RSCA-Benfica 1-0 et 1-1

Il marqua le but de l’égalisation, synonyme de victoire en Coupe de l’UEFA et de transfert au Real Madrid !  » Il n’y a rien de plus beau qu’un but en finale européenne… « 

J uan Lozano, qui partage sa vie entre l’Andalousie et Anvers, opte pour une terrasse ensoleillée, près de son deuxième foyer, le Kiel. Son frère Francisco l’accompagne. Il profite de l’occasion pour saluer de vieux amis. Francisco Curro Lozano vit en Espagne mais revient de temps en temps en Belgique, Juan effectue le trajet en sens inverse, en fonction de ses loisirs. Il place tous ses espoirs footballistiques en son fils Gianni (17 ans), bien que celui-ci soit poursuivi par des problèmes de croissance, essentiellement. Gianni joue au Beerschot, là où la carrière de son père a pris son envol.

Juan s’est fait un nom au Beerschot, a fait fortune à Washington mais c’est à Anderlecht qu’il a connu ses plus beaux succès sportifs : trois titres et une Coupe UEFA, l’objet de notre entretien.

Tout commence par le match aller car, à cette époque, la finale de la Coupe UEFA se jouait en aller-retour. La première manche se disputait au Heysel, non qu’il puisse accueillir plus de monde que le Parc Astrid mais parce que le stade d’Anderlecht n’était pas disponible à ce moment. Lozano :  » Il était en rénovation. Nous avons certainement joué une demi-saison au Heysel parce que la tribune principale avait été démolie et remplacée par un ouvrage comportant 31 loges. Je n’aimais pas jouer au Heysel. Je préférais que les spectateurs soient proches du terrain mais nous n’avions pas d’autre choix « .

Le match suscita un autre genre d’émoi. Cela peut paraître incroyable de nos jours mais Anderlecht-Benfica ne fut pas retransmis en direct à la télévision, malgré de longues négociations. Lozano :  » Maintenant que vous le dites ! Je l’avais oublié. Michel Verschueren demandait-il tellement d’argent ? »

Pas énormément mais trop quand même. Anderlecht exigeait 111.000 euros pour un direct et 37.000 euros pour un résumé plus tard dans la soirée. La RTBF, qui négociait au nom des deux chaînes publiques – il n’était pas encore question de chaînes privées – tint bon, n’acceptant de verser que 75.000 euros.  » Dans ces conditions, Michel avait amplement raison « . Et donc, les chaînes n’ont montré qu’un résumé de trois minutes du match dans l’édition nocturne de leur JT.

La tête de Brylle

Kenneth Brylle décida le match aller. Lozano :  » Je me souviens très bien de son but car je viens de le revoir dans un reportage. FrankieVercauteren s’est enfoncé sur le flanc droit. C’est étrange, ce n’est pas vraiment le poste où on attendait un médian gauche. Il a effectué un joli dribble puis a délivré un superbe assist de l’extérieur du pied. Posté dans l’axe, Brylle a repris le ballon de la tête. Je n’ai pas été bon dans ce match. Je n’ai réalisé aucune action déterminante. Un mauvais jour…  »

Du beau monde avait pris place sur les bancs de touche. Sur celui du Sporting, Paul Van Himst, qui avait entamé la saison comme entraîneur des jeunes mais avait très vite, avant même le début de la campagne européenne, pris la succession de Tomislav Ivic, dont le groupe s’était lassé, après deux saisons très intenses. De l’autre côté, Sven-Göran Eriksson, le Suédois qui allait ensuite réussir en Italie et en Angleterre.

Où résidait la force d’Anderlecht, qui émargeait alors à l’élite européenne ?  » Nous alignions des vedettes car Anderlecht n’avait aucun mal à conserver ses meilleurs éléments. Ils restaient, à moins qu’un ténor absolu ne vienne frapper à leur porte. Même quand nous étions en fin de contrat, nous n’avions rien à dire, en ce temps-là. Nous étions placés sur une liste de transfert, avec en face de notre nom un montant tellement astronomique que nul ne pouvait partir. C’est pour cela que les joueurs étaient si fidèles… « .

