« Retrouver 10.000 supporters au Mambourg »

Le coach limbourgeois entraîne pour la première fois de sa carrière un club relégué : comment Abbas Bayat l’a-t-il convaincu de relever ce défi ?

Le grand Jos a déposé ses valises bourrées d’expériences et de bon sens près de la gare de Charleroi-Sud récemment relookée à grands frais. Venu de Twente, où il travailla un moment aux côtés de Michel Preud’homme avant de s’occuper des Espoirs, Daerden est chargé de remettre rapidement le train des Zèbres sur les bons rails. Son esprit très positif et sa fraîcheur frappent. C’est important car le Sporting de Charleroi a besoin d’enthousiasme pour se requinquer en D2, une série où ce club n’avait plus mis les pieds depuis 26 ans.

Cet homme a connu d’autres jobs délicats, comme ses missions en Ukraine, et il a renoncé à des contacts intéressants au Maroc pour se tourner vers les horizons carolos. En 1985, André Colasse est entré dans la légende en faisant remonter le club. Daerden marchera-t-il sur ses pas ?

 » J’ai signé un contrat d’un an et je sais ce que tout le monde attend, moi le premier : fêter le retour en D1 « , dit-il.  » Charleroi est une terre de football et le grand club de cette ville ne peut pas rester longtemps en D2. Si Charleroi n’y arrive pas, ce sera un échec pour moi. Je suis confiant. En fait, je suis sûr que je serai encore ici en 2012. Cela signifiera que tout le monde aura bien travaillé. Je ne suis pas là pour regarder vers le passé. Une page a été tournée et Charleroi arrivera à ses fins avec ses supporters. J’ai été étonné par la vitesse avec laquelle nos premières décisions ont été mises en musique. Cela ne traîne pas avec Pierre-Yves Hendrickx et Mehdi Bayat. Le stage d’une semaine à Lanaken a vite été organisé. « 

L’effectif a accueilli la venue du coach limbourgeois avec soulagement. Les joueurs ne pouvaient pas rester plus longtemps dans l’expectative alors qu’il était aussi question dans la presse de Luka Peruzovic, de Jean-Guy Wallemme et de Francky Dury.

Tout s’est décidé très vite, n’est-ce pas ?

Jos Daerden : Il y a eu un premier contact par téléphone le dernier lundi de juin et j’ai rencontré Monsieur Bayat le lendemain, dans ses bureaux à Bruxelles. Il avait appris que je ne restais pas à Twente où le départ de Preud’homme a incité le club à redistribuer les cartes. La conversation fut fructueuse et Charleroi m’a fait une proposition. J’ai fait une contre-proposition et cela n’a posé aucun problème. Nous nous sommes parlé et il était évident que nous étions sur la même longueur d’ondes. Il fallait avancer vite pour toutes les parties. Je connais le football belge sur le bout des doigts. Et j’ai évidemment expliqué mon parcours d’entraîneur qui a commencé à Beveren en 1992…

Cela fait déjà près de 20 ans de métier : est-ce cet acquis qui a intéressé le président de Charleroi ?

Peut-être. Durant ces longues années, j’ai parfois été adjoint ou entraîneur des jeunes. En Belgique, on ne s’intéresse pas assez au travail des T2 où à ceux qui s’occupent des Espoirs d’un club. Tout est trop catalogué alors que ce sont finalement des entraîneurs comme les autres et qu’ils partagent un grand projet commun. Le plus important, c’est d’avoir une bonne organisation. T1, T2, T3, ce n’est pas l’essentiel ; il faut d’abord que le club progresse.

