Repêchage

Les Belges devront passer par deux matches de barrage contre la Tchéquie pour forcer les portes du Mondial.

A l’instar de ce qui s’était produit en prélude aux phases finales des Coupes du Monde de 1986 et 1998, la Belgique devra donc disputer deux test-matches si, pour la sixième fois consécutive, elle veut répondre présent au rendez-vous du gratin footballistique. Par le passé, ces doubles examens de passage lui avaient réussi. En 1985, les Diables Rouges avaient arraché leur billet pour le Mundial après avoir pris la mesure des Pays-Bas: 1 à 0 d’abord, à Bruxelles, grâce à un but de Franky Vercauteren, et 2-1 au retour, à Rotterdam, par l’entremise d’un autre joueur anderlechtois: Georges Grün. Plus près de nous, fin 97, notre sélection représentative avait obtenu le précieux sésame en venant à bout de l’Eire: 1-1 à Dublin via un but de Luc Nilis et 2 à 1 au Stade Roi Baudouin, avec le même footballeur du PSV en vedette.

Si le fameux dicton « Jamais deux sans trois » est respecté, les nôtres auraient donc toutes leurs chances de qualification face à l’équipe nationale de Tchéquie, appelée à se dresser à deux reprises sur la route de nos internationaux les 10 et 14 novembre prochains. D’autant plus que nos statistiques devant cette phalange, voire sa devancière, la Représentation des Tchèques et des Slovaques (voir cadre), plaident en notre faveur. C’est d’ailleurs devant celle-ci que la Belgique avait assuré sa participation à la World Cup 94: 0-0 au Parc Astrid à l’automne 93, suite, notamment, au keeping éblouissant de Filip De Wilde. Depuis cette date, le football de ce pays, et ses joueurs en général, ont le vent en poupe comme en témoignent leur accession à la finale de l’EURO 96 et le chemin accompli par ses stars: Pavel Nedved en Italie, Patrick Berger en Angleterre, Tomas Rosicky en Allemagne ou même Jan Koller chez nous, avant qu’il n’opte pour le Borussia Dortmund.

C’est assez dire si la tâche qui nous attend, ce coup-ci, ne sera pas une sinécure. Pour franchir cet écueil face à une phalange dont la maîtrise technique et la vitesse d’exécution sont supérieures encore à celles de la Croatie, il faudra à coup sûr pouvoir compter sur deux jours de grâce et des joueurs autrement plus performants qu’à Zagreb. Car au stade Maksimir, trop d’internationaux, pour un tas de raisons différentes, n’éprouvèrent pas leurs meilleures sensations: Marc Wilmots et Walter Baseggio, entre autres, qui revenaient tous deux de blessure, ou encore Gert Verheyen et Bart Goor, peu inspirés depuis le début de l’exercice en cours. C’est beaucoup pour une nation du football comme la nôtre qui, contrairement à nos hôtes du jour, ne dispose pas sur le banc de footballeurs du calibre de Davor Suker, Bosko Balaban ou Milan Rapaic. Sans oublier Mario Stanic, blessé.

Jusqu’à présent, l’esprit de corps et le don de soi auront permis à la Belgique, tant au plan de l’équipe nationale que de ses équipes de clubs, de masquer certaines lacunes criardes en maîtrise technique. Face à Alen Boksic et ses partenaires, les Diables Rouges ont pu faire le même constat que les joueurs du RSCA en Ligue des Champions: devant une opposition plus douée techniquement, les Belges ont tout simplement les pires difficultés à tirer leur épingle du jeu. Et les événements se corsent d’autant plus, pour eux, quand ils ne peuvent pas tabler, de surcroît, sur des forces en pleine disposition de leurs moyens. Comme Anderlecht l’a vérifié au Real ou, à présent, la fine fleur de notre football dans la capitale croate.