Ludo Coeck, l’ami de Juan, dirigeait l’entrejeu. On raconte que Coeck a influencé Anderlecht pour qu’il remplace Ivic. Lozano :  » Cela me paraît excessif. Je me souviens certes d’une discussion entre les deux hommes. Ivic préférait poster Ludo derrière mais celui-ci refusait. Je ne pense pas que c’était le motif de son renvoi. Ivic était extrêmement nerveux mais il était possible de discuter avec lui. Quand on arrivait en retard à l’entraînement, il suffisait de mentionner le pont de Willebroek. Il avait été longtemps en chantier. Ivic répondait : – Entraînez-vous, les cow-boys. Il ne distribuait pas d’amendes. Ses occupations de terrain étaient bizarres. Au début, il m’a aligné à l’avant-centre. Parce qu’il ne me connaissait pas. Pouvais-je lui en vouloir ? Je venais du Beerschot, lui de Yougoslavie, alors que le football attirait moins l’attention des médias et de la télévision. J’ai donc campé en pointe pendant six ou sept matches. Ivic m’a vraiment beaucoup appris, y compris sur le plan mental. J’ai compris ce que je devais faire pour réussir. Je suis heureux d’avoir rencontré cet homme. D’autre part, il était parfois excessif… Non que cela me posât des problèmes, je n’en ai jamais eus avec mes entraîneurs. Je n’avais aucune raison non plus : j’étais sûr de ma place. Je faisais mon boulot puis je rentrais à la maison. Je ne me suis jamais intéressé à la tactique. Je ne la comprenais pas. S’entraîner comme ça, comme ci… Ivic était fanatique. Van Himst avait une approche plus détendue « .

Un exemple :  » Quelques jours avant un match important, contre la Juventus, nous avons disputé un match à domicile sous la direction d’Ivic. Nous l’avons remporté 5-0. Nous étions déjà rassurés après une demi-heure, puisque le score était déjà de 2-0 ou de 3-0. Pendant la mi-temps, Ivic s’est planté devant son tableau, furieux. Il a commencé à dessiner et à hurler : -Les gars, si vous jouez comme ça contre la Juventus, ça n’ira pas ! Ivic ne nous gréait pas une seconde d’inattention. Il exigeait une concentration de tous les instants. D’après Constant VandenStock, ce match contre la Juventus fut le meilleur que je n’ai jamais joué pour Anderlecht. Donc…  »

Vercauteren jouait à gauche de l’entrejeu. Capitaine, il négociait les primes. A droite, Per Frimann, un jeune Danois. Lozano :  » Il n’était jamais fatigué. Incroyable ! Après le match, on décelait des auréoles sous ses aisselles, sans plus. Frimann donnait l’impression de voler, même sur un terrain lourd. Il éliminait aisément un homme. Un gars sympathique, très intelligent. A peine était-il arrivé qu’il parlait français. Il possédait également une excellente mentalité, comme tous les Danois avec lesquels j’ai joué « .

Crise avant la seconde manche

Lozano évoluait dans l’entrejeu ou comme second avant.  » En fait, je jouais là où je devais le moins courir. Plus tard, sous la direction d’ Arie Haan, j’ai évolué sur le flanc gauche, ou plutôt, je giclais de là. Je n’y restais pas. Arie est parvenu à me convaincre. Il estimait qu’il me serait plus facile d’obtenir le ballon de cette position. Nul ne pouvait jaillir derrière mon dos et tout le terrain s’étendait devant moi. Ensuite, je pouvais me déplacer comme bon me semblait. GeorgesLeekens a fait pareil avec MbarkBoussoufa plus tard. J’ai procédé de la sorte une fois en coupe d’Europe, quand Vercauteren était suspendu. Cela se passa très bien et après la joute, j’ai dit à Arie : -Jouer là, c’est de la rigolade. On refait ça la semaine prochaine !  »

