui il doit adresser la dédicace. Un adulte tend un maillot du club. Il ne demande qu’une signature, pas de nom. D’un coup, Van Nistelrooy est déterminé: « Sorry, je ne signe pas, dans ces conditions ». Il accélère et laisse sur place l’homme, pantois.

« C’était un escroc », explique-t-il: « Ceux qui demandent une signature aiment qu’on écrive leur nom mais il y a des gens véreux qui demandent des signatures sur les maillots et les photos pour les revendre avec bénéfice via Internet. Récemment, on a proposé un maillot avec ma signature pour 1.000 euros. Ces gens vivent de ça mais je ne marche pas. Le problème, c’est qu’ils se glissent au milieu des vrais supporters ».

Van Nistelrooy slalome habilement dans la circulation anglaise. Quand nous nous arrêtons devant un bus communal, il éclate de rire.

Du bus, Roy Keane nous regarde, avec le texte Keane the autobiography. « Ce livre a fait du foin. Il a obtenu beaucoup plus de publicité que le livre de Jaap Stam. Keane en est enchanté. Ce matin, il nous a fièrement raconté que son livre était numéro un en Angleterre. C’est le livre le plus vendu. Il a lancé un DVD sur le marché. Le manager a provisoirement interdit de publier des livres, suite aux affaires qui sont survenues alors. éa ne me fait rien car je n’en suis pas encore là. Peut-être quand j’arrêterai mais pas maintenant ».

Les Mercedes empruntent des quartiers populaires. La plupart des stades anglais sont entourés de ce genre de rues. La grande boutique située devant le stade fait des affaires en or. Les supporters du monde entier achètent les articles officiels de Manchester United. Livres, vidéos, maillots, vestes, peintures, empreintes de pieds,écharpes, sous-vêtements, montres, on peut pratiquement tout acheter. C’est une fameuse source de revenus pour le club.

« Tout lui revient, comme nos contrats le stipulent », explique Van Nistelrooy. Dès que nous apparaissons dans le maillot de United, le bénéfice revient au club. Par contre, nous avons le droit de réaliser des affaires commerciales en privé, mais jamais dans la tenue du club ».

A l’intérieur, la fête bat son plein. Des tables proposent des buffets chauds et froids et à table, des gens en chaise roulante s’amusent. On annonce tous les joueurs. David Beckham est le plus original. Sa femme, la Spice Girl Victoria, très mode, l’a envoyé au travail avec une parka et même à l’intérieur, il conserve son passe-montagne. On a parfois une opinion erronée des joueurs. Juan Veron s’avère très charismatique. Nicky Butt, Rio Ferdinand et John O’Shea s’entendent à merveille avec les gosses. Les joueurs passent de table en table, posent patiemment pour les photos et offrent ainsi une journée inoubliable à ces supporters,qui élisent leur Joueur de l’Année. A nd the winner is… Ruud van Nistelrooy qui s’empare joyeusement d’un bocal kitsch et remercie d’assistance.

Les arrières jouent le ballon

Les joueurs anglais boivent-ils autant qu’on le dit?

C’est un préjugé. Je n’ai rien remarqué de tel à United. J’avais entendu que les Anglais buvaient un coup avant un match pour se mettre en train, qu’ils ne s’échauffaient pas mais qu’ils prenaient un bain chaud et qu’après le match, ils sifflaient des bières. Rien de tout cela n’est vrai. Tout est professionnel.

En stage, les joueurs disposent d’une grande liberté.

Ce que je trouve formidable. Nous pouvons porter nos vêtements personnels à l’hôtel. Le petit-déjeuner n’est pas commun. On peut faire la grasse matinée et manger dans sa chambre ou descendre. Le manager s’en fiche, pour autant qu’on gagne. Sur le continent, le déplacement au match est sacro-saint. Pas ici. Les joueurs qui habitent loin du club sont pris au passage. On n’est pas obligé de rentrer avec le car du club si on va ailleurs. Les amis et la famille peuvent revenir avec le car, après le match. On traite les joueurs en adultes.

