Roubles et troubles

L’argent n’a jamais été aussi présent qu’aujourd’hui. Mais il n’arrange pas tout et masque parfois des réalités moins reluisantes.

Mercredi dernier, l’Anzhi Makhachkala était battu 1-0, après prolongations, par le Dynamo Moscou en 1/8e de finale de la Coupe de Russie. Bizarre : pour une formation située au Daguestan, à 1.600 kilomètres de la capitale, il en allait du déplacement le plus court de la saison. Logique : la bande à Samuel Eto’o passe le plus clair de son temps dans son centre d’entraînement de Ramenskoye, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale russe. Les Jaunes ne sont pas les seuls dans le cas. Leurs homologues de Terek Grozny séjournent et s’entraînent le plus souvent à Kislovodsk, ville thermale à 150 kilomètres du chef-lieu de la Tchétchénie.

 » Ces deux clubs sont les nouveaux riches du championnat de Russie « , remarque Boris Bogdanov, leader de la rubrique foot du quotidien Sport-Express à Moscou.  » Les temps ont changé. Depuis le démantèlement de l’URSS, ce sont d’abord les grands du football dans la capitale qui ont tenu le haut du pavé : le CSKA, le Spartak, le Dynamo, le Torpedo, tous rejoints depuis une dizaine d’années par le Lokomotiv. Dans la foulée, d’autres se sont affirmés comme le Zenit Saint-Pétersbourg, Rubin Kazan, suivis à présent par les deux qui se sont fait connaître à grands coups de millions dépensés « .

 » Le Terek Grozny, je n’y crois pas trop « , souligne-t-il.  » Son homme fort, Ramzan Kadyrov, est tout sauf un connaisseur. Sans quoi, il n’aurait pas jeté son dévolu sur Ruud Gullit comme entraîneur. Il ne faut pas être spécialiste pour se rendre compte que cet ancien grand joueur n’est pas de la même trempe en tant que coach. D’ailleurs, il n’a pas fait long feu, faute de résultats. Depuis son remplacement par Isa Baytiyev, la situation ne s’est pas améliorée, loin s’en faut. Le club végète dans les profondeurs du classement. Bon nombre de noms prestigieux ont été mis en rapport avec lui. Mbark Boussoufa en faisait partie, notamment. Mais il ne compte pas vraiment de vedettes. Sauf, peut-être, Jonathan Legear pour vous.  »

Une compétition du niveau de la France et des Pays-Bas

 » Les étrangers, c’est évidemment la grande différence par rapport à autrefois. A la fin du siècle passé, il était très difficile de les attirer, hormis des représentants de l’ancien bloc de l’est. A présent, ils sont devenus monnaie courante. Je me souviens fort bien qu’à l’époque où Anderlecht avait joué contre le Lokomotiv Moscou, en 2001, il avait été séduit par deux jeunes du club : Ruslan Pimenov et Marat Izmailov. Mais il n’avait pu les embaucher car la direction avait placé la barre très haut. Depuis, il n’y a jamais eu de mouvements de la Russie vers la Belgique. Par contre, le contraire s’est bien produit avec les arrivées ici de Nicolas Lombaerts, Boussoufa, Legear, Mehdi Carcela et Joao Carlos. C’eût été impensable jadis mais c’est la réalité aujourd’hui. Question d’argent, bien sûr. Les roubles n’intéressaient pas grand monde jadis. Maintenant, c’est une devise appréciée par les footballeurs.  »

 » L’Anzhi, c’est une autre histoire que le Terek. Là, il y a un président, Suleyman Kerimov, qui a su s’entourer depuis la reprise du club, au mois de janvier, au point de titiller déjà les meilleurs. Pour ce faire, il a évidemment utilisé les grands moyens en faisant venir des noms comme Roberto Carlos ou d’authentiques vedettes, à l’image de Samuel Eto’o ou Yuri Zhirkov. Je pense que ce club est capable de bousculer plus tôt que prévu l’ordre établi. Il ne sera pas champion cette année, mais à court terme, il peut le devenir. D’autant plus que l’argent ne pose pas le moindre problème pour son homme fort. Cristiano Ronaldo et José Mourinho ont jusqu’à présent snobé toutes les offres. Mais résisteront-ils encore longtemps ? Samuel Eto’o s’est bien laissé tenter. Je ne vois pas pourquoi d’autres ne l’imiteraient pas « .

