Rien que la vérité

L’attaquant péruvien a un comportement très spécial mais au-delà des clichés, certains témoignages forts plaident pour lui.

Au bout d’un quart d’heure, lors de Club Brugeois-VfB Stuttgart, Andrés Mendoza avait déjà eu le but d’ouverture au bout du pied, à deux reprises, mais Thomas Ernst a sauvé sa cage des pieds et des poings alors que Sandy Martens, mieux placé que son collègue, levait les bras en l’air, exaspéré. A la limite du rectangle, Mendoza avait ensuite distillé une bonne passe à Gert Verheyen et, à plusieurs reprises, il avait semblé s’envoler vers le but, laissant ses adversaires sur place. Mais chaque fois, un détail avait foiré. Après une pirouette ratée, un mauvais tir et des protestations à l’encontre de l’arbitre, il avait été remplacé avant le dernier quart d’heure. Cependant, lors du choc Bruges-Anderlecht, c’est Mendoza qui ouvrit la défense mauve pour offrir un superbe assist à Philippe Clement

« Andrés a des qualités mais doit progresser », explique Trond Sollied. « Rien d’anormal à ça. On ne discerne une évolution que sur plusieurs années. Ceux qui apprennent vite peuvent évoluer rapidement, les autres doivent emprunter des chemins plus lents. Andrés est nettement meilleur que lors de notre première rencontre. Il en sait plus long sur le football européen, le travail et les duels. Il a une marge de progression dans tous les domaines et il en est conscient. La vitesse est sa principale qualité, car elle lui permet de passer facilement un adversaire.

Je suis content de Mendoza, je ne peux rien lui reprocher. C’est un battant. Quand et aussi longtemps qu’il y a une chance de gagner, les Sud-Américains se défoncent. S’ils ne peuvent plus gagner, ils sabotent davantage qu’ils ne jouent, ils essaient de rendre les autres fous et font comme si le match n’était pas tellement important. Il a encore beaucoup à apprendre mais il faut savoir d’où il vient et se mettre à sa place. Traversez l’Atlantique et essayez de fonctionner dans le bled péruvien dont il est originaire. Je vous souhaite bonne chance. Andrés est timide mais il n’a pas de problème de communication. Il est intelligent et attentif. Il comprend ce qu’il veut bien. Il fait parfois des bêtises, ce qui ne signifie pas qu’il soit fou ou stupide. Je l’accompagne de mon mieux. Je veux le conduire au ciel, pas en enfer ».

« Mendoza n’est pas plus bavard en espagnol que dans les autres langues », affirme Wilder Buleje, du quotidien péruvien El Comercio. « Il est très renfermé et mystérieux, aussi. En 1999, il a eu un accrochage avec le président de la fédération, Antonio García Pye, après un match des -23 ans contre l’Equateur. Garcia a refusé de lui rembourser comme promis les frais de voyage et de lui verser sa prime de match. Mendoza n’a rien trouvé de mieux, comme moyen de pression, que de prendre une coupe de la vitrine aux trophées. Il l’a ensuite rendue et s’est réconcilié avec le président mais l’affaire n’a pas fait du bien à sa réputation.

Cette même année, à l’occasion d’un autre match international, il a refusé de chanter l’hymne péruvien et a été suspendu pour manque de respect à sa patrie sans oublier qu’il avait affiché un manque total de discipline pendant le stage. En juin de l’année dernière, le sélectionneur de l’époque Julio Uribe l’a écarté pour plusieurs matches: après son remplacement, il avait quitté le terrain avec une lenteur extrême.

Son sourire quand il rate une occasion?  » Eso es un tic« , estime Carlos Salas, d ‘El Comercio. « Il l’a toujours fait ».

