Rififi à Chicago

Le penalty oublié par Kurt Röthlisberger a coûté cher à une équipe nationale criblée de problèmes internes.

Si elle avait évité la défaite le 29 juin 1994 contre l’Arabie Saoudite à Washington (1-0, but d’ Al-Owairan), la Belgique aurait peut-être prolongé son rêve américain. Au lieu de voyager dare-dare à travers les Etats-Unis pour se mesurer à la puissante Allemagne à Chicago au 2e tour, les Diables Rouges auraient affronté l’Irlande chez eux, à Orlando. Il suffisait de récolter un point pour que les troupes de Paul Van Himst, déjà qualifiées, gardent la tête de leur groupe. Hélas, cela tourna mal et la désillusion fut terrible.

La folle cavalcade d’Al-Owairan à travers les lignes belges éveilla des regrets et donna une nouvelle dimension aux gros soucis internes qui minaient l’équipe nationale : dettes de jeux des amateurs de cartes, attaque assez faiblarde, accueil mitigé réservé au naturalisé JosipWeber qui traînait son vague à l’âme, effectif vieillissant, coup de blues de MarcWilmots accusé d’avoir raté quelques occasions de but au Robert Fitzgerald Kennedy Stadium de Washington. La presse était en état de guerre avec le chef de délégation Roger Vanden Stock (accusé de ne pas être très bien préparé) et avait déjà oublié les deux succès décrochés au Citrus Bowl d’Orlando : 1-0 contre le Maroc (but de Marc Degryse) et surtout le même résultat face aux Pays-Bas ( Philippe Albert à la finition) avec un immense Michel Preud’homme qui allait être élu meilleur gardien de but du monde. Van Himst n’échappa au torrent de critiques car il s’était privé des services de GeorgesGrün qu’un avertissement supplémentaire aurait écarté de la rencontre du deuxième tour. Il y avait mieux comme ambiance avant de croiser le fer avec l’Allemagne.

Anderlecht appelle Wilmots

Ecarté pour la circonstance au profit de Weber, Wilmots ruminait l’idée de quitter l’équipe nationale et revint sur le problème dans un livre ( Diable d’homme par Christian Carette aux Editons Luc Pire) :  » Moi, ce qui me gênait, c’était le principe même de la naturalisation de Weber. Je n’ai rien, mais alors rien du tout, contre les gens qui deviennent Belges parce que ça leur correspond. Et je n’en veux personnellement ni à Van Himst, ni à Weber. Josip a d’ailleurs été tué ensuite par ceux qui l’avaient poussé là. A tort ou à raison, sur le moment, j’ai ressenti l’affaire comme un manque de respect, comme si elle avait été montée contre moi : -Tu nous as qualifiés, au revoir et merci, ta place est pour un autre ! L’Union Belge tenait de beaux discours sur la formation, la jeunesse, mais, dans les actes, elle £uvra politiquement pour s’approprier le meilleur buteur des trois derniers championnats. C’est tout juste si elle ne promettait pas qu’avec Weber, elle serait championne du monde.  »

Le Hesbignon évoqua aussi un incident qui l’opposa à Anderlecht avant le début du voyage aux States :  » J’étais en fin d’engagement au Standard. J’avais promis à AndréDuchêne de prolonger. Michel Verschueren m’a appelé. Il m’a demandé si j’avais re-signé. Quand j’ai répondu non, il m’a proposé de le faire au Parc Astrid. Par contrat, je pouvais partir contre une somme de transfert de 90 millions de francs (2.250.000 euros). Je n’ai pas voulu discuter. Je n’entendais pas renier ma parole. Il a insisté, sur le ton : -On ne refuse pas Anderlecht. Je me suis énervé. Je lui ai répondu que je ne jouerais jamais dans son club. Il a laissé entendre que je le regretterais… à la Coupe du Monde. Ce sont peut-être des choses que l’on dit dans le feu de l’action, de 1’excitation, voire de la frustration. Reste que les Bruxellois ont ensuite transféré Weber pour 110 millions (2.750.000 euros), et qu’ils avaient pas mal d’influence, je connais le milieu. Me suis-je fait des idées ? Ce coup de téléphone m’a trotté longtemps dans la tête, compte tenu de la tournure des événements. Qu’auriez-vous pensé à ma place ? »

Pourtant, malgré tous ces énervements, la Belgique faillit susciter la sensation dans le Michigan. Bien organisée, avec Weber à la place de Wilmots, la Belgique posa de gros problèmes à l’Allemagne. L’équipe nationale tenait à effacer l’affront de Washington. Les arguments n’étaient pas les mêmes : la Mannschaft ne comptait pas ses stars. A la mi-temps, il y avait déjà quatre buts au marquoir : 1-3 pour l’Allemagne. Et pourtant, la messe n’était pas dite. Ardente, la Belgique revint à un souffle de son adversaire grâce à Philippe Albert en fin de match. Après l’égalisation de Grün à la 8e minute, c’était encore un arrière qui alimentait la marque pour les Diables.

Röthlisberger fut sanctionné par la FIFA

L’Allemagne eut alors des inquiétudes mais que se serait-il passé si l’arbitre suisse, Kurt Röthlisberger, n’avait pas protégé lamentablement les gars de Berti Vogts en n’accordant pas un penalty gros comme une maison à la Belgique ? Quand ThomasHelmer balança Weber dans le rectangle, il n’y avait plus que trois décisions à prendre : penalty, carte rouge et exclusion de l’auteur de la faute. On imagine ce que cela aurait pu signifier. Au lieu d’être l’anti-héros belge de la World Cup, Joske serait peut-être entré dans l’histoire. Mais il était écrit dans les cieux ricains que ce ne serait pas la Coupe du Monde des attaquants belges. Wilmots, Weber, Luc Nilis ou Alex Czerniatynski ne furent jamais à la fête.

En ne bronchant pas, Röthlisberger déclencha une fameuse bronca. L’injustice était trop flagrante. Ce rififi à Washington pouvait s’expliquer. Un petit pays était roulé dans la farine par un homme en noir qui reconnut plus tard son erreur et fut sanctionné par la FIFA. Regrets éternels. A 11 contre 10, la Belgique se serait-elle imposée ? Qui peut le dire ? Personne. La colère médiatique à l’égard des pontes de l’équipe nationale baissa d’un ton. Cette défaite ne resta cependant pas sans conséquences. Quatre ans après le brillant Mondial italien, le vent tournait. La fin était proche pour Van Himst qui allait céder le témoin à Wilfried Van Moer. Wilmots se retira provisoirement sous sa tente. L’histoire bascule parfois sur des détails, sur un penalty oublié. Mais c’est avant Belgique-Allemagne et l’injustice de Röthlisberger que la Belgique avait joué avec son bonheur américain.

par pierre bilic

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