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Intello, incasable, atypique: qui est vraiment Philippe Montanier, le coach du Standard ?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

À 55 ans, le Normand relève au Standard un troisième défi hors de l’Hexagone. En partie grillé en France, la trajectoire de Montanier raconte un entraîneur de principes, qui n’a jamais voulu hurler avec les loups. Portrait d’un affranchi.

Le 25 février 2020, dans les bureaux du RC Lens, le ton est d’abord monté. Et très vite redescendu. Au moment de retrouver ses joueurs dans l’intimité du vestiaire, en habit de ville, Philippe Montanier est un entraîneur libre, limogé pour la troisième fois en quatre ans, après Rennes (janvier 2016) et Nottingham Forest (janvier 2017). Plus triste que révolté, plus incompris que bagarreur, Montanier ne donnera pas l’entraînement prévu cet après-midi-là. Champion d’automne quelques semaines plus tôt, le Normand n’aura pas résisté au douloureux sept sur 21 de ses Sang et Or depuis la reprise.  » Distingué et classe « , le timbre de voix de Monty n’en est pas moins grave. En dix petites minutes, le désormais ex-coach lensois rejoue ses derniers jours dans le Nord. Et regrette l’empressement de sa direction à mettre fin à une aventure démarrée un an et demi plus tôt.

Philippe Montanier est une personnalité souvent définie comme  » trop intello  » pour le football tricolore.

 » Le jour de son limogeage, je lui ai envoyé un petit message alors que je n’avais plus eu de ses nouvelles depuis des mois « , raconte Daniel Jeandupeux, ancien entraîneur de Montanier à Caen, entre 1989 et 1994.  » Je l’ai fait pour le soutenir parce que je ne trouvais pas ça logique. À sa réponse, j’ai compris qu’il était très mal, qu’il ne comprenait pas. Je crois que ça a été douloureux pour lui.  »

Et pour cause, l’ancien petit génie de la profession, débarqué à Rennes en 2013 avec l’étiquette de meilleur entraîneur de Liga devant José Mourinho, Diego Simeone, Marcelo Bielsa, Tito Vilanova, Manuel Pellegrini ou Unai Emery, comprend au même instant qu’il est sans doute devenu, sept ans plus tard, l’un des parias de la profession dans l’Hexagone.

La mauvaise réputation

L’isolement, Guy Lacombe en connaît un rayon. Demi-dieu à Sochaux, puis encombrant au PSG, le stratège à la moustache connaît bien Philippe Montanier pour lui avoir légué son poste de coordinateur des équipes de jeunes à la Direction technique nationale (DTN) en octobre 2017.  » C’est un fait, les médias français se fatiguent vite des coaches tricolores. On a voulu se débarrasser de Montanier en disant de lui que c’était un entraîneur défensif, mais c’est faux. Il a toujours été dans une forme de pluralité.  » Rolland Courbis, entraîneur de Montanier à Toulouse entre 1994 et 1995, mais surtout meuble indémodable du circuit en L1, contre tout aussi facilement l’argument selon lequel son ancien poulain serait juste un gars trop prudent.  » On l’a décrit comme défensif, mais ce sont des conneries. Moi, à Marseille, je préparais mes matches en me demandant comment j’allais faire pour gagner, à Ajaccio je me demandais comment m’y prendre pour détruire le jeu de l’adversaire. La manière dont tu diriges ton équipe, cela dépendra toujours du matériel que tu as à ta disposition.  »

En France, la corporation a pris l’habitude de se serrer les coudes pour éviter les coups. Autre renégat du football français contraint à l’exil, l’ancien international Alain Giresse a également eu Montanier sous ses ordres à Toulouse, entre 1995 et 1997, et s’insurge du traitement réservé à son ancien gardien.  » Il n’a jamais été dans la frilosité, plutôt dans le réalisme. On lui a par exemple reproché de ne pas faire jouer Ousmane Dembélé à Rennes. Est-ce qu’aujourd’hui, on ne ferait pas mieux de se demander si les événements récents ne lui donnent pas raison ? Dembélé, à son âge aujourd’hui, n’est déjà qu’une pépite par intermittence. Imaginez il y a cinq ans…  »

L’intellectuel du vestiaire

On pourrait faire et défaire l’histoire sans fin pour tenter de démêler le vrai du faux. Trouver les pros et les antis. Savoir si, oui ou non, Philippe Montanier a été trop vite jeté aux loups. On peut aussi remonter le temps pour comprendre qui est vraiment cet homme dont la France ne semble plus vouloir.