« Il a dû lutter pour survivre »

« A chacun son caractère, non », commente Dany Verlinden, le capitaine du Club Brugeois. Certains grands joueurs ne sont pas précisément faciles. L’essentiel est de signer des prestations qui satisfont tout le monde. Dans ces conditions, on peut avoir un sale caractère. Nos rapports avec lui sont difficiles, ne serait-ce que parce que nous ne parlons pas espagnol et qu’il ne s’exprime pas en anglais. Au début, il a suivi des cours mais il les a interrompus. Je pense que Bruges constitue une étape vers un pays européen où il pourra parler sa langue natale.

Andrés est aussi un… je ne dirais pas un égoïste mais quand même un égocentrique. Je le comprends, compte tenu de ses origines. On le remarque parfois sur le terrain, à ses réactions: il a dû lutter pour survivre. Si on n’intervient pas immédiatement, gare à l’escalade! Je pense qu’il faut lui montrer clairement quelles sont les limites à ne pas dépasser. Une fois qu’on accepte certaines choses, on ne peut plus revenir en arrière. La meilleure approche avec ce genre de garçon? On ne sait jamais. Peut-être un traitement trop strict serait-il contre-productif. Le jour de la finale de la Coupe, on se dit : -Andrés, bon Dieu, qu’es-tu encore en train de faire! Mais on n’intervient pas et voilà qu’il casse la baraque. Alors, quelle est la bonne solution?

Quoi qu’il en soit, il est important de respecter tout le monde, dans un groupe. Peut-être le comprend-il, mais il ne le montre pas toujours. Quand on joue et s’entraîne en groupe, on doit se conformer à des règles, ce qu’il ne fait pas. Il arrive en retard ou il téléphone pour dire qu’il faut passer le prendre quelque part. Au début, c’est énervant mais on s’y fait.

Andrés est un avant typique: quand il voit le but, il veut marquer et il ne regarde pas ses coéquipiers. Les meilleurs attaquants du monde sont comme ça. Il a quelque chose, il peut déterminer un match mais ça reste trop sporadique. Il a besoin de se sentir accepté, soutenu par l’entraîneur et les supporters. La critique le touche beaucoup. Il doit acquérir plus de régularité. A son arrivée, je me suis demandé: Jésus, Marie, qu’est-ce que c’est? D’accord, je me suis partiellement trompé sur son compte ».

De très basse extraction

« C’est à cause de son comportement spécial que je n’ai pas proposé Mendoza aux clubs intéressés », explique Dirk Devriese, qui s’estime scout international plutôt que manager. « La première fois que je me suis rendu au Pérou, c’était pour visionner Mendoza et Pizarro. Ils étaient nettement au-dessus des autres mais les journalistes et d’autres personnes m’ont prévenu: Mendoza était d’humeur très changeante, énervant pour les entraîneurs et ses coéquipiers. Je ne suis pas surpris que Bruges ne parvienne pas à avoir prise sur son comportement. Il l’a acheté sur base de vidéos, sans véritable screening alors qu’il avait pourtant raté son test à Unterhaching. Là, ils ont immédiatement compris à quel genre d’oiseau il avaient affaire.

On voit qu’il est souvent absent, pendant les matches, qu’il n’a pas vraiment la volonté de forcer quelque chose et, qu’en plus, il a le gros cou. Ilest de très basse extraction et gère mal sa richesse subite. Il n’a pas l’humilité ni la chaleur humaine de Pizarro, Del Solar, Guadalupe et Olcese. Ces garçons ne font pas de chichis, ce qu’on ne peut dire d’Andrés.

Il y a de fortes chances qu’il reste le footballeur qu’il est avec beaucoup de talent mais peu de rendement. Il n’est pas un killer. Il rate trop d’occasions à cause de sa nonchalance. Son principal problème, c’est que notre football de caractère ne lui convient pas. Même en lui imposant des sanctions et en le soumettant à la concurrence, il n’y a pas moyen de l’affûter. Il doit jouer sur ses sensations et sentir la confiance de l’entraîneur. Chapeau pour Sollied, qui parvient à tolérer tous ses caprices. Auprès de n’importe quel autre entraîneur, il ne serait déjà plus question de Mendoza ».

