Ringhio et le King of the wing

Après le 0-1 d’Old Trafford, Rino Gattuso et les siens devront notamment surveiller Cristiano Ronaldo, le virevoltant ailier portugais.

Un centre de gravité bas, une constitution robuste (1,77 m, 76 kg), explosif au démarrage, plus lent dans la course à terrain découvert, Gennaro  » Rino « Gattuso (27 ans) est à coup sûr un joueur important du point de vue physique. Ce vrai combattant a conquis les supporters et les adversaires par sa hargne, son courage et sa générosité tant sur le terrain qu’en dehors.

Dans In Rino veritas, un livre de 120 pages édité en 2003, Gattuso a non seulement parlé de sa carrière mais il a surtout expliqué sa conception de son sport et de la vie. L’argent généré par ce bouquin ainsi que par la vente de t-shirts (plus de 6.000 pièces écoulées en juin 2004) et de mascottes allait être versé à sa fondation, Forzaragazzionlus, qui entend venir en aide aux déshérités et plus particulièrement aux jeunes. Au départ, en décembre 2003, les activités de cette asbl étaient exclusivement concentrées dans le village natal du joueur, Corigliano Calabro, en Calabre. Depuis, son rayon d’action s’est quelque peu élargi et la fondation a décidé d’utiliser les 450.000 euros récoltés à la construction d’un pensionnat pour enfants abandonnés.

 » Je ressens fortement le besoin de venir en aide aux jeunes moins heureux que moi. Chaque fois que je retournais en Calabre, j’organisais des matches amicaux et j’amenais de la nourriture aux démunis. Une fois, j’ai donné des biscuits à un gamin de 5 ou 6 ans : il en a eu des larmes aux yeux. J’avais oublié certaines choses : tu t’énerves parce que tu vas sur le banc mais tu te rends compte qu’il y a des enfants qui pleurent pour des biscuits. C’est dans ces images que je puise mon envie de toujours travailler à fond.  »

Ringhio, malgré lui

Avant le match aller à Manchester, le poumon du Milan AC a haussé les épaules quand on lui a répété que Roy Keane, le capitaine mancunian, soutenait que les meilleurs médians du monde étaient les Anglais.

A la fin du match, le visage martelé par la fatigue, Gattuso esquissa son habituel sourire. On ne pouvait rien lui reprocher : une fois encore il avait servi son cocktail favori fait de sérieux, d’abnégation et d’engagement. Comme de cou-tume, il a justifié son surnom : Ringhio. Essereringhio, cela signifie donner tout, constamment et terminer le match la tête haute quel que soit le résultat final. Véritable stakhanoviste et symbole de l’altruisme sur un terrain, Gattuso correspond bien à cette définition.

 » Au début, je n’aimais pas ce surnom mais comme tout le monde m’appelait ainsi, je ne pouvais rien faire. Et puis il y a tant de choses qui me déplaisent ; au point que je ne pourrais pas m’occuper de toutes « , avoue le médian milanista qui, aujourd’hui, se dit fier de ce sobriquet parce son courage est apprécié par tous, même ceux qui ne soutiennent pas Milan. Il doit sans doute le préférer à celui dont on l’a aussi affublé à une époque : le Davids blanc.

 » Parfois, il est inhumain « , lancent en ch£ur ses supporters toujours ébahis par son inlassable travail. Peu importent les choix tactiques, Rino couvre les espaces, s’en procure, presse l’adversaire, filtre les ballons, etc.

Exil fantastique en Ecosse

Gattuso a quitté son village natal à 16 ans pour aller jouer à Pérouse (D2) où il a quelque peu été laissé sur le côté : aucun match la première saison (94-95), deux la suivante celle de la montée en D1 et 8 en 96-97.  » A Pérouse, je vivais au pensionnat. Le président LucianoGaucci ne me donnait pas un sou. Alors je me suis dit û Il faut que tu te décides. Ou tu deviens footballeur ou bien tu vas travailler. J’ai choisi de devenir footballeur et tant pis si je ne perçais pas. Regardez mes mains pleines de cals, je n’ai pas peur de les utiliser. J’aurais été menuisier.  »

Du coup, il part à l’aventure et signe un contrat de deux ans au Glasgow Rangers. La saison 97-98 est en tous points exceptionnelle : 36 matches, 7 buts et le titre de champion d’Ecosse sans oublier qu’il devient le chouchou d’un public qui apprécie sa débordante activité. Il débutera le championnat suivant mais, après quatre journées, rentrera en Italie, à la Salernitana (D1). Il y disputera 25 matches d’un superbe niveau au point qu’en 99, il se retrouve au Milan AC. Là ce fier ouvrier du football y prend une autre dimension au point d’endosser pour la première fois, en février 2000, le maillot de la SquadraAzzurra. Dino Zoff ne l’a finalement pas convoqué pour l’EURO 2000 et il aura dû se contenter du Championnat d’Europe des Espoirs, remporté par l’Italie. Depuis, son palmarès s’est enrichi d’un titre (2004), d’une Ligue des Champions, d’une Supercoupe d’Europe et d’une Coupe d’Italie (2003).

