REBONJOUR LA FRANCE

Sochaux n’en avait pas l’usage. Il s’est donc retrouvé à Roulers. Il a ensuite transité par le Club Bruges, le Borussia Dortmund et le VfL Wolfsburg avant de signer à l’Inter. Ivan Perisic revient dans l’Hexagone par la grande porte grâce à l’EURO.

Il n’est pas tout à fait inconnu en Belgique quand il arrive à Roulers en janvier 2009. Durant l’été 2006, Ivan Perisic avait déjà effectué un test de deux semaines à Anderlecht, à l’initiative de l’agent Didier Frenay. Il avait notamment marqué deux buts en demi-finale du tournoi pour juniors Eurofoot d’Oostdunkerque, contre le PSV. Mais Sochaux lui avait proposé un contrat de quatre ans. Officiellement, le club, alors en Ligue 1, avait versé 240.000 euros à Hajduk Split pour ses six années de formation là-bas.

Le talent croate avait 17 ans et Zoran Vulic l’avait déjà intégré au noyau A d’Hajduk. Le jeune Perisic a marqué son premier but durant un stage en Slovénie. Le club lui a offert un stipendium, qu’il a refusé : la famille Perisic avait de graves soucis financiers : après de gros investissements pour leur élevage de poulets, la salmonellose avait dévasté l’affaire et endetté la famille. Elle plaçait ses espoirs dans la carrière sportive du fils de la maison. Hyperactif, il avait trouvé sa voie en football, guidé par son oncle Igor Jelavic, qui avait joué six mois au FC Namur. Sa mère et sa soeur ont suivi Ivan à Sochaux, le père restant en Croatie, face aux créanciers, aux méthodes parfois maffieuses.

FRANCE : ADOUBÉ PAR PERRIN, SNOBÉ PAR GENGHINI

Alain Perrin, l’entraîneur du FC Sochaux, était charmé par Ivan Perisic, dans lequel il voyait la combinaison de Zinédine Zidane et de Johan Micoud. Il l’a repris dans le noyau A. En fin de saison, Perisic a gagné la finale de la Coupe de France pour espoirs au Stade de France mais après le départ de Perrin pour Lyon, le vent a tourné.

Le nouvel entraîneur l’a renvoyé dans le noyau B, où Bernard Genghini, champion d’Europe avec la France en 1984, l’a aligné, en CFA, au milieu défensif, voire dans l’axe de la dernière ligne. D’après Ivan Perisic, la présence dans l’équipe de Benjamin Genghini, le fils du coach, médian offensif, lui a été fatale. Interpellé à ce propos, Bernard Genghini a répondu ceci :

– L’équipe jouait alors en 4-4-2 plat, donc sans médian offensif central.

– Ivan Perisic manquait alors d’explosivité pour évoluer sur le flanc. Il était aligné devant la défense compte tenu de son abattage et de son jeu de tête.

– Il fallait améliorer sa stabilité mentale : il pensait parfois être le meilleur au monde et il fallait le calmer. Si je l’ai parfois mis sur le banc, c’est parce qu’il était irrégulier, qu’il arrivait parfois en retard à l’entraînement ou ne se présentait pas aux soins.

Ivan Perisic affirme avoir été le seul à ne pas recevoir sa chance dans le noyau A et d’en avoir été frustré. D’autres jalousaient son contrat professionnel et le taclaient méchamment à l’entraînement. Sur ce, il avait parfois réagi brutalement.

Après deux ans à Sochaux, il était à bout. Son impulsivité devenait un réel problème et il ne pensait qu’à partir. Tonci Martic, le partenaire croate de Frenay, un ancien joueur de Mouscron, a trouvé la solution : Roulers, dernier de D1, auquel le médian de vingt ans allait être loué pour six mois.

BELGIQUE : LUC DEVROE A LE NEZ CREUX

Ivan Perisic s’y sent bien d’emblée. Au stage en Turquie, au dessert, il ne prend pas une tartelette mais quatre, racontera plus tard Stefaan Tanghe, le capitaine. Sur le terrain non plus, il ne modère pas son enthousiasme. Il révèle ses qualités physiques et techniques. Lors de ses débuts officiels en huitièmes de finale de la Coupe de Belgique, contre le Club Bruges, il inscrit l’unique but du match. Il n’en restera pas là.

