RÉGIME BASEGGIO

Bruno Govers

En prélude au sommet, la rencontre entre deux ex-stars qui répondent aux questions brûlantes.

La saison dernière, ils étaient encore opposés lors du choc entre le Club Bruges et Anderlecht. Cette fois, Gert Verheyen et Pär Zetterberg seront loin du feu de l’action. En mai passé, à 35 ans bien sonnés, ils ont mis de concert un terme à leur longue et prestigieuse carrière. Neuf mois après, réunis en guise de préambule au sommet, tous deux demeurent des plus affûtés. Le Suédois, devenu recruteur pour le compte des Mauve et Blanc, s’est reconverti au hockey en salle, à Waterloo, et met à profit ses moments creux pour entretenir sa condition dans l’aire de power et de fitness du Parc Astrid. Quant à l’ancien Diable Rouge, reconverti en entraîneur des Espoirs, il s’adonne régulièrement au vélo et ne manque jamais de participer aux petites séances de démarquage avec ses ouailles. Bref, ils sont aussi affûtés que… Walter Baseggio !

Verheyen : Mon ultime participation à un 4 contre 4 s’est soldée par une victoire 9-8 de mon équipe et j’ai inscrit 6 buts. C’est la preuve que je n’ai pas encore perdu tout à fait la main. Mais je tiens à rassurer Pär : je ne serai pas la botte secrète du nouveau coach, Cedomir Janevski. J’ai suffisamment donné durant ces 14 saisons au stade Jan Breydel. Je suis très heureux d’avoir tourné la page, surtout dans le contexte actuel, très difficile.

Zetterberg : Le terrain ne me manque pas non plus. A l’image de Gert, ma retraite était programmée. J’ai eu le temps de m’y préparer contrairement à d’autres, parfois pris au dépourvu en raison d’une blessure, et qui sont alors tout à fait décontenancés. J’ai la chance de pouvoir rebondir dans un secteur où je prends vraiment mon pied. Il est vrai que le climat est davantage au beau fixe chez nous qu’au Club.

Et pour Anderlecht, la cerise sur le gâteau, c’est le retour de Walter Baseggio au Parc Astrid. Que vous inspire-t-il ?

Zetterberg : J’ai connu Walt sous deux aspects totalement différents ici. Lors de mon retour d’Olympiacos, en 2003, il avait réalisé un début de saison d’enfer, terminant à juste titre à la deuxième place au referendum du Soulier d’Or derrière Aruna Dindane. Mon come-back l’avait poussé à passer la surmultipliée sur le terrain et, durant cette période-là, je ne voyais vraiment pas comment j’allais pouvoir le bouter hors de l’équipe, entendu que nous entrions en ligne de compte pour la même position. Après la trêve, j’ai toutefois découvert un tout autre joueur. Il pensait avoir fait le vide et il s’était quelque peu laisser aller. Comme j’avais toujours la foi, j’ai eu tôt fait de récupérer ma place et Walt n’a plus su trouver les ressources ou la motivation pour me détrôner. La suite, chacun la connaît, sous la forme d’une poussée vers la porte de sortie, assortie d’une location à Trévise. Même s’il n’est resté qu’un an là-bas, cet épisode l’aura à coup sûr marqué : Série A d’abord, puis Série B, tantôt titulaire, tantôt réserviste. En dehors du terrain, il a vécu sa part d’émotions aussi avec la naissance de sa petite fille et le décès inopiné de son père. Je suis sûr que tous ces éléments l’auront endurci et qu’il aura à c£ur de prouver que sa place est en équipe fanion du Sporting et nulle part ailleurs. Il en veut et je ne l’ai jamais vu aussi émacié : c’est bon signe.

