REPRISE EN MAIN

Le médian français estime qu’il a commis assez de bêtises.

Le rendez-vous a été fixé à onze heures sur la place de Mouscron. Nous arrivons avec une vingtaine de minutes de retard et Abdoulaye Soumare (25 ans) nous le fait remarquer avec un large sourire. Embêtant car nous sommes venus, entre autres, évoquer avec lui ce manque de ponctualité qui a tellement énervé les dirigeants et l’entraîneur de Roulers que ceux-ci l’ont envoyé jouer avec les Réserves pour une durée indéterminée.

Cela fait maintenant trois ans qu’ Abdou joue en première division et, malgré un talent reconnu par tous ceux qui ont travaillé avec lui, il est encore méconnu. Sa progression n’a pas été freinée par des blessures mais plutôt par un manque de régularité chronique dans l’effort. Aujourd’hui, il semble s’en rendre compte et promet de s’acheter une conduite :  » Il est grand temps que je sois plus stable. Sans quoi, si je rentre à Paris après avoir échoué dans le foot, mes parents me foutront à la porte de chez eux « .

Soumare est de Saint-Ouen, dans la banlieue parisienne. Un quartier à problèmes ?  » A Paris, tous les quartiers noirs ou arabes connaissent des difficultés « , dit-il.  » Quand il y a eu des émeutes, cela a chauffé dans ma cité aussi. Mais disons que c’est moins dangereux qu’ailleurs. Vous pouvez rendre visite à quelqu’un sans retrouver vos vitres cassées ou vos pneus crevés. Mais y a pas intérêt à faire trop le malin avec les jeunes quand même. Comme ils ne travaillent pas, ils s’occupent autrement et, parfois, ça tourne mal. (il grimace) « .

Soumare est l’avant-dernier d’une famille de huit enfants, dont cinq garçons. Le dernier n’a que 11 ans :  » Mon père est Malien, ma mère est Sénégalaise mais ils sont arrivés en France avant leur mariage. Moi, je ne suis jamais allé au Mali mais j’aimerais bien connaître mes grands-parents. Je ne les ai jamais vus qu’en photo et je ne leur ai parlé qu’au téléphone. Papa était imprimeur, il a pris sa retraite maintenant. Maman était femme au foyer mais, dans les familles africaines, chaque enfant s’occupe du suivant. C’est donc mon frère Adama qui m’a pris sous son aile « .

C’est pourtant son père qui, à l’âge de huit ans, décida de l’inscrire au Red Star :

 » Parce qu’il voyait que j’adorais le foot. J’en parlais du matin au soir. Au début, je ne pensais évidemment pas devenir professionnel un jour mais, quand j’ai vu que j’avais des qualités, j’ai tout misé sur le football. Parce que l’école, c’était vraiment pas ça et que je voulais que mes parents soient fiers de moi pour quelque chose « .

En France, Soumare n’a jamais porté que le maillot du Red Star. Un club réputé pour son centre de formation et dont sont issus pas mal de joueurs pour qui le foot a constitué une véritable planche de salut. Soumare en a côtoyé quelques-uns.  » J’ai joué avec Charly Itandje, le gardien de Lens, avec Fousseni Diawarra (Saint-Etienne), Abdoulaye Maïte (Bolton)…  »

Le Red Star évoluait alors en CFA, soit le quatrième échelon du football français.  » Mais cela n’a rien à voir avec la Promotion belge « , sourit Soumare.  » Nous jouions régulièrement contre les équipes réserves de Metz, Lens ou Lille, avec des professionnels qui redescendaient. Notre entraîneur avait opté pour un 3-4-3 et, bien souvent, j’étais seul sur le flanc gauche : c’était vraiment très dur « .