Quelques mois plus tard, il nous reçoit dans son petit appartement, à Roulers. Nous devons passer au-dessus de deux haltères pour entrer. Il s’excuse : son frigo est vide. Il n’a plus qu’un verre de lait et un yoghourt. Sa mère et sa soeur sont restées à Sochaux pour la scolarité de cette dernière et il vit seul, pour la première fois. Comme les jeunes Méditerranéens n’aiment pas la solitude, il est souvent chez son coéquipier serbe Mladen Lazarevic.

Son mollet droit s’orne d’un tatouage : un poulet avec des chaussures de football, le souvenir du temps où ses copains l’appelaient le Poulet, parce qu’il devait aider son père à la ferme. Le Poulet a toujours tout pris comme un jeu mais il veut être le meilleur en tout, il veut briller. Il nourrit de grandes ambitions. Il a promis à ses proches de travailler dur, sans se laisser tenter par les sorties et les filles.

En quelques mois, il marque huit buts pour Roulers, cinq en championnat et trois en coupe. Les scouts trouvent le chemin du Schiervelde. Ils découvrent un joueur doté de deux bons pieds et d’un bon jeu de tête, d’abattage, de stabilité dans les duels. Un travailleur, aussi. Il est rapide et mobile, malgré son 1m87, il surgit aisément devant le but et conclut avec la même facilité. Il est très complet et est animé d’une énorme motivation.

On comprend pourquoi l’ancien international croate Ivan Gudelj, entraîneur des U17 de Croatie, a un jour dit que si Ivan Perisic ne devenait pas un grand joueur, il faudrait retirer leur diplôme à tous les coaches qui auraient travaillé avec lui. Son jeune compatriote est très confiant : en mars déjà, il nous confie qu’il attend un coup de fil de Slaven Bilic, le sélectionneur croate. Mais il doit encore apprendre à doser ses efforts.

Surmené, il se blesse à la cheville et marque le coup. Toutefois, on comprend que s’il garde les pieds sur terre, il peut aller très loin. Au début de la saison suivante, il appartient toujours à Sochaux, auquel il est lié un an et qui ne le considère toujours pas comme un élément du noyau A. Fin août, juste avant la clôture des transferts, Luc Devroe l’enrôle au Club Bruges, pour 200.000 euros.

SONCK N’EN CROIT PAS SES YEUX

Ivan Perisic répète au Club ce qu’il a montré sous le maillot d’un club relégable. Reposé, il est dominant. Des coéquipiers aussi chevronnés que Wesley Sonck n’en croient pas leurs yeux : son jeu de pieds, sa formidable accélération et sa finition ! Il marque dès ses débuts contre Genk. Deux semaines et demie plus tard, il marque son premier but européen, à Toulouse. Il égalise à la 94′. Après tout, il était revenu en France pour montrer que Sochaux avait commis une erreur en ne lui accordant jamais sa chance en Ligue 1.

La nuit précédant le match à domicile contre le Partizan Belgrade, il rêve que le match s’achève sur le score de 2-0, par deux buts de lui-même. Il le confie à ses coéquipiers. Après quatre minutes, il a accompli la moitié du travail et quand le Club obtient un penalty un quart d’heure plus tard, le jeune Croate réclame le ballon au capitaine, Carl Hoefkens, le tireur attitré. Il l’envoie sur la latte, à la Panenka. Au repos, il s’excuse. Ensuite, il double la marque. Il trouve encore le chemin des filets à Belgrade et à domicile contre Toulouse.

Il marque 14 buts durant sa première saison, avec beaucoup de polyvalence : du droit, du gauche, de la tête, de près comme de loin, au terme d’une course, d’une combinaison ou d’une action individuelle. Il est difficile à freiner, au sol comme dans les airs. Suite logique : une nomination au Soulier d’Or, une invitation en espoirs croates et une adaptation de son contrat. Mais voilà qu’il subit une nouvelle baisse de régime, qui n’est pas anormale pour un footballeur issu de la D4 française.

Il fait encore mieux la deuxième saison. Un brillant sprint final lui permet d’être meilleur buteur avec 22 réalisations, devant des attaquants spécifiques : Jelle Vossen et Romelu Lukaku. Ses pairs l’élisent Footballeur Pro de l’Année devant Axel Witsel. Mais il y a des incidents. Quelques exemples :

– Une dispute avec Nabil Dirar, Perisic ayant botté un coup franc à la place de son coéquipier, dûment désigné par l’entraîneur.

– Une claque à Jeroen Simaeys qui avait osé lui crier qu’il laissait filer son homme.

