RETOUR VERS LE FUTUR

Une demi-finale de Coupe d’Europe et trois semaines dans un cinq étoiles, les U17 de Bob Browaeys étaient sous le cagnard bulgare le mois dernier. L’occasion était trop belle pour partir à la découverte du futur du football belge.

Ils sont nés en 1998, n’ont aucun souvenir des attentats du 11 septembre et n’ont pas vécu les années de détresse du football belge. Eux, ce sont les dernières progénitures de ce qu’on se plaît parfois à appeler la génération Y. Des mecs qui ont grandi avec le wi-fi et ont vécu en Bulgarie leur premier rendez-vous avec l’élite : le Championnat d’Europe des moins de 17 ans. Eux étaient là pour apprendre et décrocher leur billet pour le Mondial chilien qui aura lieu à l’automne prochain, nous, pour voir à quoi ressemblera l’après  » génération dorée « . Et force est de constater qu’on n’a pas été déçu. Descente en apnée dans la coulisse d’un tournoi réussi.

2 h 45 de vol jusque Sofia, 6 heures de bus entre la capitale Bulgare et Pomorie, il fallait bien cela pour mériter son arrivée au Sunset Resort de Pomorie. Un hôtel cinq étoiles en bord de mer Noire loué par l’UEFA pour y faire séjourner les 16 nations représentées dans ce 14e championnat d’Europe des moins de 17ans. Nos Diables s’attendaient sans doute à découvrir les avantages du  » all-in « , peut-être pas à devoir apprendre à manier la boussole. Avec ses 9 restaurants, ses 13 bars, ses 4 piscines extérieures et ses dizaines d’ascenseurs, on aurait aussi bien pu ne jamais retrouver le  » team Belgium « .

Sauf que non, quand l’UEFA sort le chéquier, l’UEFA est partout. Pas de fausses notes, que des sourires et une organisation digne d’une réception à la Maison-Blanche. Logés dans l’aile ouest de ce qui ressemble à une microsociété, les Diables ont pris possession d’Eta. À cinq petites minutes à pied de Sigma, le bâtiment principal, et à seulement 30 mètres de la plage. C’est là, à leur sortie de l’eau, que nous les avons retrouvés pour la toute première fois.

Mardi 5 mai : L’enfer, c’est les autres

 » C’est vrai qu’on ne s’attendait pas à tout ça, mais bon, c’est le Championnat d’Europe quand même…  » À peine sorti de l’eau, Christophe Janssens (ndlr, lire l’histoire de la famille Janssens page 42) tempère tout luxe excessif. Lui est Montois et fait ses classes à Bruges depuis un an mais profitera de son bon Euro pour signer pro à Genk dès son retour en Belgique. Ce qu’on ne sait pas encore, c’est qu’il est arrière gauche et a du talent ; ce qu’on s’apprête à découvrir, c’est qu’il est  » ne ressent pas le stress « . Un bon début. Pendant que Christophe se la joue décontract’, ses coéquipiers sont tous sortis de l’eau. Direction les chambres.

Spacieuses, certaines ressemblent plus à de petits appartements. Celle d’Orel Mangala et Matisse Thuys est dans la norme. Comme tous les francophones du groupe, Orel partage son espace avec un coéquipier néerlandophone. Dans les canapés de la chambre E5-11, Nelson Azevedo et Christophe (Janssens) s’incrustent. Pour la plupart, tous ces gamins s’affrontent depuis leur plus jeune âge et ont appris à se connaître par coeur. Entre eux, pas de tabou. Avec les autres équipes, c’est différent.

Orel Mangala :  » On les évite un peu, c’est un peu chacun dans son monde, mais c’est vrai qu’on n’a pas trop l’intention de parler avec eux.  » En slip et torse nu, les autres approuvent. À la cool, comme toujours, mais avec les idées claires à la veille du premier match contre l’Allemagne.  » C’est excitant, parce que c’est l’Euro, mais ce n’est qu’un début  » tempère Nelson.