En attaque, trois hommes se disputaient deux places, voire une seule, parfois : AlexCzerniatynski, Brylle et Erwin Vandenbergh. Lozano :  » Erwin est le meilleur attaquant avec lequel j’ai joué. Or, j’en ai connu de bons, notamment au Real. Erwin agissait simplement mais quand vous jouez en un temps du gauche comme du droit et que vous avez le sens du but… Erwin marquait de toutes les façons mais elles étaient mûrement réfléchies. Un but est un but mais j’aimais mieux le style d’Erwin. Je ne veux pas diminuer le mérite des autres. J’ai déjà raconté assez de bêtises dans le passé mais avec l’âge, j’ai compris que certains joueurs sont utiles, des gars comme Czernia… (il rit). Mais j’avais mes préférences. Brylle était aussi un beau joueur, à l’excellent bagage technique, beau à voir. Un rusé, aussi « .

Le match retour. Lorsqu’Anderlecht arrive à Zaventem, il est en crise car en championnat, il a été battu par le FC Liégeois, et le Standard a pris la tête. L’arbitre Goris fait figure de bouc émissaire. Lozano :  » Le Standard a été sacré champion. Je ne me souviens plus très bien de notre match mais j’imagine que nous pensions déjà à la finale. C’est typique. Qui trop embrasse mal étreint. L’année précédente aussi, sous Ivic. Nous avons été battus en demi-finales de la C1 par Aston Villa. Chacun avait porté l’équipe à son tour, cette saison-là, mais un moment donné, nous étions vidés. Un gâteau suffit « .

La veille du match fut chaotique. Il fallait déterminer la tactique. Anderlecht opta pour le 5-4-1, ce qui permit à Hugo Broos de revenir dans le onze de base, au c£ur de la défense. A l’aller, l’arrière droit WimHofkens avait écopé d’une carte jaune et était suspendu. A ce poste, Anderlecht avait une doublure, Dirk De Vriese, mais il n’était pas physiquement en état de disputer la finale. Walter De Greef reçut donc la mission d’arpenter le flanc droit. Brylle, le héros du match aller, fut sacrifié sur l’autel de la tactique. Renvoyé sur le banc, il fut tellement vexé qu’il voulut rentrer chez lui. Morten Olsen dut le calmer. Lozano :  » Cela restait entre joueurs. Moi-même, je ne l’ai appris que plus tard. Sa frustration me semblait logique mais Erwin était tellement bon…  »

Lozano partageait la chambre de Coeck, qui négociait alors avec l’Inter Milan via l’agent Apollonius Konijnenburg. Il allait finalement signer pour le club italien. Lozano :  » Etrange ? Pourquoi ? Quand vous signez une belle saison, plusieurs équipes s’intéressent à vous. Moi-même, je discutais avec plusieurs clubs. J’ai même signé des précontrats avec l’AS Rome, Vérone et le PSG mais je me suis retrouvé au Real « .

Etait-ce permis ? Lozano éclate de rire :  » J’ai signé ce qu’on me mettait sous le nez. Le football est un monde de fous, parfois « .

La fête !

Lozano estimait normal de défendre le résultat du match aller en alignant cinq défenseurs :  » Benfica était très fort, surtout sur les flancs. Notre succès 1-0 était un peu étriqué mais même quand les Portugais ont marqué, nous ne nous sommes pas énervés. Nous avons continué à jouer, ce qui nous a permis d’égaliser. Le match était plié sans trop de mal, en fin de compte « .

Lozano décrit son but.  » Les gens oublient ma vitesse. Je me souviens avoir récupéré le ballon dans notre camp et avoir servi Erwin en profondeur. Il a dévié du gauche vers Vercauteren. Pendant ce temps, je fonçais au second poteau, où j’ai réceptionné de la tête le centre de Frankie « .

