« Rester et se battre »

Une journée particulière dans la foulée du keeper de Beveren : Guillou, son nouvel entraîneur, lui conseille d’arrêter les frais!

Mardi 25 septembre. Le soir est tombé sur Beveren et Gilbert Bodart vient de terminer une conversation au téléphone avec son entraîneur Jean-Marc Guillou. Le Liégeois est très perturbé: « Il me conseille d’arrêter en beauté dès à présent, convaincu que Beveren filera du mauvais coton cette année et que je risque de dilapider tout le crédit que j’avais emmagasiné durant toute ma carrière. Mais je ne suis pas disposé à rendre mon tablier comme ça. Je veux me battre jusqu’au bout sur le terrain. Et je le ferai si on me laisse la chance de m’exprimer dans le but. Cette décision est du ressort de Jean-Marc Guillou. Je croise les doigts pour que le bon sens l’emporte ».

Une fin de journée chahutée que nous avions vécue avec Gil’ depuis le début, soit à 7h30, à Verlaine. Dans la famille Bodart, l’italien, héritage de trois années passées dans la Botte, se dispute avec le français à l’heure du petit déjeuner. « Les enfants, Chloé et Tom, s’expriment mieux dans cette langue », observe Gilbert. « A respectivement sept et cinq ans, il fallait faire un choix en matière de scolarité, auquel cas le décalage eût été trop important. C’est l’un des facteurs qui nous a en définitive incités à revenir en Belgique, mon épouse Joanne et moi. Notre avenir, dans un premier temps du moins, se situe ici. Je suis en fin de trentaine. Mon souhait le plus cher est de jouer jusqu’à mes quarante printemps. J’aurai passé deux décennies sur les terrains, à ce moment-là, et il sera alors temps de tirer ma révérence. Après coup, il me plairait d’embrasser une carrière de coach. Michel Preud’homme, Wim De Coninck et Jacky Matthijssen, tous anciens keepers, réalisent du bon travail parmi notre élite. Compte tenu de mon vécu, je pourrais m’inspirer de leur exemple. A cet égard, Beveren faisait figure, dans mon cas, de dernière étape idéale avant de relever pareil challenge. Après avoir évolué au sommet avec le Standard, j’avais l’occasion de vivre une ultime expérience dans un club plus modeste, situé de l’autre côté de la frontière linguistique de surcroît. Pour quelqu’un comme moi, qui a à coeur d’entamer une nouvelle tranche de vie sous nos latitudes, le club waeslandien constituait du pain béni. Certains, en apprenant mes intentions, ont crié au fou. Mon manager, Luca Pelizon, trouvait l’entreprise risquée dans cet entourage. Dans ma vie, je n’ai jamais opté pour la facilité. C’est la raison pour laquelle le défi des Jaune et Bleu me tentait, même si je cerne mieux, aujourd’hui, l’étendue de la tâche. Rien ne sera simple cette saison :les remous récents à l’échelon du staff technique en sont une parfaite illustration ».

« Emilio Ferrera m’a impressionné »

7 heures 30. Gilbert Bodart prend congé des siens. Il ne les reverra que le lendemain car chaque fois que deux entraînements sont inscrits au programme, il loge au Motel Beveren en lieu et place d’effectuer les 160 kilomètres qui séparent son lieu de travail de son domicile situé dans la grande banlieue liégeoise. Dans le garage, un modèle réduit d’une Ferrari, propriété du petit Tom, rivalise avec le coupé Mercedes du paternel, un cadeau qu’il avait reçu, quelques mois plus tôt, de l’homme fort de Brescia, Luigi Corioni, pour services rendus.

« Rappelle-moi la différence entre Michaël Schumacher et papa », demande Gil à son fils au moment du départ.  » Schumi, au moins, il gagne tout le temps, c’est pas comme toi », lui répond le fiston. Beveren en championnat: c’est un point sur dix-huit à peine. Ce qui n’est pas pour plaire à un gagneur de sa trempe.

« Notre début n’était pas des plus simples avec des matches contre Genk, Bruges et La Gantoise notamment », souligne-t-il. « A Gentbrugge, j’avais toutefois le sentiment qu’un déclic s’était produit et que nous étions enfin dans le bon. Contre toute attente, Emilio Ferrera a malheureusement été destitué quelques jours plus tard. C’est dommage car je reste convaincu que, cette saison encore, il aurait été en mesure de sauver le club, à l’image de ce qu’il avait fait les deux campagnes précédentes. J’avoue avoir été favorablement impressionné par ce jeune entraîneur, dont on ne m’avait dit que du bien. Voilà un garçon, en tout cas, qui sent le football comme nul autre. Malgré la mésaventure qui vient de lui arriver, je suis intimement persuadé qu’il rebondira ailleurs sous peu. Ses compétences ne peuvent être mises en doute. Je regrette qu’elles ne profiteront pas au club que je sers actuellement. Tout ce que j’espère, à présent, c’est que Jean-Marc Guillou se révélera un coach de la même trempe et qu’il mènera l’équipe à bon port. Je l’aiderai de toutes mes forces car je veux terminer en beauté ».

