Rejouer et tout casser

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Interview provoc du Zèbre algérien.

Sa bouille et son sourire permanent le rendent attachant dès la première rencontre. Mais sportivement, Nasredine Kraouche (25 ans) est dans le trou. Depuis la fin de la dernière Coupe d’Afrique des Nations et son limogeage par La Gantoise, il n’a plus disputé que quelques rencontres avec l’équipe nationale algérienne. Et pourtant, il joue à la pile électrique dans le vestiaire de Charleroi. Comme si tout planait pour lui.

Mais comment ce joueur, régulièrement brillant et déterminant lors de ses années à Gand, a-t-il pu se retrouver dans un pétrin pareil ? Sans club et sans revenus pendant sept mois. Pour mieux cerner son état d’esprit actuel, nous avons opté pour la manière forte : exciter, titiller, provoquer par des mots celui qui adore défier, ennuyer, allumer ses adversaires par des mouvements géniaux. Il a bien joué le jeu…

La Gantoise vous a viré parce que vous n’aviez pas participé au stage de janvier. Et vous avez toujours soutenu que Herman Vermeulen vous avait autorisé à travailler avec votre équipe nationale à ce moment-là… Impossible !

Nasredine Kraouche : Je le maintiendrai jusqu’à mon dernier jour. Vermeulen m’avait dit que je pouvais préparer la CAN avec l’Algérie. Mais il a été mis sous pression, on lui a demandé d’affirmer qu’il ne m’avait pas donné cette dérogation. Ça arrangeait très bien la direction de me licencier, vu que j’avais un des plus gros contrats du groupe. Il fallait assainir les finances pour préparer la construction du nouveau stade, et en plus, le club négociait avec Sandy Martens û censé me remplacer û depuis deux mois. Je ne me laisserai pas faire. Avec mon avocat û NDLR : Geert Sustronck, l’ancien président de Harelbeke û, je réclame les salaires que j’aurais dû toucher jusqu’au terme de mon contrat, en juin 2005. Ainsi que des dommages et intérêts pour atteinte à mon image, à ma cote sur le marché des joueurs et à ma situation salariale. Nous demandons près de 200.000 euros. Ce qui m’arrive est révélateur de l’évolution des mentalités dans le monde du foot. J’aurais pu exiger une autorisation écrite de Vermeulen, mais j’ai continué à fonctionner comme je l’avais toujours fait : à la parole donnée. Où va-t-on s’il faut mettre sur papier tout ce qu’on dit et tout ce qu’on fait ? Visiblement, l’univers du foot devient de plus en plus dur, les coups bas ne se comptent plus et les requins prêts à attaquer la première proie venue sont de plus en plus nombreux.

Vu les quatre ou cinq kilos que vous devez encore perdre, vous ne serez pas opérationnel avant janvier : mais c’est déjà maintenant que Charleroi aurait besoin de vous.

Qui vous a dit que je ne pourrais pas jouer en équipe Première avant janvier ? J’espère être dans le coup dès novembre. Et, de toute façon, le Sporting ne se débrouille pas mal sans moi. Tous ceux qui ont vu le match contre Bruges sont persuadés que cette équipe a un chouette potentiel.

 » Il faut savoir me prendre  »

Vous gagnez dix fois moins qu’à La Gantoise : donc, vous êtes dix fois moins bon.

