Réfugié stratégique

Long Couteau est de retour au Canonnier. Pour trois ans… normalement.

Six ans et demi après avoir délaissé Mouscron, alors premier du classement, au profit de l’équipe nationale belge en janvier 1997, Georges Leekens est de retour au Canonnier. Il avait pourtant signé un contrat de deux ans avec la fédération algérienne, avec option pour deux saisons supplémentaires, mais la séparation d’avec sa compagne fut, d’après ses propres dires, plus dure à supporter qu’il ne l’avait imaginé.

C’est lors du stage de l’équipe nationale algérienne à Mouscron, à la fin mai, que furent noués les premiers contacts avec l’Excelsior, n’est-ce pas ?

GeorgesLeekens : Effectivement. C’était tout à fait fortuit. J’avais choisi Mouscron pour ce stage parce que j’avais conservé de bons contacts avec ce club et que Stéphane Pauwels entretenait toujours d’excellentes relations avec Lille. Nous avons donc pu compter sur Gil Vandenbrouck pour les tests physiques et sur le médecin du LOSC pour les examens. Jean-Pierre Detremmerie, au détour d’un entraînement, m’a demandé comment j’allais. Je lui ai répondu : – Trèsbien, saufqued’unpointdevuefamilial, c’estdur àvivre ! Il m’a dit : – Situasbesoind’un refuge, tu seras toujours le bienvenu chez nous… J’ai saisi la perche.

En vous libérant du contrat qui vous liait à la fédération algérienne…

C’était une condition sine qua non. Je pense avoir rempli la mission qui m’avait été assignée en Algérie. L’équipe a été rajeunie, de nouvelles structures ont été mises en place et la qualification pour la phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations a été acquise. Ce fut une belle aventure, sur le plan sportif comme sur le plan humain. Je me suis rendu dans des pays comme le Tchad, la Namibie et l’Angola. Mais l’éloignement de la famille me pesait, et pesait encore plus à ma compagne. Le président de la fédération algérienne a été très correct avec moi. Il a accepté de me rendre ma liberté.

Vous deviez le savoir, en signant votre contrat en janvier, que vous ne rentreriez pas tous les jours en Belgique…

C’est vrai, mais j’avais peut-être sous-estimé l’ampleur de la tâche. Je pensais qu’au fil du temps, mes adjoints allaient pouvoir prendre davantage d’initiatives. Mais il y avait tellement de travail que ma présence sur place était requise le plus souvent possible.

A l’opposé de Guy Roux

Tout de même, c’est typique de la carrière de Georges Leekens : vous relevez un défi, vous obtenez très rapidement des résultats, puis vous quittez le navire pour relever un autre défi. Lors de votre première période mouscronnoise, d’août 1995 à janvier 1997, c’était pareil…

Mon intention était de terminer la saison 96-97 avec l’Excel, mais le côté émotionnel a joué : le président a tranché dans le vif. C’était difficile pour moi de refuser l’équipe nationale alors que j’entraînais un  » petit club  » comme Mouscron : le défi était particulièrement attrayant. Devenir entraîneur fédéral, c’était un rêve que je caressais depuis longtemps. Une clause dans mon contrat me permettait de partir en fin de saison. J’avais pris des risques en venant à l’Excelsior, on oublie trop souvent de le souligner. Le club évoluait encore en D2, à l’époque. Je l’ai fait monter. Si j’avais échoué, c’était un enterrement de première classe. J’ai souvent pris des risques dans ma carrière : en optant pour la Turquie, pour l’Algérie…

Nulle part, vous n’êtes allé au terme du contrat que vous aviez signé…

Si, au Cercle de Bruges. C’était au début de ma carrière. Et lorsque je suis parti, je disposais à chaque fois d’une clause dans mon contrat qui me permettait d’agir de la sorte. Dans la plupart des cas, la tâche qui m’avait été assignée avait été accomplie. J’ai toujours laissé une base solide derrière moi. Parfois, des circonstances m’ont incité à partir. A Malines, je me suis senti trahi : très rapidement, le président m’a avoué qu’il n’avait plus les moyens de ses ambitions et que sa priorité était de sauver sa société. A Charleroi, j’avais signé un contrat de deux ans, mais je ne  » sentais  » pas bien ce club.

Guy Roux ne sera jamais votre modèle : 40 ans dans un même club, très peu pour vous…

J’apprécie Guy Roux. Mais je suis un homme de défis, c’est vrai. Avec Bruges, j’avais été champion et j’avais remporté la coupe. J’aurais sans doute pu rester cinq ou six ans, mais après avoir connu ces sensations-là, j’avais envie de découvrir l’étranger.

Aucune clause dans le contrat

Pour combien de temps avez-vous signé à Mouscron, cette fois-ci ?

Trois ans.

Peut-on en déduire que vous resterez réellement trois ans au Canonnier ?

C’est mon intention, en tout cas. Je n’ai fait insérer aucune clause dans mon contrat.

Vous avez désormais 54 ans…

Oui, le temps passe, n’est-ce pas. Dire qu’à une époque, j’étais le plus jeune entraîneur de D1. J’avais 35 ans lorsque j’ai remporté la Coupe de Belgique avec le Cercle de Bruges. Je pensais, alors, que je connaissais le football. Mais, comme me l’a souvent répété Constant Vanden Stock : être entraîneur, cela ne se limite pas à dispenser des entraînements. Il faut pouvoir contrôler tout ce qui gravite autour du club. C’est cela qu’on appelle l’expérience. Une expérience qu’aujourd’hui, je pense avoir acquise.

54 ans, est-ce l’âge où l’on aspire à une certaine sécurité ?

Oui, mais plus de sécurité ne signifie pas moins d’ambition.

Au départ, n’était-il pas prévu que vous veniez à Mouscron comme directeur sportif, alors que Lorenzo Staelens resterait entraîneur ?

Si, effectivement. Mais le budget du club ne permettait pas d’avoir quatre entraîneurs sous contrat (avec Gil Vandenbrouck et Didier Vandenabeele). Lorsqu’un nouvel arrivant débarque, il est logique qu’une nouvelle répartition des rôles soit effectuée. C’est ce qui s’est produit. Des problèmes de communication ont conduit à quelques malentendus. Désormais, tout est rentré dans l’ordre : je suis directeur sportif et coach, tandis que Lorenzo a accepté de reprendre son poste de coordinateur des jeunes au Futurosport. D’un commun accord, nous avons décidé de ne plus parler de cette histoire. Je ne réouvrirai donc pas le débat : à quelques jours du coup d’envoi du championnat, le club a surtout besoin de sérénité.

Pas de cadeaux

Pouvez-vous comparer la tâche qui vous attend aujourd’hui, avec celle que vous avez accomplie lors de votre première période mouscronnoise ?

Les structures et infrastructures se sont améliorées, mais je pense en avoir jeté les bases. Mouscron est un club qui véhicule une image positive. Peut-être trop positive. Il faut parfois être plus méchant : on ne peut pas affronter le Standard avec des joueurs de 1m60 qui se comportent comme des agneaux. La plupart des clubs belges sont aujourd’hui en proie à des problèmes financiers et l’Excelsior n’échappe pas à la règle. Si Genk est obligé de vendre Wesley Sonck, Josip Skoko et Moumouni Dagano parce qu’il n’est plus européen, il ne faut pas s’étonner que les Hurlus doivent également céder des joueurs. L’équipe a été rajeunie, mais peut-être trop rapidement. Un équilibre doit être trouvé.

Généralement, on construit en commençant par la base. Dans une équipe de football, la base, c’est la défense…

Je n’oserais pas prétendre qu’en 1995, nous avions une bonne défense, mais nous avions une défense stable. C’est cette stabilité qu’il faut retrouver. La saison dernière, l’Excelsior avait l’une des défenses les plus perméables de l’élite. Beaucoup de cadeaux ont été offerts. En football, on ne peut pas donner de cadeaux. Mais le travail défensif ne se limite pas à l’arrière-garde. Des pertes de balles en milieu de terrain et même en attaque peuvent se révéler suicidaires si l’équipe n’est pas bien positionnée.

