» Reculer le moment de sa mort « 

En neuf éditions, le leader de Quick Step s’est imposé trois fois à Paris-Roubaix et n’a terminé au-delà du top 10 qu’à une reprise. Monologue.

Quatrième du Tour des Flandres, Tom Boonen s’est directement tourné vers son prochain objectif : Paris-Roubaix.  » Après 260 kilomètres dans la boue, sur des chemins d’avant-guerre, il n’y a rien de plus beau que de pénétrer dans le vélodrome de Roubaix. Je comprends ce que ressentaient les gladiateurs jadis, alors qu’adrénaline et acide lactique se mêlent dans mes veines, que le public m’acclame. Mes cheveux se dressent et je sais que le moment de vérité est arrivé. Si j’arrive seul, j’ai le loisir de saluer famille et amis. En groupe, le sprint est stressant mais les émotions n’en sont que plus vives. C’est pour de tels moments qu’on devient cycliste. Après le Tour des Flandres, je suis tellement vidé qu’il me faut deux jours pour récupérer mais ensuite, je suis prêt. Cela doit être génétique ! Paris-Roubaix est, davantage encore que le Ronde, une course par élimination, un combat. Il s’agit de reculer le moment de sa mort jusqu’à la ligne d’arrivée.

Je connais le parcours par c£ur. Le moindre pavé s’est imprimé en moi mais cette édition comporte cinq nouveaux tronçons, dont deux après le Bois de Wallers. La reconnaissance de parcours vendredi sera instructive. Le samedi soir, Wilfried Peeters reparle du parcours durant la réunion de l’équipe mais sans que nous prenions de grandes décisions car tout est une question d’instinct. J’éprouve une saine nervosité, moins forte qu’au Tour des Flandres, ce qui m’évite de gaspiller mes forces. Il y a moins de monde à Compiègne qu’à Bruges, où je dois accorder trois interviewes et distribuer des tas d’autographes. Même si Bruges est beaucoup plus belle, les favoris ne pensent qu’à la quitter !

Il suffit de cinq kilomètres pour avoir une idée du déroulement de la course, en fonction de la direction du vent. S’il est latéral, on se placera en éventail. Je préfère le vent de dos. On roule davantage sur le côté, à une vitesse plus élevée. De face, il est plus difficile d’étirer le peloton. Le danger est omniprésent, surtout quand il pleut. Le Bois de Wallers est l’endroit-clef. C’est la pire voirie du monde ! Il y a parfois des différences de niveau de dix centimètres. On dirait qu’un camion a déversé les pavés. L’entrée est périlleuse : on arrive à 60 km/h et la moindre faute peut être fatale. Hormis en 2003, je suis toujours sorti du Bois parmi les cinq premiers. A ce moment, je sais si je suis suffisamment en jambes pour gagner car les meilleurs sont en tête.

Le prochain tronçon crucial est celui de Mons-en-Pévèle, à 50 kilomètres de l’arrivée. Trois kilomètres de mauvais pavés sans protection contre le vent. C’est l’endroit idéal pour distancer ses concurrents ou lancer la finale avec un groupe de favoris. Autre leçon de l’Enfer, la décision peut tomber à tout moment. L’année dernière, qui aurait cru que Fabian Cancellara attaquerait sur l’asphalte juste avant Mons-en-Pévèle ? Il est parti alors que je me sustentais, pour la première fois depuis le Bois. Le temps de réagir, il m’avait pris 200 mètres. En 2008, j’avais posé les jalons de ma victoire de la même façon, mais après les pavés de Pont-Thibaut. Seuls Cancellara et Alessandro Ballan sont parvenus à me suivre. L’Enfer est une question d’intuition, à condition d’être frais.

La dernière zone cruciale se situe entre les kilomètres 25 et 15 avant l’arrivée, avec trois tronçons pavés – Cysoing, Bourghelles et Camphin-en-Pévèle, sans oublier le Carrefour de l’Arbre. Si la décision tombe souvent là, c’est parce que tout le monde est épuisé. Celui qui parvient malgré tout à accélérer s’adjuge la course. Comme au Bois, il est impossible de suivre une trajectoire linéaire, cette fois à cause du public. Qu’on souffre ou pas, il faut parfois sprinter sur la piste. Même uriner est douloureux, après la course. C’est logique : pendant six heures, nos organes ont été secoués. « 

JONAS CRETEUR -PHOTO: REPORTERS

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