Dix fois, je ne dirais pas… Je suis à court de condition physique pour le moment, mais je n’ai pas perdu mes qualités en restant quelques mois sur la touche. Et mon salaire actuel ne correspond évidemment pas à mon niveau. Je me retrouve à Charleroi avec un fixe à peine supérieur au minimum uniquement parce que j’ai été trop gourmand au cours des derniers mois. J’ai reçu pas mal de propositions après avoir été viré par La Gantoise, mais j’ai tout refusé car j’étais convaincu que je valais mieux que ce qu’on m’offrait. Petit à petit, je m’enfonçais, mon quotidien sans football devenait de plus en plus délicat à gérer. Quand vous ne savez rien faire d’autre que taper dans un ballon, ce n’est pas évident de se réinsérer subitement dans une société normale. Je m’étais entraîné avec Metz pendant quelques semaines, puis je me suis retrouvé seul avec, à mon programme, de la course à pied, du vélo et de la natation, mais à mon rythme. Ça n’avait évidemment plus rien à voir avec le régime des sportifs professionnels. Finalement, j’ai compris que je ne retrouverais rien si je continuais à demander autant d’argent. J’ai alors revu ma philosophie et considéré que je devais, dans un premier temps, prouver à nouveau ma valeur sur le terrain, avant de réclamer un gros salaire. J’ai signé mon contrat à Charleroi û NDLR : une année plus option pour deux saisons supplémentaires û sans l’avoir lu. Gagner le plus d’argent possible ne m’intéressait plus : je voulais rejouer, point à la ligne. Et tout casser. Je ne veux surtout plus revivre ce que j’ai connu de janvier à septembre.

On vous a autrefois comparé à Walter Baseggio. A part des problèmes de poids récurrents, les points communs sont rares. Baseggio joue en équipe belge et en Ligue des Champions ; vous n’êtes pas encore prêt pour l’équipe Réserve de Charleroi.

La balance et moi, c’est vrai qu’on n’a jamais fait bon ménage. Je prends vite et j’ai un mal fou pour perdre mes kilos en trop. En plus, j’adore la bonne bouffe et ma mère n’a pas arrêté de me préparer de bons petits plats pendant mon inactivité. A Gand, on n’en faisait pas un problème parce que je prouvais sur le terrain que je pouvais être bon en étant un peu enveloppé. Mais depuis que je suis arrivé à Charleroi, on ne me lâche pas. On me pèse tous les jours et je dois tenir un petit carnet dans lequel je suis obligé d’inscrire tout ce que j’avale. La comparaison avec Baseggio ? Bonne question. Et belle pique. Mais bon, je préfère qu’on me compare à lui qu’à un autre. Il m’est supérieur sur les longues ouvertures et dans le jeu aérien, mais je m’estime plus dangereux que lui devant le but. Au niveau de la rage de vaincre et de l’envie d’arriver au sommet, j’imagine qu’il a aussi quelques longueurs d’avance. C’est un grand travailleur, pour être arrivé où il est aujourd’hui. Bosser comme un fou, c’est un peu ce qui me fait défaut. A Gand, par exemple, j’avais souvent conscience de me reposer sur mes acquis. Mais je veux changer. Tellement j’ai les crocs aujourd’hui. Je n’ai pas encore montré, en Belgique, tout ce que je suis capable de faire.

Votre caractère rebelle nous fait penser à Ahmed Hossam et à Rachid Belabed.

J’ai un caractère fort mais je ne suis pas méchant. J’ai pris une seule carte rouge au cours des quatre dernières saisons. Si je n’avais pas cette personnalité fort marquée, on ne m’aurait pas nommé capitaine de l’équipe algérienne. Pour moi, c’est une reconnaissance de ma hargne positive, de mon âme de meneur et de mon refus de mettre ma langue en poche. Je n’accepte pas qu’on me compare à Belabed. Notre point commun, c’est l’islam, mais je suis certain que nous ne considérons pas cette religion de la même façon. Pour moi, elle est synonyme de tolérance, pas de castagne. Je préfère de loin la comparaison avec Hossam. Comme lui, j’ai parfois eu de gros problèmes avec des entraîneurs ou des dirigeants. La première explication, c’est que je suis très mauvais perdant. Mais, encore une fois, ça peut servir dans le foot professionnel. Il faut simplement savoir me prendre. Certains coaches avaient la manière, d’autres ne l’avaient pas du tout. Interrogez Trond Sollied : il vous dira certainement que je suis un gars positif.

