Rester dans l’histoire

Le talentueux médian revient calmement sur ses deux dernières années glorieuses mais se projette avec ferveur dans l’avenir.

Ce qui est bien avec un Soulier d’Or, c’est qu’on connaît tout de sa vie avant de l’avoir rencontré. On sait qu’il fête ses prix individuels dans des snacks pitta et qu’il a appris toute sa technique dans la rue. On connaît ses magasins préférés, ses cafés favoris, ses hobbies. On a déjà vu des photos de ses amis, de ses jouets d’enfant, de sa famille, de sa voiture et de sa copine.

On n’est donc pas surpris qu’ Axel Witsel nous donne rendez-vous à La Cafétaria, établissement situé à deux pas du Carréliégeois, où trône encore une banderole du quotidien régional félicitant le Standard pour son deuxième titre. Lorsqu’on avait voulu savoir où le jeune international belge se délassait entre deux entraînements, le nom de l’établissement tenu (entre autres) par Siramana Dembélé, l’ancien joueur et désormais T3 du Standard, était naturellement revenu dans la conversation.  » Je me sens bien ici « , dit Witsel.  » Sira est un peu mon grand frère. Quand je suis arrivé chez les pros, c’est le premier joueur qui est venu vers moi. Il m’a dit où je devais m’installer et m’a donné mes affaires. On n’a pas le même sang mais je le considère comme mon grand frère.  »

A deux tables de nous, Steven Defour refait déjà le championnat pour un confrère. Witsel arrive pile à l’heure. T-shirt mauve, deux diamants aux oreilles, une coupe de cheveux plus fournie qu’à l’accoutumée (il a d’ailleurs abordé un nouveau look lors de la Supercoupe) et une gentillesse polie.

On le dit timide mais il se dévoile. En deux ans, il a eu le temps d’être rompu aux exercices médiatiques, répondant sans détour et sans fioritures. Deux ans : le temps qu’il aura fallu à ce jeune espoir pour devenir un des cadors du football belge. Comme sur le terrain, Witsel est un faux lent. Jugez plutôt : première titularisation contre le Lierse en février 2007, premier but contre Roulers un mois plus tard, première cap de Diable Rouge en mars 2008 contre le Maroc, Soulier d’Or en janvier 2009 et deux titres de champion de Belgique dans la besace. A 20 ans, il affiche déjà 85 matches et 17 buts en championnat.  » Quand je regarde dans le rétroviseur, je me dis que j’ai de la chance mais je me dis aussi que je ne vais pas m’arrêter là. J’ai encore beaucoup d’objectifs à atteindre. Mais c’est sûr que j’ai pris de l’avance sur mon planning. « 

Witsel incarne plus que tout autre joueur la nouvelle politique liégeoise, celle qui a abouti à la création de l’académie Robert Louis-Dreyfus et à la volonté de faire confiance aux jeunes du cru. Il est devenu l’emblème, avec Defour, de ce Standard conquérant, sorti de l’ornière creusée par 25 ans de disette, et revigoré par deux titres, deux Supercoupes et une campagne européenne marquante. Il est surtout l’homme de la fin de championnat, celui qui a converti un penalty à Gand et un autre lors du test-match contre Anderlecht. Deux coups de réparation synonymes de deuxième titre. Son statut de héros, il le porte sans prétention, s’affichant avec un peu de timidité dans le centre de Liège :  » C’est vrai que cela devient parfois difficile de se promener en ville. Surtout les mercredis après-midi quand il y a davantage de monde. On me demande sans cesse des photos mais je ne m’en plains pas. J’ai toujours rêvé de devenir footballeur pro. J’assume donc tout ce qui va avec le métier.  »

Sa disponibilité est donc restée intacte. Tant avec les supporters qu’avec les médias. Ses parents veillent encore au grain et il a su placer les limites où il le fallait comme cette volonté de ne pas trop mentionner l’endroit où il a récemment emménagé avec sa petite amie.  » J’ai également reçu beaucoup de demandes ces derniers mois « , ajoute-t-il,  » Beaucoup de petits clubs voulaient que je vienne donner le coup d’envoi. Je ne pouvais pas aller partout. « 