Le troisième homme

L’agencement des matches dans notre poule qualificative aura voulu que la Belgique et la Croatie se rencontrent lors de la première et de la dernière journée. Du 2 septembre 2000 au 6 octobre 2001, treize mois et six joutes auront séparé ces deux confrontations. Pourtant, il s’en sera fallu de peu pour que le coach national, Robert Waseige, ne pût reconduire exactement le même team en ces circonstances. Par rapport au match d’ouverture, en effet, seul Branko Strupar, blessé, manquait à l’appel, et Johan Walem, pénalisé naguère face à l’Ecosse, écopait pour sa part d’un match de suspension à l’occasion de cette joute décisive à Zagreb. Dans le meilleur des cas, les aménagements n’auraient donc dû concerner que deux postes. Pourtant, aux prémices de ce déplacement en Croatie, l’équité commande de dire qu’on ne se sera jamais autant perdu en conjectures sur la distribution des rôles.

Dans le secteur défensif, un troisième homme s’était effectivement greffé sur le duo composé d’ Eric Van Meir et de Joos Valgaeren, sous la forme de Glen De Boeck, souverain depuis le début de l’actuelle campagne avec Anderlecht. Que fallait-il donc privilégier? L’ancienne association, alignée pour la toute première fois lors d’une partie amicale entre la Bulgarie et la Belgique, en août 2000 (1-3), et qui avait été sagement reproduite à la faveur du match contre la Croatie, au Heysel, puis dans quatre autres rencontres de ces éliminatoires? Fallait-il, au contraire, s’appuyer sur le tandem De Boeck-Valgaeren qui n’avait été essayé qu’une seule fois, en Ecosse (2-2)? Ou bien convenait-il tout bonnement de reconduire la paire Van Meir-De Boeck qui avait réalisé un match impeccable face aux mêmes Britanniques, le mois passé, et qui s’était déjà retrouvée côte à côte à quatre autres occasions, la première en mars 98 contre la Norvège (2-2)?

Les chiffres plaidaient en faveur du couple Van Meir-Valgaeren, qui n’avait jamais concédé la moindre défaite jusqu’ici, contrairement à la combinaison entre le Standardman et l’Anderlechtois, défaite en Grèce, en février 99 (1-0). Chacune des composantes avait de bons et de moins bons arguments à faire valoir: pour le joueur du Celtic, une rigueur dans les duels que les deux autres possèdent moins, mais une relance approximative et une taille patron qui reste à définir. Pour les deux autres, une plus grande expérience et autorité ainsi que la faculté de pouvoir officier tantôt comme stopper tantôt encore comme couvreur. Et c’est, en définitive, ce critère-là qui aura été retenu après une une bonne prestation, au préalable, contre l’Ecosse.

Pour beaucoup, Van Meir et De Boeck passaient leur véritable test en Croatie, dans la mesure où ils n’avaient pas pu être jugés de façon valable face aux mièvres Ecossais. Face aux redoutables Alen Boksic et Goran Vlaovic, relayé après une heure de jeu par Bosko Balaban, force est de reconnaître qu’ils n’auront pas été toujours à la fête. Comme derniers remparts, chargés de veiller au grain derrière quand leur team-mate était impliqué dans un duel aérien par exemple, chacun d’eux s’est indéniablement tiré d’affaire. Mais une certaine réserve est de mise, dans leur chef, en ce qui concerne le pur marquage sur l’homme. Devant des forwards aussi mobiles et vifs sur les premiers mètres que le trio précité, notre axe central n’a pas toujours donné tous les gages de sécurité. La preuve sur la phase qui amène le coup de réparation pour les Croates: Van Meir effectue une garde trop lâche sur Boksic et De Boeck accuse un temps de retard sur l’action de Vlaovic.

A leur décharge, on signalera quand même qu’ils étaient parfois assis entre deux chaises en raison d’une réelle absence de tranchant sur les ailes: à droite, insuffisamment soutenu par Gert Verheyen, Eric Deflandre éprouva les pires difficultés à contenir les montées de Robert Jarni. De l’autre, Nico Van Kerckhoven ne fut sûrement pas à la fête non plus face à ceux qui se présentèrent dans sa zone: en premier lieu Stjepan Tomas, face à qui Walter Baseggio ne fit pas suffisamment écran non plus, puis Bosko Balaban qui fut finalement à la base du but inscrit par Boksic.

