Rhum ou menthe?

Portrait de deux jeunes Rouches aux origines ensoleillées. L’un à Malines, l’autre à Sclessin.

Il y a du Enrico Macias dans la vie de Mustapha Oussalah et de Xavier Asselborn. Ils sont devenus des gens du Nord avec dans les yeux la chaleur de la terre de leurs parents. Le premier a fêté ses 22 ans le 19 février. Le second a célébré ses 20 ans lundi passé. L’avenir leur appartient. Formés au Standard, par l’équipe de Daniel Boccar, ils ont passé leur enfance dans le bassin industriel liégeois. Ils s’identifient totalement à la mentalité et à la volonté de cette région.

Xavier et Mustapha s’expriment avec une petite pointe d’accent liégeois. Normal quand on vit à Tilleur et à Seraing. Xavier Asselborn a appris à jouer au football avec ses copains de la place de la Chatqueue, un quartier de Seraing qui offre une vue imprenable sur les usines sidérurgiques. L’arrière central de Malines habite toujours rue du Maquis. Il devine que son coin a reçu beaucoup de travailleurs immigrés. La Chatqueue les a bien accueillis, même du temps des grandes grèves des années ’50 et ’60. Il y avait toujours un bol de soupe chaude sur le poêle pour les plus démunis, des couvertures pour les familles nombreuses et les réfugiés politiques débarquant en 1956 de Hongrie ou d’ailleurs pour trouver du travail et relancer leur vie.

Xaxier ne l’ignore pas mais à 20 ans, on pense à autre chose. Son sourire en dit long sur sa joie de vivre. Sa maman est martiniquaise: ceci explique peut-être cela. « Mon papa l’a rencontrée durant ses vacances, quelque part, près de Fort-de-France », dit-il. « Il est finalement resté quelques années dans les Petites Antilles. Malgré le soleil et le plaisir de vivre dans un paradis, le mal du pays a fait son oeuvre. Pour lui, il était indispensable de revenir en Belgique. Mes parents se sont d’abord fixés à Verviers où je suis né avant de s’installer à Seraing. A Verviers, ils ont eu une épicerie mais mon père a ensuite trouvé du boulot dans la sidérurgie. J’ai deux frères et une soeur ».

L’histoire d’amour s’est terminée mais il reste de beaux enfants. « Je vis chez ma mère », affirme Xavier Asselborn. « J’adore le pays de Liège mais, plus tard, il ne me déplairait pas de m’installer à la Martinique. En Europe, l’argent joue un trop grand rôle. Tout, ou presque, tourne autour du portefeuille. Quand on n’a pas de fric, la vie est plus difficile. A la Martinique, le pognon ne compte pas: chacun est apprécié pour sa personnalité, pas pour l’importance de son compte en banque ».

C’est pour cela qu’il y a un peu de rhum dans son football…

Xavier, fils de Seraing

Xavier Asselborn a usé ses premières godasses de football au FC Seraing. Quand le Standard absorba son voisin du Pairay, le gamin de la Chatqueue devint un avant Rouche… »J’étais Cadet deuxième année », se souvient-il. « Je n’étais pas du tout un supporter du Standard. La fin de Seraing a même eu des airs de catastrophe. Je ne connaissais rien d’autre et les derbys contre le Standard étaient toujours attendus et pimentés en catégories d’âge. Je me suis évidemment adapté et je dois beaucoup au Standard ».

Asselborn joua durant quelques années avec le numéro 10 avant de reculer dans le jeu et de s’arrêter au back droit ou au centre de la défense. Il n’a jamais traîné dans les catégories d’âges et s’est toujours entraîné avec des joueurs plus âgés que lui. Il a été régulièrement appelé au Heysel et a toujours fréquenté les équipes nationales de jeunes. Le football est son visa pour la vie. Côté études, ce n’était pas tout à fait cela. Il a pris du retard avant de renoncer en vue du terme de ses humanités.