Verheyen : Je suis un peu plus sceptique. Les exemples de retours réussis ne sont pas légion à Anderlecht. Il y a eu Pär, évidemment, ainsi que Filip De Wilde. Mais les bides ont été beaucoup plus nombreux. Aujourd’hui, Baseggio est tout feu tout flamme. Normal, il veut prouver qu’il a encore un avenir au Sporting et fait tout pour se montrer sous son meilleur jour. Mais qu’adviendra-t-il le jour où, après avoir fait le tour de sa famille, il retrouvera tous ses copains et ses aises ? Saura-t-il se remettre en question à ce moment-là aussi ? Chassez le naturel et il revient au galop. A moins, comme le dit Pär, qu’il ait réellement changé du tout au tout à l’occasion de son expérience en Italie. C’est vrai qu’il y a été confronté à la lutte pour le maintien, alors qu’il n’avait jamais connu que les hautes sphères avec Anderlecht et qu’il s’est retrouvé plus souvent qu’à son tour sur le banc. Peut-être a-t-il mesuré, dans ces conditions, que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs et que le Sporting constitue l’idéal. Je le souhaite pour lui et pour son club mais la balle est dans son camp.

 » Degryse a trop voulu révolutionner le power play  »

Verheyen : La pression, liée aux résultats, était déjà palpable en 2006. Cette fois-ci, elle l’est davantage encore. A cet égard, Bruges s’est complètement métamorphosé, au point de ressembler à Anderlecht à présent. Lors de mes débuts ici, alors qu’une victoire rapportait encore 2 points, je me souviens d’une campagne que nous avions achevée avec 40 unités seulement. A l’occasion du dîner de clôture de la saison, l’homme fort du Club, Fernand De Clerck, nous avait dit : -Les gars, il faudra essayer de faire mieux la saison prochaine. Ce genre de discours serait impensable par les temps qui courent.

Zetterberg : Depuis l’arrivée au pouvoir du duo formé du président Michel D’Hooghe et du leader sportif Marc Degryse, tout s’est emballé à Bruges. Sur le plan médiatique, un club s’est toujours taillé la part du lion ces dernières années : Anderlecht. Le Club, de ce point de vue-là, c’était franchement morne plaine. Sans avoir rejoint le Sporting pour autant, qui reste de loin le plus exposé, Bruges s’est retrouvé quelquefois, lui aussi, dans l’£il du cyclone. Comme c’était le cas lors de la défenestration de Jan Ceulemans, en 2006, ou récemment avec les derniers événements que l’on sait.

Quel regard portez-vous sur la tornade qui a secoué le Club ?

Verheyen : Ce n’est pas la joie. Pendant pas mal d’années, Bruges a toujours eu l’apparence d’un long fleuve tranquille. Rendez-vous compte, j’ai dû attendre jusqu’à la fin de ma trajectoire sportive pour assister au premier limogeage d’un entraîneur, Jan Ceulemans. Auparavant, hormis René Verheyen, qui avait préféré lui-même prendre du recul, tous les coachs étaient toujours allés au bout de leur mandat. Depuis quelques mois, cette situation a changé du tout au tout avec les mises à l’écart du Caje d’abord, puis d’Emilio Ferrera et Franky Van der Elst dernièrement. Sans oublier Marc Degryse, qui a jeté le gant. Autant de noms ronflants qui disparaissent, cela fait mal. D’autant plus que plusieurs d’entre eux avaient rang de monuments.

Zetterberg : A la place de Marc Degryse, je n’aurais pas agi autrement et j’aurais donné ma démission, moi aussi. Mais les gens ont décidément la mémoire courte à Bruges, oubliant qu’il a quand même été un formidable joueur là-bas avant d’y embrasser la destinée de leader sportif. Dans cette attribution, son entrée en matière avait été prometteuse car c’est lui qui avait été à la base du recrutement de garçons comme Bosko Balaban ou Jonathan Blondel. Après le départ de Trond Sollied, son seul tort, selon moi, est d’avoir prêché la révolution plutôt que l’évolution. Il voulait une équipe plus technique et a fait des acquisitions en ce sens avec des gars comme Ivan Leko, Sven Vermant ou encore Javier Portillo. Mais on ne change pas d’un jour à l’autre le power play en un football plus élaboré. Il l’a hélas vérifié à ses dépens.

