Roman noir

Un coach serbe et plein de jeunes : voilà comment on écrit une nouvelle page du foot africain.

Le Ghana en quarts de finale, quoi de plus logique ? Il était déjà le seul pays africain présent au deuxième tour en 2006 et il a failli remporter la dernière CAN. Quelques semaines avant le Mondial, le Français Alain Giresse, qui a entraîné notamment l’équipe du Gabon et un club au Maroc, avait déclaré que si une équipe du continent noir devait aller loin, ce serait probablement le Ghana.  » Un proverbe africain dit qu’au Ghana, on joue au foot avant de marcher « , lance Frank Simon, pape du foot black pour France Football.  » Cela veut tout dire. Là-bas, la culture du football est extraordinaire. En sport de haut niveau, ils ont l’un ou l’autre sprinter, et pour le reste, rien que des footballeurs. Ils ne sont nulle part dans les autres sports collectifs. De toute façon, ça ne les intéresse pas. Ils ne pensent qu’au ballon. On voit des gosses hauts comme trois pommes jouer dans la rue avec leur grand-mère…  »

Cette qualification est une ligne de plus sur la carte de visite d’un pays qui collectionne les honneurs en équipes d’âge depuis une vingtaine d’années. Les -17 ont été sacrés champions du monde en 1991 et ils ont encore terminé sur le podium des trois éditions suivantes. Les -20 ont arraché la médaille d’argent mondiale en 1993 et 2001, et ils ont triomphé en 2009. Le Ghana a aussi fini troisième des Jeux de Barcelone en 1992. Et entre-temps, il y a eu des finales de Coupe d’Afrique des Nations.

Des jeunes lancés très tôt

Au Ghana, il n’y a pas de vraies compétitions organisées pour les jeunes, seulement des matches sans enjeu et des tournois. Alors, quand un gamin de 14 ou 15 ans montre qu’il est très bon, on ne lui fait pas perdre son temps, on n’hésite pas et on le lance directement en deuxième, voire en première division. La législation sur l’âge plancher est assez floue et on la contourne, comme dans la plupart des pays d’Afrique, ce qui arrange tout le monde. On y mène aussi un gros travail de détection, chaque club sérieux possède une vraie équipe de scouting et tout le pays est quadrillé.

La D1 n’a pas un niveau exceptionnel, il doit y avoir une bonne quinzaine de championnats plus performants en Afrique, mais c’est quand même du pain bénit pour des jeunes qui apprennent très vite à se défendre contre des adultes. Cela leur permet d’avoir déjà une certaine expérience au moment où ils débarquent en Europe. Alors que beaucoup d’autres pays du continent voient leurs talents filer plus tôt et donc se crasher plus régulièrement, à cause de problèmes d’adaptation notamment. Par exemple, Michael Essien (Chelsea) et Sulley Ali Muntari (Inter Milan) ont joué en D1 ghanéenne avant de signer en Europe.

Le Ghanéen a la réputation de s’intégrer très vite dans un environnement différent et il apprend volontiers la langue. Quand on ouvre les pages people des journaux dans les grands pays du foot, on trouve rarement trace d’affaires extra-sportives impliquant des joueurs ghanéens.

Liberty Professionals, Fetteh Academy, Nania FC, Guillou

Aujourd’hui, la grosse machine ghanéenne en matière de formation est le Liberty Professionals, un club créé à la fin des années 90 et installé dans la banlieue d’Accra. Il a commencé en D2 nationale et est très vite monté en D1, et il parvient à attirer une bonne partie des meilleurs jeunes au travers d’un travail de prospection très poussé. Muntari et Essien y sont passés. Le Liberty Professionals applique des méthodes de travail modernes, presque scientifiques, bien au-delà de ce qui se fait dans les  » centres de formation  » d’Afrique. Sellas Tetteh est à la baguette. Tetteh, c’est une légende parmi les entraîneurs ghanéens. Il a dirigé les -17 et les -20, et il les a conduits à des exploits. Il a été l’adjoint du Français Claude Le Roy en équipe A et il lui a succédé comme intérimaire avant l’arrivée du coach actuel, le Serbe Milovan Rajevac. Tetteh était encore adjoint à la dernière CAN. Il a entre-temps quitté le foot ghanéen car le Rwanda lui a fait une bonne proposition. Mais au Ghana, on semble convaincu qu’il reviendra tôt ou tard et qu’il reprendra à nouveau l’équipe A. Son boulot avec le Rwanda ne l’empêche pas de continuer à superviser le Liberty Professionals.

