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Run and smile

Mehdi Bayat est plutôt du genre regardant sur les dépenses. Alors, quand il claque 500.000 euros sur un arrière gauche, on peut s’attendre à du lourd. Et avec Nurio Fortuna, on n’est pas déçu.

De sa première conférence de presse, on retient plutôt une attitude que des mots. Tout le long d’un discours déroulé dans un français hésitant, avec lequel il s’était familiarisé à l’école, Nurio Fortuna arbore un large sourire. La joie de vivre est contagieuse et le Portugais semble avoir rayé les mots  » pression  » et  » stress  » de son dictionnaire. Il parle ouvertement de top 3 et fait sourire la concurrence. Mais deux mois après son arrivée dans le Pays Noir, il ne reste que très peu d’adversaires qui gardent le visage radieux quand résonne le nom du nouveau latéral gauche des Zèbres.

Nurio est la première annonce officielle de la saison carolo. Avant même les premiers mots de Felice Mazzù, devant les journalistes réunis à l’occasion de la première conférence de presse de la saison, Pierre-Yves Hendrickx épelle un nom aux sonorités inconnues. Un coup d’oeil automatique sur transfermarkt révèle un statut  » international portugais chez les espoirs  » un rien usurpé. Car le gaucher a été repris par son sélectionneur, mais n’a jamais foulé la pelouse en match officiel. Il déroule surtout le CV d’un gamin d’origine angolaise, formé dans la prestigieuse école de jeunes du Sporting avant de taper dans l’oeil de Jorge Mendes. Le super-agent, maître des intérêts de Cristiano Ronaldo, confie alors son nouveau poulain à Braga, où les portes lui sont toujours grandes ouvertes.

Chez les Arsenalistas, Nurio ne tarde pas à recevoir sa chance. Le départ d’Elderson pour Monaco, autre club de la galaxie Mendes, lui permet d’accéder au noyau A, et de gratter un peu de temps de jeu dans le club qui monte au Portugal. Les Monégasques sont d’ailleurs convaincus du potentiel du jeune latéral gauche, puisqu’il fait partie d’un groupe de six joueurs pour lesquels le club du Rocher verse 1,1 million d’euros à l’été 2014, afin d’obtenir des droits préférentiels en cas de transfert futur.

Mais l’éclosion est éphémère, car la promesse est rapidement renvoyée à l’expéditeur, et lâchée par un Mendes qui ne croit plus en lui quand son joyau doit se contenter de matches anonymes avec Braga B. Le parcours ressemble alors à celui des nombreux clients momentanés de l’industrie Gestifute, finalement abandonnés à leur propre sort au milieu de nulle part.

Nurio rebondit. Son trampoline est chypriote. L’AEL Limassol l’accueille en prêt, et le Portugais y découvre le statut de titulaire et le système de play-offs, également en vigueur sur l’île méditerranéenne. Dans le vestiaire, il côtoie Kevin Lafrance, international haïtien qui confirme que la première impression laissée par Nurio est toujours la même :  » Il a toujours le sourire, toujours la banane ! « , explique le défenseur, qui esquisse le portrait d’un  » bon vivant, qui dégage une grande joie de vivre. Débarquer le matin avec un grand sourire à chaque fois, je vous assure que ce n’est pas le cas de tout le monde dans le vestiaire, ça donne la pêche.  »

 » En fait, il rigole tout le temps « , confirme Javier Martos, témoin privilégié de l’intégration express du Portugais au vestiaire carolo.  » Il a un caractère très extraverti, et ça l’a aidé à se faire une place très vite dans le vestiaire. En plus, il parle toutes les langues : un peu de français, un peu d’anglais, un peu d’espagnol… C’est impressionnant.  »

Dans les travées du Mambour, Nurio fait le show. Casque sur les oreilles avant que la concentration n’envahisse le vestiaire, il se déhanche sous les rires de ses coéquipiers.  » C’est un joueur qui a déjà connu une expérience à l’étranger, et son caractère explique qu’il s’adapte facilement « , explique l’agent David Lasaracina, qui a joué un rôle-clé dans l’arrivée du Lusitanien chez les Zèbres.

De Limassol à Charleroi

L’oeil de Lasaracina était attentivement penché sur les matches de Limassol, puisqu’il est l’agent de Kevin Lafrance. Et comme l’agent entretient de bons rapports avec le Sporting carolo, où il a notamment amené Dieumerci Ndongala et Stergos Marinos, il souffle le nom de Nurio à l’oreille de Mehdi Bayat quand il apprend que Charleroi est en quête d’un nouvel arrière gauche, face aux envies de départ récurrentes d’un Francis N’Ganga vieillissant.

