RETOUR À LA RAISON

Les USA ont – temporairement – abandonné leurs grandes aspirations mais sont plus solides que jamais.

Quelque chose de fondamental a changé dans le discours des Américains. Les assertions démesurément optimistes du genre – Nous allons gagner la Coupe du Monde qui fleurissaient en 1994 dans la foulée de leur mondial, ont fait place à des vues nettement plus réalistes et raisonnables.  » Notre objectif en Allemagne est de passer le premier tour « , nous confie modestement Jim Moorhouse, le directeur des communications de l’US Soccer, la fédération. Une ambition somme toute logique (la concurrence dans le groupe E est particulièrement relevée avec l’Italie, la Tchéquie et le Ghana), mais aussi anachronique. C’est précisément au moment où tout est fermement en place et où le soccer est parvenu dans sa phase de maturation que les ambitions s’atténuent.

Pour beaucoup, le soccer américain se résume au championnat NASL ( North American Soccer League) et à la World Cup 94. Mais son histoire et son importance vont bien au-delà de ces deux points de repère. Notons par exemple que les USA ont battu la Belgique 3-0 le 13 juillet 1930 à Montevideo (Uruguay) lors de la toute première coupe du monde.  » La NASL a eu ses mérites « , explique Jim.  » Grâce à ses vedettes ( Pelé, Beckenbauer, Cruyff, Neeskens…) et ses paillettes, elle a replacé le football sous les projecteurs. La World Cup, qui reste de très loin la plus populaire de l’histoire avec une moyenne de 68.991 spectateurs par match, a eu l’heur de convaincre les gens de l’intérêt du foot, un sport véritablement mondial, et de poser les jalons d’un nouveau championnat professionnel dans la durée. Il comptait dix équipes lors de son lancement il y a dix ans. La saison dernière, il en a accueilli deux autres : les Real Salt Lake City et le Club Deportivo Chivas USA. En 2007, la MLS va s’internationaliser avec l’adjonction d’une équipe mexicaine et d’un club canadien (Toronto). En plus de cette ligue, nous comptons trois autres championnats professionnels : l’USL (United Soccer League – 12 équipes en division 1, 9 en division 2), la MISL (Major Indoor Soccer League – six équipes) et le Futsal.  »

Plus de traces par contre du championnat professionnel réservé aux filles, le WUSA…  » En septembre 2003, après trois saisons d’un championnat à huit équipes, la Women’s United Soccer Association a mis la clé sous le paillasson. Cette disparition n’a rien à voir avec le sport à véritablement parler. Elle est due à un manque de préparation, à des budgets trop importants et des ambitions déraisonnables. La WUSA a été créée à la va-vite dans la foulée de l’exceptionnel succès de notre équipe nationale féminine, championne du monde en 91 et 99. Je suis néanmoins confiant en l’avenir. Nous retrouverons un championnat réservé aux filles, mais basé sur un tout autre modèle, moins à la solde du marketing et des intérêts commerciaux qu’à la formation et au développement des joueuses « .

Une structure exemplaire

Comme toute organisation digne de ce nom, l’US Soccer affiche fièrement sa vision stratégique : contribuer à la grandeur du soccer aux Etats-Unis et à son développement, tant au niveau récréatif qu’au niveau compétitif. Une tâche d’envergure s’il en est… Après quelques années de tâtonnements et d’approximations, la fédération a établi, en 2000 un business plan quinquennal réfléchi, mais ambitieux avec des résultats tangibles, notamment au niveau des infrastructures, réalisées en collaboration avec des parraineurs privés. En 2003 s’est ouvert à Carson, en Californie, le Home Depot Center, le centre national d’entraînement comprenant entre autres 9 terrains et un stade de 27.000 places. Un joyau de quelque 140 millions de dollars. Un autre complexe – comptant 20 terrains ! -, le Pizza Hut Park, s’est ouvert entre-temps à Frisco, au Texas. Trois nouveaux stades vont être inaugurés d’ici l’année prochaine à Chicago, Denver et Rochester.  » J’estime que ces nouvelles enceintes répondent à un besoin essentiel « , confie notre interlocuteur.  » Chaque sport possède ses infrastructures propres. Pourquoi en serait-il autrement pour le nôtre.  »

Sur le plan humain aussi, la fédération est parée. Depuis le mois de mars, elle est présidée par Sunil Gulati. Né dans la ville indienne d’Allahabad, Sunil a immigré très jeune aux USA où il a aussitôt décroché une licence en économie à l’université de Columbia avant de rejoindre les rangs de la Banque mondiale. L’homme a également réalisé un superbe parcours dans l’administration sportive en passant par tous les échelons de l’US Soccer.  » Il apporte une expérience footballistique de plus de 30 ans. Il a notamment été le grand architecte de la World Cup 94 « , explique Moorehouse.  » Il hérite d’une bonne structure où tout est en place. Il lui appartient maintenant de passer à la vitesse supérieure « .