« C’est risqué, je sais, mais je ne pensais, de toute façon, à rien d’autre qu’au football », souligne-t-il. Son père a joué, en tant qu’extérieur gauche, dans les équipes de jeunes de Seraing et de Liège avant de se retrouver à Verviers et à Heusy. Il milita en séries promotionnaires et son rêve était de voir un jour le gamin en D1. C’est fait. Xavier se rapprocha du noyau A de Dominique D’Onofrio quand Michel Preud’homme lui proposa en décembre de relever le défi malinois après avoir repoussé une offre de Norwich.

« Je n’ai pas hésité une seconde avant de répondre affirmativement », confie-t-il. « C’était l’occasion pour moi de franchir un pas et de découvrir vraiment l’ambiance de l’élite. A Sclessin, je n’avais alors aucune chance de faire mon trou au top. La concurrence est trop forte et, avant mon départ pour Malines, je n’avais aucun vécu en D1. Je manquais de planches par rapport à Onder Turaci, Afolabi, Ivica Dragutinovic, Godwin Okpara, Gonzague Van Dooren, etc. Malines m’offrait la chance de me mettre en exergue. Je n’avais plus rien à apprendre en Réserve. De plus, Alex Czerniatynski me connaissait bien car il fut mon entraîneur chez les jeunes au Standard. Il est formidable à Malines. Tout le monde l’adore là-bas. Je vis une expérience tout à fait fabuleuse. L’Angleterre, c’était trop pour moi. Je risquais de m’égarer, d’hypothéquer le début de ma carrière. Malines est porté par un public qui fait la fête. Ces gens sont heureux: leur club devra repartir de la D3 mais il ne sera pas rayé de la carte. Ils estiment ce que nous faisons pour leurs couleurs. Tout le monde est gagnant à Malines. Ce n’est pas évident car, malgré ses qualités et sa jeunesse, ce groupe n’a pas pu être mis en place dans la patience. Nous encaissons parfois de lourdes défaites mais nous ne baissons pas les bras. Comme le autres, je me donne toujours à fond. Cela peut expliquer des fins de matches difficiles car il faut apprendre à se gérer durant 90 minutes. Je travaille, je m’amuse et je progresse. C’est terriblement enrichissant. On parle beaucoup de Dimitri Habran et de moi-même. Nous avons du travail à crever, de la première à la dernière minute de jeu. A Malines, malgré les défaites, un arrière se met plus facilement en évidence qu’un attaquant. Je ne suis pas très grand (1, 75 m pour 67 kilos) mais cela ne me pose pas de problèmes, même au centre de la défense. Je compense par mon engagement, ma vitesse et mon sens de l’anticipation. Pour moi, même si ce n’est pas toujours évident, c’est une réussite sur toute la ligne. Malines sera un moment important de ma carrière. Je ne jouerai pas en D3 avec Malines. Mon ambition est de rester en D1. L’exemple à suivre est celui d’Onder Turaci. Il a été prêté à Visé et à La Louvière avant de devenir un des meilleurs éléments de la défense du Standard »

Mustapha, fils de Tilleur

Mustapha Oussalah est aussi fin que Xavier Asselborn avec ses 71 kilos pour 178 centimètres sous la toise. Il est né à Bavière, a habité à Droixhe et à St-Nicolas avant de grandir à Tilleur, comme Michaël Goossens. Il sourit quand nous lui parlons de Mika, qui évoque de temps en temps la zone de son enfance.

« Ce n’estplus comme dans le temps », précise-t-il. « A Tilleur, la vie n’est pas pire qu’ailleurs. J’aime bien mon quartier et j’y suis heureux ».

Ses parents sont d’origine marocaine. Ils viennent de la région de Rabat et d’Oujda. Il y retourne de temps en temps mais se sent d’abord, et totalement, liégeois. Son père cracha dans ses pognes pour gagner le pain quotidien de sa famille. Mustapha eut la douleur de perdre sa maman alors qu’il n’avait que huit ans. Un drame que le jeune homme, dont le regard s’embue, préfère ne pas évoquer. Moment de silence, instant de respect. « Cela a fortement changé mon caractère », lâche-t-il. « Je suis devenu plus dur, plus colérique. Mais le football m’a aidé à franchir ce cap délicat de ma vie.Je n’ai pas cédé, je devais être fort pour avancer ».