« Nous sommes passés à douze petites minutes du bonheur », dit De Boeck. « C’est râlant, dans la mesure où je pensais, comme mes coéquipiers sans doute, que l’orage était définitivement passé à ce moment-là. Depuis plusieurs minutes, les Croates ne nous poussaient plus dans nos derniers retranchements et étaient même devenus la cible de leur public. Il aura toutefois suffi qu’ils placent une accélération alors que tout semblait consommé, pour obtenir gain de cause. Cette faculté est la marque d’une grande équipe et c’est pourquoi je serai le tout dernier à snober leur qualification. Personne n’y aurait d’ailleurs trouvé à redire si, à la mi-temps, nos adversaires avaient mené par deux buts d’écart. Par deux fois, nous nous en étions bien tirés à cet instant: d’abord sur le penalty loupé par Robert Prosinecki, puis sur le goal non-validé juste avant la pause. Je crois que la logique a été respectée dans notre poule. Les meilleurs l’ont tout simplement emporté. Il n’y a aucune honte de devoir s’incliner face à une formation qui était troisième à la récente Coupe du Monde, qu’on ne l’oublie pas ».

Surnombre dans l’entrejeu

La composition de l’axe central de la défense n’était pas la seule et unique préoccupation de Robert Waseige. Au sein de la ligne médiane aussi, il fallait dégager une solution suite à l’absence de Johan Walem. Plusieurs cas de figure étaient possibles ici aussi vu la personnalité, l’état de forme de certains joueurs, et la valeur de l’adversaire. Le plus simple consistait à remplacer le Standardman par un autre joueur sur l’échiquier. Deux joueurs entraient alors en ligne de compte: Marc Wilmots, qui avait occupé cette fonction au match aller mais qui, depuis lors, avait officié comme attaquant en soutien suite à l’absence de Branko Strupar. Ou bien Walter Baseggio, au profil plus proche de Walem et rompu, de surcroît, à un travail en collaboration avec Yves Vanderhaeghe au Sporting. Dans ce cas, c’est cette solution qui fut retenue, tout comme le coach fédéral choisit de maintenir sa confiance en deux éléments peu à leur affaire depuis le début de la saison: Bart Goor et Gert Verheyen. Si le Berlinois, à l’image de ce qu’il avait fait contre l’Ecosse, hérita finalement de la plus belle opportunité de but -tout en ne la concrétisant pas, cette fois-, le Brugeois était malheureusement aux abonnés absents dans cette rencontre à Zagreb. D’un bout à l’autre de la partie, il chercha désespérément la bonne collaboration avec son ex-coéquipier brugeois Eric Deflandre et toutes ses actions offensives n’eurent de cesse d’être vouées à l’échec.

Dans ce cas-ci également, on ne peut pas reprocher au coach fédéral de ne pas avoir essayé d’autres solutions avant de se prononcer en faveur du capitaine du Club. A l’occasion de la séance de préparation du mercredi, beaucoup avaient sursauté en voyant Mark Hendrikx occuper la même place sur le flanc droit. Mais l’entreprise n’avait pas été couronnée de succès et ce n’est pas en décalant Danny Boffin sur la même aile, là où il avait quelquefois officié, jadis, au RSCA, que l’on aurait trouvé automatiquement la parade. D’autant plus qu’à cette époque déjà, Speedy cherchait constamment à replacer la balle sur son pied gauche pour centrer ou servir un équipier. La vérité, c’est que Verheyen est la seule solution sur cette portion du terrain – Mbo Mpenza opérant dans un registre plus offensif- et qu’il faut donc s’en accommoder, même si sa condition laisse à désirer.

