Rendez-vous chez Czernia à une heure du matin..

Alex Czerniatynski occupe une place à part dans mes bons souvenirs. L’histoire de sa famille m’a touché. Enlevé aux siens en 1943 par les nazis, près de Lvov, situé en Ukraine depuis la fin de la Deuxième Guerre, son père, Jean, se retrouva dans un camp de travail en Allemagne. Il s’évada, s’enrôla dans l’armée américaine, fut démobilisé en France mais ne revit jamais sa chère Pologne, abandonnée par les Alliés, comme toute l’Europe orientale, au profit des dictateurs communistes. Jean trouva l’âme soeur et un job de mineur à Charleroi mais perdit toute trace de sa famille. Miné par la silicose, qui l’emporta finalement, il vécut le plus beau jour de sa vie quand Alex l’appela le 22 mars 1984 de Tbilissi, en Géorgie, où Anderlecht affronta le Spartak de Moscou en CE3. Un homme, Emile, venu de Sibérie, voulait le voir, certain que le Czerniatynski dont la presse soviétique parlait était son neveu, le fils de son frère, Jean. C’était le cas et, après 40 ans de silence, et de souffrance, Jean eut un des siens au téléphone. Il m’a confié tout ce que cela signifia pour lui.

Deux ans plus tôt, Alex, passé avec succès de Charleroi à l’Antwerp, s’apprêtait à fêter sa première cap lors d’un Belgique-France décisif pour le Mondial 82. La veille de ce choc (9 septembre 1981), le rédacteur en chef de Sport 80 (un des ancêtres de Sport/Foot Magazine), Charles Vander Mijnsbrugge, me confia une mission : – Pour jeudi midi, je veux un reportage consacré à Czernia qui, en exclusivité, raconte tout ce qui s’est passé contre les Bleus. J’en ai parlé discrètement à Alex lors du dernier entraînement. Un truc de fou mais mon idée l’emballa : – Viens chez moi à Anvers vers une heure du matin, on aura le temps de refaire le match. Il ajouta en plaisantant : -A une condition : je veux faire la couverture. Devant 52.525 spectateurs, la Belgique de Guy Thys démonte la France de Michel Hidalgo, 2-0. Et qui marqua le premier but à la 24e minute ? Czernia. Bingo….

Comme promis, Alex nous attendait chez lui, moi et le photographe Michel Gouverneur, à une heure du matin. Et, jusqu’au lever du jour, l’attaquant décortiqua la science tactique de Thys, son entente avec Erwin Vandenbergh, son but et cette 24e minute qu’il  » n’oubliera jamais « . Des moments uniques qu’on ne peut plus imaginer de nos jours : Vincent Kompany peut me prouver le contraire. A midi, sans avoir fermé l’oeil, j’ai remis mon texte au rédacteur en chef qui s’est fendu d’un  » merci pour l’effort « . Pas de quoi. Plus de 30 ans plus tard, je m’en souviens comme si c’était hier : merci Alex, ton père avait raison d’être fier de toi. ?

PAR PIERRE BILIC

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