Sans compter le nombre d’interviews qui s’est multiplié. Pas de demandes farfelues style Je bâtis, tu rénoves ou Playboy mais un agenda bien chargé.  » Il y a même une chaîne de télévision qui s’est déplacée de Martinique ! « . Son Soulier d’Or a également accru sa popularité dans le nord du pays.  » Je ne savais pas que l’on m’aimait autant du côté flamand. On m’avait beaucoup parlé du vote communautaire et je ne l’ai pas constaté à mes dépens. Je regrette d’ailleurs de ne pas avoir prononcé une phrase en flamand lors de la cérémonie. Certains auraient pu être touchés par cela et je m’en excuse. Je compte bientôt prendre des cours de néerlandais même si tous les journalistes néerlandophones m’abordent… en français.  »

Il faudrait pour cela que son agenda se décharge, ce qui au vu de sa prestation en Supercoupe n’est pas gagné d’avance.

 » A la base, je suis quelqu’un de posé et de calme « 

 » J’ai été formé par le foot de rue. En devenant pro, ma vie a un peu changé. Avant, il nous arrivait avec des amis de dormir en tente. On se réveillait, en pleine nuit, vers 2 heures du matin, pour jouer au football. Pendant les grandes vacances, c’était football le matin, football l’après-midi et football le soir. « 

C’était à Vottem, à quelques encablures de Liège :  » Aujourd’hui, j’ai déménagé mais j’y retourne tous les deux jours. J’en ai besoin car tous mes potes habitent là-bas. Finalement, quitter le quartier ne fut pas si difficile que cela. J’avais besoin d’un peu de tranquillité. C’est pour cette raison que je suis parti de chez mes parents. A la base, je suis quelqu’un de posé et de calme et j’ai besoin de cela. Je ne suis pas du genre à rester seul chez moi lors des après-midis libres mais je n’aime pas non plus être dérangé sans arrêt. « 

Lorsqu’on lui demande de revenir sur ses débuts professionnels, il n’a pas besoin de se creuser la tête. Les souvenirs affleurent rapidement :  » La veille du match contre le Lierse, Michel Preud’homme m’a appelé dans son vestiaire. L’équipe qui débutait le lendemain s’affichait sur le tableau. J’ai de suite compris. Il m’a dit que j’allais démarrer. Normalement, il ne dévoilait jamais ses plans la veille. C’était une preuve de confiance. Néanmoins, je n’ai pas beaucoup dormi ( il sourit).  »

Son premier but :  » Je vois encore Milan Rapaic centrer au ras du sol et je la dévie au premier poteau. Je n’y croyais pas. J’avais marqué.  » De nombreux autres buts allaient suivre. Tous fêtés avec le geste du papillon, calqué sur celui que fait Nicolas Anelka pour célébrer ses réalisations :  » A l’école, j’appréciais beaucoup Anelka parce qu’il est Français et Antillais. Un jour, je parlais du match de la semaine avec mon ami Nurhak. On devait rencontrer Anderlecht en demi-finale de Coupe de Belgique. Il m’a dit – Si tu marques, fais le geste d’Anelka, comme ça, je saurai que c’est pour moi. J’ai marqué et je lui ai dédié le but. Depuis lors, c’est un peu devenu ma marque de fabrique. Parfois, on me dit – Trouve toi un truc à toi mais je n’ai pas envie.  »

Et puis est arrivé le summum pour tout joueur : la première convocation en équipe nationale :  » On commençait à évoquer mon nom. Quant tu entends cela, tu te mets à espérer. Puis la confirmation est tombée. On est heureux mais c’est un peu spécial. Un peu bizarre. Car on a l’habitude de regarder cela à la TV et du jour au lendemain, c’est toi qui passes à la TV. Depuis tout petit, je zappais entre les matches de la Belgique et ceux de la France, dont je suis fan par mes origines antillaises. Et pour dire la vérité, les dernières années, je restais plus longtemps sur les chaînes françaises ( il sourit). Maintenant, quand je joue, mon papa va regarder uniquement la Belgique. Faut le faire ! Lui, son c£ur penchait davantage pour la France.  »