« Andrés a beaucoup de force et un formidable pied gauche », explique Carlos Oblitas, sous la direction duquel Mendoza a effectué ses débuts en équipe nationale. « Un grand footballeur, comme Pizarro. Ils sont les meilleurs du Pérou. Il obtient son meilleur rendement en contre ou quand il peut chercher des espaces sur toute la largeur du terrain, depuis l’axe. Il est jeune à 24 ans. Il a encore beaucoup à apprendre. D’après les images TV, il a acquis de la maturité et il sait travailler à la récupération, comme il se doit en Europe.

Même s’il n’en donne pas l’impression, Andrés est discipliné. Il faut le connaître. Le problème, c’est qu’il est renfermé, timide, qu’il s’exprime difficilement et qu’en plus, il ne parle que l’espagnol. C’est une question d’éducation; Andrés vient d’une famille très pauvre, il a eu une jeunesse difficile et, en plus, il a rapidement émergé en football. Il a dû travailler dès l’adolescence. Il n’a pu suivre d’enseignement secondaire. Il n’a pas de bagage. Il garde ses problèmes pour lui et il explose quand c’en est trop. Il est extrêmement méfiant. C’est une attitude compréhensible, compte tenu du milieu dans lequel il a grandi.

Au début, il ne me parlait pas non plus mais j’ai réussi à franchi la barrière qui nous séparait et il m’a ouvert son coeur. J’ai découvert un très bon garçon, très gentil. Les dirigeants, entraîneurs et joueurs doivent le comprendre et faire preuve de patience à son égard. Chaque homme est différent ».

Une bonne relation professionnelle

« Je ne dirais pas que Mendoza est difficile », commente Jacques De Nolf, le secrétaire général du Club. « Il y a des joueurs qui s’estiment brimés par les moindres règles. Il nous trouve sévères, comme nous estimions stricte la discipline des anciens pays de l’Est. Je le comprends mais, dans un sport collectif, il faut respecter ses coéquipiers.

L’entraîneur a résolu l’incident l’ayant opposé à Ristic très intelligemment. Vous devez savoir qu’en Belgique, la législation sur le travail est tellement subtile qu’il faut être extrêmement prudent en infligeant des amendes. Il faut respecter toute une procédure et, avant tout, l’argent doit être versé à un fonds social. Tout un cirque. Nous en avons fait l’expérience avec Anic et nous avons dit: -Cela suffit.

Andrés est d’un tout autre style qu’Anic, qui était plutôt une tête brûlée. Andrés, lui, est je-m’en-foutiste. On a plus de travail avec des joueurs pareils qu’avec le Belge moyen. Ils ont une tout autre vision de la vie. Ils préfèrent la rue. Il nous appartient de mettre le holà, de ne pas laisser pourrir certaines situations. Il faut veiller à ce que le gazon soit tondu avant qu’il ne soit à hauteur d’homme, à ce qu’il y ait assez de mazout. Parce qu’avec eux, s’il n’y en a plus, il n’y en a plus! Je dois dire qu’il y a des Belges qui commettent nettement plus d’infractions au code de la route que lui. Ce qui ne veut pas dire qu’il conduit bien (il rit).

Nous ne devons pas trop nous formaliser de ces différences de culture. Une bonne relation professionnelle suffit amplement. Il est ici pour réussir sa carrière de footballeur professionnel et il sait qu’il a des obligations à remplir. Il se compare volontiers à Pizarro mais nous ne sommes évidemment pas le Bayern. Il a le droit de rêver d’y jouer. J’espère qu’il en sortira quelque chose, pour lui-même et aussi parce que nous en profiterions, évidemment ».

Christian Vandenabeele, Roel Van den Broeck et Frédéric Vanheule

« Allez jouer au Pérou et vous verrez »

« Il m’a ouvert son coeur, il est très gentil »

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