RÉCIT D’UNE LOVE STORY

Il y a six ans, le Standard ne voulait plus de lui. Aujourd’hui, il est l’attaquant du Liverpool Football Club, qui a payé 46 millions d’euros à Aston Villa. Alors pourquoi l’Angleterre est-elle à ce point folle de Christian Benteke ? Explications.

« ChristianBenteke is special. A special player with special qualities « , déclarait déjà José Mourinho en août 2013. Un compliment, qui n’en était pas un. Car il n’entendait pas ‘Spécial’ dans le sens de The Special One, mais de ‘particulier’.  » Un bon attaquant, pour une équipe qui joue un certain style de football. Un style qui n’est pas le nôtre « , précise le Portugais, après une victoire 2-1 de Chelsea. Benteke avait égalisé avant le repos, puis avait été victime d’un coup de coude (non sanctionné) de Branislav Ivanovic qui allait donner la victoire aux Blues. Pendant 90 minutes, Bentek’ avait constitué un danger permanent pour la paire d’arrières centraux GaryCahillJohnTerry.

La semaine précédente, Benteke a pris une part prépondérante dans le succès 1-3 d’Aston Villa à l’Emirates Stadium d’Arsenal, où il a inscrit deux buts. Trois buts en deux matches, donc. Qui dit mieux ? Les statistiques de sa première saison en Premier League sont impressionnantes : 23 buts et 7 assists en 39 matches. Pourtant, certains doutent. The Beast va-t-il confirmer ou ses exploits ne dureront-ils que le temps d’une saison ?

Entre-temps, Benteke s’était mis à rêver d’un club plus prestigieux qu’Aston Villa, 15e en Premier League, et avait demandé son transfert. Tottenham Hotspur proposa 23 millions d’euros, mais le manager Paul Lambert offrit quelques jours de congé supplémentaires à son joueur et doubla son salaire. Ses projets étaient remis à une date ultérieure : 11 jours après sa demande de transfert, Benteke signait un nouveau contrat de quatre saisons.

 » Il était incroyablement important pour le club « , expliquait Dion Dublin, ex-international et consultant à la BBC.  » Le type de joueur dont on se demande : que fait l’équipe lorsqu’il n’est pas là ?  » Son manager est allé encore plus loin.  » Sa première saison a été phénoménale. L’un des meilleurs n°9 qu’il m’ait été donné de voir à l’oeuvre au cours de ces dernières années. Un attaquant pour un club du top.  »

MIRACLE À ANFIELD

Après une saison à peine, Benteke est le footballeur dont tout le monde parle à Birmingham, où il est arrivé à l’été 2012. 21 ans,  » brûlé  » au Standard, cinq sélections à peine chez les Diables Rouges où il était en balance avec Romelu Lukaku et Igor De Camargo. Prix d’achat : 10 millions d’euros. Un risque calculé pris par Lambert ?  » Il est sans doute encore jeune, mais c’est un joueur qui ne décevra pas. Grand, costaud, rapide, très bon en combinaison. Il apportera quelque chose de neuf au jeu de notre équipe. Avec lui, Villa sera plus fort que les années précédentes.  »

Plus fort, certes, mais pas assez pour être davantage qu’un faire-valoir en Premier League : 15e, avec Benteke en guise d’éclaircie dans la grisaille. Christian a marqué lors de ses débuts contre Swansea, puis contre Norwich et Reading, a délivré des assists contre Sunderland et Manchester United. Trois buts et autant d’assists en League Cup. Des statistiques honnêtes.  » Comme tout nouvel arrivé en Premier League, il avait besoin d’une période d’adaptation, mais à partir de décembre, il a été outstanding. À Anfield, par exemple, Martin Skrtel et Daniel Agger – qui formaient pourtant l’une des meilleures paires d’arrières centraux – ont été incapables de le maîtriser. Très présent, une énorme force de travail « , analysait Dominic King du DailyMail.

Le 15 décembre 2013 marque un nouveau tournant dans sa carrière. Liverpool FC-Aston Villa : 1-3, deux buts et un assist de Bentegoal, qui vole la vedette à Luis Suárez, Raheem Sterling et Steven Gerrard. Un ballon placé du pied droit, envoyé des abords du rectangle (0-1), une talonnade subtile vers Andreas Weimann (0-2), un rush impressionnant depuis la ligne médiane et le ballon placé hors de portée de Pepe Reina (0-3). Le Kop en reste muet.  » Skrtel apprécie pourtant le combat physique, mais face à la puissance de Benteke, il n’a rien pu faire. Christian a foncé sur le défenseur slovaque pour inscrire son 12e but.  » Brendan Rodgers, le manager de Liverpool, est lui aussi impressionné.  » He was brillant.  »

Benteke est sur un nuage. 14 buts en 17 matches de championnat après le Nouvel An. Dans les cinq grandes ligues européennes, seuls Lionel Messi et Cristiano Ronaldo font mieux.  » Durant cette période, il a sauvé la saison de Villa et la tête de son manager « , affirme Neil Moxley, chefdelarédactionsportivedu Sunday People.  » Mais après avoir démarré la saison en trombe à Arsenal et Chelsea, il a disparu de la circulation.  »

Jamie Redknapp, ex-Liverpool et consultant chez Sky Sports, signe alors une chronique incendiaire dans le Daily Mail.  » Où est Benteke ? Depuis la prolongation de son contrat, on ne le voit plus. Benteke is a lion playing like a pussycat.  » Moxley :  » Après ses blessures à l’aine et au genou, il lui est même arrivé de prendre place sur le banc des remplaçants, mais Lambert n’a jamais douté de lui. Selon Lambert, Christian était mentalement affecté par toutes ces petites blessures, qui l’empêchaient de se livrer à fond. En Premier League, et encore davantage dans un club comme Aston Villa qui ne se crée pas dix occasions par match, il faut être à 100 % de ses capacités. En outre, on le tenait à l’oeil : il n’était plus le petit attaquant inconnu arrivé de Belgique.  »

UN MARIAGE ANNONCÉ

La saison reste compliquée, tant pour Benteke que pour son club, mais l’attaquant figure sur les tablettes de Liverpool. Les Reds sont redevenus des candidats au titre, mais préparent le départ de Suárez (31 buts en championnat).  » Rodgers a continué à suivre Benteke depuis leur première confrontation « , affirme King.  » Il avait déjà l’intention de faire une offre l’été dernier, mais la déchirure du tendon d’Achille de Christian (début avril 2014, ndlr) a reporté son projet. Néanmoins, il semblait évident à tout le monde que Benteke jouerait un jour pour Rodgers.  »

Benteke met du temps à revenir : il n’est apte à rejouer qu’en octobre. et, après quatre rencontres à peine, il écope de trois matches de suspension pour une poussée dans le visage de Ryan Mason (Tottenham). L’attaquant n’est pas au mieux. Après avoir marqué contre Manchester United en décembre 2014, Christian reste muet pendant dix rencontres. Le manager écossais essaie d’attirer Ricky Lambert de Liverpool. En vain. Paul Lambert a-t-il perdu confiance en Benteke ?  » Non « , prétend-il dans le Telegraph.  » Avec Ricky, nous aurions pu jouer avec deux attaquants et Christian aurait eu plus de liberté. Mais tout finira par s’arranger.  »

Il voit juste. Dans le derby contre West Bromwich Albion, Bentegoal lance l’opération sauvetage avec un but et un assist.  » 11 buts en 11 rencontres de championnat, ce qui lui a permis de rééditer l’exploit qu’il avait accompli lors de ses deux premières saisons : maintenir Aston Villa en Premier League « , déclare Peter Edwards dans le Sunday Express. Rodgers acquiesce :  » S’il y a un club qui reconnaît les qualités de Benteke, c’est bien Liverpool. En six confrontations contre nous, il a marqué cinq fois, dont le but égalisateur à Wembley en demi-finale de la FA Cup, lorsque Villa s’est imposé à la surprise générale.  »

Une triste bilan pour Rodgers et Liverpool, qui après la deuxième place de la saison précédente, n’a terminé que sixième, a été éliminé en phase de poules de la Ligue des Champions, puis en seizièmes de finale de l’Europa League par Besiktas, ainsi qu’en demi-finale de la League Cup par Aston Villa.  » Il est dès lors étonnant que Rodgers ait reçu de ses patrons américains (Fenway Sports Group, ndlr) l’autorisation de relancer les négociations pour l’achat de Benteke. La saison précédente, il a transféré Mario Balotelli (pour 22 millions d’euros, ndlr) et ça n’a pas été un succès. Cet échec n’a pas été reproché à Rodgers, mais s’il devait encore se tromper avec Benteke, il n’y survivrait probablement pas.  »

D’autant qu’en plus de Benteke, Liverpool a aussi engagé, durant l’entre-saison, Joe Gomez (5 millions d’euros, Charlton Athletic), Roberto Firmino (41 millions, Hoffenheim) et Nathaniel Clyne (14 millions, Southampton). Certes, le départ de Raheem Sterling à Manchester City (69,5 millions d’euros) a mis du beurre dans les épinards. Mais, avec 32,5 millions de Livres, soit environ 46,1 millions d’euros, Benteke est – après Andy Carroll, pour qui Liverpool avait payé 35 millions de Livres en 2011 – le deuxième plus gros transfert entrant de l’histoire du club. Or, c’est Rodgers qui, un an et demi plus tard et avec une lourde perte, avait montré à Carroll la porte de sortie.  »

JOUER DIFFÉREMMENT

 » Il existe des attaquants qui marquent plus que Benteke, mais si l’on regarde ses statistiques globales, il est probablement le joueur dont Liverpool avait besoin « , analyse l’ancienne légende des RedsRobbie Fowler dans le Daily Mail. Mark Lawrenson, une autre figure marquante de Liverpool, croit aussi à l’attaquant belge.  » Après le départ de Sterling, Benteke apportera quelque chose au jeu de Liverpool. Il est rapide, peut réaliser des actions, possède une bonne technique de base, est puissant, fort dans les duels aériens et capable de se mesurer à des défenseurs très physiques. Il est très difficile à maîtriser « , affirme-t-il dans le Liverpool Echo.

 » Dans un bon jour, il peut rivaliser avec tout le monde. Mais lorsqu’il n’est pas bien, son mauvais contrôle du ballon fait peine à voir « , estime Craig Burley, un ancien joueur de Chelsea et du Celtic qui est aujourd’hui consultant pour ESPN FC.  » 42 buts, ce n’est pas énorme, mais dans une équipe créative, il marquera peut-être davantage.  »

Peter Edwards (Sunday Express) se demande une chose :  » Benteke correspond-il à la philosophie du club ?  » Car, lorsque le manager a laissé partir Carroll à West Ham, il avait expliqué qu’il préférait les attaquants qui changent constamment de position. A l’image du trio Suárez-Sterling-Daniel Sturridge, qui avait conduit Liverpool aux portes du titre en 2014.

 » Ce trio, auquel il faut ajouter Steven Gerrard, avait inscrit 94 des 153 buts lors des deux dernières saisons, mais il ne reste que Sturridge, blessé. On attend donc essentiellement de Benteke qu’il marque beaucoup de buts. Chaque saison, il a sauvé Aston Villa, mais le jeu était orienté vers lui. Ce ne sera pas le cas chez les Reds. Liverpool était, la saison dernière, l’équipe qui a délivré le moins de centres. Or, c’est précisément de centres dont Benteke a besoin.  »

Depuis son arrivée à Aston Villa en 2012, personne n’a inscrit plus de buts de la tête que Benteke en Premier League (13), et trois joueurs seulement se sont créé plus d’occasions que lui (133). Il est l’un des six joueurs qui, au cours des trois dernières saisons, ont inscrit au moins dix buts. Ce sont des belles statistiques. Mais, le 8 août, lorsque Liverpool se rendra à Stoke City pour la journée d’ouverture, elles ne compteront plus…

PAR CHRIS TETAERT

 » Sa première saison a été phénoménale. L’un des meilleurs n°9 qu’il m’ait été donné de voir. Un attaquant pour un club du top.  » PAUL LAMBERT, EX-MANAGER ASTON VILLA

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