Gattuso a beau prétendre qu' » il faut des sénateurs dans un vestiaire mais je n’en suis pas un. Je n’ai pas les capacités de médiation. Je ne suis pas diplomate « , il est devenu un des leaders du Milan. Quand il n’est pas là, l’équipe manque de détermination. Et puis, au moins une fois par match, il se livre au même rituel : comme les phoques au cirque, il laisse rebondir plusieurs fois le ballon sur la tête avant de le bloquer. Une manière bien sympathique d’arracher des applaudissements, de provoquer l’adversaire et de galvaniser un peu.

 » Sur le terrain, j’exagère. Lorsque je me vois à la télé je me trouve antipathique. Insupportable ! Mais je crois que l’on peut dire ce que l’on pense « , avoue-t-il. Lors d’un derby, Ronaldo, un joueur réputé correct, assène un coup de coude à Robert FabianAyala. Instantanément, Gennarino traverse tout le terrain, va bousculer le Brésilien, une dizaine de centimètres plus grand que lui en lui hurlant : -T’as fait la faute, eh bien grouille-toi de sortir « .

Gattuso :  » C’est une des pires sottises de ma carrière. J’étais à peine arrivé à Milan et j’étais le seul qui ne devait pas s’en mêler. Le jour de mon arrivée à Milan, je me sentais important, puis, tu vois dans le vestiaire des joueurs qui ont remporté deux ou trois Coupes des Champions qui s’entraînent comme s’ils étaient toujours dans les équipes d’âge. Je peux dire que j’ai beaucoup appris au Milan, que c’est une grande école. Au terme de ma deuxième saison, je pouvais partir mais j’ai préféré rester même si le président SilvioBerlusconi s’énerve à cause de mes cheveux et me demande chaque fois qu’il me voit ce que j’attends pour les couper…  »

Des tas de clichés négatifs circulent sur sa personne et pourtant Gattuso plaît :  » Probablement parce que je suis spontané et que je n’évite la discussion avec personne « .

Gattuso au-delà des clichés

Premier cliché : Gattuso est un joueur qui cogne ; on dirait qu’il monte sur le terrain avec un papier sur lequel sont repris les numéros des joueurs à abattre.  » Je suis orgueilleux de pouvoir dire que je n’ai jamais blessé aucun adversaire. J’ai écopé de mon premier carton rouge à Florence en octobre 2003, lors de ma cinquième saison au Milan, pour rouspétance. C’est vrai que j’ai un sacré caractère. Je dis toujours ce que je pense. Même dans le vestiaire. Je sens bien que cela ennuie certains mais je le dis quand même. De toute façon, dans cinq ou six ans, ces personnes les reverrai-je encore ? »

Deuxième cliché : Gattuso c’est la négation du football.  » Eh oui ; parce qu’il y a des gens qui ne conçoivent le football qu’avec des Francesco Totti et des Roberto Baggio. Il est clair que quand sur un terrain tu fais 2.000 choses à 2.000 km/heure, tu as un fameux déchet. C’est sûr que le risque de se tromper est moindre quand on n’en fait que dix. Mettez en face une équipe avec 11 Gattuso et une avec 11 Totti, les Gattuso ne perdront sûrement pas (il rit). Si je devais revenir sur terre, entre Gattuso et Totti, je préférerais renaître Gattuso. Parce que je m’aime bien ainsi. Avec l’envie de courir, de combattre sans cesse, d’avoir mon taux d’adrénaline toujours au maximum. Surtout parce que je veux toujours gagner ; ce métier m’amuse. Et tant que je m’amuserai, je continuerai. Mais je suis conscient que mon rôle m’oblige à me dépenser plus que les autres joueurs. Je serais hypocrite si je pensais pouvoir abattre pendant six ou sept saisons encore une telle quantité de travail. A un certain moment, je devrai me gérer plus « .

Troisième cliché : Gattuso n’entretient pas avec la télévision un excellent rapport. Les faits remontent avant la Coupe du Monde 2002.  » Un jour, j’allume la télévision et je découvre que j’ai huit frères et que je proviens d’une famille où l’on mourrait de faim. J’ai trouvé cela scandaleux : je n’ai que deux s£urs et mes parents sont des personnes simples qui se sont sacrifiées pour que nous ne manquions de rien. J’ai explosé. Ils m’ont entendu… Une autre fois, mes deux s£urs étaient les invitées d’une émission sportive, l’animateur les présente comme deux beautés méditerranéennes et puis leur pose une question d’un ridicule fini : û Mais comment se fait-il que votre frère soit si laid ? Quoi de plus normal à la première occasion de demander à ce gars-là s’il s’est déjà regardé dans un miroir ? ».