 » Bruges ne fait plus peur  »

Verheyen : Son intention était louable car, au bout du compte, la façon de jouer sous les ordres de Sollied était devenue trop prévisible. La greffe de Marc Degryse a peut-être été trop drastique. Je remarque en tout cas que certains noms, qui ont bel et bien abouti chez nous, figuraient également sur les tablettes d’Anderlecht. Je songe à des gars comme Grégory Dufer, Salou Ibrahim, Elrio Van Heerden et Koen Daerden, par exemple. S’ils avaient tous, sans exception, tapé dans l’£il des Bruxellois, c’est qu’ils avaient des qualités, manifestement. Malheureusement, de la théorie à la pratique, il y a souvent une marge. Cela s’est vérifié chez nous.

Zetterberg : Suite à l’arrivée d’Aimé Anthuenis au Parc Astrid, il y avait eu un certain changement aussi avec l’adjonction de joueurs physiques comme un Mark Hendrikx ou un Besnik Hasi notamment. Mais Anderlecht a su préserver son style, ce qui lui a permis de réaliser quelques exploits en Ligue des Champions. Chaque club a ses spécificités et doit veiller à les garder. Bruges a toujours été synonyme de football de combat plutôt que d’un jeu bien léché. Il a perdu, au fil des ans, cette substance-là. Du coup, il ne fait plus peur. Je me souviens qu’à une époque, on allait la peur au ventre là-bas tant mes coéquipiers et moi redoutions cette machine de guerre. A présent, le topo n’est plus le même. De fait, je compare le Club actuel au RSCA de la moitié des années 90. Après avoir cédé des éléments de première valeur tels que Luc Nilis, Philippe Albert et Marc Degryse, le Sporting avait perdu de sa substance et n’imposait plus le même respect. Bruges compose avec la même situation aujourd’hui.

Verheyen : Anderlecht n’a pas toujours été outstanding cette saison, loin s’en faut. Mais il a pu compter, à des moments cruciaux, sur quelques traits de génie de l’une ou l’autre de ses individualités pour faire la différence. Comme Mémé Tchité, Mbark Boussoufa ou Ahmed Hassan. Chez nous, la griffe des nouveaux venus ne s’est pas fait sentir de la même manière. Le Club a été par trop tributaire de Bosko Balaban. Et on ne peut attendre monts et merveilles de lui chaque semaine. D’autres sont capables de prendre la relève, c’est sûr. Mais le climat n’est peut-être pas des plus propices. Quand on est dans un winning mood, tout devient possible. Quand nous tenions le haut du pavé avec Sollied, je me rappelle que même un déplacement au FC Barcelone n’était pas de nature à nous effrayer. J’ai d’ailleurs marqué là-bas ( il rit). Mais quand l’atmosphère est lourde, à cause de résultats qui ne répondent pas à l’attente, il est plus difficile de rectifier le tir.

 » Ferrera, c’était la classe  »

Qu’attendez-vous de la reprise en main de l’équipe brugeoise par Cedomir Janevski ?

Zetterberg : J’ai bien connu Cedo à Charleroi. C’était un pro jusqu’au bout des ongles, constamment branché sur le football. Je ne suis pas vraiment étonné qu’il ait assuré sa reconversion dans le coaching car il avait ça dans le sang. Il possède l’avantage très appréciable de connaître à fond la maison brugeoise, puisqu’il y a joué et qu’il s’y est occupé des Espoirs, à l’image de Gert aujourd’hui. Pour avoir été l’adjoint de Sollied, tant au Club qu’à l’Olympiacos, je me demande dans quelle mesure il n’en reviendra pas aux valeurs qui ont de tout temps fait la force des Bleu et Noir : un football généreux, porté sur l’offensive à tout crin et garant de frissons pour le public. C’est ce qui a singulièrement manqué au Club à partir du moment où le coach norvégien est parti. Avec lui, Bruges jouait vraiment le football que les gens attendaient. Je suis persuadé que Cedo s’inspirera de son exemple pour remettre l’équipe en selle. Tout ce que j’espère, c’est qu’il parviendra à ses fins après notre propre visite au Club le week-end prochain ( ilrit).

