Réservoir Dogues

Filiale belge de Lille, le club de Mouscron Péruwelz frappe avec ambition, détermination mais également, aux yeux de certains, un visage trop français, aux portes de la Jupiler Pro League. Visite dans le plus français des clubs belges.

Camphin-en-Pévèle, 2000 et quelques habitants. C’est dans ce petit bled frontalier paumé du nord de la France que s’entraîne le Royal Mouscron Péruwelz. L’un des rares clubs européens à se préparer à l’étranger. Camphin, c’est le carrefour de l’arbre. Célèbre secteur pavé où ThorHushovd s’est vautré en 2009, laissant TomBoonen s’envoler vers son troisième Paris-Roubaix. C’est aussi, ce qui nous y emmène, le domaine de Luchin. A deux pas de la sortie d’autoroute, une petite rue serpente jusqu’à l’entrée du  » parc sportif « . Deux barrières. Un gardien au taquet. Pour assister à l’entraînement du RMP, pensionnaire de D2 belge, il faut demander des autorisations et montrer patte blanche. La scène peut sembler surréaliste. Mais Luchin, c’est le centre de vie du LOSC et de ses Dogues, champions de France 2011. 43 ha de verdure, huit terrains, des salles de soin et de musculation, balnéothérapie, espace détente et restaurant… Puis aussi une piste finlandaise de footing, un chemin VTT et des couloirs d’athlétisme… Le nec plus ultra.

Imposante, la ferme carrée, typiquement flamande, date du 19e siècle. Elle a été amochée par la tempête de 1999 et, quatre ans plus tard, par un incendie criminel (à un moment on y retrouvait jusqu’à des carcasses rouillées de voitures) mais a été luxueusement et ingénieusement aménagée avec un budget de 20 millions d’euros pour offrir au club nordiste des espaces de travail et de récupération de premier plan. Salles sportives et médicales au rez-de-chaussée, classes de cours au premier et internat au deuxième… Le centre de formation dont est sorti EdenHazard est une petite merveille d’organisation.  » Club filiale, satellite, appelez-le comme vous voulez, le RMP fait partie de la famille. Il était normal et logique qu’on l’accueille et l’intègre « , explique l’un des dirigeants.  » Que ce soit pour l’aspect sportif, économique ou médical.  » La santé. Un domaine dans lequel Lille est à la pointe. Le LOSC possède par exemple ses propres machines isocinétiques. Appareillage aussi coûteux que précieux dans la rééducation et le renforcement musculaire. Tout sauf un hasard, l’an passé pratiquement personne ne s’est blessé du côté de Mouscron.

Actionnaire majoritaire

D’abord logé dans des conteneurs à Luchin, le RMP dispose aujourd’hui de 400 mètres carrés rien qu’à lui. Une tribune a été construite aux abords du terrain, qui accueille les matchs des équipes de jeunes du LOSC et la moitié a été spécialement aménagée pour le petit frère belge. Avec vaste salle de musculation et espace pour les soins. Lille est entré dans le capital du club hennuyer à hauteur de 26 % en novembre 2011 et en est devenu l’actionnaire majoritaire en mai 2012.

 » Quand l’Excel a été mis en liquidation, s’est tout de suite posée la question du Futurosport et de sa survie « , se souvient le président EdwardVanDaele. On avait un stade homologué, 14 ou 15 terrains, 500 jeunes qui pratiquaient leur sport tous les jours. Mais nous avions besoin d’un matricule. Recommencer en 4e provinciale nous aurait tués. Trois clubs de D3 qui, pour des raisons diverses, souhaitaient mettre la clé sous le paillasson nous ont approchés. On a choisi de se lier à Péruwelz. C’était la région. La Wallonie picarde.  »

Et ce, malgré le fait qu’une erreur administrative (une homonymie entre deux joueurs) était sur le point de lui faire perdre 24 points et de le reléguer en promotion.