Cristiano Ronaldo, désormais décisif

Depuis le début de la saison de la Premiership, Arsenal et Chelsea occupent les premiers rangs. Les Gunners ont fait la une de toute la première partie de la saison en établissant un record de 49 matches sans défaite entamé en 2003-2004. Et les hommes de José Mourinho qui ont repris le flambeau en dominant outrageusement le championnat au point de compter neuf points d’avance visent toujours un triplé championnat, FA Cup et Ligue des champions.

Pourtant, les Red Devils de Manchester sont toujours là. Après un début de saison gâché, United s’est retrouvé à Old Trafford un soir d’octobre en mettant fin à la série d’Arsenal. Depuis lors, les Gunners ont sombré et Manchester a réussi à refaire son retard de 11 points sur les troupes d’ Arsène Wenger.

S’il n’y avait la constance et la rigueur de Chelsea, on parlerait même d’un remake des saisons 1995-1996 et 2002-2003 durant lesquelles Alex Ferguson avait réussi à galvaniser ses troupes pour combler un fossé de 12 points sur Newcastle et de 8 sur Arsenal. En tout cas, les Mancunians auront montré qu’ils ne sont pas morts. Ce sont une nouvelle fois les  » historiques  » du club qui ont donné le signal du rassemblement. En capitaine exemplaire, l’Irlandais Roy Keane a retrouvé son peps lui qui restait sur deux saisons ternes et à qui on prédisait une retraite dorée. On affirmait qu’il ne saurait plus jamais retrouver le niveau qu’il possédait avant cette difficile opération à la hanche… Un cran devant lui, c’est Paul Scholes qui a suivi l’exemple en retrouvant les chemins des filets. Sans oublier Ryan Giggs, qui, à 31 ans, a prouvé qu’il pouvait encore faire basculer nombre de matches.

Mais la résurrection de Manchester doit beaucoup également à la nouvelle génération représentée par Wayne Rooney et Cristiano Ronaldo. L’ancien joueur d’Everton s’est immédiatement intégré au sein du collectif. Mais plus encore que la nouvelle star anglaise, c’est la perle portugaise que Ferguson a décidé de couver.

Arrivé lors de l’été 2003 pour la somme de 17 millions d’euros, après avoir frappé dans l’£il du technicien écossais lors du match inaugural du nouveau stade Alvalade de Lisbonne entre le Sporting local et M.U., Ronaldo devait remplacer sur la pelouse et dans les c£urs l’icône anglaise, David Beckham, parti chercher fortune à Madrid. Pourtant, les débuts furent délicats et il fallut attendre la fin de saison passée pour entrevoir toutes ses possibilités.

EURO et J.O.

Il a appris ses leçons durant un an, confiné entre un rôle de titulaire et de remplaçant. Mais l’EURO portugais lui permettait de changer de statut, passant de celui de promesse à celui de star. Chez lui, il devenait le moteur d’une sélection qui échouait finalement en finale. Auréolé de cette nouvelle image, Ronaldo ne pouvait plus rien refuser à son peuple, à sa sélection qui l’avait ancré parmi les légendes du ballon rond. Et c’est dans cette optique qu’il accepta de porter les espoirs de toute une nation en partant aux Jeux Olympiques.

Toutes ces sollicitations estivales allaient pourtant se payer cash. Le début de saison catastrophique des Red Devils s’expliquait par les blessures de Rooney, Ruud van Nistelrooy, Scholes mais aussi par la méforme de ceux sensés les suppléer… comme Ronaldo. Revenu en Angleterre par la grande porte, le natif de Madère aurait dû tout casser lors de la reprise. D’autant plus que Ferguson avait bien perçu la transformation  » portugaise  » de son poulain, désirant désormais lui offrir plus de temps de jeu. Résultat : défaite d’entrée face à Chelsea et trois matches nuls lors des cinq premières journées de championnat.

Advint alors un soir d’octobre. Le 24 exactement. Manchester naviguait en eaux troubles bien loin d’Arsenal et de Chelsea. Pourtant, dans un dernier sursaut d’orgueil, les Mancunians battaient Arsenal 2-0. Ferguson empêchait son meilleur ennemi, Arsène Wenger, d’atteindre le chiffre de 50 victoires d’affilée. Depuis lors, Manchester a repris sa marche triomphale ne s’inclinant sur la scène anglaise que devant Portsmouth une semaine plus tard et devant Chelsea en demi-finales de la Coupe de la Ligue lors d’un replay explosif. Soit 41 points sur 45 en championnat et une série de 15 matches sans défaites (13 victoires et deux nuls).