« Il était vraiment difficile de traiter d’égal à égal avec l’opposant dans ce secteur », dit Baseggio. « En réalité, nous nous sommes quasi toujours retrouvés en position d’infériorité numérique car, en possession du ballon, les Croates faisaient invariablement coulisser un homme de leur arrière-garde dans l’entrejeu. Personnellement, j’en ai eu plein les pieds avec Stjepan Tomas, et Yves Vanderhaeghe n’a pas eu la vie belle non plus avec Zvonimir Soldo. A la pause, nous étions heureux que Robert Prosinecki, qui jouissait alors chaque fois d’une certaine liberté de manoeuvre, ne s’était jamais montré très incisif. C’était compter sans son coup de patte qui aura été synonyme, pour nous, de coup de grâce en deuxième période. Mais il faut avouer que la messe aurait dû être dite depuis très longtemps à ce moment. Mon véritable regret, c’est que nous n’ayons pas été en mesure de faire circuler davantage le ballon. Notre propos était bel et bien de jouer crânement notre chance et de mettre résolument le nez à la fenêtre. Hélas, nous ne sommes jamais parvenus à faire circuler le cuir ou à alerter efficacement un partenaire. Pour ce faire, l’adversaire était à la fois trop présent, numériquement, et supérieurement doué. Dans ces conditions, nous ne pouvions que retarder l’échéance ».

Un plus : Sonck

En front de bandière, il était curieux de voir aussi comment Robert Waseige allait composer avec une nouvelle donne: l’affirmation de Wesley Sonck, tant avec le Racing Genk que sous la casaque nationale, puisqu’il fut crédité d’une première titularisation contre l’Ecosse, début septembre passé. Emile Mpenza, blessé, était toutefois absent pour les besoins de ce match et le meilleur buteur du championnat n’avait donc fait, somme toute, que remplacer l’attaquant de Schalke. Les deux pouvaient-ils faire la paire, quitte à faire reculer Marc Wilmots dans l’entrejeu? Pour l’adjoint de Robert Waseige, Vince Briganti, la réponse était affirmative puisqu’il voyait des points de similitude entre ce duo et celui que Wesley Sonck forme à Genk avec Moumouni Dagano. Quant aux principaux joueurs intéressés eux-mêmes et les autres suiveurs, ils étaient également de cet avis, la vitesse et la profondeur de Mpenza se mariant théoriquement à merveille avec le souci de combinaison et le sens du but de Sonck.

Cette fois encore, Robert Waseige préféra jouer la certitude plutôt que d’innover en relançant le tandem Mpenza-Wilmots qui s’était toujours montré à la hauteur de sa tâche jusque-là. Cette configuration permettait également au Hesbignon de prêter main forte à l’entrejeu en y ayant rang de cinquième homme. Même si les Croates auraient logiquement dû mener à la marque dès la mi-temps, ce n’est qu’après le retrait de la scène de Willy qu’ils réussirent à tirer la couverture à soi. Aligné d’abord comme simple relais de l’ancien Standardman, Sonck n’eut pas la même influence que lui, ce qui paraît logique compte tenu des années et de l’expérience qui les séparent. En revanche, quand il monta d’un cran pour épauler résolument Mpenza en pointe, il fut d’un tout autre apport. Et pour cruelle que fut la défaite, in extremis, face aux Croates, cette première association entre les deux hommes aura, malgré tout, laissé une impression favorable. Peut-être faudra-t-il d’ailleurs y revenir et permettre à Wilmots d’apporter davantage de poids, de souffle et de maturité dans l’entrejeu.

« Pour Emile et moi, la tâche n’aura pas été des plus simples », dit le capitaine des Diables. « On n’a jamais très bien su où donner de la tête. Il fallait tenter, vaille que vaille, d’enrayer la progression des défenseurs. Mais à ce petit jeu, nous avions affaire à plus forts que nous. Chaque fois que nous fermions le centre, les arrières latéraux bénéficiaient d’une marge de manoeuvre intéressante. Et quand nous bloquions les ailes, Igor Tudor ey Dario Simic en profitaient pour s’incruster chez nous. En vérité, d’un bout à l’autre du match, nous aurons lutté sur chaque portion du terrain face à un homme supplémentaire. Pendant septante minutes, nous sommes parvenus à tenir. Mais il était écrit que le ressort devait casser d’un moment à l’autre. Dès lors, ce n’est que justice si les Croates l’ont emporté. A présent, il convient de tirer les enseigenments de cet échec en prévision des matches de barrage contre la Tchéquie. La première, c’est que pour avoir une emprise sur le cours d’une rencontre, il faut être maître du cuir. Or, contre la bande à Prosinecki, nous nous sommes trop souvent époumonés derrière un ballon insaisissable. C’est une leçon à méditer ».

Bruno Govers, envoyé spécial à Zagreb

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