Bayat y prête une oreille attentive, sachant que Lasaracina est un agent de confiance, au milieu des dizaines de mails reçus chaque jour. Les joueurs portugais présentés au Sporting affluent d’ailleurs sans cesse depuis la signature de Nurio, et le phénomène est identique pour les Iraniens suite à la venue de Kaveh Rezaei en Belgique. Lasaracina se charge de la ligne du temps :  » Je l’ai présenté au club au mois de mai, et tout est allé relativement vite. Mehdi a lancé sa cellule de scouting sur lui, et ils ont rapidement réalisé qu’il s’agissait d’un joueur avec un énorme potentiel.  »

 » Il a été élu meilleur arrière gauche du championnat chypriote, et c’était loin d’être un hasard « , confirme Lafrance.  » Je ne suis pas étonné qu’il ait décroché un bon transfert, même si c’est parfois difficile de prédire l’avenir d’un joueur prêté.  »

 » Ce qui nous a surtout étonnés, c’est que personne ne l’avait repéré avant nous « , explique Mehdi Bayat, tout heureux d’avoir fait débarquer un phénomène en puissance dans son Mambour. L’administrateur délégué du Sporting est tellement convaincu qu’il explose les cordons de la bourse, claquant 500.000 euros inhabituels pour lui, qui était devenu le roi du transfert gratuit.

 » Avant de le faire signer, on me demandait dans mon entourage si je ne prenais pas un trop gros risque financier « , rappelle aujourd’hui Bayat, qui a égalé le transfert le plus cher de l’histoire de son club, puisque les Zèbres avaient déboursé la même somme pour attirer le buteur israélien Dudu Biton dans le Pays Noir.

Mais la croissance de Charleroi, les rapports élogieux du scouting, l’ouverture laissée par Braga et le désir de Nurio de rejoindre un championnat qui compte sur l’échiquier européen ont rendu l’investissement possible.  » Comme je connais bien l’agent de Nurio, je l’ai mis en relation avec Mehdi « , explique Lasaracina, qui a convaincu le patron des Zèbres d’ouvrir le portefeuille :  » J’ai dit à Mehdi qu’il pouvait mettre de l’argent sur ce joueur sans hésiter. Je me souviens de mes mots, par message : dans l’année, ce sera le meilleur arrière gauche de Belgique. Et aujourd’hui, c’est probablement déjà le cas. J’étais dans les tribunes du Mambour contre Bruges, entouré de scouts étrangers, et il n’y en avait que pour lui.  »

Le poumon du Mambour

Nurio séduit au premier regard. Même Philippe Simonin, le préparateur physique, a dû le constater. Lors des tests VMA de début de saison, derrière l’intouchable marathonien Gaetan Hendrickx, il coiffe au poteau l’énorme volume d’Amara Baby pour s’installer parmi les meilleurs poumons du noyau.  » Moi, mon truc, c’est d’arpenter tout le flanc « , avait-il prévenu lors de sa présentation à la presse.

 » J’ai directement eu cette impression, quand je l’ai vu sur le terrain « , se rappelle Kevin Lafrance.  » J’ai compris qu’il pouvait courir nonante minutes, voire plus, comme si de rien n’était. Ses sprints de 80 mètres dans le temps additionnel, à la fin, ils ne me surprenaient même plus.  »

 » Physiquement, c’est un animal « , confirme Javier Martos, tout heureux de voir son Sporting compter une nouvelle arme offensive redoutable. Car Nurio est rapidement devenu un joueur-clé du paysage offensif carolo. Devant lui, Amara Baby rentre dans le jeu pour déménager entre les lignes, et libère le couloir pour laisser Nurio le dévorer.

Parti de loin, le Portugais semble inarrêtable. Sa technique est parfois approximative, comme s’il avait trop d’adrénaline dans les pieds pour toujours les contrôler, mais l’efficacité est au rendez-vous. Avec un peu plus de réussite, il aurait pu débloquer son compteur but face à Bruges, d’une frappe hallucinante qui s’est écrasée sur la barre d’Ethan Horvath, ainsi qu’y ajouter une passe décisive si le bras du gardien américain ne s’était pas placé entre les filets et le pied de Cristian Benavente, servi sur un plateau par Nurio.

 » Je le suis un peu là, il fait un bon début de saison « , avoue Kevin Lafrance. L’Haïtien a le sens de l’euphémisme. En deux petits mois à peine, le Portugais s’est déjà classé, aux côtés des Ryota Morioka et OmarGovea, parmi les révélations du début de saison. Mieux, il est déjà installé dans la course au titre officieux de meilleur latéral gauche du championnat. Pas de quoi lui mettre la pression, puisqu’il répondra aux éloges qu’il espère encore être plus décisif, pour afficher son jeu spectaculaire sur le tableau d’affichage. Tout ça avec le sourire, évidemment.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Le voir débarquer le matin, toujours avec un grand sourire, ça donne la pêche.  » Kevin Lafrance, son équipier à Limassol

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