« J’ai l’impression d’être revenu au Standard »

Depuis la prise de pouvoir du directeur technique au Freethiel, la cohabitation n’aura toutefois pas été toujours des plus harmonieuses. Le jour-même de la mise à l’écart du cadet des Ferrera, un petit incident avait d’ailleurs impliqué Gilbert Bodart et DavidGrondin à l’entraînement.

« J’ai été très surpris d’apprendre par le biais des journaux que nous en étions venus aux mains et que j’avais dû répondre de mes actes auprès de la direction », observe le Liégeois. « La vérité, c’est que la plupart des joueurs étaient nerveux en raison des événements qui s’étaient produits en haut lieu. A un moment donné, David s’est emporté, en y allant d’un tackle appuyé sur un des joueurs. Je l’ai sermonné. Malgré ma réflexion, le Français a continué à chercher des misères. Sur corner, je l’ai alors chargé de manière un peu plus sèche qu’à l’ordinaire, moi aussi. Il m’a demandé si j’étais fou. Je lui ai répondu: -Non, je suis Gilbert Bodart. Et on a tous les deux éclaté de rire. L’après-midi, c’est vrai que j’ai eu une entrevue avec les responsables du club… pour prendre langue avec un candidat-sponsor. En réalité, je veux m’investir à fond à Beveren. Je sais que ce club se débat dans les problèmes, sportifs et financiers, et je désire lui apporter mon écot, à la fois comme gardien de but et comme public-relations. C’est marrant, mais j’ai l’impression d’être revenu quelques années en arrière, au Standard. Messieurs Van Hoof et De Colfmaeker, les deux décideurs, me font irrésistiblement penser au duo DuchêneWauters à Sclessin. Eux aussi, à un moment donné, ont sondé toutes les possibilités pour sortir le club de l’ornière. En voulant s’allier avec Milan Mandaric d’abord, puis avec Bernard Tapie. Ici, toutes proportions gardées, c’est pareil. La direction veut tout faire pour sauver le club. Je connais des gens qui sont susceptibles d’aider le club. Reste à voir, cependant, la faisabilité de cette démarche, entendu que les dirigeants de Beveren ont un accord de coopération avec les Anglais d’Arsenal. Dans la mesure où tous les termes de cet accord n’ont pas encore été respectés jusqu’ici, l’alternative que je propose pourrait être tout à fait valable ».

Même régime pour tout le monde

10 heures. Dans le couloir menant aux vestiaires, Gilbert Bodart a une longue discussion avec Jean-Marc Guillou. Vu les deux séances de préparation prévues, l’ex-portier des Diables Rouges aurait aimé pouvoir bénéficier d’un entraînement spécifique au moins. Mais le nouvel homme fort des Waeslandiens ne veut rien entendre: il sera soumis au même traitement que les autres éléments. Une mesure qu’il étend aussi à Danny D’Hondt, qui n’est plus entraîneur des gardiens mais keeper tout court; il avait été engagé comme tel l’été passé avant de se voir attribuer une nouvelle fonction suite à l’arrivée du Liégeois.

La nouvelle ne fait sourire ni Gilbert Bodart ni Danny D’Hondt qui, à 39 et 38 ans, doivent respecter le même programme que leurs partenaires. A commencer par une séance de fitness d’une bonne heure dans une salle jouxtant le Freethiel. Vélo et step sont au menu. Professionnel jusqu’au bout des ongles, Gilbert se dépense sans compter et sue abondamment. « Encore deux kilos à perdre et je serai revenu à mon poids de combat », dit-il.

Dispensé de travail, en raison d’une opération imminente au ménisque, l’ex-Molenbeekois Stéphane Demets se joint à nous : « C’est la troisième fois, dans ma carrière, que j’ai l’occasion de travailler avec un monument. Il y eut d’abord Guy Vandersmissen au RWDM, puis Benoît Thans et, à présent, Gilbert Bodart à Beveren. Quand j’ai appris qu’il allait venir au Freethiel, je me suis pincé. Je n’en revenais pas. Au départ, je redoutais un fossé entre cet homme ayant tout de même tout vécu et nous. Mais j’ai eu tôt fait de constater que Gilbert est vraiment un garçon sympa. En dehors du terrain, du moins, car c’est un râleur. Sans compter qu’il est très mauvais perdant au whist ( il rit).

« En Italie, j’étais un dieu »

Midi. Entre les deux entraînements, les joueurs prennent le déjeuner ensemble, après quoi ils sacrifient aux cartes ou regardent la télé. Gil ne demeure pas en reste, retrouvant des habitudes oubliées pendant son séjour chez les Transalpins.

