Retraite de corsaire

L’ex-star du Standard et d’Anderlecht nous a reçus chez lui. Retour sur une carrière à rebondissements et sa période plus sombre.

« E nzo Scifo m’a fait un immense plaisir en participant à mon tournoi de futsal organisé l’hiver dernier au profit d’enfants handicapés , affirme Ivica Mornar (37 ans) en prenant sa fille dans ses bras.  » J’ai une s£ur qui souffre d’un retard mental. Elle vit dans une institution à Split et il était normal que j’aide cette maison où tout le personnel fait des miracles…  »

L’ancien corsaire des grandes surfaces se porte bien après avoir passé des moments assez délicats dans sa vie et arrêté sa carrière il y a quatre ans, à seulement 33 ans. Sa légendaire bonne humeur fait plaisir à voir et il a retrouvé une ligne acceptable. C’est avec émotion qu’il jette un regard dans le rétro :  » J’ai été ébranlé par le décès soudain de mon père survenu il y a deux ans pour des raisons cardiaques. C’était un bon vivant et nous étions très unis : mon père était aussi mon ami, mon confident, le compagnon des bons et des mauvais moments. Du coup, j’ai eu une forte dépression durant quatre mois et il m’a fallu du temps avant de retrouver le fil de mes idées. Mais j’ai deux filles et une nouvelle vie de famille… « 

 » Après Portsmouth, je me suis entraîné à Trogir, en D2 croate. Mon ami Milan Rapaic était certain que ce club pouvait monter. Il y avait un beau projet mais il est tombé à l’eau. On était à l’automne 2006, j’avais déjà 33 ans. Mais j’ai reçu d’autres propositions, notamment du Club Bruges via l’agent de joueurs Vladimir Pavkovic et le manager du club de l’époque, Marc Degryse ; et de Grèce aussi, mais quand je voyais le sourire de mes enfants… En fait, quelque part, je priais pour trouver un club tout en implorant Dieu que cela ne se réalise pas. Je traversais une phase intermédiaire de ma vie. Et quand on arrête six mois, il est difficile de se remettre en marche. Enfin, il y avait ces ischio-jambiers qui me torturaient mais le problème a été résolu au hasard d’une rencontre avec un kiné spécialisé en athlétisme. J’ai une musculature de sprinter et j’ai été soigné à force de massages. Cela dit, il était plus sage d’arrêter.  »

Moka (son surnom) touille dans son café noir. On est attablé au Camel, le café de Tomislav Blazevic, ex-boxeur pro qui a perdu une jambe et ses rêves de succès dans un accident de la route. C’est un café de sportifs où passent régulièrement d’anciens footballeurs pour refaire le monde.  » Après avoir tout connu et vécu à du 200 à l’heure, je prends le temps d’apprécier les petites joies. Je ne suis pas pressé : je resterai dans le monde du foot, comme directeur technique d’un club ou scout mais pas entraîneur. Je suis des cours et j’ai mon réseau de relations en Belgique, mon deuxième pays, en Angleterre, en France, en Espagne, etc.  »

 » La D1 belge plus dure que l’Angleterre « 

Il adore les quartiers calmes de Split où les week-ends se vivent tranquillement. Au loin, on entend les sirènes des bateaux qui glissent sur l’Adriatique. C’est de Split qu’il s’embarqua lui aussi pour de grandes aventures :  » A 21 ans, je me suis retrouvé à Francfort. Hélas, ce club chuta en D2. Et même si j’avais un contrat de trois ans et demi, mes conditions financières ont dû être revues à la baisse. J’ai préféré l’offre de Séville même si on m’avait cité aussi à Tottenham. En 1998, Tomislav Ivic m’a invité à prendre un verre dans le restaurant qu’il possédait alors à Split. Il avait une idée en tête et me parla du Standard, qui venait d’être repris par Lucien D’Onofrio. Je le connaissais car, en tant qu’agent de joueurs, il m’avait suivi et conseillé quand j’étais jeune. Ivic m’emballa avec ses idées, son enthousiasme, la présence des frères Mpenza, la chaleur du public, les ambitions de Lucien, etc. C’était emballant et j’ai quitté la Liga en 1998. Je ne l’ai jamais regretté car j’ai vécu des moments extraordinaires en Belgique. On n’imagine pas à quel point la D1 belge est éprouvante. C’est plus dur qu’en Angleterre. En Belgique, il y a beaucoup de jeunes décidés, de nombreux Africains doués, rapides, prêts à aller jusqu’au bout pour saisir leur chance de se faire un nom. Ce sont de vrais combats et il faut être prêt à 500 %. En hiver, c’est terrible car les matches se déroulent à 20h : le froid est paralysant. Il serait intéressant de donner le coup d’envoi à 16 h au plus tard.  »

Mornar est alors le fer de lance d’une équipe en restructuration. Le temps est à la nervosité, à la création d’une nouvelle culture du succès et d’une organisation plus pro. Le Standard n’était plus qu’un champ de ruines. Et le redressement passa par des crises et des énervements.

