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Roesch Hour

Médaillé olympique à Turin en 2006 et vainqueur de deux épreuves mondiales, Michael Roesch n’aurait jamais dû être le premier biathlète à représenter la Belgique aux JO d’hiver. Descendu aux enfers après les succès, c’est pourtant bien via le Plat Pays qu’il s’est reconstruit.

De battre son coeur s’est arrêté. Du sommet de la plus prestigieuse piste turinoise aux pires excavations de l’Elbsandsteingebirge, le massif imprononçable qui entoure le Land de sa Saxe natale, la chute de Michael Roesch fut torride. Profonde et rapide. Sans détour ni indulgence.

 » J’avais beau être champion olympique, j’étais assis chez moi, comme une merde, sans rien « , se souvient encore l’athlète.  » J’ai eu de vrais problèmes mentaux, je devenais fou parce que j’avais l’impression que tous les ennuis s’enchaînaient.  »

Pendant de longues semaines, Roesch rumine. Seul. Il ne parvient pas à comprendre comment lui, que beaucoup voyaient succéder à Ole Einar Bjørndalen, l’athlète norvégien le plus médaillé des JO d’hiver, se retrouve au plus bas. Sans sponsor, sans équipe. Sans espoir.

Plus de cinq ans après les faits, Michael revient aisément sur cette période noire. Installé dans le restaurant du modeste hôtel d’Östersund (Suède) où il prend part à la troisième épreuve de la Coupe du Monde, il dévoile les raisons qui l’ont amené au crash. Un thé à la main.

Au nom du père

Tout commence dans le berceau, normal. La filiation influence toujours. En son temps, Roesch père, Eberhard, choisit déjà de manier les skis et le fusil. La discipline le lui rend bien, puisqu’il devient vice-champion olympique à Salt Lake City, en 1980.

 » C’est là que j’ai disputé ma première Coupe du Monde « , sourit son fils.  » Mais mon père ne m’a jamais poussé à suivre ses traces. Il m’a toujours dit : ‘ Tu peux le faire, si tu veux, mais je ne t’y oblige pas‘.  » Michael tombe dedans. Au milieu d’une fratrie de trois, il est le seul à persévérer dans le biathlon.

La famille Roesch situe ses racines à proximité de Pirna, dans le district de Dresde, à l’extrême est de l’Allemagne. Une petite bourgade d’un peu plus de 40.000 habitants, à la frontière tchèque. L’endroit parfait.  » Je viens d’une région complètement fana de biathlon. Il y a de la neige et de très bonnes infrastructures pour le pratiquer.

En Allemagne, le biathlon est de toute façon le sport d’hiver numéro un. Là-bas, les compétitions ressemblent un peu à des soirées : les gens qui y assistent boivent beaucoup « , se marre le barbu de 34 printemps.

Il compte à peine six hivers quand il tombe amoureux du ski nordique, celui qu’on pratique à la force de ses cuisses et de sa détermination. Dix ans plus tard, il le sait. Il peut passer de l’autre côté, devenir professionnel et y consacrer une bonne partie de sa vie. Roesch choisit de rejoindre une école de police.

Pente ascendante

 » C’est à ce moment-là que je suis officiellement devenu pro. J’avais de la chance parce que je pouvais pratiquer ma passion tout en ayant mon job de policier. C’était une sécurité en cas de blessure.  »

S’enchaînent alors les succès, la pente ascendante. Quatre titres aux Championnats du monde jeunes et juniors, entre 2001 et 2004. Deux ans plus tard, il remporte sa première victoire en solo, lors de la poursuite de Ruhpolding, chez lui, dans les Alpes teutonnes. Comme à la maison.

 » C’est mon meilleur souvenir. La veille de la dernière épreuve, j’avais trois secondes de retard sur le premier. En interview, j’ai dit : ‘ Je m’en fous, demain, je gagne‘. C’est après que j’ai réalisé : ‘ Merde, qu’est-ce que j’ai dit ? Il va falloir que je sois bon, du coup…‘  »

Roesch rigole encore en y repensant. Il rembobine sur une époque bénie. Dans la foulée, confiant comme jamais, il ramène le graal. Avec le relais allemand, il embrasse la médaille d’or des JO de Turin, en 2006.

 » Tout a été tellement vite pour moi « , souffle-t-il, bien qu’il ne garde pas forcément un bon souvenir de l’atmosphère des Jeux, logé à l’extérieur du village olympique. Peu importe. À la fin de la saison, il se classe au cinquième rang mondial.

Plongeon

Roesch entre dans une nouvelle dimension quand il reçoit le concours d’un sponsor célèbre pour ses boissons énergisantes. Il découvre alors l’ultra-médiatisation et la pression.

