Retirer pour faire entrer

Nous allons aujourd’hui « tactiquer » un p’tit coup, ça me reprend: parce que, voici peu, j’ai ouï un bout de conversation de buvette sur un thème plus éculé que la lutte de la pluie contre le beau temps. C’était deux supporters, avec leurs deux bières, d’une équipe venant de perdre 1-0. Elle avait ramassé son but vers la 60ème: 10′ plus tard, selon la formule consacrée, l’entraîneur mené au score choisissait toutefois de « retirer un attaquant pour faire entrer un défenseur ».

Et, en vertu d’une logique basique tout aussi consacrée, les deux gars opinaient du bonnet de concert, pour se persuader qu’un entraîneur agissant de la sorte était forcément une grosse biessetactiquement: quand on est mené, on « retire un défenseur pour faire entrer un attaquant », c’est clair comme une ampoule! A fortiori s’il reste un attaquant sur le banc, comme c’était ici le cas.

Parenthèse. Vous l’aurez remarqué, je n’ai pas situé l’anecdote, dépeint le cadre, mitonné l’ambiance, avivé les couleurs de l’herbe ou des maillots …ni bien sûr cité les acteurs! Oui, c’est comme donner une carte rouge à ma fibre poéteuse, ça me manque au moins autant qu’à vous, mais c’est voulu, faut que je me retienne un certain temps: vu que, quand je pars d’un exemple vécu pour tenter de flirter ensuite avec le général, les gens de l’exemple vécu s’imaginent que j’ai une dent contre eux, ils m’engueulent et ça me fatigue.

Tenez, voici 15 jours, je croise un match où j’ai le loisir de voir de près un clan de supporters qui exagère. Je le narre sans véhémence, je précise bien que ça arrive à des supporters de toutes les couleurs, mais je me fais quand même accuser de « faux-culisme »: je n’ai pas narré les exagérations d’en face, donc je n’ai pas osé, donc JE SUIS d’en face! J’ai beau jurer (sur la tête de mes êtres les plus chers et qui me coûtent cher) être quasi maladivement neutre, non, JE SUIS d’en face! C’est fou, c’est faux, c’est fatigant. Donc je me repose. Jusqu’à ce que me reprenne l’envie de poésie géographique.

Retour aux deux gars de la buvette, pour leur expliquer que leur entraîneur n’est pas de facto une grosse biesse: parce qu’il n’y a pas qu’une seule manière d’être mené 1-0, mais moult nuances entre deux extrêmes.

Premier extrême, l’équipe est menée 1-0 en ayant 90% de possession de ballon: mais posséder n’est pas transpercer! Tu peux avoir très souvent le ballon, le reprendre très vite après l’avoir perdu, et en même temps être réduit à rôder sans grand danger autour du bastion adverse: tu manques d’un « transperceur », d’un gars susceptible de trouver la faille, d’un mec étiqueté attaquant par la vox populi. Si tu l’as sur le banc, tu vas l’utiliser. Ce sera peut-être au détriment de ta possession de ballon, parce que ce « transperceur » prendra davantage de risques, perdra davantage de ballons, sera moins habile pour participer à la récupération de ces ballons perdus. Mais bon, tu as un tel confort de possession de balle que tu dois faire entrer ton gars: tu passeras peut-être de 90% à 70%, mais tes 70% restants seront davantage susceptibles de faire péter le bastion sus décrit. Le changement sera logique.

Second extrême, l’équipe est menée 1-0 en ayant la possession de ballon pendant 10% du temps, …c’est-à-dire que le ballon est insaisissable! Tu as donc intérêt à faire entrer un gars qui sache s’en saisir, un arracheur, un étiqueté « défenseur »: tu tenteras de repasser de 10% à 30% de possession de ballon. Tu sacrifieras un « transperceur/manieur » de ballons, …mais tes manieurs restants disposeront un tant soit peu du ballon pour enfin tenter de manieret de transpercer ! Le changement sera tout aussi logique.

Voilà. Et ce sont deux extrêmes fictifs, vu qu’une répartition 90/10 de possession/ballon est caricaturale: les situations réelles étant davantage médianes, le coach qui hésite est donc un bon coach, et pas un bon à rien: il se tâte en permanence pour savoir si le changement plausible risque d’amener plus ou moins d’efficacité!

Sans être jamais sûr de rien quelque décision qu’il prenne, ce qui lui donne sa dimension apostolique.

Le coach qui hésite est un bon coach et pas un bon à rien

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