– Une amende pour avoir assisté, à l’invitation de Nenad Jestrovic, à une fête au Carré, la veille d’un match, fête à laquelle Didier Drogba était annoncé.

Son tempérament lui vaut régulièrement des problèmes tout en le poussant à prester de mieux en mieux et à surmonter les obstacles. C’est le cas en équipe nationale A également. Dès le premier jour, en toutes circonstances, il prend l’initiative et se propose de botter les coups francs. Il est titularisé la première fois contre la France, à Paris. En fin de saison, il signe pour cinq ans au Borussia Dortmund, pour un montant de plus de cinq millions. Deux ans et demi après son arrivée à Roulers.

ALLEMAGNE : UNE REVANCHE SUR DORTMUND

Sa mission est difficile à Dortmund : se tailler une place chez le champion d’Allemagne. Le 13 septembre, c’est chose faite. En Ligue des Champions, contre Arsenal, il égalise à la 88′, d’un but de classe mondiale. Les semaines suivantes, il est titularisé contre Mayence et le Werder Brême. Il marque d’autres buts. Puis il est exclu et suspendu et se retrouve sur le banc. La concurrence dans l’entrejeu du Borussia est terrible, avec Kevin Grosskreutz, Shinji Kagawa, Mario Götze et Jakub Blaszczykowski – deux internationaux allemands, un japonais et un polonais.

C’est dire la qualité de la deuxième ligne : parfois, Jürgen Klopp le fait entrer au jeu en remplacement de l’avant-centre, Robert Lewandowski. En décembre, quand nous le rencontrons à Dortmund, Perisic dit comprendre que les joueurs qui ont gagné le titre aient acquis beaucoup de crédit mais que si sa situation ne change pas, il faudra trouver une solution. Il craint pour sa place en équipe nationale.

Il sera finalement titularisé à huit reprises en une saison, marquant sept buts. A l’EURO 2012, il entame les matches contre l’Irlande et l’Italie puis entre au jeu contre l’Espagne. Après un an et demi au Borussia Dortmund, le VfL Wolfsburg propose 8,5 millions pour s’assurer ses services. Un autre problème se présente là : il souffre des adducteurs pendant des mois et doit en sus subir une opération à l’épaule.

Mais tout se passe bien ; Durant sa deuxième saison, il devient un joueur important. Au Mondial brésilien, il marque deux buts et lors de sa troisième saison, il est vice-champion avec Wolfsburg et gagne la Coupe, au détriment du Borussia Dortmund. Après deux ans et demi au VfL, il présente de belles statistiques : 70 matches, 18 buts et 12 assists.

ITALIE : UN TREMPLIN VERS CHELSEA ?

Fin août 2015, l’Inter Milan le transfère pour une somme avoisinant les 16 millions. Il s’impose d’emblée dans la phalange de Roberto Mancini. On vante sa polyvalence, car il joue avec un bonheur égal à gauche, à droite et au centre, on loue son sens du démarquage et son labeur entre la défense et l’attaque.

Fait surprenant pour quelqu’un qui s’est souvent proclamé numéro dix dans ses interviews, il déclare à la Gazzetta dello Sport que l’aile gauche est sa meilleure place. Il inscrit sept buts en Serie A et semble à nouveau prêt à franchir un cap de plus : des journaux italiens et britanniques rapportent qu’Antonio Conte l’apprécie beaucoup et qu’il souhaite l’emmener à Chelsea.

La semaine passée encore, Milan Rapaic, international croate à 49 reprises, a fait part de son admiration pour Perisic à la Gazzetta. L’ancien médian, qui a notamment porté le maillot du Standard, a déclaré que l’entrejeu de la Croatie était le plus fort de tous, à l’EURO, et qu’Ivan Perisic était son joueur favori. C’est un fameux compliment, puisque cet entrejeu aligne aussi Ivan Rakitic (FC Barcelone) et Luka Modric (Real Madrid).

Perisic fait honneur à ces compliments pendant le tournoi en cours. Les Français ont certainement remarqué ses brillantes prestations et son but contre la Tchéquie. Tout doucement, Ivan Perisic, qui n’a encore que 27 ans, devient aussi grand que ses rêves. Chapeau.

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS BELGAIMAGE

Il s’est fait tatouer un poulet en chaussures de foot sur le mollet droit, en souvenir du temps où ses amis l’appelaient le Poulet.

Milan Rapaic trouve que l’entrejeu croate est le plus fort de l’EURO et Ivan Perisic est son joueur préféré.

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