» Rendre son visage à L’AJAX ! « 

Le successeur de Jol ambitionne de conduire le club à son premier titre national depuis 2004 grâce au  » style maison « . Le nouveau coach parle également de sa carrière, de ses prédécesseurs, d’El Hamdaoui ou de la sanglante controverse Cruijff-van Gaal. Interview vérité.

Vous êtes sous contrat jusqu’en 2014. Auriez-vous également souscrit un engagement de dix ans ?

Frank de Boer : C’est sans doute excessif. Mais je veux bien entraîner le club durant une décennie. Et cela ne nécessite pas d’écrit. Tant que tout va bien, on continue. Dans le cas contraire, on doit se l’avouer honnêtement et se séparer.

Quelle a été votre principale revendication dans la négociation ?

Que je puisse travailler selon la méthode Ajax : avec le développement et l’introduction de talents propres. Ajax est un centre d’écolage pour toute l’Europe ! C’est notre force depuis des années, une philosophie que nous ne pouvons pas renier. La même chose pour le style de jeu. Ajax a grandi grâce à un football de combinaisons, audacieux et dominant. On l’avait perdu. Il faut y revenir.

En 2008, Marco van Basten pouvait utiliser un pourcentage des transferts sortants pour des acquisitions nouvelles. Avez-vous agi de même ?

Oui, mais cela ne doit pas être automatique. D’ailleurs, dans la plupart des cas, nous avons déjà préparé le successeur dans nos rangs.

Dans quelle mesure vous vous êtes vous mêlé de la constitution du staff technique ?

J’ai Danny Blind comme adjoint. Je le connais depuis longtemps. C’est un ami. J’ai voulu y joindre Hennie Spijkerman en vertu de ses connaissances et de sa fiabilité. Il est essentiel que les gens se complètent. J’avais observé la même complicité avant moi entre Henk ten Cate et Hennie. Je suis l’entraîneur responsable mais j’attends de mes deux adjoints qu’ils pensent avec moi. En outre, ils assument une tâche plus spécifique : Hennie supervise la préparation physique et Danny, la liaison entre la direction et moi.

Auriez-vous également accepté d’assumer toute la direction technique ?

Non. Je me sens davantage entraîneur. D’ailleurs, le club et van Basten se sont trompés sur le sujet. Un jour, je compte bien en discuter sereinement avec Marco. Je souhaite connaître le récit de ses expériences ici.

Comment avez-vous perçu Ajax durant la période Jol ?

J’ai observé une certaine résignation. Et peu d’animation : beaucoup de joueurs ne participaient plus au jeu dès qu’ils n’avaient plus le ballon. Un exemple : Jan Vertonghen. Au lieu d’immédiatement mettre la pression en perte de balle, il courait en roue libre. Mauvais signe… Sur le plan technique et tactique, j’ai également observé des signes qui ne correspondent pas au football de l’Ajax : pas de jeu dominant, pas d’arrières offensifs, pas de pénétration par les flancs. Lors du match contre ADO La Haye, l’adversaire monopolisait bien plus souvent le ballon qu’Ajax. Et cela à l’Arena Stadium. Inadmissible !

Qu’est-ce qui vous a contrarié le plus ?

Qu’Ajax jouait surtout une sorte de hourra football qu’on ne pratique qu’en fin de match quand il faut absolument marquer : des coups de botte précipités devant le but avec l’espoir que le ballon tombe bien, mais pas de jeu construit et réfléchi. C’est totalement contraire à mes principes. A un certain moment mes Juniors combinaient mieux que l’équipe fanion…

Vous et les autres responsables des équipes de jeunes aviez peu de contact avec Martin Jol. Comment l’expliquer ?

Il faut le lui demander. C’était une situation d’autant plus curieuse que la formation du talent propre a toujours été une préoccupation prioritaire du club. Personnellement, je privilégierai les contacts avec les responsables des jeunes.

Dennis Bergkamp et Fred Grim vous succèdent désormais, vous et Bob De Klerk, à la tête de la principale équipe Junior. D’accord avec ces choix ?

J’y applaudis totalement. Ici, il s’agit également d’un duo parfaitement complémentaire. Moi, j’avais mon passé de footballeur, Bob celle d’organisateur expérimenté. Il est bon que d’anciens joueurs de haut niveau puissent transmettre leurs connaissances à leur club de formation.

A quand l’arrivée de votre frère Ronald au sein des équipes d’âge ?

Jusqu’à la fin de l’année, Ronald est actif au Qatar. Mais il possède toutes les qualités pour assumer une telle fonction. Et il y aspire. S’il rejoint le club, ce sera de toute façon dans une fonction indépendante de la mienne. Ronald est un produit Ajax. Il serait sot de s’en priver sous prétexte qu’il est mon frère. Ceux qui nous connaissent savent bien que nous sommes extrêmement critiques l’un envers l’autre.

