« REDÉFINIR MON PAYS « 

Sport/Foot Magazine lance le Mondial 2006 cette semaine. L’avant ukrainien est le premier d’une série de portraits. Son équipe nationale jouera dans le Groupe H avec l’Espagne, la Tunisie et l’Arabie Saoudite.

Le verre est-il à demi vide ou à demi plein ? L’avant ukrainien de Milan Andriy Shevchenko veut toujours appréhender les choses sous un angle positif et cela ressort d’entrée de jeu. Dès sa première réponse, en fait.

L’année 2005 était-elle plutôt synonyme de joie ou de déception ?

Andriy Shevchenko : Je dirais que ces deux sentiments se sont mêlés. Milan a perdu la finale de la Ligue des Champions de manière dramatique contre Liverpool, mais d’autre part, l’Ukraine s’est qualifiée pour son premier tour final d’un Mondial. L’Ukraine sera donc bientôt en Allemagne. C’est ce que je retiens de l’année passée. Je suis d’un naturel très optimiste. En toutes circonstances, j’essaie d’appréhender les aspects positifs plutôt que les négatifs. Je suis donc enclin à dire que l’année 2005 a été bonne.

Qu’est-il arrivé à Milan face à Liverpool, dans cette fameuse finale de Ligue des Champions ?

En football, on ne peut pas tout expliquer. Ce match à Istanbul émarge à cette catégorie. Le déroulement de la deuxième mi-temps n’a pas d’explication logique. Non seulement Liverpool a marqué trois buts en l’espace de six minutes mais après, nous avons raté une volée d’occasions. Qui peut expliquer pourquoi mon envoi, dans la dernière minute de jeu, n’est pas rentré ? Le football est et reste un jeu durant lequel chance et poisse peuvent être décisifs.

Cette fois, la chance ne vous a pas accompagné. Deux ans auparavant, vous aviez inscrit le tir au but décisif. Dans des circonstances analogues, vous avez raté votre tir. Etes-vous fâché quand la chance vous tourne le dos ?

Absolument pas. Le hasard m’a aidé si souvent que me plaindre serait scandaleux. Je ne suis pas une machine à marquer comme certains le pensent. Je suis un homme de chair et de sang, avec mes qualités et mes défauts.

Vous avez une fameuse longueur de retard sur la Juventus.

Il se passe parfois des choses dingues en Série A. La machine de la Juventus n’est pas à l’abri d’un grain de sable. En attendant, tout ce qu’il nous reste à faire est d’essayer de gagner chaque match.

Milan au jour le jour

Vous avez été souvent blessé la saison passée. Vous est-il très pénible de rater un match ?

Les blessures sont inévitables au cours d’une carrière. Il ne faut surtout pas se lamenter sur son sort mais tenter de retrouver l’équipe le plus vite possible. En effet, la saison passée, j’ai été victime de diverses blessures mais je n’ai pas le sentiment qu’elles aient gâché ma saison.

Que pensez-vous de vos nouveaux partenaires d’attaque à Milan ? Pourquoi Christian Vieri n’a-t-il pas réussi à devenir titulaire et est parti à Monaco ?

Le courant est immédiatement passé entre Alberto Gilardino et moi. On ne peut pas dire que Christian Vieri se cherchait. Il a toutefois déclaré lui-même dans une interview qu’il ne se sentait plus bien à Milan depuis un moment. Un footballeur a besoin de jouer dans l’année qui précède un Mondial, sous peine de le rater. C’est pour cela que Christian a rejoint le Rocher.

Vous allez bientôt disputer le Mondial. En 1999, l’Ukraine avait fière allure, avec notamment Rebrov, Vaschuk, Shovkovskiy et vous-même. Le Dynamo Kiev a atteint les demi-finales de la Ligue des Champions où il a été éliminé par le Bayern. Pourtant, l’équipe nationale ne s’est pas qualifiée pour l’EURO. Que lui manquait-il ?

Le winning spirit. Nous l’avons acquis. Nous avons un excellent noyau. Chacun sait ce qu’il a à faire pour battre l’adversaire.

Qu’est-ce qui est plus facile pour vous ? Jouer à l’AC Milan, où chacun est une vedette, ou pour l’Ukraine ?

Qualitativement, les footballeurs du Milan sont supérieurs à ceux de l’Ukraine, cela ne fait aucun doute. Mais jouer pour l’Ukraine me procure une satisfaction indicible grâce au caractère qu’affichent les joueurs, à leur rage de vaincre. J’apprécie la volonté qu’ont nos jeunes d’apprendre, de progresser. Nous ne sommes pas en mesure de surclasser nos concurrents mais notre engagement comble nos lacunes et nous parvenons aussi à exploiter nos atouts.