 » Ils avaient énormément d’attentes « , place Michael, un petit chat toujours coincé dans la gorge.  » En biathlon, c’est pratiquement impossible d’être premier à chaque coup. Une quinzième place est déjà une réussite. Mais les sponsors ne veulent que la victoire.  »

Une mauvaise préparation, couplée à une contre-performance, amènent Roesch à louper les JO d’hiver de 2010. Du coup, une partie de son entourage lui tourne le dos. Son gros sponsor se retire et, dans la foulée, l’athlète est écarté de la sélection allemande. Définitivement.

 » Cette contre-performance m’a détruit « , poursuit Roesch.  » Physiquement et mentalement, j’étais mort. Ça devenait très difficile de rester positif. Je me sentais seul. Il a fallu tout un temps avant de me rendre compte que j’étais dans la merde profonde.  » Surtout que les problèmes dépassent largement le cadre sportif.

Longtemps soutenu par une banque allemande, Michael lui remboursait jusqu’alors l’emprunt de sa maison avec les rentrées de sponsoring. Une fois largué, il n’a plus été en mesure d’enchaîner les virements. Sa famille démunie, le biathlète peut alors compter sur le soutien de la fédération belge de biathlon.

Page blanche

Son management director, Philippe Heck, est justement sur la route pour supporter Roesch lors de la manche de Coupe du Monde d’Anterselva lorsqu’il sort son kit main libre et ses souvenirs.

 » Nous avons toujours eu de bons contacts avec Michael « , se rappelle-t-il.  » Étant moi-même dans le domaine bancaire, je l’ai aidé à trouver un agent de gestion fiscale pour vendre sa maison et rembourser ses dettes afin de repartir sur une page pratiquement blanche.  »

Alors que les cuisinières de l’hôtel inondent les plats en aluminium de pommes de terre et de rôtis, Michael Roesch se montre enjoué. Pas par cette nourriture, qu’il abhorre. Il est simplement heureux d’avoir pu retrouver un niveau digne de ce nom. Et surtout fier d’être sorti de cette véritable dépression.

 » J’ai dû batailler, mais mon agent de gestion m’a aidé à reconstruire une base en me faisant oublier mon statut de sportif. Il m’a fait comprendre que j’étais juste une personne normale qui n’avait plus de crédit.  »

Volontaire, Michael passe par de nombreuses étapes intermédiaires avant de quitter sa bulle. Sur les pistes, il recommence en IBU Cup, soit la Division 2 du biathlon. Et souffre beaucoup.  » Il y a encore quelques mois, j’avais beau bosser comme un dingue, tous mes résultats étaient mauvais. Parce que je n’étais pas prêt mentalement.  »

Le déclic intervient un week-end de décembre 2016. Michael accroche le top 6 lors de la poursuite de Pokljuka, en Slovénie. Son premier depuis des années. À l’interview, l’athlète fond en larmes : il sait alors qu’il peut revenir au sommet.

Naturalisation

Ce top 6 constitue alors le meilleur résultat belge de tous les temps en Coupe du Monde. Belge, parce que Michael Roesch possède la double nationalité depuis 2013. L’athlète a lui-même approché la petite fédération quand l’Allemagne lui a fermé ses portes.

 » Évidemment que je ne suis pas Belge « , concède Michael, taxé dès l’annonce de sa décision de traître et de profiteur.  » Je ne suis pas né ici, je n’ai pas de famille qui y vit et je ne parle ni français, ni néerlandais… Mais je suis fier de représenter ce pays et je pense que je peux rendre beaucoup de Belges heureux.  »

Convaincue, la Fédé belge lance dès 2012 les démarches de naturalisation. Qui prennent beaucoup de retard. Logique : c’est l’époque où Gégé Depardieu veut aussi devenir sujet de Sa Majesté. Qu’importe, le fiston d’Eberhard patiente. Il veut faire partie du projet.

 » En nous liant à Michael Roesch, on a bien entendu étalé nos ambitions de professionnalisation « , déballe Philippe Heck.  » Avec ses résultats et les conseils qu’il prodigue à nos jeunes, Michael est en train d’écrire une page de la petite histoire du biathlon belge.  »

Et les rêves continuent de grandir depuis l’arrivée de Florent Claude, vice-champion du monde juniors avec la France et naturalisé en juin 2017.  » J’apprends beaucoup aux côtés de Michael, notamment au niveau du tir « , témoigne le Vosgien d’origine.

 » J’ai été formé par le système français, qui met l’accent sur la précision alors que l’allemand travaille principalement la vitesse, très importante de nos jours.  » Le passé tumultueux du Belgo-Allemand lui a également forgé une force mentale et une capacité de déconnexion dès l’entraînement terminé qui impressionnent Claude.

