RETOUR EN FORCE

Le défenseur sénégalais a retrouvé son niveau et rêve des quarts de finale de l’Europa League.

Il y a un Standard championnat et un Standard Europe. Et depuis quelques semaines, il y a un Standard avec Mohamed Sarr et un sans. Ce n’est donc pas un hasard si les Rouches, sans Sarr suspendu, n’ont pas réussi à battre Zulte Waregem (1-1), perdant du même coup un grande part de leurs illusions de playoffs.

Le Sénégalais avait perdu sa verve. Il l’a retrouvé. Sur le terrain et en dehors. Il se livre sans détours et nous analyse la saison des champions en titre.

Contre le Panathinaikos, la défense a parfaitement muselé Djibril Cissé. Grâce à  » ton grand frère  » Khalilou Fadiga….

Mohamed Sarr : Au Sénégal, on a l’habitude d’écouter les grands frères. Fadiga connaissait bien Cissé. Il ne pouvait pas mieux m’aider ; il m’a donné des tuyaux. Et dans une interview, il m’a souhaité bonne chance. L’air de dire qu’on allait être ridicule. Il me mettait au défi. Au final, quand tu vois le résultat et que le gars que tout le monde craignait n’a pas fait son match, tu es content.

On a l’impression qu’on retrouve le Sarr impérial des deux dernières années…

C’est vrai que ces temps-ci, j’ai réalisé de bons matches. Je commence à être de mieux en mieux dans ma peau et cela se reflète sur le terrain. Je suis content de commencer à remonter la pente. Mais ce sont les circonstances qui ont fait que cela n’a pas fonctionné en début de saison : des blessures, beaucoup de problèmes…

… des problèmes ?

J’ai connu des soucis dans ma vie privée. Mais cela reste privé. Et ce sont des choses qui affectent énormément la personne, même si on ne le dit pas. Souvent, tu penses que tu es costaud et que tu peux tout surmonter alors qu’en réalité, si tu n’es pas bien dans ta tête, tu ne saurais pas être bien sur le terrain. Mais là, ça va de mieux en mieux. En plus, je ne peux pas être bon sans l’équipe. Pour que je sorte de gros matches, il faut que l’équipe sorte de gros matches. Je ne suis pas le genre de joueur capable de réaliser des exploits individuels. Je dépends toujours du collectif et s’il ne tourne pas, cela devient compliqué pour moi.

On vous a beaucoup critiqué en début de saison. Comment l’avez-vous vécu ?

Les critiques ? Je ne les ai pas entendues. Je n’ai rien lu, rien écouté. C’est le football : certains ne cessent de critiquer, cela fait marcher leur business. Cependant, les critiques, il faut les garder dans un coin de sa tête car derrière chaque critique, il y a une part de vérité.

Pourquoi ne pas avoir dit plus tôt que vous connaissiez des problèmes privés ?

Car je ne suis pas du genre à pleurer et à dire que je fais des mauvais matches pour telle ou telle raison. C’est une explication mais bon… Je suis un homme avant tout et je savais que cela allait passer. Cela arrive à tout le monde. Alors, pourquoi pas à moi ?

Pourquoi avoir refusé de parler à la presse durant quelques mois ?

Car je sentais que je devenais de plus en plus lourd. Pas pour la presse mais pour certains de mes coéquipiers. Car en parlant dans la presse tous les jours alors que tes performances ne sont pas à la hauteur, tu peux être mal vu. Même si je sais que les gens avec qui je partage le vestiaire me respectent énormément ! A un moment donné, j’ai senti que je pouvais être lourd et que mes propos pouvaient être interprétés de façon blessante. Cela pouvait détruire mes relations avec certains joueurs. J’ai voulu me concentrer sur mon rendement personnel et faire tout pour hausser mon niveau de jeu. Et arrêter de parler. Je ne fuis pas mes responsabilités : j’étais conscient de ne pas être au top mais je savais que je devais travailler pour retrouver mon niveau.

 » Avec Jova, j’ai juste fait une erreur : j’aurais dû lui donner mon avis en face avant de passer par la presse « 

Vous avez également tiré les conséquences de votre interview dans laquelle vous aviez secoué Milan Jovanovic ?

Non, cela n’a rien à voir. Jova est un garçon que j’apprécie beaucoup. Il le sait. Même lui affirme sans cesse qu’entre nous, c’est toujours la guerre mais qu’on se respecte énormément. On a construit quelque chose ensemble ! Cependant, je fais partie des anciens et je pense que je peux me permettre de le lui dire quand je le vois partir sur le côté… Dans ce cas-là, j’ai juste fait une erreur : j’aurais dû lui donner mon avis en face avant de passer par la presse. Si demain, moi, je fais des trucs contraires à l’esprit du groupe, lui aussi va me rappeler à l’ordre. Cela l’a blessé mais je me suis excusé. Je pensais bien faire et finalement, cela a fonctionné puisqu’il a sorti deux grands matches contre Bruges et l’Olympiakos dans la foulée.

