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Remcotown

Visite à Schepdaal, dans le Brabant flamand, où réside Remco Evenepoel, la sensation du cyclisme mondial et plus jeune vainqueur du Vélo de Cristal.

Schepdaal est un village banal de 6.000 âmes, qui a fusionné avec Dilbeek en 1977. Il y a 450 ans, Pieter Bruegel l’Ancien en a peint les pâturages verts mais l’urbanisation croissante n’en a pas laissé grand-chose. Le village est traversé par la N8 reliant Bruxelles à Ninove. Jusqu’au siècle dernier, Schepdaal comptait quatre brasseries spécialisées dans la kriek et la gueuze. Des dizaines de cafés étanchaient la soif des ouvriers.

Le café In De Rustberg, inauguré en 1906, est aux mains de la même famille depuis quatre générations et il a résisté à la modernité. Ses propriétaires, Guy Janssens et Jeannine Massagé, ont jadis organisé une course pour espoirs, sur un circuit de dix kilomètres, avec arrivée devant le café. Philippe Gilbert a remporté cette épreuve. Et un certain Remco Evenepoel s’est installé à quelques portes de là, il y a cinq ans.

Petit, Remco accompagnait parfois son père sur les chantiers : il sait ce que travailler veut dire.  » Tom Spapens

Depuis l’éclosion de Remco, le café est le lieu de rassemblement de ses supporters. C’est d’ici que partent les bus pour assister aux courses et c’est ici que Remco célèbre ses succès. L’année passée, après ses deux titres mondiaux pour juniors à Innsbruck, l’artiste Jurgen Massagé, le neveu de Guy et Jeannine, a peint un énorme portrait du coureur sur la façade. Il a travaillé jour et nuit pour que l’oeuvre soit prête à son retour. Guy :  » Il a pleuré. Nous aussi.  »

Les cyclotouristes viennent de loin pour photographier le portrait. Quatre ou cinq autres façades de Schepdaal attendent leur tour. Schepdaal, c’est Remcotown. Massagé et Remco se connaissent depuis un certain temps :  » J’ai fait une peinture de lui lors de son premier succès en juniors. Ses parents voulaient la lui offrir pour son anniversaire. L’année passée, Remco m’a commandé une peinture de sa victoire à la classique San Sebastian, pour ses parents, qui n’avaient pu y assister.  »

Il y a deux semaines, un portrait de Remco champion d’Europe contre le chrono a été vendue aux enchères pour 1.500 euros, au profit de l’ASBL  » De Witte Doos « . Jurgen Massagé :  » Elle aide les parents à surmonter le décès d’un enfant.  » Evenepoel soutient une série de bonnes oeuvres généralement liées à la région, comme  » De Poel « , un centre de jour qui peut accueillir 80 adultes déficients mentaux et qui veut aménager un jardin avec une fontaine et une piste cyclable. Celle-ci sera financée grâce au club de supporters et à la ligne vestimentaire de Remco, qui portent tous deux le logo R.EV 1703 -le code postal de Schepdaal.

Une énorme valeur marchande

Remco aime Schepdaal et c’est réciproque. Le centre ressemble à n’importe quel autre : une place avec des parkings, une église, une boucherie et une banque. Il est paisible, sauf en septembre, pendant une brocante de trois jours, précise Tom Spapens, l’enthousiaste promoteur de Schepdaal, copropriétaire du café-restaurant De Rare Vos, où une photo d’ Eddy Merckx avoisine le maillot de champion du monde de Remco Evenepoel. La renommée de l’établissement s’est étendue jusqu’à Bruxelles.  » Eddy Merckx et Paul Van Himst en étaient des habitués.  »

Le centre de Schepdaal, un village comme la région en possède tant.
Le centre de Schepdaal, un village comme la région en possède tant.© loes geuens

Tom Spapens connaît la famille Evenepoel depuis des années.  » Son père Patrick est notre fournisseur attitré de plâtre pour nos travaux et nous sommes devenus copains. Petit, Remco accompagnait parfois son père sur les chantiers. Il sait ce que travailler veut dire. J’ai assisté à ses matches à Anderlecht et je n’ai jamais compris pourquoi il n’était pas repris plus souvent dans le noyau A. Remco a un fameux tempérament et quand quelque chose ne lui convient pas, il s’en va.  »

Spapens n’avait pas imaginé que Remco se tournerait vers le cyclisme.  » Il n’était jamais à vélo, si ce n’est pour se rendre aux séances d’Anderlecht, à cinq kilomètres.  » Remco a pris son monde de vitesse. Et il continue.  » Quand nous avons organisé une opération crêpes R.EV 1703, nous avons reçu des coups de fil de gens de Gand et d’Anvers. Dès que Remco poste un message, il est lu par 25.000 personnes. Il possède une énorme valeur marchande. Ça a l’air bien beau mais il n’a encore que 19 ans. On lui offre des contrats qui valent plus que ce que beaucoup de gens ont pu gagner pendant toute leur vie. Son père a pris les choses en mains.  »

Spapens ne redoute pas un scénario à la Frank Vandenbroucke.  » Remco est simple. Quand mon gamin de huit ans va à une course, Remco le prend pour qu’il pose avec lui pour la photo. Et après, il n’a qu’une envie : rentrer au nid.  »

Indigestion Remco

En fin d’après-midi, le parking du café In De Rustberg est comble. Dans la chaleur bruyante du café, des jeunes boivent un verre avant le week-end, d’autres lisent le journal ou jouent aux cartes. Jeannine et Guy s’affairent à servir les clients, sous l’oeil bienveillant de Remco, présent sur les quatre murs.

