RUN FRANK RUN

A son arrivée en Belgique, Frank Acheampong était un dieu au Ghana et dans son pays d’adoption, la Thaïlande. Après trois ans dans l’anonymat à Anderlecht, il est prêt à conquérir notre championnat. Un portrait.

Asawasi, le quartier de Kumasi où a grandi Frank Acheampong, est comme un mouchoir de poche mais regorge de lieux de prière. Toutes les religions ont leur site. La Methodist Church, la Presbyterian Church of Ghana, St Theresa’s Parish, Christ Apostolic Church Dichemso se disputent les faveurs des chrétiens. La Central Mosque et l’Alhay Naira Mosque servent les 18 % de musulmans. Les locaux peuvent vous indiquer tous les chemins y menant mais Frank Acheampong ? Non.

Ses amis et sa famille le connaissent sous le nom de Yaw. Normalement, il aurait dû s’appeler Kwame, qui signifie samedi. Il faut savoir que chez les Ashanti, le principal groupe ethnique du Ghana, tous les garçons portent le prénom du jour où ils sont nés. Frank a échappé à cette tradition séculaire grâce à son grand-père, qui s’appelait Yaw. Le football, chez les Acheampong, est une tradition familiale. Son père, par exemple, était un gardien talentueux. Une fois, Acheampong s’est glissé dans le but, dans un match de quartier. Score : 10-1. Le seul but contre est venu d’un dribble d’Acheampong près de sa propre ligne.

Comme tous les jeunes Ghanéens, il fréquente le Colts Football, un championnat scolaire semi-structuré, puis il tente sa chance dans des académies réputées. Le Dream FC, l’école où Baba Rahman, la star de Chelsea, a fait ses débuts, et l’Ajax Ghana le remballent. Une académie lui dit même qu’il est trop lent pour réussir. Il n’en est que plus déterminé : tous les matins, il pique un sprint sur une colline.

DES MOLLETS DE SPRINTER

Sa vie change quand il rencontre Oliver König, un Allemand. Nous sommes en novembre 2008, Acheampong vient d’avoir quinze ans. Le décor : un petit terrain qui tient plus du champ de patates que d’autre chose, dans les minables installations du Rainbow FC, un club de D3 de Kumasi.

König et Prince Opoku, un ex-joueur du Beerschot et du Germinal Ekeren, écument depuis des mois l’ouest de l’Afrique pour nouer un partenariat avec une académie.  » Quand nous avons aperçu Acheampong, nous n’en avons pas cru nos yeux « , raconte König.  » Il était très rapide, malgré ses petites jambes. Il avait les mollets d’un sprinter. Il aurait réussi en athlétisme mais il préférait courir derrière un ballon. Ses mouvements étaient un peu malhabiles car il n’avait pas reçu de formation digne de ce nom mais son talent éclipsait ses lacunes.  »

Le Rainbow FC ne dispense pas de formation tactique ni technique mais les scouts lui prennent ses diamants bruts. König propose son savoir-faire et commence à travailler avec Acheampong en 2009. Première étape, trouver un club de D1 où son poulain peut s’épanouir. Ce sera King Faisal Babes, un petit club de Kumasi. Distributeur, il marque neuf buts en un an et demi alors qu’il n’a que seize ans. Il est aussi payé pour jouer. Des broutilles selon nos normes – vingt euros par mois – mais il devient the boss dans son quartier.

On le surnomme même le Messi ghanéen. Yaw Preko, le coach des U20 nationaux, adjoint du grand club des Hearts of Oak, sourit de la comparaison.  » A en croire les journalistes, le Ghana recèle au moins dix Messi. Frank a un point commun avec l’Argentin : il est gaucher et aime dribbler. J’ai dû le modérer lors de sa première séance en U20. Dès qu’il avait le ballon, il voulait dribbler.