Selon votre plan de carrière vous ne prévoyiez pas être entraîneur principal avant 2013. Quand vous vous êtes vous rendu compte d’être en avance ?

Peut-être durant la dernière Coupe du monde quand Bert van Marwijk m’a confié le soin d’assumer à sa place une conférence de presse en compagnie de Philip Cocu. Je parvenais à transmettre sereinement et clairement mes opinions. D’autre part, Bert m’a permis de diriger un entraînement de l’équipe nationale. Jusqu’alors, mon sentiment envers la fonction était assez versatile. Souvent je me disais qu’il fallait encore patienter quelques années. Mais en d’autres circonstances, je m’y voyais déjà… En fait, Bert van Marwijk et l’Ajax m’ont permis d’acquérir la confiance nécessaire.

Devenir le Guardiola de l’Ajax !

Dans quelle mesure, la réussite de votre compagnon de génération Pep Guardiola à Barcelone a-t-elle été un exemple pour vous ?

Je l’ai suivi très attentivement depuis ses débuts. D’abord parce que c’est un mec formidable, ensuite pour voir comment un coach inexpérimenté peut se débrouiller au top absolu. Je me suis demandé si je pouvais réaliser la même chose à Ajax. J’ai donc accepté la proposition de l’Ajax… comme Guardiola avait répondu oui à Barcelone.

Vous avez vécu votre premier conflit d’entraîneur avec Mounir El Hamdaoui : avez-vous compris son mécontentement à la suite de sa non-sélection contre l’AC Milan ?

Un joueur doit apprendre la sélection de la bouche de l’entraîneur. Or, dans ce cas, la presse avait déjà laissé sous-entendre que Mounir ne jouerait pas. Ensuite il est tombé gravement malade, ce qui a prolongé son absence. Mais le différend a été aplani durant le stage d’hiver. Son éviction à Milan avait été dictée par des raisons tactiques. Ses prestations ne m’avaient pas convaincu et, pour mes premiers matches, je souhaitais jouer avec un avant de pointe mobile, un rôle qu’avait bien rempli Siem de Jong. Idéalement, nous voulons atteindre une situation dans laquelle toute l’équipe est en mouvement, y compris l’attaquant de pointe. Quatre jours après Milan, je voulais d’ailleurs introduire Mounir sur le flanc gauche contre Vitesse. Mais il était malade… Dans mon système, avec de constantes montées des arrières latéraux, les flancs doivent être occupés, ce qui offre aux ailiers l’occasion de venir au centre.

Depuis votre arrivée, Ajax a subi une réelle métamorphose. Qu’avez-vous fait ?

J’ai clairement expliqué comment je voulais qu’on évolue. La majorité du groupe a été éduqué selon les principes d’Ajax dans les équipes d’âge. Je veux revoir cela en équipe fanion. Des médians qui demandent le ballon. Des arrières latéraux qui atteignent la ligne de but adverse. Des attaquants mobiles. Cela doit être une deuxième nature : or, cela je ne le voyais plus. L’an dernier, le back droit Gregory van der Wiel atteignait jusqu’à 30 fois par match la ligne de but adverse. Cela ne se produisait pratiquement plus. C’est ce que je veux réintroduire à nouveau. Pas seulement dans le chef de van der Wiel, mais dans celui de tous mes joueurs.

Christian Eriksen (milieu de terrain) symbolise-t-il ce renouveau ?

Il est l’exemple type d’un footballeur entreprenant. Bien utilisé, il est déjà l’un des meilleurs joueurs des Pays-Bas. Je le vois très bien en Barcelonais. Mais auparavant nous voulons encore un peu profiter de ses qualités…

Quels joueurs craignez-vous encore perdre ?

Je ne m’imagine pas que Maarten Stekelenburg évoluera encore longtemps à Ajax ( ndlr, il est cité avec insistance du côté de Manchester United). Il a énormément progressé en deux ans. Je l’estime parmi les trois meilleurs gardiens du monde !

Durant la dernière décennie, Ajax a été un cimetière d’entraîneurs : ne craignez-vous pas de succomber à votre tour ?

Je ne me préoccupe vraiment pas de cela. J’agis envers l’équipe fanion comme je le faisais avec les Juniors… sauf que le niveau est plus élevé. Mais l’essence reste identique. Je reste moi-même et fidèle à mes visions. Le premier objectif est clairement défini : le titre national.

Sur quoi avez-vous mis l’accent ?

Nous travaillons beaucoup la récupération après perte de balle : elle doit s’opérer de manière rapide et énergique, avec le concours de tous. Ensuite, nous mettons en place des schémas d’attaques et diverses combinaisons. J’exige que mes joueurs fassent preuve d’audace. Ils doivent se rendre disponibles en se démarquant et faire preuve d’actions entreprenantes. Il faut oser. Ce sont des principes que je ne cesse de répéter. Il faut évidemment varier les exercices d’applications, sans quoi le footballeur se lasse et se déconcentre.