Comment voyagez-vous?

Nous allons en train à Londres en trois heures. Nous allons toujours au même hôtel, près de la gare. Pour les longs déplacements, nous utilisons l’avion. Par contre, le car fait l’affaire pour Liverpool, Leeds et Newcastle. La plupart des footballeurs jouent aux cartes. Pas moi, je n’ai jamais aimé ça. Ils jouent pour de l’argent. Ils notent tout scrupuleusement.

Et les stades?

Anfield n’est pas beau mais vous jouez à Anfield. A Arsenal, tout est vieux, mais il s’agit de Highbury. Le Goodison Park d’Everton est bourré d’ambiance. Il y a des nouveaux stades, à Sunderland, Middlesbrough et Newcastle United mais je préfère les stades empreints de tradition.

Les stoppeurs sont-ils plus durs?

En fait, il n’y en a pas. Dans l’axe, je me retrouve face à deux solides défenseurs centraux mais ils ne me suivent pas. Ils restent dans leur secteur et s’occupent de l’attaquant qui s’y présente. Ils sont dépourvus de pitié mais aux Pays-Bas, par exemple, les défenseurs sont plus vicieux. En Angleterre, on n’est pas méchant. On joue toujours le ballon. En Ligue des Champions, oui, je suis à nouveau confronté à des stoppeurs.Géniaux arbitres anglais

Comment sont les arbitres?

Un soulagement! Quelle différence avec les Pays-Bas… Ils calment le jeu dès qu’ils sentent que la situation risque de s’envenimer. Ils dialoguent avec un joueur et ramènent chacun à la raison. Ils expliquent aussi pourquoi ils vous donnent une carte. Aux Pays-Bas, les arbitres agitent leurs cartes d’un air arrogant et vous êtes encore plus énervé. Les arbitres anglais ne sont pas enfantins. Nous avons des problèmes avec les arbitres étrangers, qui sifflent un peu n’importe quoi. La transition est énorme.

Et la presse?

Les tabloïdes publient tout. Il y a des scandales tous les jours. Ils peuvent considérablement nuire à votre vie privée. Les joueurs les prennent quand même au sérieux car ils ont un gros tirage. Un footballeur doit être un modèle, en Angleterre. Il faut donc être prudent. Certains joueurs ont été démolis. Nous lisons ces journaux. Nous les trouvons au club tous les jours. A la maison, je n’ai pas de quotidien anglais. Je consulte les néerlandais sur Internet. Les tabloïdes peuvent placer un dirigeant, un manager ou un joueur sous une pression intenable. On est souvent victime de leur concurrence. Ils doivent marquer des points à tout prix.

Qui met de l’ambiance, dans le groupe?

Gary Neville joue un rôle important. Il n’a pas d’humour mais il organise des événements et est un rassembleur. Il est très social. Il s’occupe de tas de choses pour les joueurs et les femmes. Gary veille à ce que le groupe reste soudé. C’est un adepte du teambuilding.

Avez-vous le mal du pays?

Les Pays-Bas me manquent beaucoup. Quand je me retrouve à Schiphol, c’est comme si j’étais dans un autre monde. Je m’y sens bien. Je suis un vrai Néerlandais et je reviendrai.

Etes-vous impatient de voir votre contrat expirer?

Non. Il court jusqu’à mon 30e anniversaire, le 1e juillet 2006. Si je reste en forme et que le club souhaite prolonger notre collaboration, je le ferai. Jamais je ne jouerai pour un autre club anglais. Je me sens chez moi à United et je veux y jouer le plus longtemps possible. Sinon, plus tard, j’aurai des regrets.

Puis vous retournerez au PSV?

Je n’ai pas d’alternative. Je suis un vrai supporter du PSV. Je déprime quand il perd.

Johan Derksen, ESM

« Pour Ferguson, il n’y a qu’une chose qui compte: gagner »

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