ROBIN EST DEVENU BATMAN

31 ans, la barbe bien fournie, maillot trop large et short de plage. Portrait de Stan Wawrinka qui, à partir de la semaine prochaine, défendra son titre à Roland Garros

21 janvier 2014. Alors que le soir tombe sur Melbourne, les spectateurs de la Rod Laver Arena assistent à un duel héroïque. Inattendu. Dans les Grands Chelems, en quarts de finale, il est rare que la hiérarchie soit bousculée. Stanislas Wawrinka, huitième mondial, n’a encore atteint qu’une seule fois ce stade de l’épreuve. Il devrait donc perdre car, en face de lui, de l’autre côté du filet, on retrouve Novak Djokovic, deuxième joueur mondial. Vainqueur de l’Australian Open en 2008, son premier Grand Chelem, il n’a plus perdu un seul match dans la Rod Laver Arena pendant trois ans. Game, set and match mister Djokovic, ça ne fait aucun doute.

D’autant que, quelques jours plus tôt, le Suisse, âgé de 28 ans, n’a battu que de justesse Alejandro Falla, un nobody colombien du top 100. Ses statistiques ne sont pas bonnes non plus : il a rencontré 17 fois le Serbe et ne s’est imposé qu’à deux reprises, la dernière fois en 2006 déjà. Mais, à deux reprises, il est passé près de la victoire. L’année précédente, en Australie, les deux hommes se sont affrontés pendant 5 heures et Djokovic n’a gagné que 12-10 au cinquième set. Et quelques mois plus tard, à l’US Open, ils ont bataillé pendant quatre heures, cinq sets et à nouveau le même vainqueur : 6-4 dans la manche décisive.

Close but no cigar. A chaque fois, Nole a trouvé la parade, ce qui constitue une des caractéristiques des grands champions. Surtout dans les tournois du Grand Chelem sur lesquels le Big Four règne depuis 2004. A quelques exceptions près : en mai de cette année-là, le terrien argentin Gaston Gaudio a remporté Roland Garros alors qu’il n’était que 44e à l’ATP ; l’année suivante, Marat Safin s’est imposé à Melbourne ; en 2009, Juan Martin del Potro a surpris tout le monde à l’US Open. Les 37 autres tournois du Grand Chelem disputés entre début 2004 et fin 2013 sont revenus à Roger Federer (16), Rafael Nadal (13), Djokovic (6) et Andy Murray (2).

ENFIN SORTI DE L’OMBRE DE FEDERER

A une époque dominée par quatre joueurs, Stan est condamné à perdre. Pourtant, l’air australien est chargé d’émotions. Une nouvelle fois, la rencontre va aux cinq sets : 5-5, 6-6, 7-7 puis l’outsider remporte son jeu de service. Djokovic jette un regard désespéré vers son nouveau coach, Boris Becker. Quelques minutes plus tard, Wawrinka obtient une balle de match. Il se déplace vers l’angle du terrain, s’éponge le front et affiche un sourire crispé. Va-t-il gagner ? Le Serbe tente un coup de poker et monte au filet dès qu’il a servi. Le retour est haut, la volée facile. Mais la balle sort. Game, set and match mister Wawrinka.

Le Suisse est en transe. Avant de se rendre à la conférence de presse, il reçoit un SMS de Roger Federer. Un journaliste lui demande s’il s’attendait à cette victoire.  » Non « , répond-il. Il n’avait pas vraiment abandonné son rêve mais ce succès constitue tout de même une fameuse surprise. Sur son bras, on remarque un tatouage, un extrait d’un texte de Worstward Ho, de l’écrivain et dramaturge irlandais Samuel Beckett : Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better.