« Rien n’était prévu pour meubler le temps d’une séance à l’autre », avance-t-il. « Certains allaient manger dans le voisinage, d’autres retournaient à la maison. Ce n’était pas l’idéal pour former un groupe uni. Ce qui m’a justement étonné, en Italie, c’est l’individualisme exacerbé des joueurs. On n’a pas de partenaires mais des rivaux. En dehors des grounds, les contacts sont inexistants. En l’espace de trois années là-bas, je ne me souviens que d’une seule soirée où tous les joueurs et leurs épouses étaient réunis: c’était à Brescia, pour célébrer la fin de l’année 99. Pour le reste, il n’y avait rien. Je n’ai conservé qu’un seul et véritable ami là-bas: Michele Rizardi, le tenancier d’un bar-tabac où j’allais déguster mon café ristretto journellement. Ceci dit, l’Italie m’aura quand même marqué pour d’autres aspects. J’ai appris à m’habiller là-bas, c’est sûr ( il rit). La musique n’est pas mal du tout non plus. Vous l’aurez remarqué vous-même: tout au long du trajet entre Verlaine et Beveren, il n’y en avait que pour des artistes italiens comme Eros Ramazzotti ou Laura Pausini. Rayon footballistique, j’ai toujours été séduit par le culte qui entoure le jeu et les joueurs. A Brescia et à Ravenne, j’étais réellement perçu comme un dieu vivant. C’est sans doute là-bas que j’ai obtenu la plus belle distinction de ma carrière, d’ailleurs. Même si je suis fier de mes quatre désignations comme Gardien de l’Année, chez nous, je suis plus touché encore par le titre de meilleur joueur de la D2 italienne 1998-99″.

« On a pris trop de buts sur phases arrêtées »

15 heures 30. Sur l’une des aires d’entraînement adjacentes au Freethiel, Jean-Marc Guillou et son nouvel assistant, le Français Régis Laguesse, dirigent le deuxième entraînement de la journée. Peu auparavant, ils avaient visionné la cassette du match contre Lommel, perdu 0-2 deux jours plus tôt et formulé leurs remarques à l’un ou l’autre joueurs. Gilbert Bodart en prend pour son grade, coupable de ne pas avoir agi dans les règles de l’art sur le premier but des Campinois. Une remarque qui a le don de le piquer au vif, dans la mesure où sa responsabilité ne pouvait pas être mise en cause sur cette phase. Survolté, il prouve alors de quel bois il se chauffe en s’avérant un dernier rempart quasi infranchissable lors des petits matches attaque contre défense voire des situations homme contre homme instituées par le technicien français. Un exercice où il se montre nettement plus à son avantage que les trois autres keepers : les jeunes Philip Deckers et David Muel ainsi que le chevronné Danny D’Hondt, obligé d’obéir aux injonctions de son entraîneur, même si le coeur n’y est pas.

« Je souhaite que le bon sens l’emporte et qu’on en reviendra le plus vite possible à la situation précédente », souligne Gilbert. « Il y a encore des réglages à effectuer au niveau du groupe et individuellement. Il faut une prise de conscience, sans quoi je risque de me retrouver dans un stand de tir chaque semaine. Or telle n’est pas mon intention. Je suis ici pour aider Beveren à s’en sortir. Mais pour l’heure, on s’enfonce dangeureusement. Si rien ne change, le club n’assurera pas sa pérennité parmi l’élite. Pourtant, le matériel humain actuel est suffisant pour nous tirer d’affaire. Faute de concertation, on n’arrivera toutefois à rien ».

Rendez-vous le 10 octobre, face au Standard

18 heures. Gilbert Bodart prend ses quartiers au Motel Beveren. La veille des matches, il y séjourne aussi, s’imposant une mise au vert individuelle alors que ses coéquipiers sont dans leur foyer.

« Certains me demandent parfois pourquoi je consens encore tant de sacrifices », précise-t-il. « Et c’est vrai que je pourrais me passer de ces astreintes. Mais c’est plus fort que moi: j’ai le foot étroitement chevillé au corps et plus les années passent, plus je savoure ce plaisir. C’est dommage que d’autres ne s’inspirent pas toujours de cet exemple. Je me lève et je me couche avec le foot en tête. Ce soir, j’aurai l’oeil rivé sur le petit écran avec les matches de la Ligue des Champions. Et il n’en ira pas autrement demain quand le Real donnera la réplique à Anderlecht. J’aurais aimé voir le Standard à l’oeuvre aussi. Mais ce sera pour le tour suivant, sans doute, car je ne doute pas que les Liégeois se qualifieront face à Strasbourg. Personnellement, j’ai déjà entouré une date dans mon agenda: le 10 octobre. Ce jour-là, Beveren accueillera les Rouches au Freethiel. Et je mettrai tout en oeuvre pour réaliser le match de ma vie à cette occasion. Il me reste simplement à espérer qu’on me laissera cette chance. Si Jean-Marc Guillou a demandé à Danny D’Hondt d’enfiler à nouveau la livrée de keeper, c’est parce qu’il a peut-être certaines idées en tête ».

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