 » Le Soulier d’Or a changé le regard des gens « 

A Sclessin, Witsel a vécu deux consécrations collectives et une individuelle. C’était en janvier dernier. Au Soulier d’Or.  » Oui, je l’ai mérité. J’avais été régulier. Même si parfois, on dit que j’ai l’air de sortir de mon lit. C’est Belgacom TV qui avait passé une vidéo sur laquelle je n’avais pas l’air fort réveillé. Cela fait des années que j’entends que je suis un lent. Or, je suis un faux lent. On me dit nonchalant : l’adversaire croit toujours qu’il va prendre le ballon et en réalité, je l’ai toujours. Cela vient de mes origines antillaises : on est toujours cool !  »

Cela nous éloigne du Soulier d’Or. On y revient :  » Je voyais la concurrence et je me disais que cela allait être chaud. Surtout quand j’ai vu les résultats du premier tour ! Je n’avais que 22 points. Puis le classement final est tombé et au fur et à mesure, je voyais les noms défiler. J’ai été étonné de prendre autant de points au deuxième tour. « 

Cette récompense a été suivie par un creux que d’aucuns ont mis sur le compte de la surcharge médiatique :  » Chaque année, je connais un petit creux. Cette saison, tout le monde a dit que c’était dû au Soulier d’Or. Cela n’a joué aucun rôle. C’était juste dû à l’accumulation des matches. Ce Soulier d’Or a simplement changé le regard des gens. Pourtant, Defour m’avait prévenu. Il m’avait dit qu’avant le Soulier d’Or, si tu faisais un match normal, tu récoltais un 6,5 mais que si tu faisais le même match après, ta cote était descendue à 5,5. Même chose lorsque j’ai pris ma carte rouge en équipe nationale. J’ai dit un gros mot dans la foulée. Avant, on n’aurait même pas relevé. Ce sont des petits détails qui prouvent que mon statut a changé. A moi de m’y faire. « 

Ce n’est que contre Anderlecht que le Soulier d’Or lui fut offert.  » J’aurais préféré que ce soit Zizou qui me remette le Soulier « , rigole-t-il.  » Didier Deschamps, je ne l’ai pas beaucoup vu à la TV mais cela reste un grand champion et c’est déjà bien que Lucien D’Onofrio ait amené quelqu’un pour moi.  »

A cette consécration individuelle, se sont ajoutés les deux titres de champion de Belgique glanés avec le Standard.  » C’est encore plus spécial pour moi car je suis un enfant du club. Je suis arrivé à neuf ans et demi. A l’époque, je n’aurais jamais pensé jouer, un jour, la Ligue des Champions. J’entendais l’hymne à la TV. Cette année, je vais l’entendre en direct ! Ce qu’on a réalisé depuis deux ans a changé l’image du club. Que ce soient les deux titres, la campagne UEFA, la qualification pour la Ligue des Champions. Quoi qu’il arrive, on restera dans l’histoire ! « 

 » Entre partir en Russie ou rester à Sclessin, je choisis le Standard « 

Il restera alors à continuer l’histoire. Vers un triplé et vers une découverte de la Ligue des Champions.  » C’est LA compétition qui motive le plus. On peut franchir un palier. Ce n’est plus la Coupe UEFA. Il va falloir être au top de chez top. Moi, j’aimerais bien avoir un tirage corsé avec le Real, Arsenal ou Manchester. On n’aurait rien à perdre. Ils ont deux jambes et deux bras, comme toi. J’avais dit, avant Everton, que j’envisageais un départ. Cela n’avait pas plu à certaines personnes. Du coup, je ne m’épanche plus trop sur le sujet. Il faut demander à Lucien d’Onofrio mais la Ligue des Champions change la donne. La jouer avec le Standard sera émotionnellement plus fort que de la disputer avec Manchester. Je me sens encore bien au Standard et j’ai toujours fait confiance au boss. Il s’y connaît assez bien et il saura quand ce sera bon pour moi de partir. Mon objectif reste de jouer dans un grand club. En Espagne ou en Angleterre. L’Allemagne et l’Italie me conviennent moins. Par contre, la Russie ne me tente pas. Si j’ai la possibilité de rester en Europe, même avec moins d’argent, je reste. Entre partir au Zenit et rester au Standard, je choisis de rester au Standard.  »