Mercredi 6 mai : La claque allemande

Premier adversaire de dimension à l’agenda : la machine allemande. Et à vrai dire, cela ne se passera pas si mal si on excepte le résultat (2-0) et cette défaite un peu forcée. À la mi-temps, il n’y avait d’ailleurs pas grand-monde pour miser sur pareille issue. Un analyste du staff de l’équipe de France, venu pour observer, résumait bien le sentiment général :  » Ils font une belle impression vos petits Belges. Dans un match au point, la Belgique serait devant depuis longtemps. Vous avez tout : de la percussion, du jeu en combinaisons, non vraiment, c’est très propre.  »

Sauf que dans un tournoi, bien jouer ne sert pas à grand-chose si l’on ne prend pas de point. Pendant que les joueurs éliminent cette frustration toute neuve via un mini-décrassage –  » physiquement, ça ne sert à rien, mais ça les calme  » confessera Bob Browaeys – à même la pelouse, Jean Kindermans, directeur technique du centre de formation d’Anderlecht, nous explique avoir fait le déplacement pour  » évaluer  » ses poulains. Rien de plus.

 » Ce n’est pas ici que nous allons faire des affaires « , dit-il.  » Les meilleurs sont déjà sous contrat et les autres ne nous intéressent pas…  » Ça a le mérite d’être clair. Kindermans ne fera donc pas de vieux os en Bulgarie. Les joueurs, eux, s’éternisent un peu dans le vestiaire. Au compte-gouttes, ils finissent par sortir de leur douche et se réjouissent de se changer les idées devant Barça-Bayern. Ça, c’était avant d’entendre le programme : souper à 22 h (21 h en Belgique) et au lit à 23 h.

Jeudi 7 mai : Mediatraining accéléré

La défaite contre l’Allemagne n’est pas oubliée, mais les sourires sont retrouvés. Au programme de la journée : entraînement, kiné, piscine et temps libre. Étonnamment, tout le monde semble avoir trouvé un stratagème pour voir Messi faire de Boateng sa chose la veille. Une journée tranquille, au calme, que seul un petit  » bad buzz  » viendra ternir. À l’avant-veille du départ pour la Bulgarie, IsmailAzzaoui s’était confié à la DH. Le hic, c’est que le titre –  » J’ai quitté Anderlecht parce que je suis Marocain  » – ne correspond pas aux propos du principal intéressé. Et qu’en quelques heures, l’article crée la polémique sur Internet.  » Tout le monde me critique, m’insulte dans les commentaires, heureusement qu’il y a mes coéquipiers qui ont réagi sur Facebook pour me défendre.  »

Parmi ceux-ci, son pote Orel (Mangala) demandera de doser la critique envers son  » frère marocain « . Lui, comme l’ensemble de ses coéquipiers, ne semble pas comprendre d’où sort cette polémique.  » Ça n’a pas de sens. Personne n’aurait dit un truc pareil. Lui ce qu’il a voulu dire, c’est qu’il estimait avoir plus de chance de percer à Tottenham.  » Il n’empêche qu’Ismail vient de vivre sa première leçon de journalisme. Dans la coulisse, Brecht Schelstraete, le Mr Comm’ de l’Union Belge pendant ce tournoi, gère la crise. Au téléphone, il obtient des explications, un changement de la titraille, mais pas de démenti. Pas encore vraiment rodés à l’exercice de l’interview, ces futurs cracks devraient, comme leurs aînés, apprendre sous peu à manier la langue de bois. Merci pour nous.

Samedi 9 mai : Drôle de victoire

Dans tout tournoi, il y a ce qu’on appelle un match-couperet. Un qu’il convient de ne pas perdre, sous peine de faire ses valises un peu plus tôt que prévu. BobBrowaeys a l’expérience de ce type de match et une manière bien à lui de les gérer.  » Dans le vestiaire, je leur ai juste dit que c’était le match le plus important de leur carrière. Qu’ils étaient obligés de le gagner.  » Parce qu’apprendre à gérer la pression fait aussi partie de l’écolage. Longtemps étouffés par le pressing tchèque, les Diables l’emportent pourtant largement (3-0).