Daniel Rossel lève les yeux de son ordinateur portable. Il fait partie d’un noyau de dix à douze personnes qui aident Remco. À la demande de son père, il est devenu secrétaire du club de supporters. Patrick Evenepoel et lui se connaissent depuis longtemps : ils sont issus de la même régions, sont supporters d’Anderlecht et ont été cyclistes. Au début des années ’80, Rossel a roulé pour des équipes comme Tönissteiner et Lotto. Il a notamment enlevé une étape du Tour d’Espagne et le Grand Prix José Samyn, mais il a raccroché à 26 ans, après quatre saisons.

 » Je ne me trouvais pas assez bon pour rouler jusqu’à 35 ans puis retourner à l’usine. En plus, à cette époque, le cyclisme était confronté à des problèmes.  »

Rossel n’en finit pas. En plus du club de Schepdaal, trois autres clubs officiels ont été fondés l’année dernière : à Grammont, dans le Hainaut et à Liège.  » Mais c’est fini.  » La marque R.EV 1703 a été officiellement déposée et on ne peut donc l’utiliser qu’avec l’accord explicite du père Evenepoel. Une friture locale aurait voulu servir un hamburger Remco mais ça ne s’est pas fait, histoire d’éviter une indigestion Remco.

 » Nous essayons de contenir un peu cette euphorie et de protéger Remco. Nous sommes en contact avec Patrick Lefevere et l’équipe. Nous pensions organiser une journée des supporters cette année mais nous y avons renoncé, à cause de la lourdeur de son agenda. La manière dont un coureur passer l’hiver détermine la qualité de sa saison. Beaucoup de gens l’oublient.  » Remco n’est d’ailleurs pas souvent au pays. Il s’entraîne beaucoup à Calpe, en Espagne, où il loue un appartement. Rossel :  » Il est tout près de l’hôtel où feu Serge Baguet organisait des vacances à vélo. L’hôtel est géré par un couple belge vers lequel Remco peut se tourner quand il le veut. Ils le conduisent aussi à l’aéroport. Sa mère est allée arranger le tout il y a quelque temps.  »

Au café-restaurant De Rare Vos, une photo d'Eddy Merckx avoisine le maillot de champion du monde de Remco Evenepoel.
Au café-restaurant De Rare Vos, une photo d’Eddy Merckx avoisine le maillot de champion du monde de Remco Evenepoel.© loes geuens

Être avec les gens

Ceux qui accompagnent Remco à ses courses ont toujours quelque chose à raconter. Daniel dit qu’au Mondial d’Innsbruck, il a vu Remco chuter, sur l’écran géant. Et que son père se rongeait les sangs, son fils n’obtenant pas de nouvelle roue assez vite. Puis Remco est remonté à vélo, il a commencé à grimper et l’image s’est coupée pendant plus d’une minute. Quand la panne a été réparée, Remco se trouvait à l’endroit de sa chute. Ils ne comprenaient pas comment c’était possible. Ensuite, Remco a raconté qu’il avait fait demi-tour pour récupérer son compteur de watts. Daniel Rossel hoche la tête.  » Il est tellement déterminé. Il fait ce qu’il doit. Et il reste calme, très calme, même quand il bouillonne intérieurement. Cette assurance… Si je ne le connaissais pas, je le croirais arrogant mais il ne l’est absolument pas.  »

De temps en temps, quand ils en ont l’occasion, ils se rendent à vélo à Grammont pour y boire un café. Rossel arrive épuisé. Mais il précise que Remco n’a plus besoin de ses conseils depuis longtemps.  » Je n’ai plus rien à lui apprendre sur la course ni les parcours. Il se prépare minutieusement. Il consulte Google Earth, visionne d’ancienne courses. Prenez le Tour de Belgique, où Remco a enfilé le maillot de leader. Tim Wellens a placé une attaque dans l’étape ardennaise, à la Roche aux Faucons. Wellens y a fait la même chose qu’à Liège-Bastogne-Liège mais Remco avait étudié les images avec une telle attention qu’il savait à l’avance ce qui allait se produire. Il a anticipé et a parfaitement géré la côte.  »

Nul ne parle du nouvel Eddy Merckx, au café In De Rustberg. Merckx est Merckx. Point. Mais si Remco venait à gagner le Tour, un jour ? Daniel Rossel éclate de rire.  » Ah, Guy peindra son café tout en jaune.  » Guy intervient.  » Ce n’est pas pour tout de suite. Peut-être d’abord les couleurs olympiques.  » Il sort son iPad et parcourt les photos. Remco et Guy, Remco avec les petits-fils de Guy, Remco qui fait comme s’il buvait une énorme bière.  » Il ne boit pas. Il demande toujours un Cécémel chaud.  » Il montre encore une photo de Felix Goossens, son supporter le plus âgé, à 88 ans. Felix est à la clinique, une casquette R.EV 1703 sur la tête, sa carte de membre en mains. Guy :  » Remco a téléphoné à Felix pour lui souhaiter bon courage.  » Aujourd’hui, Felix est guéri et est redevenu un habitué du bistrot.

Remco y passe régulièrement. Daniel Rossel :  » Il aime être avec les gens. Après la saison, il a rendu visite à la famille néerlandaise qui l’avait accueilli quand il jouait au PSV. Il a besoin d’occupations normales.  »

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