Nous avons progressivement corrigé son style de jeu. Sa position a évolué. On me l’a renseigné comme avant mais je l’ai placé à droite pour qu’il converge vers l’axe et finalement, il est devenu ailier gauche. Au Mondial 2013 de Turquie, il a formé un duo explosif avec Baba Rahman. Sa vitesse nous a inspiré un surnom : race car. Il avait le feu au cul, comme un bolide de Formule 1. Il suffisait de l’allumer pour voir une étincelle.  »

UNE SUPER STAR EN THAÏLANDE

En 2010, Acheampong rejoint Berekum Chelsea. Il n’y joue qu’une poignée de matches. Champion, le club gagne le jackpot : le président du Rainbow FC, qui a des difficultés financières, vend Acheampong à Berekum, à l’insu de König.  » Frank avait la possibilité d’aller en Europe mais le club réclamait 360.000 euros. Aucun club européen n’était prêt à payer ça pour un Ghanéen de 18 ans qui n’avait encore rien prouvé.  »

Un test à l’Al-Jazira de Sheikh Mansour, également propriétaire de Manchester City, ne donne rien. Buriram United, de Thaïlande, lui offre une issue. König n’a pas le choix.  » A première vue, c’était un choix étrange mais Newin Chidchob, le propriétaire, était assez fou pour payer la somme demandée. Tout en insérant une clause de départ d’un million mais ce n’était pas grave : sans Buriram United, Frank serait toujours au Ghana.  »

Acheampong se retrouve dans un pays dont il ignorait jusqu’à l’existence. Il ne comprend pas un mot de thaïlandais mais dès la première séance, il en fait voir de toutes les couleurs à ses coéquipiers. Chidchob est tellement paranoïaque qu’il s’empresse d’aligner officiellement sa perle noire, pour éviter qu’un autre club ne la lui prenne. Le pressentiment de Chidchob, un personnage contesté en Thaïlande, est justifié. Acheampong devient un instant hit en Toyota Thai League.

Il couronne sa première saison d’un titre et de la coupe. Il est élu meilleur étranger de la compétition.  » A 18 ans, Frank était sur le point de devenir une star en Thaïlande « , affirme König.  » Le stade de Buriram accueillait 30.000 personnes à chaque match. 25.000 scandaient son nom pendant 90 minutes. Deux mois après ses débuts, on pouvait acheter des jouets en plastique à l’effigie de Frank tout autour du stade.  »

La Ligue des Champions asiatique réussit également au petit Ghanéen. Devant 60.000 Chinois enthousiastes, il trompe l’équipe locale, Guangzhou Evergrande, en marquant un but et en provoquant un penalty. Le lendemain, le président du club chinois met tout en oeuvre pour empêcher Acheampong de reprendre l’avion pour la Thaïlande : il veut le transférer en Chine sur-le-champ.

König mijote toutefois un plan pour faire venir Acheampong en Europe. Il fait souvent venir des scouts européens en Thaïlande, pour leur montrer le talent d’Acheampong. Fin 2012, les propositions affluent. Celle du Borussia Mönchengladbach est insuffisante. Le joueur passe un test au Celtic mais les Ecossais ne sont pas assez prompts.

À VÉLO À L’ENTRAÎNEMENT

Anderlecht, lui, n’hésite pas : fin janvier 2013, il fait venir le rapide Ghanéen en Belgique. Les Bruxellois proposent une location de six mois, au terme de laquelle ils peuvent le transférer pour un million d’euros. Robert Steeman, membre du service social d’Anderlecht, s’occupe du joueur.

 » Il faisait un froid glacial quand Frank a débarqué à Zaventem. En janvier, il fait 35 degrés en Thaïlande et ici, il faisait -5. Mais il avait manifestement été bien renseigné car il avait enfilé un épais anorak d’hiver. Pendant le trajet en voiture nous menant de l’aéroport à son hôtel, il s’est ouvert quand je lui ai parlé de ma passion pour la Thaïlande.  »

En avril, le Sporting lève son option sur Acheampong mais celui-ci devra patienter jusqu’en juillet pour que John van den Brom lui accorde une chance en championnat.  » Il a été au fond du trou un moment car il ne parvenait pas à émerger des espoirs « , se souvient Steeman.

 » Pour le motiver, j’ai fait un pari avec lui : s’il marquait, nous irions manger thaï. Après son premier but, nous nous sommes donc rendus dans un restaurant thaï de Bruxelles. La dame venue prendre notre commande nous a adressé la parole en français. La scène qui a suivi était hilarante : Frank a rassemblé tout son vocabulaire thaï. Vous auriez dû voir la tête de la femme ! Elle était d’une pâleur cadavérique. Elle n’aurait jamais imaginé qu’un Noir parle sa langue.