Un sport populaire

Fort de ses 18 ans d’expérience professionnelle dans le milieu, Jim sourit aux clichés qui ont la peau dure comme -Le soccer américain n’intéresse personne à part ses pratiquants et la population hispanique, il n’a aucune chance par rapport aux football américain, baseball et basket…

 » La fédération compte quatre millions d’affiliés. Ce n’est pas si mal que ça ! Le soccer jouit d’une grande popularité auprès des jeunes et des parents : il ne requiert pas un grand investissement au niveau de l’équipement et de l’infrastructure et il garantit une saine dépense physique. Il faut ajouter à ce chiffre quelques millions de pratiquants – principalement des adultes – qui ne rentrent pas dans un encadrement structuré. Beaucoup d’entre eux sont, il est vrai, issus d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. A telle enseigne que lorsque nous jouons à domicile contre le Mexique lors des qualifications du groupe CONCACAF (Amérique centrale, Amérique du Nord et Caraïbes), on se croirait en déplacement ! Nos supporters sont plus nombreux que ceux des Tricolores mexicains, mais ils sont dépassés sur le plan du folklore, des chants et des encouragements ! Mais nous aurions tort de ne pas capitaliser sur la formidable passion pour le fútbol des amateurs hispaniques ! Ils constituent, tous comme les spectateurs de souche européenne, un formidable réservoir. Et puis, il y a la couverture médiatique. En 2002, la coupe du monde retransmise par ESPN a battu tous les records d’audience aux heures proposées. Cette chaîne câblée a investi plus de dollars que n’importe quelle autre dans le monde pour retransmettre les deux prochaines coupes du monde. Les USA sont le seul pays au monde disposant de deux chaînes télévisées entièrement dévolues au soccer 7/7 jours, 24/24 heures : Fox Soccer et Setanta Sports. En 98 encore, j’attendais patiemment un coup de fil d’un journaliste désireux de s’enquérir sur ce nouveau sport. Maintenant, le téléphone n’arrête pas de sonner pour des demandes d’accréditations de journalistes pour un accès au camp d’entraînement de l’équipe nationale de Cary en Caroline du Nord « .

Le coach Arena

Même si une hirondelle ne fait pas le printemps, on ne peut passer sous l’entraîneur fédéral Bruce Arena (55 ans).  » Voilà huit ans qu’il est aux commandes de l’équipe nationale. Un bail exceptionnel « , relève Jim Moorhouse. Et qui tient essentiellement à un seul mot : succès. Le bilan du coach est éloquent : 65 victoires, 26 défaites et 26 nuls. En 1973, il était déjà entraîneur adjoint à l’Université de Syracuse.  » Quand je me penche sur son CV, sa personnalité, ses connaissances, son charisme et son palmarès, je me demande pourquoi aucun club européen ne l’a encore approché ! Mais notez que cela nous arrange bien « .

Sous ses ordres, l’équipe nationale a progressivement gravi les échelons du classement FIFA. En 1999, elle pointait en 24e position. Cinq ans plus tard, elle intégrait le Top 10, à la huitième place. Elle occupe actuellement le 5e strapontin avec 756 points, derrière la Brésil (827), La Tchéquie (772), les Pays-Bas (768) et le Mexique (758). Et devant des noms comme la France, l’Italie, l’Argentine, l’Espagne… Une fois de plus, l’objectivité de Jim module le tout.  » Tout classement a ses mérites, mais aussi des limites… Celui de la FIFA vaut ce qu’il vaut. Il fait plaisir car il est flatteur, mais nous n’y attachons pas une trop grande importance. Il ne signifie pas que nous sommes meilleurs moins que nos poursuivants ou moins bons que ceux qui nous y précèdent. Tout le monde peut battre tout le monde « .

BERNARD GEENEN, À CHICAGO

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