 » Je me suis dit : -Sollied est complètement fou  »

Vous êtes international algérien : avec tout notre respect pour le foot de ce pays, ça ne veut plus rien dire. L’Algérie a complètement loupé le début de sa campagne qualificative pour la CAN et la Coupe du Monde.

Je sais. C’est dommage, surtout après ce que nous avons montré à la CAN au début de cette année. Je ne comprends pas le malaise actuel. Autant ça s’était bien passé avec Georges Leekens, autant ça a foiré avec Robert Waseige. Il a continué à m’appeler au printemps, alors que j’étais sans club. Après cela, il m’a encore demandé de jouer mais, par correction envers mon pays, j’ai refusé. Si je vais en équipe nationale, c’est pour apporter une plus-value, pas pour me traîner comme un boulet.

Quand vous étiez à Gand, vous habitiez en France : pour des raisons fiscales.

Oui. Comme ça, vous savez tout (il se marre). Pourquoi se domicilier en Belgique quand on peut gagner 30 % de plus en s’installant de l’autre côté de la frontière ?

Raymond Domenech vous avait appelé pour jouer avec les Espoirs français mais vous avez préféré répondre aux convocations de l’Algérie : il faut être fou pour faire une croix sur les Bleus.

C’est vrai que ce n’était sûrement pas le meilleur choix sportif, que ma carrière aurait peut-être tourné autrement si j’avais choisi la France. Je suis né là-bas, dans la région de Metz, mais j’ai décidé de faire plaisir à mes parents, de soigner leur fierté d’Algériens. Je ne regrette rien. J’ai quand même vécu de très bons moments avec mon équipe nationale : trois phases finales de la Coupe d’Afrique, près de 50 sélections. Je suis vraiment reconnu là-bas et ça fait plaisir aussi.

A Metz, vous avez été formé avec Louis Saha et Robert Pirès : votre carrière est 100 fois moins belle que la leur.

Exact. Mais je n’ai sans doute pas réuni les bonnes conditions aux bons moments. Les bons ingrédients, ce sont les qualités de départ, le sérieux dans le boulot et la chance. Quand tout cela s’enchaîne, on décolle, comme Saha et Pirès l’ont fait. Mais bon, je ne suis quand même pas trop mécontent de mon parcours. A Gand, j’ai joué dans un bon club belge. Et ne m’enterrez pas : je n’ai que 25 ans. J’ai encore tout le temps de faire plein de belles choses.

Vous avez travaillé avec Albert Cartier à Metz, puis avec Stéphane Pauwels en équipe algérienne. Ils vous connaissent parfaitement. Si vous étiez si bon, ils vous auraient attiré à La Louvière.

Il y a eu des contacts mais l’effectif de La Louvière était déjà complet et les résultats étaient bons. Même si Cartier et Pauwels m’apprécient, ce n’est pas parce que je m’appelle Kraouche que j’ai un passe-droit pour La Louvière.

Vous avez arrêté d’être un pur attaquant pour devenir médian alors que vous étiez déjà en D1 belge. Vous n’êtes donc ni un grand avant, ni un grand joueur d’entrejeu.

C’est Sollied qui m’a dit un jour que j’étais plus un médian qu’un attaquant. Ma première réaction a été : -P…, il est fou. Mais il avait raison. Je manque d’arguments pour jouer en pointe. De taille, surtout. Par rapport aux gars de Bruges, je suis tout petit û NDLR : 1,76 m. J’ai fait toute ma formation comme médian et je râle d’avoir dû patienter aussi longtemps pour trouver un entraîneur qui voyait clair à mon sujet. Si on m’avait reconverti plus tôt, je serais peut-être à Anderlecht aujourd’hui (il se marre).

Pierre Danvoye

 » LA COMPARAISON AVEC BASEGGIO ? Bonne question. Et belle pique  »

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