Orel Mangala et Alper Ademoglu, les deux dépositaires du jeu belge, ont beau avoir du mal à se souvenir d’un match où ils ont touché moins de ballons, la Belgique vient de gagner le match qu’il fallait pour s’offrir un quart de finale. Un  » match de merde  » selon l’expression d’Orel, mais le premier  » plus beau moment de [la] carrière  » de Jens Teunckens. Un gardien décisif est un portier heureux. Rassurez-vous, Jens sera souvent de bonne humeur pendant ce tournoi.

Lundi 11 mai : Parlez jeunesse !

L’entraînement de l’après-midi a été supprimé. À la veille du match contre la Slovénie, les joueurs déjà bien usés par une saison éreintante ont finalement droit à un petit décrassage sur la plage. Le vrai objectif de la journée, c’est la théorie. Direction la meeting room pour les joueurs. Une salle qui nous sera interdite d’accès tout au long de la compétition. Après avoir visionné les images de l’adversaire avec le staff, c’est aux joueurs de définir les points forts et faibles de l’adversaire. Sans l’aide du staff, les mini-Diables sont alors livrés à eux-mêmes.

WoutFaes, en charge de la répartition équitable de la parole s’accommode de son rôle :  » J’essaie de faire en sorte que tout le monde donne son avis, généralement ça se passe bien.  » Rubin Seigers, habituel comparse de Wout dans l’axe central défensif de Browaeys valide :  » Wout, c’est vraiment le chef, c’est dans sa nature de parler, de diriger.  » Pour savoir si les élèves ont bien bossé, il faudra néanmoins attendre le lendemain. Quelques heures pour méditer, avant le jugement :  » Souvent, ils sont dans le bon. Et parfois évidemment, ils oublient l’un ou l’autres points  » confie l’instit’ Bob Browaeys.

Mardi 12 mai : Qualification !

La Belgique a son sort entre les mains. Mieux, si les Allemands battent la Tchéquie, les Diables peuvent même perdre 2-0. À la mi-temps livescore.com nous apprend que l’Allemagne déroule contre les Tchèques. Les Diables sont qualifiés, mais ne le savent pas encore. Bob Browaeys est au courant, mais attendra la montée au jeu de Jorn Vancamp à six minutes du terme pour faire passer le message. Libérés, les Diables finissent par trouer le mur slovène grâce au deuxième but du tournoi de Dennis Van Vaerenbergh. Ismail et Orel peuvent sortir les baffles, le chauffeur de bus bulgare son drapeau belge. L’aventure continue. Et le meilleur est encore à venir.

Mercredi 13 mai : La bande à Basile

Après le foot, les études. Pour certains seulement. Pendant que Wout, Lennerd Daneels ou Kino Delorge se concentrent sur l’essentiel, d’autres la jouent plus cool dans ce qui ressemble à une salle commune avec vue sur mer Noire et écran plasma. Autour de la console de Rubin Seigers, nous retrouvons Nelson, Alper, Dries Caignau, Orel et Ismail. La bande à Basile version clapettes, short en lycra et Fifa 15. Très vite, la vérité du terrain nous est relatée.

 » C’est Ismail le plus fort  » concède Nelson. Et de fait, Ismail est aux commandes et vu  » que le gagnant reste forcément, ah fou ! », le joueur de Tottenham enchaîne les matchs.  » De toute façon, Orel il fait trop de passes et Ismail il court avec Ronaldo, c’est toujours la même chose  » s’amuse Alper. Malgré le fait qu’Orel se coltine Chicharito en pointe, le collectif l’emporte sur l’individuel et Ismail doit faire tourner la manette.

 » Pas grave, de toute façon, je devais aller aux soins !  » Pendant qu’Ismail se fait chouchouter, Orel veille à son image :  » Mais faut pas croire, le Real, ce n’est pas mon équipe, moi c’est Chelsea normalement.  »