Des mots douloureux mais pleins d’espoir qui reflètent bien sa philosophie. Il connaissait ce texte depuis longtemps mais ne se l’était fait tatouer qu’un an plus tôt.  » La signification de ces mots ne changera jamais. Des déceptions, il y en aura encore car des joueurs de mon niveau perdent pratiquement une fois par semaine.  »

Pas cette semaine-là, cependant. En demi-finale, il élimine Thomas Berdych et pour sa première finale de grand chelem, il bat un Rafael Nadal numéro un mondial mais blessé.  » L’an dernier, lorsque j’avais perdu contre Novak en cinq sets, j’ai eu pour la première fois l’impression que je n’étais plus très éloigné du top 3 (Djokovic, Nadal, Federer, ndlr) et que je pouvais également les battre dans un tournoi du Grand Chelem. C’est aussi cela qu’on retrouve dans le texte de Beckett : il faut tirer les leçons des défaites. Les accepter, garder confiance en soi et travailler plus dur encore.  »

A Melbourne, Wawrinka sort pour de bon de l’anonymat et de l’ombre de Roger Federer qui, un an et demi plus tôt, à Londres, a remporté son 17e tournoi du Grand Chelem. Stan est désormais troisième mondial, FedExpress n’est plus que huitième. Douze ans après ses débuts sur le circuit professionnel, son talent est enfin reconnu. Car être le deuxième tennisman de Suisse, c’est un peu comme être deuxième sprinter de la Jamaïque derrière Usain Bolt : personne ne sait de qui il s’agit.

RUPTURE AVEC ILHAM

Un an après être devenu pro à l’âge de 17 ans (2002), Wawrinka a remporté le tournoi juniors de Roland-Garros. Quelques semaines plus tard, à Wimbledon, Federer avait décroché son premier tournoi du Grand Chelem. Le maître suisse avait continué à gagner et lorsque, en mai 2008, Stan était entré pour la première fois dans le top 10, le compteur de Federer affichait déjà douze victoires en Grand Chelem. Quelques mois plus tard, à Pékin, le duo suisse était devenu champion olympique de double. Wawrinka et Federer étaient les Robin et Batman du circuit.

Wawrinka n’avait plus jamais quitté le top 30 mais ses victoires étaient rares. A l’été 2010, au moment de prendre la direction de Wimbledon, il avait remporté deux tournois ATP : l’Open de Croatie 2006 (abandon de Djokovic) et le Casablanca Open 2010 face à l’inconnu roumain Victor Hanescu. C’était tout. Mais l’année avant, à Wimbledon, il avait contraint le chouchou britannique Andy Murray aux cinq sets. En 2010, il voulait faire mieux.

Il avait bénéficié d’un bon tirage. Il devait effectivement débuter face à Denis Istomin (ATP 70), un joueur qui avait grandi dans les steppes d’Ouzbékistan et son parcours jusqu’en quarts de finale était facile. Puis, Roger Federer l’attendait. Mais Istomin s’était avéré trop coriace : Wawrinka avait été éliminé, sa carrière était en danger.

Cinq jours plus tard, il avait limogé Dimitri Zavalioff, qui le coachait depuis qu’il avait 8 ans. Ils avaient travaillé ensemble pendant 17 ans et Zavalioff était devenu un ami de son père, un Allemand originaire de la frontière polaco-tchécoslovaque. Wolfram Wawrinka et son épouse suisse Isabelle, qui s’occupaient d’enfants en décrochage scolaire ou en proie à des problèmes d’alcool et de drogue à la Ferme du Château de Saint-Barthélemy, n’avaient pas du tout approuvé le choix de leur fils. Et encore moins celui qu’il avait fait trois mois plus tard de se séparer d’Ilham Vuilloud, une présentatrice de télévision avec laquelle il n’était marié que depuis dix mois et avait une petite fille de sept mois, Alexia.

LES CONSEILS DE MAGNUS NORMAN

Il avait remis son avenir dans les mains de Peter Lundgren, un Suisse qui faisait plus penser à un rocker sur le retour qu’à un coach mais qui avait amené Marcelo Rios dans le top 10, était dans la players box de Federer lorsque celui-ci avait remporté Wimbledon pour la première fois en 2003 et avait permis à Marat Safin de remporter l’open d’Australie.

Lundgren avait directement mis Wawrinka sur la voie du succès. Après quelques semaines, ce dernier avait battu Murray à l’US Open et les premiers mois de l’année 2011 avaient été excellents : victoire à l’Open de Chennai face à Xavier Malisse, quart de finale à Melbourne, succès face à Jo-Wilfried Tsonga à Roland-Garros après avoir été mené deux sets à rien… Il s’était hissé à la quatorzième place mondiale mais après sa défaite au deuxième tour de l’US Open face à Donald Young, un joueur issu des qualifications, la collaboration avait pris fin.