Cristiano Ronaldo, fatigué par son programme d’été, dut attendre avant de retrouver son habit de lumière. Calmement, il se trouvait déjà sur le bon chemin. Alors qu’on lui reprochait souvent d’avoir du talent mais de ne pas être efficace sur le jeu de son équipe, Ronaldo montrait de grands progrès en la matière.  » Il a appris beaucoup sur le football anglais « , expliquait Ferguson au début du mois de décembre.  » Maintenant, sans aucun doute, c’est devenu un joueur influent. Il peut changer le cours d’un match « .

Un retour profitable à Madère

Pourtant, il lui fallait un break pour mieux repartir. C’est ce qu’il aura fin décembre en recevant dix jours de congé pour se ressourcer en famille sur son île de Madère. Et comme la saison précédente, de retour, Ronaldo était prêt à casser la baraque. Ce qu’il ne se privera pas de faire.  » Je ne crois pas que cette saison fut plus dure pour moi « , expliquera Ronaldo à MUTV.  » Un joueur de football connaît simplement ses bons et mauvais moments.  »

Début décembre, Ronaldo ne comptait qu’un goal à son actif. A cette époque, il disait :  » J’ai promis que j’atteindrais la dizaine et je crois que cet objectif est encore réalisable si j’ai un peu de chance. Car j’ai quand même frappé le poteau à sept reprises « . Deux mois plus tard, Ronaldo a porté son total de réalisations à six. Contre Arsenal, il fut à la base du fait d’armes de la saison : Mené 2-1, Manchester va s’imposer 2-4 à Higbury en proposant un pressing sur toute la largeur du terrain, travail défensif partant de l’attaque (Rooney et Ronaldo en premier), un milieu de terrain omniprésent et des actions offensives alliant la technique à la vitesse. Et à la base de tout cela, l’importance des flancs : Giggs et Ronaldo.

Le dribbleur portugais virevoltant a réussi à étoffer son jeu en couvrant défensivement tout son flanc, en conservant le ballon et surtout en se montrant enfin décisif offensivement. Celui qui en janvier recevait comme commentaire  » aussi bien génial que frustrant mais toujours dangereux  » dans le Manchester Evening pour expliquer sa prestation contre Aston Villa avait réussi sa mue en gommant l’adjectif frustrant de son vocabulaire.

Pourtant, cette rencontre, aussi symbolique soit-elle ne marqua pas l’apogée du jeu mancunian en général et de celui de Ronaldo en particulier. La Cup allait lui offrir son meilleur terrain de jeu. Contre Middlesbrough (3-0), il affolait autant la foule que les supporters en offrant un goal et en inscrivant un autre. Et il parachevait le travail contre Everton (0-2) le 19 février en qualifiant son équipe pour les quarts de finale de la compétition.  » Le garçon s’est montré fantastique. Il est persévérant et n’abandonne jamais. Il protège et demande le ballon « , ajoutait Ferguson au soir de la victoire.

Sa renommée grandit. Et les tabloïds anglais ne s’y trompent pas. Il a réussi à rejoindre le camp des kings of the wings (les rois des ailes) composé d’ Arjen Robben, de Giggs ou de Shaun Whright-Phillips (Manchester City). Du coup, le club planche déjà sur une prolongation de contrat, 18 mois après son arrivée.

Un 4-5-1 bénéfique

La blessure de Ruud Van Nistelrooy a certainement eu son incidence sur la transformation du Portugais. Cette absence a obligé Ferguson à changer son système et à passer du 4-4-2 au 4-5-1 avec le seul Rooney en pointe mais avec un Ronaldo plus proche du rectangle, donc plus décisif. Contre Milan, c’est Ronaldo qui a amené les deux occasions les plus dangereuses. Mais face à une défense italienne aussi intraitable et capable de gérer à domicile son avantage acquis à Old Trafford, Manchester ne peut pas se permettre de ne jouer qu’avec un seul attaquant spécifique. La montée au jeu de Van Nistelrooy (qui revenait de blessure) a apporté plus de poids dans le rectangle adverse. Ronaldo devra donc reculer d’un cran et retourner à son aile où il est devenu un king…

Nicolas Ribaudo et Stéphane Vande Velde

 » Cristiano est devenu UN JOUEUR QUI PEUT CHANGER le cours d’un match  » (Alex Ferguson )

 » Je préférerais renaître GATTUSO QUE TOTTI  »

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