 » M. Leone, un homme charmant, était très mal entouré « 

Très intéressant…

Ecoutez, à Genk, j’étais le bras droit de Sef Vergoossen et j’ai appris des tas de choses formidables. En plus de mon boulot habituel, j’étais le relais du coach vers les joueurs francophones de Genk. J’ai approfondi mes connaissances de ce job. C’était extraordinaire, avec un titre à la clef. A Twente, j’ai été le T2 de Preud’homme avant que le club ne revoit son organigramme. Michel a estimé que j’étais l’homme indiqué pour m’occuper des Espoirs de Twente après le départ imprévu du coach de cette équipe, engagé par le FC Emmen. Honnêtement, j’aurais préféré rester avec lui car je voyais bien que cette équipe allait vivre de grands moments mais j’ai accepté pour le bien du club. Et, là aussi, j’ai enrichi mon savoir-faire.

Abbas Bayat voulait tout savoir ?

Non, il s’était renseigné à mon propos et c’est moi qui ai évoqué tout cela, spontanément. Je lui ai parlé de ce qui s’était passé au Germinal Beerschot (où je devais prolonger pour trois ans avant que des tensions au niveau de la direction changent la donne) où à Mons, en 2005.

Mons où le président Leone avait piqué une grosse colère en fin de saison ?

Il est entré dans le vestiaire à la mi-temps du match contre Westerlo. J’étais interdit de zone neutre et l’équipe de Jan Ceulemans marqua avant le repos. Je m’apprêtais à donner mes nouvelles directives quand le président fit son apparition. C’était mal venu, je lui ai dit, car il y a un patron dans le vestiaire, c’est le coach. Je me suis retiré dans mon bureau, le temps qu’il se calme et s’en aille. J’ai alors réorganisé l’équipe qui a gagné mais j’ai été viré. Quand je suis parti, l’équipe était sauvée. Quatre matches plus tard, Mons était en D2. J’ai revu M. Leone, un homme charmant, lors du tour final de D2. A l’époque des faits, il était très mal entouré par des gens que je ne connaissais pas et qui avaient une grosse influence sur lui. Je le lui ai répété…

Abbas Bayat n’est pas un président comme les autres ; il aime bien se mêler du travail du coach aussi, vous ne l’ignorez pas ?

Je ne connaissais pas Abbas Bayat si ce n’est via la télévision et ses coups d’éclat. Je le lui ai dit et il en a rigolé. Il a son caractère et je ne le changerai pas. Je suis le patron de mon vestiaire mais il n’y aura pas de secret : j’expliquerai mes décisions, ma vision, mes choix, les caps à prendre, comme cela se fait régulièrement dans tous les clubs. Quand on dit Charleroi, on songe forcément Abbas Bayat. J’y ai songé avant le premier contact. L’entrevue a permis de nous trouver. On verra bien et je pense à Jean-Luc Dehaene qui disait : – Il faut résoudre un problème quand il y a un problème, pas avant.

L’outil de travail est-il satisfaisant ?

Je connaissais évidemment le stade. Puis, je me suis rendu au centre d’entraînement de Marcinelle. On sait que c’est plus difficile qu’en Flandre ou, surtout, aux Pays-Bas mais j’ai quand même été agréablement surpris par ce que j’ai découvert à Marcinelle. Et quand on demande quelque chose là-bas, les gens se coupent en quatre pour répondre à ton attente. J’ai découvert un très bon terrain d’entraînement, parfaitement entretenu et préparé pour la prochaine saison. Il y a des travaux à Marcinelle et, au vu du cadre, vaste et magnifique, je me dis qu’on peut y ériger un vrai bijou. Je sais que Charleroi s’est entraîné à Tubize mais, moi, je suis content à Marcinelle. Plus tard, les joueurs se rendront directement là-bas. Pour le moment, notre vestiaire reste au stade et nous irons à l’entraînement en autocar. Ce n’est pas très loin, il suffit de quelques minutes. Je connaissais déjà une partie du staff technique, dont Michel Iannacone, l’entraîneur des gardiens que j’ai connu à Mons, et Charleroi a engagé Philippe Simonin, un préparateur physique qui a travaillé avec Albert Cartier.

 » Il faudra que chacun se donne à 100 % et le public reviendra « 

Qu’en est-il de l’effectif ?