Vous retrouvez certains joueurs que vous aviez déjà connus en 1995. On songe aux anciens comme Steve Dugardein et Olivier Besengez, à Mbo Mpenza que vous aviez lancé tout jeune et qui a pris de la bouteille, mais aussi à un certain Gordan Vidovic, qui doit être heureux de vous revoir…

Gordan Vidovic a toujours été mal aimé. En équipe nationale, on n’a jamais accepté qu’il devienne Diable Rouge alors qu’il est d’origine bosniaque. Josip Weber et Luis Oliveira pourraient également témoigner de cet ostracisme. En France, on ne fait pas autant d’histoires : Zinedine Zidane n’est-il pas un… Algérien qui porte le maillot des Bleus ? Avec le talent qui est le sien, j’estime que Vido a réalisé une belle carrière et il pourra encore rendre de fiers services à l’Excel, s’il n’est pas trop souvent blessé.

Spécialiste des garçons perdus

Vous avez repêché Geoffrey Claeys, qui avait été Diable Rouge sous votre direction mais qui avait été relégué sur une voie de garage en fin de saison dernière. Vous croyez toujours en lui ?

Je le connais bien. Je l’ai introduit en équipe Première du Cercle de Bruges alors qu’il n’avait que 18 ans. Il a toujours eu une forte personnalité et ne peut pas avoir perdu toutes ses qualités footballistiques. J’ai écouté ce que l’on m’a raconté à son sujet. Il a perdu plusieurs années de sa carrière, mais je suis le spécialiste des garçons perdus. J’ai agi de la même manière avec Michel De Wolf, autrefois. Désormais, Claeys doit faire son autocritique et me démontrer qu’il mérite ma confiance. Chacun a droit à une deuxième chance.

Dans son cas, ce serait plutôt une quatrième chance…

Pas avec moi. Ce qui s’est passé avec d’autres entraîneurs ne me concerne pas.

Lorenzo Staelens avait lancé de nombreux jeunes dans le grand bain. Qu’adviendra-t-il d’eux ?

Certains ont un peu de talent, mais le talent ne suffit pas : il faut aussi la mentalité, l’engagement, la lecture du jeu. Et puis, ce n’était pas le grand talent. Les joueurs qui possèdent le grand talent ne restent pas longtemps à Mouscron, on l’a vu avec Jonathan Blondel. L’Excelsior doit revoir sa politique : le club ne doit pas former de bons joueurs de D2 ou de D3, mais de D1. Je dois encore examiner quels joueurs je conserverai dans le noyau A. Pour ceux qui seront relégués dans le noyau B, la porte ne sera pas définitivement fermée. Mais, faire partie du noyau A, cela se mérite. C’est un privilège que l’on ne reçoit pas en cadeau. Les meilleurs forceront la porte, j’en suis persuadé. Mais il ne faut pas les brûler. La saison dernière, les jeunes ont parfois dû supporter le poids de l’équipe sur leurs frêles épaules. Ils n’étaient pas prêts pour cela. Les résultats l’attestent, je pense.

L’ambiance n’est plus la même qu’autrefois…

Chacun est un peu responsable. Il faut restaurer l’ambiance. Avec les supporters, avec les jeunes. C’est aussi une tâche à laquelle je vais m’atteler. Mais l’ambiance est souvent tributaire des résultats.

Quels objectifs espérez-vous atteindre pour pouvoir considérer la saison comme réussie ?

Je relève un défi difficile. La période de gloire de l’Excelsior est derrière. Peut-être temporairement. Mais il faudra du temps pour reconstruire. Je n’y parviendrai pas en une saison.

Daniel Devos

 » Le noyau A, cela se mérite. On ne peut pas l’offrir en cadeau aux jeunes « 

 » Il faudra plus d’une saison pour reconstruire « 

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