Et s’apercevoir ainsi que la trajectoire de cet ancien gardien de but, successivement doublure de Richard Dutruel à Caen, de Teddy Richert à Toulouse ou de Jérôme Alonzo à Saint-Étienne, n’a jamais été conçue pour plaire.  » Philippe, ça a toujours été un spécial « , rembobine à son tour Daniel Jeandupeux.  » Il n’avait pas l’aura d’un leader, mais il s’imposait naturellement parce qu’il avait un bagage intellectuel inhabituel dans un vestiaire de foot. Philippe, ce n’était pas le joueur de base, il avait quelque chose en plus dans la réflexion.  » Du genre à débarquer dans le vestiaire caennais en 1989 avec un diplôme universitaire en poche. Une licence STAPS et une maîtrise de gestion acquise avec mention deux ans plus tard, au sortir d’un mémoire portant sur la reconversion des joueurs professionnels, qui renvoient parfois l’image  » d’une personnalité très réfléchie « , à en croire Benoît Cauet, ancien coéquipier croisé à Caen entre 1991 et 1994.  » C’était un mec hyper préparé. Il ne disait jamais rien dans le vent. Il était toujours très cohérent. Quelqu’un qui parlait peu, mais qui était écouté. Certainement pas le genre à s’écouter parler comme d’autres.  »

Ni à se regarder jouer. Et pour cause. Plus souvent remplaçant que titulaire, la carrière de Philippe Montanier n’en raconte pas moins un pan de l’histoire de la Ligue 1 des années 1990. Dans les cages de Caen, Toulouse, Gueugnon ou Sainté, Monty a vu passer les plus grands. S’est retourné sur des buts de Jean-Pierre Papin, George Weah, Eric Cantona, David Ginola, Enzo Scifo, Jürgen Klinsmann ou Zinédine Zidane. Des bourreaux en formes de souvenirs impérissables. Pourtant, gardien, Montanier était un homme discret. Un licencié en éducation physique à la filiation tardive pour le haut niveau. Le genre de gars qui détonne facilement dans un vestiaire et qui laisse rarement indifférent.

Intello, incasable, atypique: qui est vraiment Philippe Montanier, le coach du Standard ?
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En 1989, à 24 ans, le premier entraîneur à lui donner sa chance en Ligue 1 sera onze ans plus tard le même à le prendre sous son aile à Toulouse et à en faire son adjoint. Le déclic en question s’appelle Robert Nouzaret. Un backpacker aux 76 printemps, mais à la voix de jeune homme. Un voyageur à la page Wikipédia en forme de passeport, mais qui n’oublie rien de celui qu’il a amené sur le banc.  » Philippe, c’était un gars qui ne cherchait pas la gloire, c’est ce qui me plaisait chez lui. C’était un vrai bosseur dans un milieu d’opportunistes. Dans le foot, souvent, les gens ne pensent qu’à leur gueule. Lui a toujours été au-dessus de tout ça. Il avançait pas-à-pas, sans penser à prendre ta place, juste en cherchant à bien faire. Clairement, si je devais tout recommencer, j’irais le chercher en courant. C’était une perle.  »

Dans le foot, souvent, les gens ne pensent qu’à leur gueule. Lui a toujours été au-dessus de tout ça. C’était une perle.  » Robert Nouzaret

Il y a plus dur que de plaire à son mentor. Comme de durer dans le métier. Ou mieux, en amitié. Celle qui relie Hubert Fournier à Philippe Montanier dure, par exemple, depuis plus de trente ans. Coéquipiers à Caen, les deux se rencontrent dans la banlieue du chef-lieu du Calvados, où ils vivent dans le même lotissement avec femmes et enfants.  » C’est là que tout a commencé « , repense Fournier avec nostalgie.  » Nos épouses s’entendaient bien, on avait des enfants du même âge et ça a très vite pris. S’en est suivi une quantité de périples en commun.  » Les États-Unis, la Grèce ou l’Italie. Sous forme de road trips plus que de voyages initiatiques. Pourtant, Hubert et Philippe partagent une même vision du football. Un même regard critique sur la formation à la française. Un coup d’oeil affûté sur le milieu qu’ils aiguiseront ensemble à Boulogne-sur-Mer entre 2004 et 2009.

Montanier y fait ses armes comme T1, Fournier apprend le métier dans l’ombre, comme adjoint. Ensemble, la doublette se révèle au football hexagonal. De Nationale 2 (l’équivalent de la D4 française), l’USBCO, pour Union sportive Boulogne Côte d’Opale, grimpera jusqu’en Ligue 1 en cinq ans. Trois promotions qui ouvriront les portes de la gloire à deux personnalités souvent définies comme  » trop intellos  » pour le football tricolore.