 » L’Ukraine n’est pas défensive  »

Le football ukrainien est défensif. On le compare souvent au jeu grec. La Grèce est championne d’Europe en titre. L’Ukraine pourrait-elle vivre un conte de fées à la grecque en Allemagne ?

Une Coupe du Monde n’est pas un EURO. Elle est bien plus dure. Nous ne nous fixons pas d’objectif précis. Nous voulons bien nous amuser en Allemagne et voir où nous en sommes. C’est la première qualification de l’Ukraine à ce niveau. Nous écrivons donc une page d’histoire. Ce sera certainement un événement chargé d’émotion. Le résultat final n’est pas l’essentiel mais je ne suis pas d’accord avec votre définition du football ukrainien. Nous sommes parfaitement conscients de nos points forts et faibles. Je ne qualifierais pas notre football de défensif. J’estime que nous développons un jeu logique et réaliste, un football qui nous permet d’obtenir les meilleurs résultats. Si nous ne pouvons vaincre notre adversaire en jouant à visière découverte, pourquoi le ferions-nous ? La plupart des victoires sont fondées sur deux qualités : l’estimation de l’adversaire et de ses propres qualités.

En l’espace de quelques années, on a changé d’avis sur l’Ukraine. Vous n’avez pas entamé les qualifications comme favoris mais maintenant, tout le monde semble convaincu que vous avez votre place parmi les seize meilleurs du monde, en Allemagne.

Le regard des autres ne compte pas. C’est notre façon de nous juger qui est importante.

Quelle est-elle ?

Nous sommes persuadés d’avoir le potentiel pour nous qualifier pour le deuxième tour. Nous jouerons sans la moindre pression en Allemagne. Nous ne sommes absolument pas obligés de réaliser un quelconque résultat. C’est le Brésil qui doit à tout prix remporter la Coupe du Monde. L’Ukraine n’a qu’une obligation : faire de son mieux.

L’analyse du Groupe H

Quels sentiments vous inspire le tirage au sort ?

J’étais heureux qu’il n’y ait pas de ténor dans notre groupe. L’Espagne a une bonne équipe mais il ne faut pas la redouter. Si nous perdons contre la Tunisie et l’Arabie Saoudite, nous ne devons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Nous sommes maîtres de notre sort, tout dépend de nos prestations.

Essayez-vous de voir à l’£uvre vos adversaires ? Avez-vous, par exemple, suivi la Tunisie pendant la Coupe d’Afrique des Nations ?

Pour être franc, non. Le Mondial n’occupe pas encore mes pensées. Je me consacre à mon club. Au coup de sifflet final de la saison, je m’intéresserai immédiatement à l’Ukraine.

Vous avez récemment déclaré qu’il n’y avait plus de favoris dans le football moderne. Voulez-vous dire que le Mondial peut s’avérer une loterie ?

Je n’ai pas dit qu’il n’y avait plus de favoris mais que le niveau global a progressé, ce qui implique que même un favori doit prouver sa valeur à chaque match de ce tournoi. Dès le début, même les grandes équipes devront être en forme car elles devront se battre à chaque rencontre.

Parmi les jeunes joueurs ukrainiens, qui est susceptible de devenir une étoile du Mondial ?

Plusieurs garçons entrent en compte. Je pourrais citer Ruslan Rotan. Cependant, nous ne nous distinguerons pas par nos individualités. C’est l’équipe qui compte.

Les observateurs sont convaincus que, cette saison et les suivantes, le Zvezda Award du magazine russe Sport-Express ne peut vous échapper. Partagez-vous cet avis ?

J’ai beaucoup d’estime pour l’école de football russe, dont nous sommes tous des produits en Ukraine. A tout moment, un joueur de cette école peut pointer du nez. Elle a déjà fourni pas mal de bons footballeurs. Il ne leur manque qu’un petit plus pour éclore vraiment.

A qui pensez-vous ?

Je peux citer Oleh Husev et Ruslan Rotan en Ukraine, Andrey Arshavin, Alexander Kerzhakov et Dmitri Sychev en Russie. Tous ont un énorme potentiel. Ils doivent simplement comprendre qu’ils doivent travailler d’arrache-pied tous les jours pour mettre leur talent en évidence. Ils doivent être prêts à se corriger. C’est le seul moyen de devenir une vedette d’envergure mondiale.

