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Comment l’Atletico s’est complètement transformé

Près de huit ans après son arrivée à l’Atlético, Diego Simeone vient d’entamer l’un des plus gros chantiers de sa carrière.

Il a l’oeil hagard de celui qui voit son rêve s’envoler. Sur le terrain du Juventus Stadium, Antoine Griezmann est sonné, comme les milliers de supporters de l’Atlético Madrid qui ont fait le déplacement jusqu’en Italie. Abasourdis qu’ils sont par le triplé inscrit en huitièmes de finale retour de la Ligue des Champions par Cristiano Ronaldo, une nouvelle fois le fossoyeur de leurs illusions européennes.

Cette année 2019 devait être celle de l’apothéose du Cholisme, le projet porté depuis décembre 2011 par Diego Simeone. Celle où l’ Atléti devait enfin atteindre le nirvana continental, en soulevant la Coupe d’Europe sur sa pelouse du stade Wanda Metropolitano.

Au lieu de vivre ce climax footballistique, c’est une nouvelle baffe que se prennent les Colchoneros. Cinq ans après le coup de casque de Sergio Ramos à Lisbonne, trois après la séance de tirs au but perdue à San Siro, c’est avec la brutalité d’une reprise de la tête de CR7 que se referme ce chapitre de l’histoire de l’autre géant madrilène.

Un exode rouge sang

Symbole qu’une page s’est définitivement tournée, Grizi, débarqué en Castille en 2014, choisit finalement de lier son destin au Barça. Un an auparavant, l’attaquant avait pourtant prolongé à l’Atlético sur fond de communication foireuse. Comme si le Français, avide de gloire dans le grand bal européen, avait accordé une ultime chance au projet rojiblanco avant de devoir s’avouer vaincu.

Celui-ci ne sera pas le seul à clore l’aventure. Plus tôt dans la saison, Lucas Hernández est officialisé au Bayern Munich contre 80 millions d’euros (il arrivera en Bavière au coeur de l’été). Diego Godín confirme lui aussi qu’il ne restera pas à Madrid, préférant relever le défi proposé par l’Inter d’ Antonio Conte. Pareil pour Juanfran et Filipe Luís, arrivés en fin de contrat.

Durant l’été, l’Atlético a vendu pour près de 300 millions d’euros et en a réinvesti 245.

 » Jouer, c’est amusant, mais pour défendre, il faut avoir des couilles. Cette défense fantastique restera dans l’histoire de l’Atlético « , disait Simeone au soir de la qualification pour la finale de l’Europa League en avril 2018. C’est dire si ce quadruple départ est un petit drame, quand on connaît l’importance de cette base dans le football des Matelassiers. C’est aussi Rodri, sorte de Sergio Busquets 2.0 musclé par le jeu très exigeant physiquement de Simeone, qui plie bagage, direction le Manchester City de Pep Guardiola.

Au final, le club se retrouve plus riche de 300 millions d’euros, mais surtout privé de quasi toute sa défense, son meilleur buteur et son régulateur au milieu. Excepté Jan Oblak, José Giménez et Diego Costa, c’est donc toute une colonne vertébrale que le Cholo doit reconstruire. Le tout sans perdre de temps sur le Barça et le Real, qui se renforcent eux aussi. Dur, dur…

Un mercato record

Mais on parle d’un gars, Diego Simeone en l’occurrence, qui a repris un club relativement quelconque pour en faire un prétendant au titre, qui n’a plus quitté le podium espagnol depuis sept saisons. Pas le genre de mec à flipper, donc.

Dès la fin mai, la cellule recrutement s’active autour du patron et annonce l’arrivée du défenseur central de Porto Felipe pour vingt millions d’euros. Un mois plus tard, c’est Marcos Llorente qui débarque pour quarante millions en provenance de la Casa Blanca.

Le meilleur est à venir. Le 3 juillet, l’Atlético parvient à souffler João Félix à plusieurs grosses écuries européennes (le jeune Portugais était également la cible de Manchester City, United, de la Juve et du Real) pour 126 millions d’euros. Un gros craquage pour un gamin de 19 ans qui n’a encore qu’une saison parmi l’élite dans les pattes mais qui se révèle d’ores et déjà un coup de maître.