Oussalah joua à l’EY Liège, à Tilleur et à Seraing Athletic avant d’être repéré par le Standard lors d’un tournoi de cadets. Il abandonne ses études de comptabilité quand Tomislav Ivic tourne son regard vers lui. C’était du temps des Runje, Folha,Prosinecki, etc. « J’étais quand même impressionné », reconnaît-il. « Je suis un gaucher pur. J’admire d’abord les techniciens: Moreira, Walem, Meyssen ou Folha. Dans les autres clubs de D1, j’ai un faible pour Stoica et Haldermans. On ne parle pas beaucoup de ce dernier, perdu à Lommel, mais il a pourtant un formidable bagage technique. La feinte et le crochet de Stijn Haldermans valent le coup d’oeil ».

Mustapha sait que le chemin sera encore long. Il devra encore franchir pas mal de difficultés et même de préjugés. Si Asselborn est une valeur sûre en équipes nationales d’âge, Oussalah -qui est Belge- n’a jamais été convoqué au Heysel: est-ce normal alors qu’il a déjà fait parler de lui en D1? Durant son affirmation dans le groupe, il a perdu pas mal de temps en raison d’une fracture du pied. Au fil des semaines, Mustapha a été impressionné par deux caractères forts: Runje et Dragutinovic. « Vedran était un vrai lion dans sa cage »,avance-t-il. « Il ne supportait pas la moindre défaite, même pas lors d’un petit entraînement. Il rugissait tout le temps. Je n’ai jamais vu un meilleur gardien de but que lui à Sclessin Drago est le patron du Standard actuel. Il a beaucoup de présence et notre équipe n’est pas la même avec ou sans lui. Tout a l’air plus facile et plus léger quand il est là. Ivica, c’est notre phare, notre point de repère. Tout le monde l’écoute. A St-Trond, il m’a prodigué quelques conseils, même à l’échauffement. Rien ne lui échappe, c’est un patron qui sait frapper du poing sur la table ».

Si Asselborn a été loué à Malines, Oussalah est resté au Standard. Il est vrai que Mustapha avait déjà plus de vécu. A 17ans, il bénéficiait déjà des conseils d’Ivic qui aimait son foot à la menthe et fit partie, plus tard, du groupe élargi sous la houlette de Mijac, du duo ThissenDepireux, de Preud’homme et désormais de Dominique D’Onofrio. Oussalah apprécie le discours direct du coach. Il joue de plus en plus. Sa donne est différente par rapport à celle de Xavier Asselborn. Mustapha est sous contrat jusqu’en 2004.

« J’ai eu le bonheur de rester à Sclessin et je veux saisir ma chance à deux mains », jure-t-il. « C’est le moment ou jamais. Etant de nature nerveuse, cela me jouait parfois de vilains tours. Il suffisait de trois fois rien pour me faire bouillir. On me chambrait un peu et je perdais mes moyens. J’ai appris à me calmer, à mieux gérer mes émotions tout au long d’un match. Il est impératif de d’abord penser au groupe. Je ne dois pas faire la différence par et pour moi mais d’abord en fonction du collectif. Un match, c’est quelque chose de difficile à vivre car il convient d’intégrer beaucoup de paramètres: la tactique de l’équipe, le jeu de l’adversaire, son propre physique, ses atouts techniques. Tout peut basculer sur un détail. Il faut rester soi-même tout en pensant d’abord aux autres ».

« J’ai mûri, j’ai compris… », conclut-il. « Je suis un médian gauche et à cette place, il convient d’être offensif sans oublier le travail défensif. Je mesure la confiance qui a été placée en moi au Standard. Il n’est pas question d’échouer et cela passe d’abord par beaucoup de travail. C’est tout aussi vrai pour moi que pour Xavier Asselborn. Dans sa situation, j’aurais fait la même chose que lui. Mes copains me posent beaucoup de questions sur ma vie de tous les jours au Standard. Ils ne savent pas combien c’est dur mais c’est ce que j’aime faire.Je n’ai pas d’autres solutions, je dois réussir car le foot, c’est mon choix ».

Pierre Bilic

« Nous avons du travail à crever de la première à la dernière minute » (Asselborn)

« J’admire les techniciens » (Oussalah)

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