REINE DE PARIS

Jamais encore la suprématie de Juju n’avait été aussi manifeste. Elle a gagné Roland Garros pour la troisième fois, sans perdre un seul set ni développer son meilleur tennis. La reine de la terre battue a de la poigne.

« Elle a une classe de plus « , a déclaré Kim Clijsters…  » C’est la meilleure spécialiste de terre battue du monde « , selon la finaliste russe SvetlanaKuznetsova. Les superlatifs sont légion quand il s’agit de Justine Henin et elle les mérite. Comme Roger Federer et Rafaël Nadal, elle a joué dans une autre catégorie que les autres du circuit. Sans même devoir développer son meilleur tennis, elle a gagné tous ses matches en deux sets, grâce à son expérience. Son triomphe à Roland Garros est aussi celui de son approche.

Dans chaque partie, la Wallonne de 24 ans a sorti le tennis nécessaire aux moments les plus importants. Cette 26e victoire en tournoi de sa carrière est sa cinquième dans un Grand Chelem mais surtout sa troisième à Roland Garros, qui est et reste un tournoi spécial à mes yeux.

Cette professionnelle accomplie n’a souffert ni durant son match de quarts de finale si redouté contre Nadia Petrova – la Russe s’est blessée juste avant le début du tournoi et ne croyait pas en ses chances – ni pendant l’affiche de choix contre Clijsters. Parfaitement dirigée par son perfectionniste d’entraîneur, Carlos Rodriguez, Henin a été la seule à produire un tennis moderne sur terre battue. Jamais la différence n’a été aussi marquante que contre sa rivale et nouvelle copine, Clijsters, en demi-finales.

 » J’ai remarqué que ça n’allait pas comme je le voulais « , a commenté la Limbourgeoise.  » J’ai donc dû essayer autre chose mais je ne suis pas du style à miser sur le service/volée et je préfère viser les lignes… avec tous les risques que cela implique « . Voilà qui illustre la différence de vision entre les deux clans. Henin savait pertinemment comment faire mal à Clijsters, elle avait aussi le talent et la mentalité requis pour mettre ses plans à exécution. Clijsters (toujours sans coach) semblait ne pas avoir prévu de plan B. Le plan A suffit dans 99 % des cas, face à des joueuses normales mais pas contre une super femme comme Justine.

La suprématie de Henin est encore apparue en finale, même si elle n’a pas donné l’impression d’être tout à fait fraîche.  » Le manque de sommeil m’a joué des tours ces derniers jours. J’étais de plus en plus fatiguée « , a-t-elle avoué. On n’a pas vu de grand tennis en finale mais Henin a atteint un niveau inégalé au fil des années. Dans de telles circonstances, elle se concentre encore un peu plus et ne passe la vitesse supérieure que pour les points importants. Son expérience, son intelligence et sa volonté la rendent invincible. Depuis Arantxa Sanchez il y a 12 ans, aucune joueuse ne s’était adjugée Roland Garros sans concéder le moindre set. Elle est aussi la première, dix ans après Steffi Graf en 1995-1996, à défendre avec succès son titre dans la Ville Lumière.

Sa grande idole, Graf, a triomphé à six reprises à Paris.  » Il n’est pas impossible d’égaler ce record « , a commenté Justine dans un rare moment d’assurance.

Si la Rochefortoise de 1,67 mètre est épargnée par les blessures, il est effectivement difficile de trouver parmi ses concurrentes directes celle qui serait à même de la battre sur sa surface de prédilection. Nadia Petrova n’a pas répondu présente au rendez-vous de l’année. Svetlana Kuznetsova n’a que 20 ans et l’insouciance de la jeunesse prime toujours une tactique plus subtile. Si elle le voulait, Clijsters pourrait menacer Justine mais elle semble avoir définitivement renoncé. Dans ses meilleurs jours, Justine est celle qui récupère le mieux les balles les plus impossibles, nulle autre n’a la souplesse tactique requise pour s’adapter en permanence pendant un match ni sa technique. Dans ses mauvais jours, Justine peut en plus compter sur son expérience et ses qualités mentales. Elle est une battante. Comme le dit son coach Rodriguez :  » Justine doit devenir la championne des championnes « . Avec trois victoires à Roland Garros, elle est déjà sur la même marche du podium qu’Arantxa Sanchez, Monica Seles et HildeSperling, une joueuse d’avant-guerre. D’autre succès ne semblent être qu’une question de temps. Elle veut marquer l’histoire du tennis et Roland Garros va constituer son port d’attache annuel.