Avec le recul, vous agiriez de la même façon ?

Si demain, je dois rentrer dans Axel Witsel ou Steven Defour, je le ferai. Si je vois qu’ils oublient les règles du vestiaire…

En tant que leader, cela fut dur de se taire et de re-bosser les fondamentaux ?

Non. D’abord, on ne peut pas dire que j’étais mauvais. Je faisais des matches moyens. Mais cela n’est pas assez quand les gens attendent de vous des prestations sept étoiles. A un moment donné, j’ai senti que je reculais. J’aurais pu me replier sur moi-même mais cela aurait constitué une solution de facilité. J’ai préféré me taire dans la presse. Cependant, dans le vestiaire, je suis du genre à parler et je continuerai à parler. Je n’ai rien changé dans mon attitude envers mes coéquipiers.

Quand avez-vous eu ce déclic ?

Je ne peux pas dire que j’ai connu un déclic. J’ai commencé à enchaîner de bons matches et puis voilà. Il a fallu du temps pour digérer mes problèmes. Comme je le disais à Dieumerci Mbokani, il faut savoir faire la part des choses et mettre ses problèmes personnels de côté. Mais je ne pouvais pas lui dire – Arrête de penser à cela alors que moi j’agissais de la même façon. J’étais en train de vivre la même situation. Quand tu vis de tels moments, tu n’es pas concentré à 100 %.

L’arrivée du nouvel entraîneur vous a-t-il libéré ?

Peut-être. Mais je me suis toujours donné à fond. Quel que soit l’entraîneur.

Pour expliquer votre baisse de forme, on a beaucoup parlé du départ d’Onyewu…

On a tout dit à ce sujet. Ce qui est sûr, c’est qu’on s’entendait très bien.

Il n’y a pas eu que son départ, non plus…

On est en phase de construction, c’est simple ! On n’a pas perdu qu’Onyewu. Mais trois joueurs en un an. Il s’agissait de personnalités. Avec des bonnes mentalités. Quand on a construit cette équipe, on n’avait rien. Ceux qui sont arrivés cette saison ont trouvé une équipe au top. Ils n’ont pas vu la souffrance déployée pour la mettre en place. Certains gamins n’arrivent pas à comprendre cela car pour eux, tout est déjà rose. Non, il faut travailler !

Quelles sont alors les causes de l’instabilité défensive ?

On a fait une très mauvaise préparation. Jusqu’à présent, j’ai évolué aux côtés de cinq défenseurs différents dans l’axe. Et quand cela change, on sait que cela devient compliqué. Il faut des repères, se faire à un nouveau coéquipier. J’ai d’abord commencé avec Mikulic, puis Mangala est arrivé. Puis les circonstances ont poussé Eliaquim à évoluer au milieu. J’ai donc joué aux côtés de Felipe. Puis, il s’est blessé. Il a fallu amener Ricardo Rocha en défense centrale. Puis, il y a eu Victor Ramos. Je dois être le seul joueur au monde à avoir connu autant de partenaires en défense centrale. Or, c’est un poste sensible. La paire doit se connaître. Il faut pouvoir compter sur l’autre dans des moments difficiles. Pour arriver à la complémentarité entre Guchi et moi, il a fallu des années. On a commis des erreurs avant de constituer une défense de fer.

 » Certains gamins n’arrivaient pas à comprendre la souffrance qu’on avait mise pour arriver aux résultats des saisons passées « 

Beaucoup de gens vous ont trouvé un peu empâté. Avez-vous eu des soucis de poids cette saison ?

( Il sourit) Je pèse ce que je pesais en début de saison. Je fais donc de bons matches avec les mêmes kilos. Tout part de la concentration du joueur. Si tu perds la concentration, tu réfléchis plus lentement. Tu pars une seconde en retard et au bout du compte, tu es toujours en retard sur tout ce que tu entreprends. L’année passée, pour affronter Liverpool, je pesais davantage que maintenant. Et pourtant, j’avais réalisé deux grosses prestations.

Vous revenez à un bon niveau depuis que vous évoluez avec Victor Ramos. Un hasard ?

Oui, car j’ai davantage joué aux côtés de Mangala et de Felipe. Mais Victor Ramos aligne de superbes performances et cela facilite notre travail. La paire s’est formée lors de la bonne phase de l’équipe. Si elle s’était formée il y a trois mois, cela n’aurait peut-être pas fonctionné.

La prestation européenne au Panathinaikos est le symbole du nouveau Standard ?

Le gros changement, c’est que Dominique D’Onofrio rentre dedans auprès de tout le monde. Si tu ne fais pas ce que tu dois faire, il te le dit en face. Chacun se remet donc en question.

