RIO BRAVO

La seule médaille du judo belge à Rio n’est revenue ni à Charline Van Snick ni à Toma Nikiforov mais bien à Dirk Van Tichelt. Comment, à 32 ans, a-t-il réussi à combler ce  » petit trou dans sa carrière « , comme il le dit si bien

Ce qui est fascinant, aux Jeux Olympiques, c’est de pouvoir s’asseoir juste à côté du couloir où les judokas attendent leur combat, ce qui vous permet de les observer en train de s’échauffer ou de se concentrer. Chacun a son rituel : Charline Van Snick boxe une adversaire imaginaire comme si elle était Delphine Persoon, d’autres regardent droit devant eux, comme hypnotisés tandis qu’avant sa demi-finale, Dirk Van Tichelt s’accroupit, saute, boit, se frappe le visage, s’étire au maximum, regarde le combat en cours, crie quelques fois « houaaaa » et, ce qui nous frappe le plus, il rit parce qu’un adversaire brésilien vient de gagner son combat et que la salle est en délire.

Cela reflète bien l’état d’esprit dans lequel l’Ours de Brecht a pris part à ses cinq combats lundi de la semaine dernière : concentré mais très peu stressé (malgré un tirage difficile), il a savouré l’ambiance, le fait de pouvoir participer malgré toutes les blessures auxquelles il a dû faire face. Et bien que beaucoup le considéraient déjà comme fini, il a su décrocher une médaille. Il y a quatre ans, à Londres, il avait 28 ans et tout le monde, à commencer par lui, estimait qu’il devait ramener cette médaille. Rongé par le stress, il avait échoué. Une olympiade plus tard, le masque a fait place à un large sourire et les pensées négatives ont laissé libre cours à l’instinct du judoka.  » J’ai fait le vide dans ma tête et je me suis battu « , dit-il.

Il y a mis tout son talent, et Dieu sait s’il en a toujours eu. Chez lui, la vitrine aux trophées déborde de médailles remportées dans des Grands Prix et des grands chelems mais aussi au championnat d’Europe (or en 2008) et du monde (2009 et 2013). Après sa cinquième place à Pékin en 2008 et la déception de Londres 2012 (9e, il avait été éliminé par Nick Delpopolo qui, plus tard, allait être contrôlé positif au cannabis), il ne restait qu’une toute petite place.

UN ÉNORME BOSSEUR

Sa dernière médaille dans un grand championnat remontait au Mondial 2013 à… Rio de Janeiro, où il avait déjà remporté un tournoi du grand chelem quatre ans plus tôt en battant en finale le favori Leandro Guilheiro devant 5.000 Brésiliens déchaînés. Depuis, Rio est  » sa ville « . Avant le tournoi, il s’est souvent promené tranquillement sur la plage de Copacabana, ce qui lui a permis d’être plus zen que jamais au moment d’entamer la compétition.

C’est aussi en 2013 qu’un autre changement radical s’est produit dans la carrière de l’Ours de Brecht. Par le passé, il travaillait exclusivement avec Danny Belmans. Lorsqu’il a été nommé High Performance Manager de la fédération flamande de judo, celui-ci a créé toute une équipe autour de Van Tichelt. Il a cessé de coacher et a demandé au Polonais Robert Krawczyk de reprendre ses fonctions. Krawczyk n’était pas un inconnu : champion d’Europe en 2007, médaillé de bronze au Mondial 2003, cinquième et septième aux Jeux olympiques de 2004 et 2008, il avait également été pendant des années le sparring-partner de Dirk Van Tichelt. Il venait juste de mettre un terme à sa carrière et manquait un peu d’expérience mais, après quelques frictions, il s’est avéré qu’il était l’homme qu’il fallait.

Ex-judoka très doué techniquement, il a beaucoup travaillé cet aspect des choses avec l’Anversois. Plus important encore : il lui a appris à doser, le secouant lorsqu’il le fallait mais passant surtout beaucoup de temps à le calmer lorsque l’Ours de Brecht voulait en faire trop alors qu’il s’entraînait déjà 26 heures par semaine. Fils de fermier, Van Tichelt est un gros bosseur, ce qui lui a déjà valu pas mal de blessures.

Sur le plan physique, Frank De Witte, Titi Mullie et le kiné Vincent Adriaensen jouèrent également un rôle de plus en plus important. Ce dernier a notamment administré à Van Tichelt un traitement myofascial (genre d’acupuncture) qui permet de récupérer plus facilement, notamment en cas de blessure. Le judoka dit que, grâce à cela, son rendement à l’entraînement a augmenté de 25 %.

UNE GROSSESSE BÉNÉFIQUE

Adriaensen était présent à Rio, tout comme Matthias Casse, qui n’a que 19 ans mais qui a du talent et est, depuis trois ans déjà, le sparring partner de Van Tichelt. On n’a parlé de lui qu’au moment de l’affaire de l’oeil au beurre noir mais il a joué un rôle important dans la préparation technique et mentale du médaillé de bronze. Comme les autres juniors auxquels Robert Krawczyk fait appel, il oblige Van Tichelt à se surpasser à l’entraînement. Tout le monde y gagne, tant les jeunes que le  » vétéran « , qui prend un malin plaisir à les défier. Ce n’est pas un hasard si l’Anversois possède déjà un diplôme d’entraîneur A et s’il veut entraîner des jeunes (élites) après sa carrière.

Il espère cependant que celle-ci durera encore quelques années et qu’elle sera compatible avec sa nouvelle vie puisque, en janvier 2017, sa compagne Esther (ex-judoka, aujourd’hui kiné), lui donnera un premier enfant. Lors de la conférence de presse, l’Ours de Bronze rigolait en disant que, bien qu’il ne soit pas souvent à la maison, il avait tout de même réussi quelque chose. Quelques minutes plus tard, en aparté, il nous confiait que la grossesse de sa compagne l’avait également aidé à se relaxer.

 » Le judo est le plus beau sport du monde. Il combine la condition physique, la puissance, la tactique, la technique et le respect. Propulser un adversaire au tapis, c’est magnifique. C’est super important pour moi mais, depuis la grossesse, j’ai compris que le judo n’était qu’un jeu. Si j’avais perdu ce combat pour la médaille de bronze, j’aurais été très déçu mais je me serais dit qu’il y avait d’autres choses dans la vie, qu’un enfant brille plus qu’une médaille. Maintenant, si tout va bien, dans quelques mois, j’aurai les deux. Que demander de plus ?  » Une belle fête pour fêter sa médaille de bronze, bien sûr. Malgré un oeil au beurre noir, Van Tichelt la méritait bien…

PAR JONAS CRETEUR À RIO – PHOTO BELGAIMAGE

Rio, c’est la ville où l’Ours de Brecht avait déjà remporté deux tournois en 2009 et 2013.

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