L’incasable du foot français

C’est peut-être pour ça, qui sait, qu’Hubert Fournier ne durera pas sous Jean-Michel Aulas à Lyon et que les anciens coéquipiers caennais se retrouveront à un poste moins exposé, mais tellement plus stratégique, au sein de la direction technique nationale (DTN) en 2017. Fournier comme directeur de la DTN, Montanier en tant que coordinateur des équipes de jeunes – où il succède à Guy Lacombe sur l’insistance de Fournier – et formateur pour la licence pro. Une dernière casquette qui lui permet de rencontrer pour la première fois Mickaël Debève, un élève appliqué qui tape dans l’oeil du Montanier pédagogue et deviendra par la suite son adjoint à Lens, puis aujourd’hui au Standard.  » On savait tous que cette mission formative était faite pour lui « , rejoue Guy Lacombe.  » Parce qu’il a toujours eu cette envie de travailler à gommer les lacunes du football français. En gros, il voulait contrer cette tendance devenue quasiment systématique à promouvoir le football offensif, sans réflexion. Il trouvait, et on était nombreux à partager son avis, que le poste de latéral était par exemple trop souvent devenu caricatural à cet égard.  » À l’époque, Montanier s’entoure de ses gourous pour tenter de réfléchir à la bonne marche du football français. Outre Guy Lacombe, on retrouve alors autour de la table ses fidèles de toujours. D’Hubert Fournier à Raynald Denoueix, en passant encore par Daniel Jeandupeux.

 » C’est la preuve que c’est un homme qui a toujours mis l’intérêt du football français au-dessus de tout « , pense ce dernier.  » Ensemble, on a parfois eu des frictions, notamment quand il ne jouait pas au profit de Dutruel, mais il est toujours resté très professionnel. Il faut avoir pas mal de recul pour faire appel, des années plus tard, à un coach qui ne vous faisait pas jouer au firmament de votre carrière…  »

Moins verbeux qu’un Rudi Garcia, plus accessible qu’un Bruno Génésio et moins sectaire qu’un Christophe Galtier, Philippe Montanier n’aura pourtant pas eu la longévité de ses contemporains dans son propre pays.  » Il y a toujours eu en France une certaine liberté dans le coaching « , théorise Guy Lacombe.  » C’est une de nos richesses. Parce que nous sommes un pays latin. Mais les Français aiment aussi bien compartimenter. Peut-être que le problème de Philippe, en France, c’est qu’il ne rentre dans aucune case, qu’il est trop attaché à sa liberté.  »

Une liberté qui le fera voyager. En Espagne ( voir encardré), puis en Angleterre, et qui le fera passer de l’entraîneur le plus novateur de France entre 2009 et 2011 à Valenciennes – où par intermittence, on parlera jusqu’en Catalogne de Barcelone du Nord – à l’image caricaturale de vieux réac’ incapable d’intégrer les folies d’un Ousmane Dembélé dans le onze du Stade Rennais. Sans juste milieu.  » De toute façon, Philippe parle très bien l’anglais et l’espagnol. Cela suffit en tout cas à comprendre qu’il n’est pas très Français « , conclut Lacombe dans un sourire.  » C’est un pince-sans-rire. Un mec qui a roulé sa bosse partout, qui a toujours une petite blague dans le tiroir « , décrypte enfin Rolland Courbis.  » Un mec sérieux et attachant. Cela ne m’étonne pas qu’il s’épanouisse chez vous.  »

La parenthèse basque

La trajectoire est celle d’un homme dont la vie prend des courbes inattendues. Quand la Real Sociedad se met en quête de l’héritier de Martin Lasarte, l’homme qui a ramené le club en Liga, le directeur sportif Loren jette son dévolu sur un coach français.  » En vingt ans, il n’y a eu que deux entraîneurs français en Espagne, Raynald Denoueix et Luis Fernández. L’intérêt de la Real a été une surprise très agréable « , s’étonne Montanier à son arrivée au Pays Basque. Maître à penser de l’équipe vice-championne en 2003, Denoueix glisse forcément des mots flatteurs sur le jeu pratiqué par le Valenciennes du Normand, et joue les intermédiaires d’un deal surprenant, là où on imaginait plutôt l’ancien gardien s’installer sur le banc d’Auxerre ou de Bordeaux, venus aux nouvelles à l’époque.

À Donostía, les débuts hésitants se transforment en réussite exceptionnelle, grâce à l’éclosion d’une génération hors-normes emmenée par Asier Illarramendi, Carlos Vela et Antoine Griezmann. Arrivé dans un pays qui lui permettait de vivre un rêve, lui l’admirateur de la technique à l’espagnole, Montanier fait éclore progressivement les talents du centre de formation, raison pour laquelle Loren avait décidé de le recruter. Un coach jeune qui fait jouer des jeunes, c’était le profil incarné par le Normand et casté par la Real. Depuis, seul un certain Zinédine Zidane est parvenu à s’asseoir sur un banc de Liga avec un passeport hexagonal. Et Montanier, lui, ne pouvait pas brandir un Ballon d’or en guise d’argument.

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