Faisiez-vous partie des  » privilégiés  » sous Bölöni ?

Non. Jamais. On se respectait et on travaillait.

Avez-vous senti que les jeunes planaient à certains moments ?

Cela va trop vite pour eux. Tu es en -17 ans et un matin, tu te retrouves dans l’équipe championne de Belgique. Tu es connu, il y a la presse qui te tombe dessus. Tu dois apprendre à gérer tout cela. Je leur dis donc de rester les pieds sur terre et de ne pas se contenter de ce qu’ils ont. Car ils n’ont encore rien fait par rapport à nous, Steven Defour ou Axel Witsel.

Olivier Dacourt a déclaré que Carcela méritait des claques. Vous partagez cet avis ?

Oui, je serai le premier à lui en donner car souvent, il fait n’importe quoi. Il doit devenir plus rigoureux, plus professionnel. Car il a toutes les qualités pour devenir un footballeur de haut niveau.

Avez-vous l’impression que votre message passe ?

Qu’il passe ou pas, je continue à le dire. Les jeunes savent que je les aime bien, même si je leur rentre dedans 10.000 fois. Qu’ils écoutent ou qu’ils reçoivent, peu m’importe. Moi, je leur passe le message pour qu’un jour, ils disent – Le con nous l’avait dit.

Pourquoi un tel écart entre le Standard européen et le Standard version championnat ?

En Coupe d’Europe, on a plus peur de l’adversaire. Peur d’être ridicule. Chacun joue le match de sa vie en se disant – Si on fait un faux pas, ils vont nous en mettre huit. En championnat, on était moins sérieux. On pensait qu’on allait gérer : une action, un but. Or, ça ne se passe pas comme ça.

Pourtant, vous êtes un des seuls à tirer la sonnette d’alarme dès le mois d’août…

Oui, car je l’avais perçu très tôt. Avant même le début du championnat. Cela se voyait lors des matches de préparation. On n’était pas prêt. On a gagné la Supercoupe. Cela nous a confortés dans l’idée qu’on était prêt. C’était faux. Et puis, comme les autres avaient pris de l’avance, on n’arrivait pas à les battre. On avait de l’envie mais ils étaient plus forts. Physiquement et mentalement. Certains se disaient – On a douze points de retard. Cela sera divisé par deux. Cela fait six et donc, si on bat deux fois Anderlecht, on les rattrape. Résultat, on est aujourd’hui à 30 points de retard ( NDLR : 27 points).

Le niveau du Standard lui permettrait de viser le titre si le club n’avait pas pris tant de retard ?

Oui je pense. On est en phase ascendante. Cela fait deux ou trois matches que je pense qu’avec une telle équipe, on aurait pu jouer le titre. Mais bon, gagner deux fois le titre en trois ans, c’est déjà pas mal.

Le Standard sera-t-il en playoffs 1 ?

J’espère.

Et si pas ?

La vie continue. On disputera les playoffs 2 avec l’objectif de les gagner.

Le groupe ne risque-t-il pas de prendre un coup au moral si vous vous retrouvez en playoffs 2, à évoluer contre Westerlo, Cercle…

Je ne crois pas. Si on doit jouer contre eux, c’est parce que notre niveau global dans le championnat mérite cela.

En début de saison, on disait que le Standard était davantage focalisé sur la Ligue des Champions. Et aujourd’hui que vous avez un pied en quart de finale de l’Europa League ?

C’est très difficile de répondre. Le quart de finale nous sourit. Et quart de finale, c’est tout près de tout. Pourquoi pas un exploit ? Tu te prends à rêver car cela ne va pas t’arriver beaucoup de fois dans ta carrière.

Le Standard semble davantage concentré en Europe que la saison dernière ? Une question de maturité ?

Notre parcours européen a commencé quand on s’est pris 3-0 contre le Zenit Saint-Pétersbourg. Ils avaient placé trois attaques et mis trois buts. Cette défaite, ajoutée à celle de Liverpool, de Braga, a permis au groupe de grandir.

Où se situe votre avenir ?

Moi, je ne peux rien demander de plus au Standard. J’étais zéro, ils m’ont repris. Et quand j’étais au top, ils m’ont donné un nouveau contrat. Lors de mes moments difficiles, ils m’ont toujours soutenu. Donc, quand je joue bien, je dois aussi être fidèle. J’ai encore un contrat jusqu’en 2011 et je ne prévois rien d’autre. Mais si le président trouve que je dois passer le témoin aux jeunes, je devrai partir.

Mais vous n’enviez pas tous ceux qui partent ?

Non, je ne suis pas comme cela. Chacun a son destin. Si je dois finir ma carrière ici, je la finirai ici. Le Standard m’a tout apporté.

« Je devenais de plus en plus lourd pour mes coéquipiers. « 

« Je dois être le seul joueur au monde à avoir connu autant de partenaires en défense centrale. « 

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