Vous travailliez de la sorte aussi bien avec les jeunes élites d’Ajax qu’avec les vedettes de l’équipe nationale. Quelle est la force du geste répétitif ?

Cela reste la meilleure manière d’inculquer les choses. Je me souviens de Frank Rijkaard, revenu trentenaire de l’AC Milan à Ajax. Une vedette mondiale… mais très faible du pied gauche. C’est là qu’un entraîneur comme Louis van Gaal a démontré l’efficacité du geste mille fois répété. Et Rijkaard a réussi contre Utrecht une perle de but d’un tir du gauche décoché à plus de trente mètres. Impressionnant non ? Je veux dire par là qu’avec la bonne approche, on peut apprendre des choses aux meilleurs jusqu’à la fin de leur carrière.

Toujours donner confiance aux jeunes

Quels sont les critères qui ont déterminé vos choix dans la constitution de votre noyau ?

Ma préférence réside dans un groupe d’environ 22 joueurs. Cela évite de laisser trop de personnes sur le côté. Chacun doit avoir le sentiment qu’il se trouve potentiellement dans l’équipe fanion. Cela importe surtout pour nos plus jeunes l’accession au noyau par Lorenzo Ebecilio et Araz Özbiliz ont eu un effet extrêmement motivant au sein de Jong Ajax. Ils se rendent compte que le travail paie et c’est précisément sur ces joueurs-là qu’Ajax doit construire son rendement.

Selon Cruijff la politique de jeunes du club ne vaut pourtant pas grand-chose…

Pour avoir durant quatre ans et demi fonctionné dans le système, je crois pouvoir mieux juger que Johan. Il parle un peu à la légère. Certaines choses peuvent être améliorées, mais notre formation recèle toujours énormément de talents. Et ces jeunes sont éduqués de manière rationnelle sur les plans footballistique, physique et mental.

Que pourrait-on encore améliorer ?

Au niveau des plus jeunes, le plaisir de jouer au ballon doit primer. C’est un principe que je partage entièrement avec Johan. Il faut veiller à ne pas approcher le football de manière trop théorique. Nous procédons actuellement à de nombreuses adaptations dans l’écolage, mais l’essence doit toujours rester le développement technique. C’est une priorité fondamentale.

A l’occasion d’Ajax-PSV, vous avez partagé la Champion Lounge de l’Arena aux côtés de Cruijff. De quoi avez-vous conversé ?

De systèmes, combinaisons, directives,… Cruijff était à ce moment très critique envers Ajax. Seul le hasard nous a rassemblés. A titre d’entraîneur de jeunes du club, j’étais régulièrement dans cette loge, mais Cruijff y vient tout au plus une fois par an (ndlr, Cruiff a rejoint vendredi dernier la Commission Technique du club amstellodamois). J’ai saisi l’occasion de me mettre à ses côtés afin de pouvoir parler avec lui. C’était une chance à ne pas laisser passer.

Comment réagissez-vous envers toutes les actions critiques que Cruijff entreprend et anime en coulisses ?

Il agit de la sorte par intérêt pour le club – le sien à l’origine – et ses connaissances footballistiques sont indéniables. Il est bon que le club et Cruijff dialoguent de la sorte. Cela ne peut que profiter à Ajax. Le malaise que suscite une telle situation découle du statut célébrissime du club : tout le monde veut donner son avis, ce que je regrette. L’essentiel reste malgré tout que l’Ajax profite finalement de ces échanges d’idées.

Récemment, van Gaal envisageait un retour à Ajax comme directeur technique. Vous avez de bonnes relations à la fois avec Cruijff et avec van Gaal. Pas peur de vous retrouver un jour entre deux chaises ?

En effet, ce serait une situation délicate. Si je dois un jour choisir entre l’un et l’autre, je ne le pourrais pas. J’ai une bonne relation avec les deux. Que Johan et Louis se crêpent le chignon est malheureux. Pour ma part, ils se ressemblent bien davantage qu’ils le pensent. Ils prônent tous les deux le football offensif, tiennent à l’Ajax et sont… têtus. Il serait vraiment réjouissant qu’ils enterrent la hache de guerre.

En fait, vous symbolisez un peu l’un et de l’autre en une seule personne ?

Certains l’imaginent peut-être ainsi. Moi, je le vois comme ceci : je suis moi-même et je veux rendre son image, son visage à Ajax. C’est aussi simple que cela.

PAR SIMON ZWARTKRUIS

 » A un certain moment, mes Juniors combinaient mieux que l’équipe fanion. « 

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