Le latéral gauche Renan Lodi arrive dans la foulée en provenance de Paranaense, avant que Mario Hermoso (Espanyol) et le surprenant Kieran Trippier (Tottenham) ne signent eux aussi. Coût total de ce mercato record pour le club ? 245 millions d’euros. Suffisant pour faire une plus-value financière. Et sportive ? Seul l’avenir répondra à cette épineuse question…

Il a beau être un costaud, Simeone n’en est pour autant pas un révolutionnaire. Pas question de chambouler une philosophie de jeu qui lui a rapporté sept trophées et une place parmi les meilleurs coaches au monde. Si l’ossature est toute jeune, c’est reparti pour un 4-4-2, qui a permis à son Atléti de frapper un grand coup dès la préparation, en tapant le rival merengue 7-3 sur la pelouse de New York.

La parole à la défense

S’ils peuvent le faire là-bas, peuvent-ils le faire partout ? Comme le Barça et le Real, l’Atlético a déjà perdu des points (et du crédit), après être resté le seul club invaincu en Espagne au bout de trois journées. Mais déjà, des tendances apparaissent. Plutôt qu’une disposition exclusivement à plat, il semblerait que le Cholo souhaite également densifier son axe en usant parfois d’un 4-4-2 en diamant. Le genre de schéma qui permet à l’ancien Spur Trippier, titularisé tant en Liga qu’en Ligue des Champions, de régner sur le couloir droit.

L’Anglais, sur lequel le club a déposé 22 millions d’euros, s’est rapidement fondu avec succès dans le collectif huilé de Simeone. Avec des passes décisives pour la tête d’ Álvaro Morata et d’ Héctor Herrera, plus un joli carton aux tests physiques du redoutable Óscar Ortega. Une caisse qui lui permet de développer une grosse activité tout le long de son couloir, d’où il peut décocher de bons centres grâce à sa jolie patte droite.

À ses côtés, c’est désormais à José Giménez de rentrer dans l’armure de patron laissée vacante par Godin. L’Uruguayen de 24 ans a été à bonne école : après cinq saisons passées dans l’ombre de son compatriote, c’est maintenant lui qui doit diriger le secteur le plus important du foot de Simeone.

Solide dans les duels, bon dans les airs, plus expérimenté, il évoluera aux côtés du toujours utile Stefan Savic ou du gaucher Hermoso, l’une des révélations de la saison dernière et déjà testé à gauche par le Cholo, mais qui reste plus un arrière central de métier.

Résultat ? Des clean-sheets acquises en Liga face à Getafe, Leganés, le Celta, Majorque, le Real et Valladolid, mais aussi une défaite à la Real Sociedad, de quoi avoir dû abandonner la pole que le club occupait avec le maximum de points après trois journées de championnat.

Des stats contrastées, donc, qui ne demandent qu’à être affinées au fil du temps et des matches. Entre l’expérience du Monténégrin et la fougue de l’international espagnol, dont le sens de l’anticipation pourrait permettre à son nouveau club de récupérer la balle un peu plus haut, il faudra donc choisir…

La question Llorente

Si c’est sa défense qui a le plus été dépouillée au cours de l’été, c’est paradoxalement un cran plus haut que l’incertitude est la plus grande. Qui remplacera Rodri aux côtés de Saúl Ñíguez, bien ancré dans l’axe alors que Thomas Lemar doit enfin convaincre après une première année difficile ? Car en perdant son numéro 14, le coach de 49 ans a dû dire adieu à une petite merveille de joueur, capable à la fois de gratter des ballons et d’imprimer le tempo à son équipe. Comment compenser le départ du médian, qui avait déjà réussi à pallier celui de l’ancien capitaine Gabi ?

Si les modèles ont changé, le styliste est toujours le même. Et vu les coupes parfaites de ses costumes, c’est toujours au rayon haute couture que compte évoluer Diego Simeone.

Numériquement, c’est Marcos Llorente qui est censé prendre sa place. Acheté à prix d’or, le milieu de 24 ans doit oublier son aventure (douloureuse) au Real pour confirmer les espoirs placés en lui. Habile balle au pied, revanchard, le joueur est une bonne pioche. D’autant que son profil semble plutôt raccord avec le foot prôné par Simeone. Un jeu fait de sacrifice, d’arrachages de ballons et d’intensité. Des caractéristiques dont dispose le blondinet, qui peut cependant pécher à la relance.

Car s’il possède une certaine hyperactivité à la récup, difficile de l’imaginer en véritable dépositaire du jeu. Une tâche qui incomberait alors à Saúl, son compère dans l’axe médian rojiblanco. Naturellement plus doué que son nouvel équipier, l’international a en lui cette capacité de projection nécessaire pour surprendre les adversaires de l’Atlético.