Jeudi 14 mai : Parfum de révolte

Après un jour dédié à la récupération, il faut maintenant se plonger sur la préparation du quart face à la Croatie. Petit à petit, les automatismes se créent. Veille de match signifie dorénavant entraînement sans ballon et sur la plage. Pendant celui-ci nous retrouvons NorbertDeviaene. 72 ans tout juste et 15 ans de service à l’UB l’ont rendu indispensable à la délégation belge. Son truc ? Le scouting. L’observation donc :  » C’est un super groupe, il y a une vraie osmose depuis qu’on est arrivé, mais si on pense battre la Croatie sur le talent, ce n’est pas la peine de monter sur le terrain. Cette année, nous n’avons pas de Hazard et on manque encore de maturité. Dans ce groupe, il y en a qui mangeraient le sable et iraient dormir à 20 h si on leur demandait. Mais ce n’est pas encore le cas de tout le monde.  »

Des noms, Norbert ! On ne sait pas si Christophe Janssens est sur la liste noire de Norbert, mais lui a un plan pour faire déjouer l’ogre croate :  » A la régulière, ça va être compliqué, mais il y a plein de façons différentes de gagner un match…  » Cette fois, c’est sûr, les Diables nous mijotent un truc. Bob Browaeys confirme : pour la première fois, il refuse de nous livrer son onze de départ. On ne sait pas encore quoi, mais quelque chose se prépare.

Vendredi 15 mai : L’éloge de la précision

On s’attendait à une surprise, on n’a pas été déçu. Orel Mangala est relégué sur le banc et remplacé par Dante Rigo. Le benjamin de la promotion, déjà aperçu par intermittences au premier tour, va venir épauler Matisse Thuys à la base du triangle médian. Un choix plus défensif, vraisemblablement plus raisonnable au vu du premier tour. D’abord menés, les Diables vont revenir grâce au troisième but d’Ismail Azzaoui avant de s’imposer lors de la séance des tirs au but grâce à un 5 sur 5 à 9m15.

Samedi 16 mai : Shopping et poulets frits

La qualification en poche et Bob Browaeys parti à Stara Zagora visionner le futur adversaire des Diables, c’est jour de congé aujourd’hui. Pas d’entraînement, juste du kif. Longtemps évoquée, l’idée de l’Aquapark tombe finalement à l’eau. Le site est fermé, ce sera donc Burgas, ville portuaire sans charme ni toboggan. Heureusement, il y a un immense centre commercial. Un après-midi de shopping qui n’égalera pas le seul bon moment culinaire du séjour : la demi-heure passée au KFC. Des OGM frits, c’est vrai que ça change du blanc de poulet tout sec de la cantine.

Dimanche 17 mai : Boulot-boulot-dodo

La France a étrillé l’Italie (3-0), la veille, il va donc falloir bosser aujourd’hui. Entraînement, visionnage et analyse du quart contre la Croatie avant l’étude. Oui, un dimanche ! Enfin, pas pour tous, mais au moins pour Lennerd Dannels.  » L’Euro a beau être plus important que les examens, demain j’ai mon examen de fin d’année de néerlandais.  » Et s’il le rate, Lennerd est bon pour doubler. Sur deux semaines, l’ailier du PSV nous avoue ne s’être penché sur son flamand que pendant cinq heures. Peut mieux faire. Il n’empêche, celui qui résume le mieux la situation, c’est Alper :  » C’était mieux hier !  » Avec des étoiles de poulet frit dans les yeux.

Mardi 19 mai : Comme les grands

Ce qui a de râlant dans un tournoi, c’est que seule une victoire finale peut vous permettre de repartir avec la patate. Ce ne sera pas le cas. Comme la génération Hazard-Benteke en 2007, les Diablotins sortent aux penalties contre le futur vainqueur. On aurait préféré les voir couler entièrement plutôt que de les voir perdre comme ça. Les parades miraculeuses de Jens Teunckens n’y changeront rien, la Belgique rentre à la maison.

 » Dégoûté d’être passé à un cheveu d’entrer dans l’histoire, mais un peu content de rentrer quand même  » Jorn Vancamp résume le sentiment d’un groupe déçu, mais réaliste : après trois semaines de vie de groupe, le retour à la vie normale va faire du bien. Ce sera via un week-end en famille pour Rubin et par la grâce du combo McDo/Red Bull pour Siebe Horemans. Quand on vous disait que l’avenir du football belge était entre de bonnes mains…

PAR MARTIN GRIMBERGHS EN BULGARIE – PHOTOS : BELGAIMAGE/ CHALAKOV

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