 » L’expansion de l’Anzhi aura toutefois ses limites. Son mécène, Kerimov, peut fort bien imiter l’exemple de Roman Abramovich à Chelsea. Mais il ne pourra jamais s’éveiller aux plus hautes ambitions. Le titre, c’est le maximum. La Ligue des Champions restera toujours un v£u pieux. Si les Blues n’y parviennent déjà pas, il ne faut pas attendre des miracles d’un club qui, lui, a 20 ans tout juste. Les Londoniens ont également un avantage supplémentaire : une compétition huppée où chaque match s’assimile à une joute européenne. Ici, il y a clairement un top 8, qui englobe tous les clubs de Moscou, le Zenit Saint-Pétersbourg, Rubin Kazan, l’Anzhi Makhachkala et Krasnodar, et 8 autres qui n’ont pas les moyens de rivaliser. Du coup, la qualité d’ensemble ne sera jamais pareille à l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie. Même le Portugal me semble plus fort. A mon sens, on est au niveau de la France et des Pays-Bas. Et ceux-là n’entrent pas en considération non plus pour une victoire finale en Ligue des Champions « .

En 2010, il y a eu 30 attentats à la bombe au Daguestan

 » Un autre détail, non dénué d’importance, c’est aussi la sécurité. Il y a toujours des débordements, tant en Tchétchénie qu’au Daguestan. L’année passée, dans cette dernière république, pas moins de 30 attentats à la bombe ont été commis, dont 12 sur la seule personne du président. Jusqu’à présent, le football a toujours été épargné. Mais en cas de qualification européenne, les clubs étrangers seront-ils disposés à se déplacer dans ces régions ? Par mesure de précaution, le Terek Grozny a disputé tous ses matches à domicile, jusqu’en 2007, à Piatigorsk, à 200 kilomètres de sa base. Et l’Anzhi a déjà dû trouver refuge quelquefois à Naltchik, situé à 320 kilomètres de Makhachkala, toujours pour les mêmes raisons. Une seule fois, jusqu’à présent, le club a disputé une rencontre de Coupe d’Europe. C’était contre les Glasgow Rangers en 2001-02. Les Ecossais n’avaient alors pas voulu se déplacer au Daguestan et la double confrontation, limitée finalement à une manche sur terrain neutre, s’était déroulée à Varsovie. Un cas de figure qui pourrait fort bien se reproduire. Et l’argent n’y changera rien « .

 » Les roubles, qui n’ont jamais été aussi présents dans le football russe, ne permettent pas de résoudre tous les problèmes non plus. Tout d’abord, ils n’ont pas qu’un pouvoir d’attraction. Ici, les gens admettent que des personnes fortunées, comme Ramzan Kadyrov ou Suleyman Kerimov, injectent leurs gros billets dans le football, puisqu’il en va de leurs propres sous. En revanche, ils admettent plus difficilement déjà que le Zenit Saint-Pétersbourg se paye de temps à autre une petite folie. Car le club est soutenu par une entreprise d’État, Gazprom, et l’argent qu’il dépense provient du peuple. L’argent ne parvient pas non plus à modifier une autre donnée, qui veut qu’une équipe doit être composée obligatoirement de 5 joueurs du cru au moins. Pas question d’aligner 11 étrangers, comme on peut le faire chez vous, par exemple. Certains l’aimeraient, histoire de rehausser le niveau. Mais la Fédération est intraitable sur ce point, soucieuse de faire bonne figure lors de la Coupe du Monde 2018.

Le football russe n’est pas riche en profondeur non plus. En principe, dans l’optique du Mondial, il faudrait déjà pouvoir tabler aujourd’hui sur des jeunes prometteurs de 18 à 20 ans. Or, on est loin du compte. Ici, on n’a pas de joueurs de la trempe d’ Eden Hazard ou de Romelu Lukaku. Il ne faudra pas attendre grand-chose de la Russie lors de cette compétition. Une place en quarts me semble le maximum. Chez nous, la formation est au point mort. A part le Spartak, personne n’investit dans les jeunes. Et un pays qui les snobe ne peut pas espérer jouer un rôle en vue au plus haut niveau « .

PAR BRUNO GOVERS, EN RUSSIE

 » L’Anzhi sera sans doute champion un jour, mais c’est le maximum qu’il peut atteindre. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire