Régal Sénégal

Ancien joueur devenu entraîneur-adjoint, il rugit de plaisir avec les Lions de la Teranga.

Jusqu’à cette date, les Lions de la Teranga n’avaient participé qu’à six phases finales sur 22 depuis 1957. Durant toute cette période, leur meilleur résultat avait été une place en quarts de finale en 1992, l’année-même où ils furent les organisateurs de la CAN à Dakar, la capitale, et Ziguinchor, chef-lieu de la Casamance.

A l’époque, le Sénégal s’articulait autour d’une vedette: Jules-François Bocandé (43 ans), qui s’était signalé quelques années plus tôt en championnnat de Belgique, sous les couleurs du RFC Sérésien, avant de poursuivre sa route à Metz, au PSG, à l’OGC Nice et à Lens, clôturant finalement sa carrière à 33 ans à l’Eendracht Alost en 1992-93. Nommé sélectionneur des Lions de la Teranga à l’automne 93, il fut démis de ses fonctions deux ans après. Depuis lors, il est resté attaché à la fédération. Au Mali, il officiait comme adjoint du coach national, le Français Bruno Metsu.

Que vous inspire la génération sénégalaise 2002 par rapport à celle dont vous étiez la figure emblématique dix ans plus tôt?

Jules-François Bocandé: L’effectif actuel est non seulement plus talentueux mais aussi plus aguerri. De mon temps, les pros étaient en minorité car une poignée de joueurs à peine militaient alors à l’étranger. Hormis moi-même, il y avait le Brugeois Mamadou Tew et les Sénefs, les Sénégalais de France, Oumar Gueye Sène, Lamine Sagna, Victor Diagne, Oumar Dieng, Roger Mendy et Thierno Youm. A présent, du gardien Tony Silva à l’attaquant Henri Camara, tous évoluent à l’étranger, et principalement dans le championnat de France. Bon nombre d’entre eux, qui font partie de la deuxième génération d’émigrés, peuvent même se prévaloir d’un écolage au sein d’un centre de formation. Comme Khalilou Fadiga, qui a entamé sa trajectoire au Red Star, à Paris, avant de rallier le FC Liège. Tous ces garçons ont un vécu que nous n’avions pas et il se traduit à présent par des résultats probants.

En l’espace d’une décade, l’individualisme exacerbé a aussi cédé le pas, visiblement, à un collectif sans faille?

Exact. Autrefois, chacun d’entre nous la jouait perso: les locaux, parce qu’ils désiraient se mettre en valeur aux yeux des recruteurs étrangers et les pros parce que l’attente était grande chez eux. En dehors du terrain, c’était le même topo: les joueurs actifs au Sénégal n’en finissaient pas de jalouser les expatriés. Du matin au soir, il n’était question que d’argent et de transferts. Il ne fallait pas attendre un monde de l’équipe dans ces conditions. De nos jours, c’est complètement différent. Non seulement, les joueurs aiment à se rencontrer dans le contexte de la sélection mais multiplient aussi les contacts entre eux hors-frontières. Le cas de Khalilou Fadiga et d’El Hadj Diouf est éloquent à ce propos: dès que leur emploi du temps le permet, l’Auxerrois et le Lensois se retrouvent à mi-chemin, à Paris, chez la soeur de Khali, pour prendre le verre de l’amitié. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Soupe-au-lait

En tant qu’ancien brillant attaquant, y a-t-il une certaine complicité entre vous et cette nouvelle vague?

Et comment! En réalité, je me retrouve pleinement dans ces deux garçons, aussi soupe-au-lait que moi, jadis. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que si j’ai abouti au début des années 80 en Belgique, à l’US Tournai, c’est parce que je venais d’être radié à vie par la fédération de football de mon pays, pour avoir donné un coup de poing à un arbitre. C’est un secret… public que Khalilou Fadiga a toujours eu les nerfs à fleur de peau, lui aussi, ce qui lui a d’ailleurs joué de mauvais tours à Lommel et à Bruges. El Hadj Diouf a, lui aussi, parfois tendance à péter les plombs. Dès lors, je veille à leur prodiguer de précieux conseils pour qu’ils gardent leur sang-froid en toutes circonstances. Je m’efforce également de les guider en dehors des entraînements et des matches. Il faut savoir qu’en raison des bonnes prestations des Lions de la Teranga, le peuple sénégalais est en liesse depuis plusieurs mois. Les internationaux croulent d’ailleurs sous les demandes en mariage ( il rit). Il n’est pas toujours facile de garder les pieds sur terre dans pareil climat de frénésie. Moi-même, je n’ai pas toujours été un modèle sous cet angle-là pendant ma carrière, tant s’en faut. Aussi, je veille à responsabiliser davantage les joueurs. Et compte tenu de leur comportement irréprochable, je me dis que je n’ai pas démérité jusqu’ici.

On prétend que le sélectionnneur, Bruno Metsu, est lui-même un orfèvre en la matière?

C’est vrai. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi doué que lui. Une anecdote: après notre entrée en matière victorieuse à la CAN, 1 à 0 contre l’Egypte, notre rendez-vous suivant était programmé six jours plus tard face à la Zambie. Il va de soi qu’après cette victoire et compte tenu du délai qui nous séparait du match suivant, les joueurs avaient à coeur de fêter ce premier succès. Je me souviens qu’il y a dix ans, après avoir battu le Kenya en ouverture, nous avions fait la nouba jusqu’au petit matin. Dans le cas présent, Bruno Metsu a dit aux joueurs: -Messieurs, amusez-vous et rentrez à une heure que vous estimez raisonnable. Tous les gars se sont regardés en se demandant ce que le coach pouvait bien entendre par « une heure raisonnable ». Résultat des courses: tous étaient au lit à une heure du matin ( il rit)!

En plein boum

Au même titre que la plupart des autres nations engagées dans cette 23e Coupe d’Afrique des Nations, le Sénégal a choisi de confier la destinée de sa formation représentative à un Européen. Est-ce à dire qu’en dépit de la fantastique progression du football sur votre continent, la présence d’un « sorcier blanc » demeure malgré tout indispensable?

Je serai le premier à vanter les mérites de Bruno Metsu, qui est non seulement un fin psychologue mais également un coach formidable à tous points de vue. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer les coaches africains qui progressivement se font un nom eux aussi. Il ne faut tout de même pas oublier qu’en 92 déjà, les fameux Eléphants de la Côte-d’Ivoire avaient remporté la CAN sous les ordres d’un coach formé au pays, Géo Martial. Quant aux Lions Indomptables du Cameroun, il n’est pas inutile de rappeler qu’ils ont remporté la médaille d’or aux JO de Sydney sous les ordres de leur compatriote Jean-Paul Akono. Honnêtement, je ne vois pas les raisons qui ont bien pu pousser la fédération de ce pays à l’écarter au profit de l’Allemand Winfried Schäfer. Car Patrick Mboma et les siens n’avaient pas besoin de cet homme-là pour conserver leur titre de Champions d’Afrique. En soi, c’est une performance, pour nous, de les avoir poussés à l’épreuve des tirs au but en finale. Sur l’ensemble de la rencontre, les Camerounais méritaient amplement leur succès. Ils restent les meilleurs en terre africaine. Et je pense qu’ils sont tout à fait capables, aussi, de surprendre à la Coupe du Monde. Pour moi, ils peuvent briguer une place en demi-finale.

Dans le même temps, que doit-on espérer du Sénégal?

Le football est en plein boum, chez nous, dans la mesure où nous nous sommes qualifiés à la fois pour les phases finales de la Coupe d’Afrique des Nations et de la Coupe du Monde, cette année, tout en remportant la Coupe Amilcar Cabral l’automne passé. Ces performances ont valu au Sénégal d’être désigné « équipe africaine de l’année en 2001 ». Dans la foulée, El Hadj Diouf a fait partie, au côté du Ghanéen Samuel Kuffour et du Camerounais Samuel Eto’o des trois nominés pour le titre de « joueur africain de l’année », ce qui n’était encore jamais arrivé à un Sénégalais auparavant. C’est dire si le Sénégal et ses joueurs ont marqué les imaginations ces derniers mois. Il nous appartient à présent de confirmer notre toute bonne prestation à la CAN sur la scène mondiale. Je ne prétends pas que nous ferons aussi bien que le Cameroun, un habitué des phases finales alors que pour nous, il s’agit d’une première. Mais en dépit d’une opposition qui a pour noms la France, l’Uruguay ainsi que le Danemark, je suis persuadé que nous pouvons viser le deuxième tour.

Les Lions de la Teranga auront le périlleux honneur de disputer le match d’ouverture contre la France, championne du monde. Un cadeau empoisonné?

Pas du tout. Depuis le tirage au sort, ce match-là fait l’objet de toutes les conversations. Non pas parce qu’on fait une montagne de l’adversaire, mais parce que chacun se dit qu’il y a un très bon coup à jouer. Personnellement, si j’ai un regret, c’est de ne pas accuser 20 ans de moins aujourd’hui. Il m’aurait franchement plu de meubler la ligne d’attaque aux côtés d’El Hadj Diouf et d’Henri Camara. Aujourd’hui, je vis ce bonheur par procuration. Je suis vraiment fier de ces gars, ainsi que de toute l’équipe d’ailleurs. Le Sénégal ne vaut pas seulement par ce tandem-là, épaulé par Khalilou Fadiga et Moussa N’Diaye sur les flancs. En défense aussi, nous avons du répondant avec Lamine Diatta et Aliou Cissé, entre autres. Honnêtement, cette équipe me fait saliver, pour ne pas dire plus. Je me suis déjà dit souvent que ce n’est pas pour rien que le mot Sénégal rime avec régal.

Bruno Govers,, envoyé spécial au Mali, ,

« A mon époque, il n’était question que d’argent et de transferts »

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