Verheyen : Cedo connaît le Club, c’est vrai. Mais ce raisonnement était valable aussi pour Ceulemans, René Verheyen, Van der Elst et Degryse. Même Ferrera, sans passé de joueur à Bruges, cernait parfaitement les contours de sa mission. Pour l’avoir vécu de près, je dis et je maintiens que c’est un grand entraîneur, au même titre que Franky d’ailleurs. Ses vues et son travail sur le terrain étaient marqués du sceau de la classe. Si le message n’est pas passé, ce n’est pas de sa faute uniquement. Les joueurs portent une part de responsabilité. Dès l’instant où le Caje avait été congédié, quelques-uns s’étaient soudain transfigurés chez nous, retrouvant comme par hasard souffle et motivation. Ce comportement-là me fait bondir. Il ne faut pas simplement screener un joueur sur ses qualités mais aussi sur d’autres paramètres comme sa force morale par exemple. Bruges a toujours mis l’accent sur les battants. Cette mentalité s’est fortement étiolée. Il y a de moins en moins de réels Clubmen, comme c’était le cas jadis. C’est une piste de réflexion à creuser. Pour ce qui est, maintenant, de la succession de Ferrera, je ne sais trop à quoi m’attendre en matière de style. Les prochains matches lèveront un coin du voile. Tout ce que je sais, c’est que Janevski a livré du tout bon travail avec les Espoirs.

 » Gare à la puissance du Standard  »

Au-delà du prochain Bruges-Anderlecht, qu’attendez-vous de la suite du championnat ?

Zetterberg : Pour moi, le Club n’est plus un candidat au titre car son retard est trop important par rapport au peloton de tête. Si Cedo parvient à arracher une qualification européenne par le biais du championnat, il aura déjà pas mal de mérite. Toutefois, dans l’état actuel des choses, Bruges doit tout mettre en £uvre pour décrocher ce fameux passe-droit via la Coupe de Belgique, où il a bénéficié d’un tirage favorable. La lutte pour le titre va, en principe, se circonscrire entre Anderlecht, Genk, le Standard et La Gantoise. Personnellement, j’ai le sentiment que le Sporting va monter en puissance dans les semaines à venir. Reste à voir comment les autres vont réagir. Genk a tenu le haut du pavé jusqu’à présent mais son noyau est un tantinet trop étriqué pour une épreuve de longue haleine comme le championnat. Idem pour La Gantoise. A mon sens, le danger viendra essentiellement des Rouches qui ont remonté la pente de maîtresse façon.

Verheyen : Ils devront tout de même digérer le départ d’Oguchi Onyewu, ce qui ne sera pas une mince affaire. Je rejoins toutefois l’opinion de Pär, dans la mesure où, après Anderlecht, le Standard a le noyau le plus solide de toute la D1 et c’est ce qui devrait lui permettre de faire la différence par rapport à Genk et La Gantoise. Pour nous, il s’agira surtout de sauver la saison par l’entremise d’une qualification européenne. Par rapport à tous les autres clubs précités, qui ont la capacité de réaliser de belles séries, nous ne sommes pas en mesure de gagner 5 fois d’affilée. C’est ce qui fait la force de ces clubs et, aussi, notre faiblesse. Il incombera à la direction d’en tirer les leçons afin de ne plus vivre la même situation en 2007-08.

BRUNO GOVERS

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