Un test à Auxerre qu’il regrette

Soumare avait 21 ans lorsqu’il débarqua en Belgique. Henri Depireux, alors fraîchement nommé entraîneur du FC Liège, qui évoluait toujours en D2, avait reçu pour mission de faire jouer ses relations pour dénicher de jeunes joueurs qui permettraient au club de se relancer avec la perspective d’une intéressante plus-value financière. Par l’intermédiaire de son ami Jean-Claude Bras, ex-joueur de Liège devenu président du Red Star, il entra en contact avec Soumare :  » Pour moi, c’était une belle opportunité. Aucun club français ne m’avait fait de proposition et au Red Star, c’était la fin car il y avait trop de problèmes financiers. Le club a fini par chuter en Division d’Honneur, le sixième échelon. Et, Liège me permettait de gagner un peu mieux ma vie. Au Red Star, je n’avais qu’un contrat fédéral, semi pro avec 1200 à 1500 euros par mois, il est difficile de vivre à Paris. Liège me doit toujours de l’argent mais j’ai laissé tomber. Mon ami Simon Moukoko a intenté une action en justice mais il attend toujours de voir le moindre centime « .

La première saison, Soumare inscrivit sept buts en D2 mais le club fut rétrogradé administrativement. Et l’année suivante, il effectua la culbute en Promotion. Malgré les 18 buts de Soumare qui, inévitablement, suscita de l’intérêt. Dont celui d’Auxerre, mis au parfum par Eric Depireux, qui venait d’y placer Luigi Pieroni et avait gagné la confiance de Guy Roux.

 » Je suis parti faire un test « , raconte Soumare.  » Guy Roux a dit à Eric que je pouvais partir en stage mais c’était une arme à double tranchant. Si, après un mois en Savoie, on ne voulait pas de moi, je risquais de me retrouver sans club. Or, Mouscron était intéressé. Ce ne fut pas une décision facile mais j’ai opté pour les Hurlus. Aujourd’hui, je sais que j’ai commis une erreur « .

Soumare ne resta que six mois à Mouscron.  » Il y avait trop de concurrence sur le flanc gauche « , avance ce garçon capable d’évoluer en défense, dans l’entrejeu ou même devant dans un 4-3-3.  » Christophe Grégoire, Bob Cousin et même Jimmy Hempte étaient tous gauchers. Quand j’ai vu que ce dernier m’était préféré dans l’entrejeu, j’ai compris que Philippe Saint-Jean ne me donnerait jamais ma chance, malgré de bons matches en Réserves. Peut-être parce qu’il savait que je n’étais pas trop sérieux « .

 » Roulers a été patient  »

A la trêve, Roulers s’intéressa à lui et il fut pour beaucoup dans la montée en D1, via le tour final. Au point que le club lui offrit un contrat de deux ans. Depuis, il n’a pourtant joué que 13 matches de D1 :  » Et encore, pas tous en entier. C’est trop peu et je sais très bien que ce n’est pas mon talent qui est en cause  »

Après un début de saison marqué par plusieurs incidents, il a été renvoyé en Réserves :

1. au premier tour de la Coupe UEFA, il n’avait pas de passeport pour se rendre en Macédoine, alors que chaque joueur avait reçu un courrier l’avertissant qu’il devait se mettre en ordre ;

2. six semaines plus tard, il n’avait pas de carte d’identité pour aller à Chypre. Il se présenta avec un document de la police de Tourcoing déclarant la perte du document le 14 juin et valable deux mois, alors que le match avait lieu le 24 août ;

3. voici quelques semaines, il manqua un entraînement sans prévenir. Le lendemain, il dit qu’il avait dû aller à l’hôpital mais se présenta avec un certificat émis par un médecin généraliste disant qu’il ne pouvait pas s’entraîner pendant trois jours.

Confronté à cette liste, Soumare sait que ses excuses ne sont plus prises au sérieux :

 » Je mesure bien la patience dont Roulers a déjà fait preuve à mon égard, surtout le directeur sportif Luc Devroe. Eric m’a aussi beaucoup parlé. Il est comme un frère pour moi, il ne m’abandonne jamais. J’ai compris que l’heure de ma toute dernière chance a sonné. Je vais donc m’accrocher, travailler comme un fou à l’entraînement et dans les matches de Réserves. Si ça ne marche pas, je demanderai à partir en décembre. Je veux réussir quelque chose en Belgique, même si je dois redescendre en D2. Je me lève plus tôt, je vais passer mon permis de conduire afin de ne plus dépendre des autres « .

Restera à résister aux tentations. Le plus difficile, manifestement :  » Surtout quand on vit seul. Pourtant, je sais repasser mon linge, me faire à manger, etc. Mais j’ai toujours été habitué à bouger « .

PATRICE SINTZEN

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