Wawrinka avait arrondi les angles avec Ilham, s’était fait tatouer le prénom de sa fille sur la main et était retourné habiter à Saint-Barthélemy. Il lui avait fallu un an et demi pour trouver un nouveau coach. Ce n’est qu’en mai 2013 qu’il était parvenu à convaincre Magnus Norman (voir encadré).  » Magnus a refusé beaucoup de joueurs ces dernières années et j’ai dû insister pendant un an pour qu’il accepte de travailler avec moi « , disait-il.

Une semaine plus tard, au Portugal, Wawrinka avait remporté son premier tournoi depuis deux ans avant de se hisser en finale à Madrid suite à des victoires sur Tsonga et Berdych. Il avait été battu mais n’en avait pas perdu le sourire pour autant :  » Magnus, je ne sais pas si tu es bon ou si tu as juste de la chance, on verra « , disait-il. Norman en avait rigolé et avait compris qu’il avait affaire à un joueur qui, même après une défaite, était bien dans sa peau. Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better.

La victoire de Wawrinka à Melbourne en 2014 est aussi le premier grand succès de Norman, que les autres membres de l’équipe surnomment  » le chuchoteur « . Le préparateur physique, Pierre Paganini, a travaillé le jeu de pieds, Norman estimait qu’il devait mettre plus d’effet dans ses balles et limiter les risques en coup droit. Il s’était aussi mis à lire dans les pensées du Suisse.  » Il consacre trop d’énergie à des choses sur lesquelles il n’a tout de même aucune emprise : le public, l’adversaire, le soleil, le vent…  »

CLASH AVEC MIRKA

A la fin de la saison, une semaine après que Mirka Vavrinec, madame Federer, l’eut traité de gamin lors de l’ATP World Tour Finals, il remporte la finale de la Coupe Davis en France aux côtés du maestro. Il termine la saison à la quatrième place mondiale et l’année 2015 s’annonce meilleure encore.

Wawrinka reconduit son titre à Chennai mais, à l’Australian Open, Djokovic lui inflige un 6-0 dans le cinquième set et il chute à la neuvième place. Il s’impose encore à Rotterdam mais entame alors une série de défaites contre Sergiy Stakhovsky, Robin Haase, Adrian Manarino, Dimitrov (2X), Federico Delbonis et… Roger Federer.

Avant Roland-Garros, il prend une nouvelle décision importante : celle de se séparer.  » Ilham et moi avons eu la chance de mettre au monde une jolie petite fille. Nous avons tenté de vivre ensemble et de concilier vie professionnelle et vie de famille mais ce n’est plus possible « , dit-il sur… Facebook. Quelques semaines plus tard, à Wimbledon, l’adolescente croate Donna Vekic est dans sa players box.

Jamais encore Stan n’est parti à Roland-Garros avec autant de doutes mais il va livrer un parcours impressionnant. Il lamine d’abord l’espoir du tennis français, Gilles Simon, avant de balayer Roger Federer – pourtant redevenu numéro deux mondial – en trois sets et Tsonga en quatre. En finale, il domine Djokovic. Il est intouchable.  » Cette victoire est magique « , dit John McEnroe.  » Il s’est montré solide en fond de court, même contre Djokovic, et ses coups droits le long de la ligne étaient à couper le souffle. Il possède aussi le meilleur revers à une main de toute l’histoire du tennis, combine parfaitement l’effet et la vitesse. He’s a real champion !  »

Un champion différent des autres. Djokovic est connu pour sa souplesse, Nadal pour sa musculature, Murray pour son jeu de jambes, Federer pour son flegme… Et Wawrinka ? Il n’a aucun style. Quand il monte sur le terrain, souvent avec de la crème solaire mal étalée sur le visage, il ressemble davantage au vendeur du magasin de bricolage qu’à un joueur de tennis. Barbe bien fournie, maillot trop large, short à carreaux… On croirait qu’il va à la plage. A la conférence de presse, il amène son short et en rigole.  » Je vais l’offrir au musée de Roland Garros comme ça, tout le monde pourra le voir. Tout le monde parle de mes shorts. Moi, je les trouve beaux mais on dirait que je suis le seul.  » Et il s’en va en rigolant…

PAR CHRIS TETAERT – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Il faut tirer les leçons de ses défaites, les accepter, garder confiance en soi et travailler plus dur encore.  » STAN WAWRINKA

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