Rattraper le temps perdu

Bruno Govers

En 2003-04, le noyau du RSCA comptera une douzaine de jeunes, tous formés par le coach adjoint.

Depuis les golden sixties, époque bénie où l’entraîneur corse, Pierre Sinibaldi, lança dans le grand bain une kyrielle de jeunes (Jean Trappeniers, Georges Heylens, Jean Cornélis, Paul Van Himst et autre Jean Plaskie) au Parc Astrid, plus jamais le blé en herbe n’y aura été autant à l’honneur qu’en cette saison 2002-2003. Celle-ci a été placée pour le RSCA sous le signe de l’avènement d’une nouvelle génération, composée de six joueurs âgés entre 18 et 21 ans (du plus jeune au plus ancien : Sherjill Mc Donald, Mark Deman, Lamine Traoré, Junior, Goran Lovre et Olivier Deschacht) auxquels il convient d’ajouter le teenager tchèque Martin Kolar, transféré en début de saison.

Eu égard au rôle non négligeable joué par la plupart de ces garçons dans le redressement spectaculaire du club, la direction des Mauve et Blanc entend exploiter tant et plus cette veine. Aussi, en prévision de la compétition à venir, cinq autres promesses seront incorporées dans le noyau professionnel : Denis Calincov, Maarten Martens, Vincent Kompany, Anatoli Guerk et Sergio Hellings. Le mérite en revient non seulement aux joueurs eux-mêmes mais également à Franky Vercauteren qui, depuis son retour au Sporting, il y a un lustre, a livré un formidable travail en profondeur pour favoriser leur éclosion.

Franky Vercauteren : Ma première préoccupation, à l’époque, fut la mise sur pied d’un noyau B professionnel. Jusque-là, les joueurs émargeant à cette catégorie s’entraînaient la plupart du temps en début de soirée, entre eux, sans véritable filière vers les A. Depuis cette date, des plages communes ont été instaurées qui permettent aux jeunes de se mêler une demi-douzaine de fois par semaine aux seniors. Le programme a été adapté aussi aux contingences modernes avec davantage de mouvements, avec ou sans ballon, et de pression sur le porteur. Cette donne a engendré ses premières répercussions, au niveau de l’équipe représentative du club, la saison passée, avec les apparitions de l’un ou l’autre jeune par intermittences. Cette année, cette présence a été plus accentuée déjà. Bientôt, un pas supplémentaire sera accompli avec la suppression pure et simple des B. Ces derniers mois, ils étaient au nombre d’une vingtaine, comprenant à la fois les joueurs en revalidation, les plus belles promesses ainsi que des coming men plus jeunes. Dès le mois d’août, le Sporting ne tablera plus que sur un noyau A élargi, composé de 32 éléments au lieu de 25 cette année. De la sorte, les plus jeunes seront soumis au même programme que les anciens. Une initiative qui devrait en principe accélérer leur développement.

4-4-2

N’êtes-vous pas surpris par le nombre élevé de joueurs qui se sont vus décerner une chance en Première cette saison ?

C’est vrai qu’on peut peut-être parler d’un heureux concours de circonstances. De fait, après avoir cherché durant des mois, en vain, une composition d’équipe ainsi qu’une animation de système idéales, Hugo Broos, Jacky Munaron et moi-même nous étions finalement résolus à revenir à notre conception de départ, le 4-4-2, mais, cette fois, dans une configuration qui faisait la part belle à plusieurs jeunots, alors que par le passé, leur introduction chez les A s’était toujours déroulée pour ainsi dire au coup par coup. Junior, Olivier Deschacht, Sherjill Mc Donald, Goran Lovre avaient été les premiers à bénéficier d’un certain temps de jeu, la saison passée, à l’image de Lamine Traoré quelques mois plus tôt. Cette année, la mesure a été étendue à d’autres promesses encore comme Martin Kolar ou, récemment, Mark Deman. Lancés de concert dans la bataille au cours du dernier tiers de la compétition, la plupart de ces éléments auront eu l’immense mérite de saisir leur chance, alors que bon nombre de chevronnés, censés a priori apporter davantage qu’eux, nous avaient laissés sur notre faim. Depuis lors, le staff technique est tout simplement demeuré fidèle à l’adage qui veut qu’on ne modifie pas une formation qui gagne.

N’aurait-il pas fallu se prononcer beaucoup plus tôt en faveur de ces jeunes ?