 » Le passé l’a démontré. Un club de D1 n’est pas viable à Mouscron sans un soutien extérieur voire étranger  » poursuit Van Daele.  » L’hinterland économique dans la cité des Hurlus ne permet pas de nourrir suffisamment de recettes pour le financement sérieux d’une équipe de l’élite avec d’autres ambitions que de se battre pour obtenir la licence et éviter la relégation. Je me suis donc tout de suite dit que nous avions besoin de partenaires et comme je l’avais déjà fait en 2004, nous avons pris langue avec Lille.  »

Du temps de son premier passage (18 mois) à la tête de l’Excel, Mouscron, lourd héritage de l’ère Jean-Pierre Detremmerie, était endetté jusqu’aux oreilles. Les Français avaient dès lors gentiment décliné la proposition.  » La virginité financière de la nouvelle structure et l’occasion d’avoir un club satellite à 15 km de chez eux les ont convaincus  » renchérit Van Daele.  » D’emblée, ils sont intervenus, alors que nous étions encore en promotion, pour qu’on puisse s’offrir les services des Betremieux et ils nous ont fourni une assistance technique afin d’accélérer notre ascension.  »

Tout, sauf des philanthropes

Les Lillois ne sont pas des philanthropes. Pour le LOSC, le RMP incarne une opportunité assez exceptionnelle d’acquérir, valoriser et tester des joueurs. De permettre à ses jeunes et à ses réservistes de disputer un championnat professionnel plutôt que de végéter dans des divisions amateurs françaises.  » Nous sommes plus riches que les clubs belges. Mais moins que les Allemands, les Espagnols, les Italiens et les Anglais « , reprend un dirigeant, anonyme.  » Nous nous devons de sortir trois ou quatre jeunes par an. Et, pour ce faire, nous voulons nous appuyer sur une marche intermédiaire entre la CFA et la Ligue 1. Permettre aux joueurs qui ne peuvent pas franchir le pas de disputer une vraie compétition à enjeu. On peut toujours prêter ses éléments à un autre club. Mais dans ces cas-là, on ne maîtrise pas l’ensemble des paramètres.  »

Le projet lillo-mouscronnois est prometteur. Mais c’est une évidence, il ne tournera à plein régime (et ne sera intéressant pour le LOSC) qu’une fois le RMP hissé parmi l’élite. Il a raté la montée d’un fifrelin l’an dernier, terminant le tour final à égalité de points avec les Brugeois du Cercle.  » Nous voulions nous montrer et le groupe a bien tourné. A un moment, on s’est dit qu’il serait super de gagner un an sur le planning mais au niveau administratif et organisation, nous n’aurions pas eu le temps de tout professionnaliser calmement.  »

Mouscron figure pour l’instant en embuscade. A quelques longueurs de Westerlo et d’Eupen. L’objectif est de monter cette saison. L’année prochaine tout au plus. Lille investit tout de même plus d’un million d’euros par an au Canonnier. Hors joueurs prêtés. Sachant que les éléments lillois sont pris en charge financièrement par le LOSC.

 » Nous avons eu la chance d’arriver dans un club avec de bonnes structures, l’un des meilleurs centres de formation de Belgique et un stade plus que correct de 10.500 places. Mais il y a aussi des désavantages, des contraintes, un passé, un passif, avec lequel on doit composer. A commencer par le peu de revenus, notamment en guise d’entrées et de droits télé.  »

Recettes de D3 et charges de D1

 » L’antichambre, c’est les recettes de la D3 avec les charges de la D1,  » a coutume de résumer le président Van Daele. De fait, l’assistance rachitique au Canonnier oscille entre 1200 et 1500 spectateurs par match. Pas évident de faire mettre la main au portefeuille pour aller voir un club de D2 à des gens qui ne payaient rien pour de la D1.