 » Michael n’est pas à une connerie près. Lors de l’anniversaire d’un biathlète étranger, il est arrivé dans son dos, l’a appelé en lui tapant sur l’épaule avant de lui envoyer un gâteau à la crème en pleine figure en criant ‘ Bon anniversaire ! ‘  »

PyeongChang

Pour le moment, Roesch doit encore souffler ses bougies loin de nos frontières. Après une blessure au tendon d’Achille, en 2015, la fédé belge lui propose d’aller faire ses gammes… en Suisse.

 » À cette époque, il était seul dans l’équipe belge et ses deux copains d’entraînement norvégiens avaient pris leur retraite. C’était une bonne opération pour lui comme pour nous et l’équipe suisse « , explique Philippe Heck. La Nati nordique a en effet besoin d’un biathlète expérimenté pour encadrer sa jeune garde.

Entre-temps, motivée par la venue de Florent Claude, l’écurie noir-jaune-rouge embauche un entraîneur professionnel. Pourtant, Roesch n’écarte pas les Suisses, bien au contraire.  » Il devrait intégrer notre formation à 100 % l’année prochaine « , vise Heck, régulièrement en contact téléphonique avec son poulain germain. En clair, la Belgique ne dispose pas encore des infrastructures nécessaires pour accueillir l’ancien champion olympique.

 » Il y a un mauvais champ de tir et il est impossible de s’entraîner en été « , reprend Roesch. Pour 2022, la fédération se tourne vers l’est du pays et promet un stand de biathlon ainsi qu’une piste de ski à roulettes  » convenables  » ( voir cadre). D’ici là, une échéance sérieuse attend Roesch et ses nouveaux compatriotes. À partir du 11 février prochain, aux JO de Pyeongchang, il s’élancera au sprint, à la poursuite – sa préférée -, en individuel, et si possible à la Mass Start. Un vaste programme.

Par Emilien Hofman & Nicolas Taiana

J’avais beau être champion olympique, j’étais assis chez moi, comme une merde, sans rien.  » – Michael Roesch

Sur la carte

Sans trop de pression, ni d’objectifs, le natif de Pirna s’apprête à défendre les couleurs belges.  » Tout peut arriver « , glisse-t-il.  » Je pourrais atteindre le Top 10 ou 6, mais ça ne sert à rien d’être trop confiant. Il n’y a que Martin Fourcade qui peut dire : ‘ Je serai champion‘.  »

Philippe Heck, ambitieux, se veut plus précis :  » Michael n’est pas encore dans le parcours pour rien. Il ne va pas aux Jeux pour être ‘présent’, mais pour essayer d’atteindre le top 8. Une telle performance permettrait au biathlon d’être placé sur la carte du sport belge.  » Et sur la carte, tout court.

Roesch Hour
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Objectif 2022

 » La Fédération se professionnalise progressivement : coaches, managers, sponsors, nouveaux athlètes… Les choses bougent. Et puis il y a deux athlètes belges, Tom Lahaye-Goffart et Thierry Langer, qui sont prometteurs. Beaucoup d’efforts ont déjà été produits, mais la route est encore longue.  » C’est Michael Roeschhimself qui le dit. Pour lui, l’objectif est clair. Tenir jusqu’en 2022. Il sera dans la force de l’âge, à 38 printemps.

Pour le reste, les ambitions de la fédération sont sensiblement les mêmes : être en mesure d’aligner une équipe de relais à Pékin. Philippe Heck :  » Le biathlon est un sport exclusivement professionnel. Il n’existe que le niveau international, il n’y a aucune course du dimanche. Avec seulement deux jeunes, certes talentueux, il était jusqu’ici impossible de créer une équipe de relais. La présence de Michael et l’arrivée de Florent Claude ont tout changé.  » Pour ce faire, il faudra d’abord intégrer le Top 20 de la Coupe des Nations, c’est-à-dire qualifier cinq athlètes, ce qui permettrait d’avoir un relais belge aux JO.

 » C’est l’objectif, mais on ne peut pas non plus trop se projeter « , tempère Florent Claude, 26 ans, qui s’apprête à disputer ses premiers Jeux en Corée du Sud. Désormais domicilié à Malmedy, il a choisi de faire le grand saut, depuis la France, en 2016. Un an plus tard, il obtient son passeport belge.

 » Les réactions ont été plutôt positives. Personne n’est venu me dire quelque chose de négatif. De toute façon, les jaloux, je ne leur parle pas forcément.  » Et comme dit le dicton, ils finiront par maigrir.

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