Lozano, un joueur box-to-box… Il rigole.  » Et de la tête, hein… Pour ma taille, j’avais une détente appréciable. Et de la vitesse, physiquement comme dans ma touche de balle. Je pensais un rien plus vite que mon adversaire. Sinon, avec ma carrure, je ne m’en serais pas sorti « .

Marquer dans une finale européenne est-il spécial ?  » Naturellement. Marquer est toujours chouette. Plus votre adversaire est important, plus c’est agréable. Et c’est encore mieux quand il s’agit du but décisif « .

Comment fut la fête ?  » La fête, la fête… Nous sommes allés boire un verre à Lisbonne, mais sans nous attarder. Nous avons encore un peu fait la fête dans nos chambres. Je sais que six ou sept joueurs nous ont rejoints avec le contenu de leur frigo… On a arraché le tapis des murs mais je ne sais plus qui était coupable. Ludo et moi avons dû rembourser les dégâts occasionnés, en tout cas « .

Lozano a rangé son trophée dans une boîte.  » Après le match, j’ai échangé mon maillot mais je ne sais plus avec qui. Je ne sais pas davantage où il se trouve. Je l’ai sans doute offert car je n’en ai plus que deux ou trois « .

Le Real sur les roses

La période de transferts qui a suivi ce triomphe a été chaotique. Coeck a rejoint l’Inter, Hugo Broos a vécu l’automne de sa carrière au Club Bruges et Lozano a signé au Real Madrid, au terme d’une histoire inouïe.

Lozano :  » Ce qui précède est encore plus gag. Après le Beerschot, j’avais signé pour les Washington Diplomats. Je n’avais pas de plan de carrière. C’était loin, l’aventure, les dollars. Je ne savais pas ce que le football représentait là-bas. J’avais signé pour trois ans mais le club a fait faillite après une saison. Nous avons effectué une tournée en Asie. Au retour, j’ai dû rester à New York car j’intéressais Barcelone. Puis je me suis rendu en Espagne pour y subir les habituels examens médicaux mais Helenio Herrera ne semblait pas me connaître. Il m’a demandé de m’entraîner quelques jours avec l’équipe. Je me suis exécuté, sans qu’un contrat se présente. Le président Josep Núñez ne s’est pas montré. Irrité, jugeant que ce n’était pas sérieux, je suis parti. C’est alors que Barcelone m’a convaincu de prendre part à un match amical. J’ai joué une mi-temps et marqué. Au repos, j’ai dit à l’entraîneur : -J’arrête les frais, vous en avez vu assez. C’est dingue, n’est-ce pas, de tenir un langage pareil à Barcelone ? J’étais fou. Qui étais-je, au fond ? Un ancien joueur du Beerschot, même pas international. Mais j’étais ainsi fait. Verschueren avait eu vent de l’histoire et c’est ainsi que j’ai atterri à Anderlecht, pour 300.000 euros. Deux ans plus tard, le Sporting m’a transféré au Real pour près de deux millions. Le Real s’était déjà intéressé à moi mais… j’avais dit non. Vous pouvez imaginer ça ? Je devais encore effectuer mon service militaire en Espagne. A l’époque, on avait le choix : deux ans en Espagne ou ici à l’ambassade mais cela durait sept ans. Je devais faire cacheter mon carnet militaire tous les mois. L’armée, ce n’était vraiment pas mon truc. Le Real m’a promis d’arranger ça : -Tu ne peux pas échapper aux trois mois d’instruction mais nous veillerons à ce que tu les accomplisses à Madrid. J’ai encore refusé. Quelle connerie « .

A sa grande surprise, le Real est revenu et Anderlecht était prêt à le vendre. Lozano :  » Je regrette que ces blessures m’aient empêché de montrer ce que je valais véritablement. J’ai pris un bon début puis je me suis fracturé le tibia. Bilan : trois ou quatre mois d’absence. Lors du premier match suivant, contre Salamanque, je suis entré en collision avec le gardien. Re-fracture. La saison suivante, j’ai été opéré d’une pubalgie et je suis retourné à Anderlecht « .

par peter t’kint

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