 » On nous a souvent expliqué que, dans le temps, à Mouscron, on avait une invitation en achetant un timbre à la poste « , rigole l’anonyme.  » Sur 7000 personnes, 4000 venaient aux frais de la princesse. Fallait changer les mentalités mais on a quand même fracassé les prix. 5 euros la place en tribune debout.  »

C’est encore trop pour certains Mouscronnois qu’il faudrait presque payer pour aller voir le RMP. La francisation du club n’est pas du goût de tous les supporters.  » On est descendu de la D1 à la promotion « , note Van Daele.  » Faut reconstruire. Ce n’est pas une surprise et ça ne se fait pas du jour au lendemain. Mais c’est sans doute plus ardu qu’on le pensait. Je n’ai pas le sentiment que la faible fréquentation soit liée à Lille. Si nous ne nous étions pas liés au LOSC, ça aurait été à quelqu’un d’autre. Les gens auraient-ils plus facilement repris un abonnement si nous étions passés sous la coupe d’un Kazakh ou d’un milliardaire russe ? »

En attendant, au début de saison, ils étaient 17 Français dans le noyau pour deux Croates, les frères Jakolis ramenés par une vieille connaissance, TonciMartic, et cinq Belges parmi lesquels un ancien Hurlu, JérémyHuyghebaert, un gardien remplaçant de 36 piges, PatrickDeVlamynck, et deux jeunes issus du Futuro : FlorentinVanRoy et JérémyHouzé. De quoi faire grincer des dents.

 » Le régionalisme, c’est un raisonnement que je peux comprendre quand on parle de foot amateur « , concède Van Daele.  » Mais, selon moi, l’impératif d’un club pro, c’est de placer le meilleur joueur au meilleur endroit dans le respect du budget. Quand il est possible de faire monter du jeune, de prendre du belge, on le fait. Dès le moment où ils ont une qualité égale ou supérieure aux autres et où leurs exigences financières cadrent avec nos possibilités budgétaires. On a commis des erreurs de gestion du temps de l’Excelsior en ayant les yeux plus grands que le ventre. Je ne veux pas qu’on recommence. Alors, on essaie d’approcher ce qui peut l’être sur le plan régional pour favoriser cette reconnaissance du public par rapport à l’ancrage du club. On s’y retrouve un peu plus quand on engage un Brouckaert ou un Provoost qui sont du cru. Mais la priorité reste la qualité, pas l’origine géographique.  »

Stéphane Pichot, premier de cordée

Une origine souvent toute relative.  » Si vous vous mettez sur la pointe des pieds, vous voyez le stade de Lille. On parle beaucoup du transfrontalier ici. On a pris conscience qu’on habite tous la même ville depuis la suppression des douanes. L’ancien coach, ArnaudDosSantos, malgré son nom, est né à Lille. Et son successeur RachidChahab vient d’Armentières…  » Les mentalités sportives restent cependant empreintes de patriotisme.

 » En arrivant, nous avons découvert les divisions inférieures belges. Nous sommes donc partis sur des choses que nous connaissions. Des joueurs français,  » reprend le dirigeant anonyme. StéphanePichot est ainsi le premier joueur arrivé au Canonnier en provenance du LOSC. C’était il y a trois ans. Le RMP évoluait encore en division 3.

 » Je revenais de Strasbourg, se souvient-il. Lille voulait permettre à Mouscron de retrouver rapidement la Division 1 et m’a proposé le challenge. Les deux clubs étaient déjà partenaires depuis une saison. J’ai accepté l’aventure. Je tenais à me poser avec ma famille. Ça tombait bien.  »

AbdoulayeDiaby, lui, évoluait l’an dernier en Ligue 2 à Sedan. Il a 22 ans et semble débarrassé des pépins physiques qui ont miné son premier tour.  » Ici, c’est différent de la France. On baigne davantage dans le combat, les tacles, les duels. Mais quand tu es un compétiteur, tu fonces. La saison prochaine en cas de montée ? Je ne pense pas à l’avenir. Juste au présent.  »

A court ou moyen terme, le but est de lui faire suivre la même trajectoire que JohnJaïroRuiz. Arrivé au LOSC en janvier 2012, le Costaricain avait été prêté l’an dernier au RMP. Il y a appris à prendre des coups et a inscrit une vingtaine de buts avec 60 % de temps de jeu. Il a depuis été rapatrié à Lille où il commence à s’intégrer.