La deuxième plus grosse structure est la Fetteh Academy, qui a un accord de collaboration avec Feyenoord. Elle est aussi installée autour d’Accra. Il y a encore le Nania FC, le centre créé, financé et dirigé par Abedi Pelé. Il s’est très vite retrouvé en deuxième division et sort chaque saison un grand nombre de joueurs qui ont le niveau de la D1 locale.

Et le quatrième larron dans la formation au Ghana est le Français Jean-Marc Guillou. Persona non grata en Côte-d’Ivoire, où il a formé plusieurs stars de l’équipe nationale actuelle, il a récupéré dare-dare quelques joueurs à Abidjan avant d’être exclu du pays. Il les a parqués dans une autre académie, en Thaïlande. Il a aussi des centres au Mali, en Egypte, en Algérie et à Madagascar. Et le dernier qu’il a fondé se trouve au Ghana.

Tous ces centres possèdent des infrastructures assez correctes mais ailleurs, ça reste fort sommaire. De nombreux clubs sont obligés d’organiser leurs entraînements sur un carré de terre ocre. Autre problème : les marchands de rêves qui flairent la bonne affaire et montent l’un ou l’autre centre avec l’équivalent de 5.000 ou 10.000 euros. La Fédération, pourtant mieux organisée qu’il y a quelques années et qui est enfin stable au niveau de sa structure dirigeante, ne parvient pas encore à réguler ces essais sauvages de formation.

Un grand moment : les années Le Roy

Comme beaucoup de nations africaines, le Ghana a une longue tradition de coaches étrangers. C’était déjà un Serbe, Radomir Dujkovic, qui l’avait amené à sa première Coupe du Monde en 2006. Aujourd’hui, c’est Rajevac qui se fait un nom. Et il y a eu beaucoup d’autres nationalités européennes en poste à Accra : portugaise, allemande, française, hollandaise, roumaine, etc. Même brésilienne !

Claude Le Roy a été un des coaches les plus appréciés dans ce pays, c’est lui qui dirigeait l’équipe à la CAN 2008, à domicile, quand le Ghana a terminé à la quatrième place. Il avait réussi à trouver le parfait équilibre avec ces joueurs à la morphologie assez différente de celle des Camerounais, par exemple, qui sont pour la plupart des bêtes de combat, des monstres physiques. Le Ghana a traditionnellement quelques castards dans son équipe, mais aussi des petits gabarits et des perches. Le Roy est un romantique, un poète du foot et une de ses maximes est : -Il faut que ça joue au foot. Il n’oublie pas de défendre mais pense d’abord à attaquer. Avec le Sénégal, le Cameroun ou le Ghana, il a appliqué la même recette, souvent avec succès. Mais parfois, aussi, ses beaux principes se sont retournés contre lui. A la CAN 2008 par exemple. En demi-finale, il a de nouveau lancé son équipe à visière découverte contre le Cameroun, qui est resté extrêmement prudent et s’est qualifié en étant plus finaud. Avant le match pour la troisième place, Le Roy a juré qu’il ne changerait rien et il a lancé ses réservistes qui ont atomisé un autre favori, la Côte-d’Ivoire. L’aventurier aurait pu rester en place après cette Coupe d’Afrique, il a reçu une proposition officielle et n’avait plus qu’à la signer. Mais on lui offrait un salaire dégressif… Il ne comprenait pas, estimait que ses résultats parlaient pour lui et pour une augmentation. Il a donc quitté le Ghana mais en très bons termes, et il dirige aujourd’hui Oman.