Non, pour la bonne et simple raison que ces garçons n’étaient pas encore fin prêts à ce moment. Je n’en veux pour preuve que le cas du trio qui a été partie prenante dans les succès que nous avons forgés depuis notre revers pitoyable sur le terrain de Mouscron : Olivier Deschacht, Martin Kolar et Goran Lovre. Le premier, on ne peut plus fringant au début de la campagne de préparation, était rentré subitement dans le rang par après, suite à l’annonce du passage dans nos rangs de Michal Zewlakow, un concurrent au poste de back gauche. Le nouveau venu tchèque, pour sa part, s’était complètement éteint au bout de quelques matches à peine. Quant au dernier, son premier souci, au moment de la désignation de Hugo Broos comme entraîneur principal, fut de demander son prêt dans un autre club, persuadé que sa chance était définitivement passée chez nous. Comme quoi ces quelques coming men n’étaient pas encore aptes à tenir leur place avec succès à cette époque. Dans l’intervalle, ils se sont plutôt bien aguerris. Mais une moindre passe reste possible, malgré tout. Car s’inscrire dans la durée n’est pas une mince affaire. Certains l’ont vérifié à leurs dépens, comme Sherjill Mc Donald ou Laminé Traoré, par exemple, pour ne citer que ces deux-là.

Traoré

Comment expliquez-vous leur rentrée dans le rang, alors qu’ils n’avaient pourtant pas démérité au plus haut niveau. Le défenseur burkinabé s’était notamment signalé en Ligue des Champions tandis que le Néerlandais avait été l’artisan de la qualification du RSCA à Stabaek, cette année ?

Honnêtement, je ne reconnais plus du tout Lamine Traoré. De tous les précités, c’est lui qui, le premier, eut droit aux faveurs de l’ancien coach, Aimé Anthuenis. Il était sans conteste en avance sur tous les autres. Or, aujourd’hui, il est à la traîne. Il y a deux manières de réagir dans l’adversité. Ou bien on retrousse ses manches, comme Olivier Deschacht suite à la venue de Michal Zewlakow chez nous. Ou bien on baisse les bras, à l’image précisément de Lamine Traoré. Manifestement, le problème est mental, chez lui. Il avait déjà eu mal, la saison passée, à digérer sa prestation au Club Brugeois, quand il s’était érigé en héros malheureux de la rencontre, suite au penalty qu’il avait provoqué, in extremis, et qui sonna le glas de nos espérances en championnat. Ensuite, il y eut l’annonce du transfert de Hannu Tihinen, stopper comme lui. Manifestement, il ne s’est jamais relevé de cet uppercut alors qu’il aurait eu l’opportunité de nous rendre de fieffés services, puisque le défenseur finlandais eut pas mal de problèmes de santé cette saison.

Sherjill Mc Donald, lui, n’aurait pu rêver de débuts plus tonitruants sur la scène européenne puisqu’il fut l’homme du match lors du premier déplacement européen du club en Norvège. Pourquoi n’a-t-il pas tenu ses promesses ?

Il a cru qu’il avait fait l’essentiel et s’est permis quelques écarts de conduite : arrivée tardive à l’entraînement et une hygiène de vie peu en adéquation avec celle d’un sportif de haut niveau. Après une période de flottement, il s’est fort heureusement ressaisi mais a dû composer, à ce moment, avec une concurrence accrue dans le même temps où la division offensive était réduite de trois à deux unités. Alors qu’il s’était imposé à une époque où Nenad Jestrovic était encore en délicatesse avec sa cheville et où Aruna Dindane purgeait sa suspension, Sherjill Mc Donald a été confronté aussi bien à leur retour en trombe qu’au renvoi d’Ivica Mornar, Gilles De Bilde et Ki-Hyeon Seol sur le banc de touche. Compte tenu de l’arrivée de Christian Wilhelmsson, il aura fort à faire pour retrouver une place de titulaire, surtout s’il n’y a pas de départs chez nous. C’est à lui de prouver de quel bois il se chauffe. Pour peu qu’il y parvienne, je lui prédis un bel avenir. La balle est dans son camp.

Stoica

Incorporé au sein de l’effectif professionnel en 1996, Walter Baseggio était le dernier produit de l’école des jeunes anderlechtoise à avoir percé en équipe fanion. Pourquoi la relève s’est-elle fait attendre ?