Pareil pour Koke (promu capitaine suite au départ de Godín), qui peut lui aussi prendre place dans une position plus axiale, ou sur le flanc droit. Reste également à savoir si Llorente aura les reins assez solides physiquement pour briller en tant que pivote dans le système Don Diego. Si l’ex- Madridista devait décevoir, Simeone dispose de deux autres atouts en les personnes du Mexicain Héctor Herrera, arrivé gratos de Porto cet été, et du puissant Ghanéen Thomas Partey, titularisé à trente reprises la saison passée. Un joueur doué quand il s’agit de changer le rythme et atteindre les avants.

Des solutions en attaque

Là aussi, les noms sont ronflants, avec l’efficacité de Costa, la taille de Morata, qui sera définitivement transféré à Madrid d’ici un an, Vitolo, déjà auteur de deux buts, et le talent insolent de Félix, un gamin qui a déjà conquis son nouveau royaume madrilène. Sans oublier Ángel Correa, qui a préféré friendzoner le Milan AC afin de poursuivre l’aventure au Metropolitano. C’est dire que les solutions existent malgré le départ de Griezmann.

 » Socialement, moralement et émotionnellement, nous sommes toujours l’équipe du peuple parce que c’est dans nos racines, même si nous avons grandi économiquement « , expliquait Simeone après le succès acquis (difficilement) contre Leganés. Oui, l’Atlético est plus qu’une somme d’individualités remplaçables, fussent-elles aussi brillantes que Griezmann ou Rodri.

Et même mis à nu, le dauphin de Barcelone l’an passé a été capable de se rhabiller avant d’entamer une saison qui s’apparente à la première page d’un nouveau chapitre de son histoire. Coup de bol, si les modèles ont changé, le styliste est toujours le même. Et vu les coupes parfaites de ses costumes, c’est toujours au rayon haute couture que compte évoluer le beau Diego.

Soufflé pour 126 millions à la concurrence européenne, João Félix, à la fois percutant, fin techniquement et mature tactiquement, a déjà marqué les esprits et claqué des buts.
Soufflé pour 126 millions à la concurrence européenne, João Félix, à la fois percutant, fin techniquement et mature tactiquement, a déjà marqué les esprits et claqué des buts.© GETTY

Félix, le Roi

Un appareil dentaire tout juste retiré, un visage poupin, une mèche qui lui confère de faux airs de chanteur de boys band, João Félix a toutes les caractéristiques d’un ado bien de son temps. Et pour cause, le Portugais n’a que 19 ans. Mais déjà une solide assise sur le jeu de l’Atlético Madrid, qui n’a pas hésité à faire monter les enchères pour s’offrir le petit prodige lusitanien.

Difficile pourtant de considérer les 126 millions claqués sur lui comme du gaspi, tant ses premiers pas sous le maillot rojiblanco se sont révélés intéressants. Percutant, fin techniquement, mature tactiquement, le gamin a déjà marqué les esprits et des buts. Et s’est inscrit comme le remplaçant parfait d’ Antoine Griezmann, parti gratter des titres au Barça (et dont il a récupéré le numéro 7). Un joueur terriblement important pour Diego Simeone.

 » La France fonctionne avec son cerveau. Quand Antoine est lucide et dans une bonne forme physique, il n’y a pas, au monde, un joueur capable de comprendre et d’interpréter le football comme lui « , affirmait-il d’ailleurs dans France Football à propos du champion du monde. Sacré compliment, mais bonjour la pression pour le petit João et ses allures de gringalet.

Avec l’audace qui sied si bien aux jeunes footeux dans le vent, il confirme pourtant que sa seule et unique saison au plus haut niveau (il évoluait encore avec l’équipe B de Benfica mi-2018) n’était pas qu’un divin accident. Mais bien la preuve que la Seleçao possède en son sein un véritable petit génie, qui ne brille jamais plus que lorsqu’on lui offre un peu de liberté pour tournoyer autour d’un point d’ancrage.

On s’étonnerait presque de voir un élément aussi gracile briller sous la houlette de l’exigeant Simeone, dont les séances physiques ont déjà sorti les tripes de plusieurs Colchoneros. Là encore, il faudra voir si le petit tiendra la route tout au long d’une éprouvante année. Aussi dure que l’attente rojiblanca vers la gloire européenne.

Aurélie Herman

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