 » Mon ami Tonci Martic, qui jouait à Mouscron, m’avait vanté l’atmosphère liégeoise et il n’avait pas tort : j’ai adoré « , explique-t-il.  » Les débuts furent excellents même si je jouais le plus souvent seul en pointe à cause des blessures des Mpenza et d’ Ali Lukunku. Avec un zeste de chance, nous aurions pu décrocher tout de suite une place dans le top 3. Le public m’a tout de suite accepté, comme ce fut le cas pour Vedran Runje. Ivic instaura une discipline de fer, révolutionnaire en Belgique. Moi, je l’ai acceptée car je relevais un nouveau défi. D’autres ont eu plus dur. Je les comprenais mais, finalement, le coach a réintroduit le vrai professionnalisme au Standard. L’Académie Robert Louis-Dreyfus n’existait pas encore. Au Sart Tilman, notre vestiaire était situé sous une espèce de bunker.  »

Moka en rigole encore :  » Même durant le championnat, nous y passions le plus clair de notre temps. C’était interminable : petit-déjeuner, entraînement le matin, repas en commun à midi, repos et nouvelle séance de travail après la sieste. Ivic avait commandé des lits qu’il installa même dans les corridors. J’en rigolais avec les joueurs africains : -Si vous n’êtes par mariés, c’est foutu car vous n’aurez plus jamais l’occasion de rencontrer une jolie fille. Et si vous avez une vie de famille, préparez-vous à divorcer car vous verrez plus Ivic que votre femme. C’était le début d’une nouvelle ère. Je regrette encore d’avoir perdu deux finales de Coupe de Belgique contre Genk et le Lierse. Or, le Standard, qui revenait de loin, méritait de décrocher une récompense. J’y pense car j’aurais aimé gagner quelque chose dans mes deux clubs belges, le Standard et Anderlecht.  »

Son passage de Sclessin à Bruxelles fit du bruit et il y eut quelques malentendus.  » En grande partie à cause de moi « , avoue-t-il. Moka avait encore un an de contrat et Lucien le guida vers le Sporting Portugal coaché par Laszlo Bölöni. Mornar fit traîner les choses et le club de Lisbonne trouva une autre solution. Le joueur refusa de prolonger son contrat pour un an au Standard et se retrouva dans le noyau C… C’est alors que Michel Verschueren frappa à sa porte.  » Même si j’étais vexé de me retrouver avec les jeunes, Lucien D’Onofrio a toujours été correct avec moi. Et ce fut le cas quand Anderlecht me contacta : -Si tu crois que c’est bien pour toi et ta carrière, nous trouverons une solution. Et c’est ce qui s’est passé. Le public de Sclessin l’a mal pris et cela m’a profondément marqué. J’ai tout donné au Standard. Sans des erreurs de ma part, j’y serais probablement resté. Oui, il y a eu des banderoles anti-Mornar mais je n’oublie pas que ce public m’a adoré. Le club s’est excusé et une chose est sûre : je suis fier d’avoir joué au Standard.  »

 » Anthuenis, le papa des joueurs « 

A Anderlecht, il bosse sous la direction d’un coach qu’il adore encore, Aimé Anthuenis :  » J’ai passé de grands moments à Anderlecht. Anthuenis a été phénoménal avec moi. Il était proche du groupe, attentif, compétent. Un vrai papa pour tous les joueurs. Au Standard, j’ai bossé avec Ivic, Dominique D’Onofrio, Michel Preud’homme, Jean Thissen, Henri Depireux, Zeljko Mijac : cela fait beaucoup de compétence. Aimé était aussi passionné. Quand je suis arrivé, il fallait remplacer Jan Koller et Tomasz Radzinski, ce qui n’était pas rien. A sa façon, Anthuenis y est parvenu. C’était super avec Gilles De Bilde, etc. J’ai vibré lors de grandes soirées européennes quand nous avons secoué Lyon, entre autres. J’étais venu à Anderlecht pour vivre de telles émotions. Ma carrière a pris une autre dimension, je me suis totalement épanoui à Anderlecht : j’avais 30 ans, j’étais à mon top. Merci Aimé même si je n’ai pas gagné le titre avec toi. C’est avec Hugo Broos que j’ai participé à une campagne victorieuse. J’aurais pu et dû rester à Anderlecht. Herman Van Holsbeeck qui avait pris la succession de Verchueren me proposa un contrat de deux saisons. A 30 ans, j’en désirais un de quatre ans : c’était trop pour Anderlecht. Mais, moi, deux ans, cela me menait à 32 ans : et après, à cet âge-là, on trouve plus difficilement un club. J’ai compris la position du club. Et Portsmouth m’a fait une offre. Ce ne fut pas évident de quitter Anderlecht. Tout me liait à la Belgique. Enfin, c’est la vie.  »

En Angleterre, Portsmouth appartenait à Milan Mandaric et ce club n’en menait pas large. Avec Alain Perrin, entre autres, il batailla pour rester en Premier League :  » Les ambiances étaient phénoménales mais l’adaptation n’a pas été évidente. Mon club jouait sa tête et il fallait d’abord défendre. Je n’étais pas habitué. Malgré cela, ce fut intéressant. A Rennes, je suis tombé sur un coach compétent mais trop dictatorial pour moi : Bölöni. Nous n’avions jamais un jour de libre. C’était un militaire. Ses théories étaient trop longues et il ne soulignait que ce qui n’allait pas. Il criait tout le temps. Moi, on ne m’a jamais gueulé dessus : je ne supportais pas cela. C’était démotivant même si Rennes, où j’ai joué avec un phénomène comme Yoann Gourcuff, était un super club. J’ai évoqué avec le coach tout ce que le vestiaire pensait car j’avais un vécu. Je suis peut-être un peu fautif : le choix de mes mots étaient-ils adaptés ? Je me pose la question mais, bon, je ne suis pas du style à tourner autour du pot. Il y a eu des petites tensions, surtout quand je revenais de l’équipe nationale. J »étais le dernier sur la liste des joueurs à masser : c’était ridicule comme quand il me bloquait sur le banc. Avec Bölöni, pour la première fois de ma carrière, j’ai perdu la satisfaction de pratiquer mon métier. Même si Rennes se qualifia pour la Coupe de l’UEFA, je ne me voyais pas prolonger mon expérience avec lui.  »

par pierre bilic – photos: filip horvat

« J’ai eu une forte dépression suite au décès de mon père. »

« J’aurais pu et dû rester à Anderlecht. »

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