Le chapitre du championnat de Belgique s’annonce. Avec au menu, un nouveau combat avec Anderlecht que certains considèrent désormais comme un outsider.  » C’est clair que tout le monde va vouloir notre peau. On préfère rester modeste. On n’aime pas se mettre dans la peau du grand et ce n’est pas maintenant qu’on va commencer à faire les artistes. On va encore plus s’arracher sur le terrain. Il faudra être des chiens. Si on commence à faire moins, cela va coincer. Nous aurions été plus forts en conservant Oguchi Onyewu mais on ne peut pas garder tout le monde. On a bien réussi à être champion sans Marouane Fellaini. Il va falloir y parvenir sans l’Américain.  »

Il refuse donc de déprécier Anderlecht. A peine, lorsqu’on revient sur les test-matches, consent-il cette remarque :  » Les joueurs d’Anderlecht ne voulaient pas disputer les tests-matches. Si tu commences à dire dans les journaux que tu as un mariage ou que tu dois aller faire les magasins et que tu râles de devoir prolonger le championnat, c’est que tu as peur. Je n’ai pas compris ce genre d’attitude. Soit tu es pro, soit tu n’es pas pro. Et quand tu es pro, si on te demande de rejouer deux matches supplémentaires, tu le fais ! « .

Pour lui, le championnat peut reprendre. Il est prêt, portant trois kilos de muscles supplémentaires. Il ne fallait d’ailleurs pas qu’il s’arrête.  » J’ai connu un petit creux après l’hiver mais en fin de championnat, je revenais en forme. Ma courbe de progression était à la hausse. C’est pour cette raison que je n’ai pas hésité à tirer les penalties contre La Gantoise et Anderlecht. Le week-end précédent, il y avait eu la petite dispute avec Milan Jovanovic. En semaine, on avait été convoqué par l’entraîneur qui m’avait désigné pour les penalties futurs. Du moins, si je le sentais bien. Contre Gand, tu ne te dis pas, au moment de t’élancer, que le titre se joue. Et contre Anderlecht, tu ne penses pas que c’est un penalty à 15 millions d’euros. Il y avait de la pression et pour la surmonter, il faut avoir de la personnalité. Mais, si tu ne l’as pas pour tirer des penalties à 20 ans, ce n’est pas à 30 ans que tu commenceras à les botter !  » Pour autant, sa personnalité n’a pas suffi contre Saint-Trond. Lui qui n’en avait jamais raté un, le voilà qui en loupe deux!

Lui se sent donc régénéré. Malgré la saison éprouvante. Et grâce à la semaine supplémentaire qu’il a reçue en cadeau de ses employeurs.  » Steven, Wilfried Dalmat et moi n’avons appris que le premier jour d’entraînement que nous recevions une semaine de vacances supplémentaires à Malaga. Quand on reçoit un tel cadeau, on ne se demande pas comment vont réagir les coéquipiers. On le prend sans râler. Si on avait été envoyé en Autriche, on serait allé mais c’est sûr que Marbella, c’est plus chic. Il y avait du soleil. C’était un petit Monaco. Nous sommes partis sans nos compagnes et on s’est reposé. Ryan Giggs se trouvait en famille dans le même hôtel que nous.  »

par stéphane vande velde

« Avant, on zappait entre les matches de la France et de la Belgique. Et on restait davantage sur ceux de la France ! «  »L’adversaire croit toujours qu’il va me prendre le ballon mais en réalité, je l’ai toujours. »

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