Ecoutez, je vais apprendre à le connaître en profondeur. Il y a eu des départs (Riou, Cordaro, Losada, Signorino, Perdichizzi…) mais Charleroi garde un potentiel certain, que ce soit dans ou autour du club. Je songe entre autres aux supporters. Je dresserai un premier bilan sportif dans quelques jours. Nous verrons alors avec le président si des renforts s’imposent. Si c’est le cas, j’insisterai sur un critère important : il faut du talent, cela va de soi mais la mentalité sera décisive. Ce sera à nous d’aller vers les supporters, de les séduire en leur présentant un football engagé. Il faudra que chacun se donne à 100 % et le public reviendra. Je ne veux pas savoir ce qui s’est passé en 2010-2011 : cela ne sert à rien. J’aimerais retrouver 10.000 supporters au Mambourg à fond derrière leur équipe ! Cela passera par de bons résultats…

Donc par la course en tête dès le début du championnat ?

Oui : il est important de ne pas traîner en D2 sous peine de devenir un club typique de cette série. C’est le problème d’une institution comme l’Antwerp qui ne parvient pas à sortir de cette série. La D2 n’est pas facile et Charleroi sera, comme je me fais un devoir de le rappeler, un peu l’Anderlecht de cette division. Charleroi est considéré comme un club traditionnel de l’élite car la relégation est récente. Le Sporting a un statut à part et sera dès lors l’équipe à battre tous les week-ends. Nous serons attendus de pied ferme partout et il faudra du caractère pour résister aux autres bonnes équipes de D2 : Visé, Beveren-Waasland, Roulers où l’ancien manager sportif du Club Bruges, Luc Devroe, cherchera à prendre sa revanche, l’Antwerp qui bénéficiera de l’apport de Jos Verhaegen, l’ancien président d’honneur du Beerschot. Il reste six semaines pour tout mettre au point, ça ira.

Avez-vous trouvé un club et un effectif marqués au fer rouge par la descente ?

Ce n’est jamais agréable de vivre cela mais j’ai surtout trouvé un club qui a envie de travailler. La descente, c’est dans le rétro, Charleroi sait ce qu’il faut faire, produira du bon football et je suis sûr que le stade se remplira. J’avais signalé au président que j’attendais une décision rapide. C’était important pour moi, ou pour tout autre coach, mais surtout pour le club et l’effectif. Vous savez, le président n’a rien dû me dire, j’ai fixé moi-même l’objectif : la montée. Si Charleroi ne monte pas, je ne serai probablement plus le coach de ce club la saison prochaine.

De toute façon, votre univers a beaucoup changé par rapport à la saison passée : avez-vous été étonné par le départ de Preud’homme de Twente ?

Michel a livré un boulot fantastique aux Pays-Bas.

Johan Derksen, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire néerlandais Voetbal International, a-t-il eu sa peau en parlant sans cesse de son football défensif ?

Non, tout le monde sait quand même que Michel a bien travaillé avec des résultats exceptionnels à la clef : la Coupe des Pays-Bas, vice-champion, grande campagne européenne, Coach de l’Année, etc. A Twente, il ne suffisait pas de prendre la succession de Steve McClaren. On oublie que cinq joueurs avaient quitté le club : Kenneth Perez (arrêt), Marko Arnautovic (Werder Brême), Blaise Nkufo (Seattle Sounders), Miroslav Stoch (Fenerbahçe), Slobodan Rajkovic (retour à Chelsea), etc. Michel a beaucoup travaillé pour tout remettre au point. Tous les secteurs de l’équipe ont été réorganisés de fond en comble. Des joueurs ont acquis une autre dimension. Theo Janssen, par exemple, que j’avais connu à Genk, doit son transfert à Ajax à Michel. Janssen me fait penser à Matthias Lepiller (ex-Eupen) doté d’une bonne frappe mais un peu rondouillard. Michel a transformé Janssen en passeur, buteur, meneur de jeu, etc. Bryan Ruiz et Nacer Chadli ont été exceptionnels eux aussi. Le bilan est magnifique. Je ne peux pas répondre à sa place mais il aurait été difficile de faire mieux. Cela a pu jouer dans sa tête. Mais, à mon avis, Michel est très sensible et il veut tout avoir en main. Il a peut-être estimé que ce n’était pas possible à Twente. Or, pendant ce temps-là, il avait des propositions alléchantes, avec carte blanche, dans le Golfe Persique.