Plus que vraisemblablement parce que le Sporting n’était plus tout à fait en phase avec son temps d’un point de vue purement footballistique. Longtemps, le club n’a juré que par des artistes au pied léger en négligeant par trop d’autres paramètres, comme la mentalité, la puissance, le volume de jeu. Par rapport à un Kurt Van de Paar, un Yasin Karaca, un Lukas Zelenka voire un Alin Stoica, pour ne citer que ces quelques noms, il est clair qu’un Goran Lovre ou un Mark Deman n’ont pas la même aisance technique. Mais ils compensent cette lacune par des tas de qualités que tous ces anciens n’avaient pas en suffisance, justement. Or, dans le football d’aujourd’hui, le talent ne signifie plus grand-chose s’il ne s’accompagne pas de rendement. Et c’est là que le bât blessait singulièrement dans le chef de tous ces joueurs qui nous ont quittés entre-temps et qui, hormis peut-être Lukas Zelenka, à Westerlo ou, plus épisodiquement, au Sparta Prague, n’ont guère défrayé la chronique depuis lors. Avec le recul, je me dis que nous n’avons pas pu rectifier le tir, avec eux, dans la mesure où trop d’acquis étaient définitivement ancrés en eux. Mais avec la génération suivante, nous avons eu l’occasion de mettre l’accent sur les tendances nouvelles. Ils ont d’emblée été confrontés au power training et au fore checking, (pressing sur le porteur du ballon sur tout le terrain), par exemple, alors que leurs devanciers n’y ont guère été rompus. Grâce à ce changement, je remarque que les joueurs sont plus vite mûrs qu’autrefois. Personnellement, j’avais dû attendre mes 21 ans avant d’être déclaré bon pour le service au Sporting. De ce point de vue-là, un gars comme Vincent Kompany, 17 printemps, est incontestablement en avance…

Pendant ces cinq années au RSCA, vous ne vous êtes pas opposé au transfert ou au prêt de joueurs comme James Obiorah, Lukas Zelenka, Ben Mangaka Mbemba ou Yasin Karaca. En revanche, vous avez dissuadé Junior et Goran Lovre de tenter leur chance ailleurs. Vu leurs trajectoires, vous avez manifestement le nez fin…

C’est vrai que je ne me trompe pas souvent. Dix minutes de match me suffisent pour juger si un joueur a les qualités requises pour évoluer au RSCA. Un laps de temps similaire, à l’échauffement, me permet de dire si le même en garde sous la semelle ou non. Quant au caractère ou à la nature profonde, les réputations se font rapidement aussi. Ce sont toujours les mêmes qui se distinguent dans un sens comme dans l’autre. A un moment donné, certains se sont émus, au Sporting, parce qu’Ahmed  » Mido  » Hossam avait préféré opter pour l’Ajax que pour nous. Vu ce qu’il est advenu de lui à Amsterdam d’abord et, à présent, au Celta Vigo, je me dis qu’il est heureux qu’il n’ait pas abouti au Parc Astrid. Je préfère de loin ceux qui militent chez nous. Même s’ils n’ont pas la classe intrinsèque de l’Egyptien.

Neerpede

N’est-il pas contradictoire qu’à l’heure de jouer la carte des jeunes, la direction a battu à la fois le rappel d’un ancien, Pär Zetterberg, et offert une prolongation de contrat à Yves Vanderhaeghe ?

Non, car on peut tout attendre des jeunes, sauf la constance. Il faut des chevronnés et, à cet égard, il n’y a rien de tel, dans un effectif, qu’un joueur expérimenté et un jeunot qui se battent pour une seule et même place. D’un côté, l’ancien ne voudra pas perdre la face devant l’étoile montante ; de l’autre, le jeunot aura à c£ur de ne pas s’avouer vaincu face à une valeur sûre. C’est l’idéal.

Le centre de formation de Neerpede subira dans un proche avenir un lifting. Que lui manque-t-il pour pouvoir traiter d’égal à égal avec celui de Nantes, que vous avez connu lors de votre séjour à La Jonelière ?

C’était il y a près de deux décennies mais à cette époque-là, les Canaris avaient déjà de l’avance par rapport au Sporting d’aujourd’hui. Ici, un contrat est impensable en début d’adolescence alors que dans d’autres pays, comme la France, les Pays-Bas ou l’Angleterre notamment, cette mesure est parfaitement envisageable. Du coup, nous courons le risque de perdre des joueurs attirés par les sirènes étrangères. Comme Flori Ngalula notamment, le frère de Junior, qui vient de signer à Manchester United alors qu’il n’a que 16 ans. Une harmonisation me semble nécessaire, à ce niveau, sans quoi nous risquons de travailler pour les autres. Or, le propos, c’est quand même de voir les jeunes signer leur premier contrat pro chez nous.

 » Je peux juger un joueur en dix minutes de match «  » Le Sporting n’était plus tout à fait en phase avec son temps « 

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