Cette saison, Mouscron a réussi un bon début de championnat mais il a vécu une période délicate. Après être passé à côté de la première tranche, il a essuyé un contrecoup physique et mental. Engrangé cinq petits points sur 21.

Lille : le savoir-faire et l’excellence

 » La collaboration avec Lille était nécessaire pour avancer, nourrir de l’ambition et avoir les reins solides. Elle pourrait aussi se révéler très intéressante pour des gamins du Futuro « , explique PhilippeSaintJean qui a fait monter l’équipe de Promotion en D3 et de D3 en D2 avant d’être remplacé par Arnaud Dos Santos, alors responsable du scoutisme lillois.  » Les gens du LOSC sont extrêmement compétents mais ils ont, je pense, sous-estimé l’antichambre et souffert de sa méconnaissance. C’est la raison du mauvais départ la saison passée et des renforts actuels, selon moi, superflus. Je suis convaincu que nous serions montés l’an dernier. Mais aussi que le RMP accédera à la D1 cette année. Lille a le savoir-faire et l’excellence.  »

Ce n’est pas la cause de leur séparation –  » elle est due à des bêtises  » selon lui – mais Saint-Jean au moment de s’attaquer à la D2 voulait un Dino Arslanagic et un JuniorMalanda, tous deux formés au LOSC. Ou encore rapatrier les  » Ostendais  » : JimmyHempte, LaurentDepoitre et YohanBrouckaert (finalement arrivé cet hiver).

 » Lille a d’ailleurs envoyé ses scouts visionner ces trois derniers mais ils suivent des critères de sélection différents des nôtres. Chez eux, l’aspect technique prime. Nous, nous sommes élevés à la dure. Notre foot leur paraît un peu rustre. Mais c’est ce dont on a besoin en D2.  »

Cet hiver, trois joueurs de la réserve lilloise sont venus garnir les rangs des Hurlus. A 31 ans, SébastienPennacchio, n’est pas ce qu’on appellerait un jeune premier, le plus grand espoir du stade Pierre-Mauroy. Mais NicolasPerez et ThibaultPeyre, eux, n’ont respectivement que 23 et 21 balais. Perez a inscrit onze buts en treize matchs de CFA.  » J’espère m’aguerrir ici en Belgique « , glisse-t-il.  » Le football est plus physique. Je suis agréablement surpris. Pour moi, il s’agit d’un challenge intéressant.  »

Arrivé cet hiver, son coach Rachid Chihab, qui, pour l’anecdote, a imposé à ses joueurs un entraînement le 1er janvier, n’est pas un rigolo.  » Lui, c’est un dur, commentait d’ailleurs Eden Hazard (qu’il a eu sous ses ordres) dans un reportage réalisé il y a quelques années par Canal +.  » Une réflexion a été menée par les dirigeants  » raconte Chihab.  » Ils ont évalué la feuille de route. Se sont demandé où on en était et si on pouvait encore atteindre la Jupiler Pro League cette saison. J’ai eu un nombre assez conséquent de joueurs sous mes ordres. L’inconnu pour moi, c’est la valeur du championnat et du groupe. On doit hiérarchiser les priorités. Et la numéro 1, c’est la montée. Les aspects économiques et sportifs sont indissociables. Les joueurs aussi ont besoin d’être mis en valeur dans un championnat plus relevé.  » Jupiler Pro League, les Lillois savent pourquoi…?

PAR JULIEN BROQUET – PHOTOS: IMAGEGLOBE/STOCKMAN

Lille investit 1 million d’euros par saison au Canonnier. Indépendamment des joueurs qu’il rétribue et prête gratuitement au club hennuyer.

 » Je suis convaincu que le RMP montera cette saison.  » Philippe Saint-Jean, ex-entraîneur

La priorité reste la qualité, pas l’origine géographique.

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