Frank a une autre adresse de prédilection : IndePatattezak, à Strombeek. Il y commande toujours des spaghettis. Mais Frank est un homme d’intérieur, en fait. Quand il a vidé son assiette, il demande généralement à rentrer à la maison. Il ne touche pas à l’alcool, surveille son alimentation et porte une attention fanatique à son corps. C’est peut-être lié à sa foi car il est très croyant. Il ponctue toujours ses sms d’un God bless you ou d’un If God permits.  »

Acheampong s’épanouit vraiment quand il déménage dans un appartement en face du Westland Shopping Center d’Anderlecht. Il vit dans le même bâtiment que ChancelMbemba, AndyNajar et FabriceN’Sakala. Celui-ci frappe souvent à sa porte, quand il a épuisé ses réserves de mayonnaise. En contrepartie, il conduit Acheampong à l’entraînement. Avant, l’ailier effectuait le court trajet entre son appartement et Neerpede à vélo. Un jour, par mégarde, il s’est emparé du coûteux deux-roues du T2, GeertEmmerechts.

Après des débuts difficiles, le timide Ghanéen sort progressivement de sa coquille. Depuis cette saison, il a trouvé en Imoh Ezekiel un compagnon avec lequel il peut être vraiment lui-même.  » Dans le vestiaire, on les appelle Twix « , confie un coéquipier.  » C’est simple : ils sont inséparables et ont tous les deux la peau foncée. Parfois, il est difficile de suivre leurs conversations. Nous nous demandons même quelle langue ils parlent. Apparemment, c’est de l’anglais teinté d’un fort accent d’Afrique occidentale.  »

MOST VALUABLE PLAYER

Acheampong semble avoir éclos, depuis trois mois. Il est le MVP contre Tottenham, Monaco et l’Olympiacos. Sa percée survient alors qu’Anderlecht évolue dans un système qui lui convient à merveille. Sous la direction de John Van den Brom, il restait collé à la ligne, à délivrer des centres.

 » Il jouait alors à 50 % de ses possibilités « , précise König.  » Son principal atout, c’est sa vitesse. 95 % des footballeurs d’Europe sont plus lents que lui. En revanche, il est moins doué dans le passing. Dans vingt ans, il ne parviendra toujours pas à délivrer un centre parfait.  »

On conserve la même image d’Acheampong depuis des années : celle d’un footballeur juste bon à courir. Même après son but spectaculaire contre l’Olympiacos, on a continué à douter de ses qualités intrinsèques.  » Nous nous moquons souvent de lui quand il a réussi une action brillante « , trahit le même coéquipier.

 » Nous lui disons : – C’était beau mais tu ne l’as sûrement pas fait exprès. Frank a en effet un profil atypique, difficile à cerner. Pour le fun, nous avons réparti tous les joueurs dans deux catégories : les bâtisseurs et les démolisseurs. Un groupe qui construit et l’autre qui casse. Malgré de longues recherches, nous ne savons toujours pas de quel groupe il fait partie. Chancel nous a appris qu’il conviendrait très bien à la Premier League. La plupart des défenseurs y sont très lents. Le temps qu’ils se retournent, Frank aurait marqué ou délivré un assist.  »

L’équipe nationale constitue le dernier obstacle que doit franchir le Ghanéen. Après sa première cap en août 2012, il n’a été convoqué que sept fois. On attend avec impatience la sélection que divulguera Avram Grant pour le double match contre le Mozambique, en qualifications pour la Coupe d’Afrique des Nations.

Preko ne pense pas qu’Acheampong puisse jouer un rôle significatif pour les Black Stars dans les mois à venir.  » Le premier pas consistait à le retirer de l’arrière gauche. Mais est-il prêt à devenir un titulaire incontesté en équipe nationale ? Pas encore. Il accuse encore un léger retard sur ses rivaux, André Ayew, Jef Schlupp et Solomon Asante. Mais s’il conserve son niveau actuel, à terme, il réussira en équipe nationale aussi.  »

PAR ALAIN ELIASY – PHOTOS BELGAIMAGE

 » A Anderlecht, les joueurs sont divisés en deux groupes : les bâtisseurs et les démolisseurs. Mais on ne sait toujours pas dans lequel incorporer Frank.  » – UN COÉQUIPIER

 » Deux mois après ses débuts en Thaïlande, on pouvait déjà acheter des jouets en plastique à l’effigie de Frank autour du stade de Burinam United.  » – OLIVER KÖNIG, SON DÉCOUVREUR

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