Les hommes

Côté masculin, jamais le tournoi n’avait été aussi prévisible. On pariait sur une finale Roger FedererRafaël Nadal depuis des mois. Des résultats étonnants n’ont pas brisé le silence entourant le choc entre le numéro un et le numéro deux du monde. Le public local s’est tourné vers le modeste Julien Benneteau en quarts de finale, lequel a profité du nombre record d’abandons pour blessures (neuf). Olivier Rochus aurait dû tenir sa place. Oli a gagné ses deux premiers matches sans gaspiller d’énergie et pouvait espérer disputer le quatrième tour, pour la première fois à Paris. Las, il s’est encore enferré face à une bête espagnole de la terre battue, qui avait cette fois Alberto Martin pour nom. En cinq sets de dur labeur, le numéro 68 du monde a conservé souffle et jambes. Un match plus tard, Martin se bloquait le dos après quatre jeux contre Benneteau. Le cadet des Rochus a commenté :  » Pareil tableau ne se présente pas chaque année. Cette défaite sera difficile à digérer « .

Kristof Vliegen aura également eu matière à réflexion sur ses sept balles de match au premier tour contre le modeste Tchèque LukasDlouhy. Il a ainsi raté le troisième tour, qui l’aurait opposé à Tommy Robredo. Quant à Christophe Rochus, pour une fois qu’il avait mené à bien un match en cinq sets face au Suédois Thomas Johansson, 18e tête de série, il a été touché à l’aine et a abandonné après sept jeux au second tour, face à un Espagnol qui était certainement à sa portée, Ruben Ramirez-Hidalgo. Dick Norman allait être le seul Belge à n’avoir rien à se reprocher, même s’il a également laissé filer une belle occasion. Dans un des matches les plus passionnants du tournoi, il a dû s’avouer vaincu face au show boy du tennis français, Gaël Monfils.

L’épidémie de blessures qui a touché le tournoi masculin soulève pas mal de questions. Une chose est sûre : le tennis sur terre battue est devenu très exigeant. Seuls les meilleurs survivent, ceux qui ont une classe de plus. Les autres craquent. Contrairement aux dames, les messieurs ne bénéficient pas d’une première semaine facile à Roland Garros : nul n’a donc un instant de répit. Il ne faut pas s’étonner que deux joueurs qui avaient étalé une forme éblouissante il y a un an malgré quelques marathons, Guillermo Canas et Mariano Puerta, aient été condamnés pour dopage entre-temps….

Même le chevronné Nalbandian a été pris dans l’avalanche de blessures en demi-finales. Ivan Ljubicic, lui, a profité de son service (226 km/h sur terre battue, contre le vent et en plein soleil) et d’un tableau favorable pour atteindre ce stade. Même à ce niveau, la logique du plus fort a régné. Et nul ne peut vaincre Federer ou Nadal. Le tournoi n’était qu’un échauffement avant la finale.

Trop d’argent, trop de monde

 » La Fédération française ne pense qu’à vendre des billets et à gagner de l’argent. Elle ne pense pas aux joueurs « . Maria Sharapova n’a pas été la seule à exprimer son mécontentement, lors du début du tournoi, qui avait lieu un dimanche, pour la première fois en 105 ans. Touchée à la cheville, elle avait demandé à commencer plus tard. Les Internationaux de France constituent un enjeu financier énorme.

Avancer le début d’un jour, comme l’envisagent aussi l’US Open et l’Open d’Australie, permet d’attirer 30.000 personnes de plus Porte d’Auteuil. L’année dernière, on avait dénombré 424.876 spectateurs. L’audimat du dimanche pour les douze matches, six masculins, six féminins, incite l’organisation à crier au succès, sans prêter attention aux voix dissonantes de quelques vedettes comme Federer et Carlos Moya, qui n’appréciaient pas de voir la tradition et surtout leur rythme perturbé. Dans les grands tournois, on alterne un jour de match et un jour de repos. Or, après son match du dimanche, Federer n’est revenu sur le court que le mercredi.

Certains joueurs ont estimé que le gain engrangé par ce changement de calendrier devait leur être crédité. Après tout, un tournoi moyen ATP ou WTA ristourne environ 15 % de son budget aux compétiteurs. Les tournois du Grand Chelem ne consacrent que 10 % à ce poste alors qu’ils encaissent beaucoup plus d’argent. Avec une augmentation de 5 % par rapport à 2005 – cette année, 940.000 euros revenaient aux vainqueurs, il ne devrait pas être difficile de faire taire les mécontents.

Pour la première fois, les derniers tours des qualifications ont été retransmis à la télévision. Pendant le tournoi, les gens qui détenaient un ticket pour le court Philippe Chatrier pouvaient l’échanger à partir de 17 h contre une place au court Suzanne Lenglen et vice-versa. La conversion coûtait de un à sept euros. Cette initiative a été un succès, d’après les organisateurs.

La Fédération a dû renoncer à la construction d’un troisième stade avec toit coulissant et 15.000 places puisque Paris n’a pas obtenu l’organisation des Jeux Olympiques 2012. On pense au Stade Municipal Georges-Hébert. Les plans ont été remis pour approbation à la Ville de Paris.

FILIP DEWULF, À PARIS

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