Milovan Rajevac, le nouveau sorcier blanc

Après l’intérim Tetteh, la Fédération a cherché un nouveau coach. Des dizaines de candidatures ont afflué, de tous les coins du monde. Les CV africains ont immédiatement volé au bac : vieille habitude. L’Autrichien Josef Hickersberger était favori mais il a finalement été écarté car il demandait trop d’argent. Rajevac a continué à faire le forcing. Son passé ne plaidait pas pour lui. Il a joué à l’Etoile Rouge Belgrade (et a terminé par du foot… en salle aux Etats-Unis), mais comme coach, il n’avait travaillé que dans deux clubs serbes de troisième zone et un peu à l’Etoile Rouge. Et quand il a été choisi, ce fut le tollé au pays où on ne comprenait pas comment il était possible de nommer un nobody alors que des grands noms du foot international avaient aussi postulé. On dit qu’aujourd’hui, les patrons de la Fédération rigolent en constatant les échecs dans ce Mondial de Sven-Göran Eriksson avec la Côte-d’Ivoire, de Paul Le Guen avec le Cameroun, de Lars Lägerback avec le Nigeria et de Carlos Alberto Parreira avec l’Afrique du Sud !

La première accession du Ghana à des quarts de finale – c’est seulement la troisième fois qu’un pays du continent réussit l’exploit – portera toujours la griffe de Rajevac. Il a appris son métier dans l’ombre de ses compatriotes globe-trotters Bora Milutinovic et Ljubo Petrovic, dont il a été l’adjoint dans des clubs au Qatar et en Chine…

Rajevac a reçu une mission claire quand il a signé : qualifier le Ghana pour la CAN 2010 et son équipe a été la première assurée de jouer ce tournoi. Mais son style est assez différent de celui de Le Roy, qui alignait systématiquement deux attaquants. Avec le Serbe, c’est généralement une seule pointe, beaucoup de solidité derrière, assez peu de brillance dans le jeu. Par moments, les Ghanéens peuvent toutefois être très beaux à voir jouer et on a par exemple assisté à des séquences de grande qualité face aux USA.

Les gosses au pouvoir

Samuel Inkoom a 21 ans, Jonathan Mensah, 19, Kwadwo Asamoah, 21 et André Ayew, 20. Ils étaient tous les quatre dans l’équipe de départ contre les USA. Des gamins qui ont écrit l’histoire du foot ghanéen. Parce que le coach adore faire confiance au blé en herbe ? C’est plus compliqué que cela…

A l’approche de la dernière CAN, le groupe est torpillé par plusieurs forfaits de grands noms, dont Essien qui s’est blessé au dernier moment. Les trois capitaines potentiels sont out. Et Rajevac pète un câble, il déprime publiquement et dit que c’est impossible d’aller loin dans ce tournoi sans ces stars. Contraint et forcé, il se sert in extremis dans le vivier des -20 champions du monde quelques mois plus tôt. Plus tard, vu le parcours inespéré en Angola, il décide de récompenser quelques-uns de ces jeunes en Afrique du Sud. On en revient à la philosophie du championnat du Ghana : les bons joueurs jouent, quel que soit leur âge. Au Cameroun ou en Côte-d’Ivoire, il subsiste un vrai respect pour les anciens, parfois un lobby anti-jeunes entretenu par les stars confirmées. Ce n’est pas le cas chez les Ghanéens. Rajevac sélectionne donc plusieurs gamins et il ose laisser sur le banc, ici, un crack comme Stephen Appiah.

Un tout grand nom du foot dans ce pays, capitaine à la Coupe du Monde 2006, mais comme il n’a joué que quelques dizaines de minutes cette saison avec Bologne, il a juste le droit de s’installer sur le banc. Son rôle dans ce Mondial est un peu équivalent à celui que Thierry Henry avait en équipe de France : guider et encourager sans jouer.

 » C’est bien que Rajevac soit fidèle au groupe qui a failli gagner le CAN à la surprise générale « , dit Frank Simon.  » Pour lui, il n’y a aucune raison d’accorder des privilèges à qui que ce soit.  » La méthode a marché en Angola, elle continue à produire ses effets plus bas encore sur le continent. Prochain obstacle : l’Uruguay, ce vendredi, à Johannesburg. Pour une place en demi-finale et un nouveau morceau d’histoire africaine.

par pierre danvoye, en afrique du sud

Le Cameroun et la Côte-d’Ivoire protègent leurs vieux, le Ghana lance des jeunes.

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