 » Bryan et Nacer : oh là-là, superbes joueurs… « 

Vous parliez de Chadli et de Ruiz…

Oh là-là : superbes joueurs. Quand on voit Bryan à l’oeuvre, on ne peut qu’admirer son aisance et son élégance ; impossible de deviner ce qu’il fera du ballon. La grande classe, vraiment. L’homme est, de plus, super sympa. Bryan est une star à Twente mais il reste simple. Chadli est impressionnant aussi. A la fin de la saison, il était cuit mais quel bon joueur. Quand je l’ai vu pour la première fois à Twente, j’ai été soufflé : -Bon Dieu, mais c’est fou, quel talent… Superbe. C’est un joueur moderne à l’entraînement et en dehors du terrain. Chadli ne s’entraîne pas pour s’entraîner mais pour progresser. J’ai rarement vu cela : quelle magnifique mentalité…

Mais comment aviez-vous déniché Metalurh Donetsk ?

Très simplement, via le manager de Yaya Touré que j’avais connu à ses débuts. Il organisait des stages pour des équipes russes en Belgique. C’est lui qui m’a proposé de devenir adjoint de Pichi Alonso qui a ensuite cédé sa place à Co Adriaanse à Metalurh. Shakthar est le grand club de Donetsk. Le football ukrainien est en plein boum. Là-bas, on a compris que l’argent ne suffit pas. Il faut travailler, chaque club a son centre de formation et son complexe d’entraînement. Rien n’est laissé au hasard ; les Ukrainiens bossent. Leur football est très physique et la créativité est principalement assurée par des joueurs brésiliens. Shakthar a tout : stade, public, talent, argent, etc. A mon avis, l’Ukraine sera prête avec ses stades pour l’Euro 2012 mais il ne faut pas oublier que c’est un immense pays et que les déplacements sont longs et difficiles. La vie y est de plus en plus chère et il n’y a pas de classe moyenne. J’ai été T1 de Metalurh après Adriaanse et ce fut là aussi une belle expérience. On doute parfois des pas en avant du football de l’Est, comme au Kazakhstan aussi. Et on a tort.

Avez-vous suivi votre fils, Koen, la saison passée ?

Oui, évidemment, j’ai assisté à plusieurs matches du Standard et j’ai vu le reste à la télévision : la fin de saison des Liégeois a été géniale. Tout s’est mis en place au bon moment. Tout leur a réussi sauf à Genk avec la blessure de Mehdi Carcela. En deuxième mi-temps, on a frôlé le 0-2 et le Standard aurait été champion. Pour Koen, il y avait de la concurrence avec Axel, Steven et Jelle. Mais il ne faut pas oublier que Koen a assumé son rôle lors du fameux match à Anderlecht, au début des play-offs 1. Ce fut probablement le match décisif, celui du déclic. Il s’est bien battu alors qu’on ne croyait plus en lui et cela a payé. Il doit s’accrocher à cela car il peut rendre des services dans l’axe et sur le côté de la ligne médiane et même au back gauche. Ce n’est pas parce que Koen est mon fils que je le dis, mais tous les entraîneurs de D1 veulent des joueurs comme lui. Il se donne, pense d’abord au groupe. Pierre François m’a affirmé il y a peu : – Chapeau pour ton fils, Jos. Cela m’a fait plaisir mais j’étais surtout content pour lui.

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS : REPORTERS/ VAN EXEL

 » Le président n’a rien dû me dire, j’ai fixé moi-même l’objectif : la montée. « 

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