30 ans et que du bonheur

Vous avez 30 ans. Considérez-vous cet âge comme un cap pour un footballeur ?

Pas du tout. Regardez Paolo Maldini et Alessandro Costacurta. Ils ont respectivement 37 et 39 ans mais surpassent leurs cadets semaine après semaine.

En d’autres termes, vous ne pensez pas encore à arrêter ni à ce que vous ferez à la fin de votre carrière ?

Evidemment, je pense à ce que j’aimerais faire après. J’espère cependant que la question ne se posera pas dans un avenir proche. Je me concentre toujours sur la façon dont je peux encore progresser comme footballeur.

L’AC Milan vous a promu capitaine. Qu’avez-vous ressenti ?

Porter le même brassard que Baresi, Costacurta et Maldini est un grand honneur, synonyme de responsabilités. J’ai reçu ce brassard parce que Maldini était blessé mais même assurer l’intérim vaut le coup.

Vous restez très proche du grand public, contrairement à beaucoup de vedettes. Pourquoi ?

J’ai décidé de rester proche des gens. Cette ouverture est un trait de mon caractère.

Est-ce de famille ou avez-vous développé ce don ?

Il est plutôt le résultat de mon éducation. D’ailleurs, se mettre en retrait ne sert pas à grand-chose ; si quelqu’un a décidé de dire du mal de vous ou d’écrire quelque chose de négatif, il le fera quelle que soit votre attitude. Je veux rester moi-même, être fidèle à ma nature. Je refuse aussi de piétiner mes principes.

Est-ce difficile ?

Non, ce n’est pas si difficile quand on est en paix avec soi-même.

Bonnes £uvres

Vous êtes très actif au profit d’£uvres caritatives. Est-ce aussi un trait de votre caractère ?

Je n’en fais pas tant que ça. J’ai fondé une association qui vient en aide aux orphelins. Il faut que cette aide soit totalement transparente et qu’elle arrive aux enfants qui en ont vraiment besoin. C’est l’essentiel.

Elevez-vous votre enfant de manière à ce qu’il devienne aussi ouvert que son père ?

Cela dépendra surtout de Jordan lui-même. Il est encore trop tôt pour dire quelle sera la personnalité de mon fils.

Parle-t-il déjà ?

Il prononce déjà quelques mots.

Dans quelle langue ?

En anglais mais il me comprend parfaitement quand je lui adresse la parole en russe. Un des premiers mots qu’il a appris, c’était  » ballon « .

Il va devenir footballeur ?

Cela dépend de lui. Je ne l’y contraindrai certainement pas. Si Jordan opte pour le football, je serai évidemment heureux.

Vous avez offert tant de buts au public qu’on s’attend à ce que vous marquiez à chaque match. Est-il difficile de répondre à ces espoirs ?

Ce ne sont pas les supporters qui vous conditionnent. En quittant le terrain, vous devez être certain d’avoir donné le meilleur de vous-même. Marquer des buts ne vient qu’en seconde position.

Etes-vous fréquemment mécontent de vous ?

Cela m’arrive, oui.

Que faites-vous, alors ?

Je tente d’analyser les causes de ma mauvaise prestation. J’étudie mes erreurs afin de ne plus les répéter. C’est une sorte d’enquête sur moi-même. Il est évidemment préférable de tirer des leçons des erreurs des autres. Quand on est soi-même en faute, il faut éviter de retomber dans ses travers.

Est-ce le conseil que vous prodiguez aux jeunes joueurs ?

Certainement. Ils doivent apprendre à analyser leurs prestations et à en tirer des leçons. L’essentiel pour un footballeur se résume à sa motivation de progresser.

Pourquoi acceptez-vous des voyages comme celui que vous venez d’effectuer à Moscou, pour une bonne £uvre ? Vous y investissez énormément d’énergie…

C’est un devoir. Il arrive que des gens aient besoin de quelque chose et que je leur fasse des promesses. Or, je les tiens toujours.

Vous ne manquez jamais à votre parole ?

J’essaie de la tenir. Cela ne dépend pas toujours de moi mais en général, je mets tout en £uvre pour faire ce que j’ai dit.

Le lendemain de la naissance de votre fils, vous avez foncé à Gênes pour y disputer un banal match de championnat. Etait-ce aussi un devoir ?

Oui. La promesse concernait mes coéquipiers.

BORIS LEVIN, ESM, MOSCOU

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